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Le mot Épiphanie, signifiant : manifestation, est employé par saint Paul dans 2 Timothée 1.10 pour désigner la venue de Jésus sur la terre (voir Épiphanie). On l’adopta au IVe siècle pour la fête de la Nativité qui avait lieu en Orient le 6 janvier et en Occident le 25 décembre. Pendant les trois premiers siècles on ne célébrait pas la naissance de Jésus ; la seule fête générale de l’Église était celle de Pâques, où l’on unissait le souvenir de la mort et celui de la résurrection du Sauveur. Il est probable que la fête de Pentecôte suivit d’assez bonne heure, du moins en certains pays, la fête de Pâques. Quant à la date de la naissance de Jésus, on ne la connaissait pas. Au cours du IIe siècle des hypothèses surgirent, occasions de disputes. Clément d’Alexandrie (Mort en 220) blâme ceux qui s’occupent à rechercher la date de la naissance de Jésus. Il croyait pour sa part que c’était le 20 mai. Eusèbe, l’historien (Mort en 338), tient pour le 6 avril. D’autres Pères optèrent pour septembre. Bientôt, une majorité se forma en faveur du 6 janvier. Pourquoi ? Parce que le premier Adam étant né le sixième jour de la création, le deuxième Adam devait naître le sixième jour de l’année. C’était une raison fragile. Aussi, malgré la pression de l’Orient, l’unanimité n’arrivait pas à se faire. Pour mettre fin au désarroi, l’évêque de Jérusalem pria, dit-on, le pape Jules Ier (337-352) — d’autres croient que ce fut plutôt son successeur Libérius — de fixer une date précise. Et Rome fixa le 25 décembre. L’Église d’Occident suivit Rome ; puis l’Église d’Orient se rallia, sous le règne de Théodose le Grand (Mort en 395).
Dès lors on réserva le mot Épiphanie pour désigner la manifestation de Jésus aux mages, c’est-à-dire au monde païen. Quant au mot Noël (du latin 11 atalis, de natus = né), il n’apparaît pas, semble-t-il, dans la littérature avant le XIIIe siècle (Comput, f° 7). Les débuts de la fête elle-même furent modestes. Saint Augustin ne la compte pas au nombre des grandes fêtes chrétiennes. Quand Chrysostome prêcha Noël le 25 décembre 386, il dit dans son sermon : « Il n’y a pas même dix ans que cette date est manifeste pour nous. » « Manifeste » ? Pour quel motif ? Parce qu’il est écrit dans Aggée : « Le vingt-quatrième jour du neuvième mois… , dit Jéhovah, je vous comblerai de mes bénédictions ». Or, chez les Juifs, le neuvième mois c’est décembre et, selon l’usage juif, le vingt-quatrième jour s’étendait jusqu’au lendemain. Donc, la prophétie avait annoncé que Jésus naîtrait dans la nuit du 24 au 25 décembre ! Tout cela est fort bien arrangé. Mais il suffit de lire la prédiction d’Aggée pour voir qu’elle se rapporte à la construction du Temple et non à la venue du Messie.
Il n’en demeure pas moins que la date romaine a été choisie par la plus sûre intuition. À ne pas avoir une date historique, il fallait une date symbolique ; et quel jour de l’année pouvait marquer mieux l’entrée du Sauveur dans le monde que le jour où la lumière triomphait des ténèbres ?
Les religions païennes avaient pressenti l’enseignement moral du solstice d’hiver. À l’approche du 25 décembre, un frisson d’espérance secouait tout l’empire romain, et se prolongeait vers l’Orient. Les sectateurs de Mithra — divinité qui balança un moment la fortune naissante du Christ — célébraient avec éclat la fête du Natalis Invicti Solis, le dieu de la lumière qui refoulait les ténèbres hivernales. D’autres mystères d’inspiration moins pure glorifiaient le retour de la vie, de la sève, de l’âge d’or, en des cérémonies où les cultes orgiaques mêlaient leur pire licence. Il fallait du courage aux disciples du Christ pour planter la bannière de l’enfant Jésus au-dessus de cette fange. Ils le firent, et leur foi fut récompensée.
Les évangélistes se mirent à prêcher dans le monde romain comme Paul, jadis, à Athènes : « Le dieu que vous honorez sans le connaître, nous vous l’annonçons ! » La fête du Natalis Invicti (Natalis, Nadal, Noël) célèbre en réalité la naissance du « Soleil de justice qui porte le salut dans ses rayons ». Comme Malachie l’avait annoncé, Zacharie le salue : « Le soleil levant nous a visités d’En-haut… pour conduire nos pas dans le chemin de la paix. » « Un astre a brillé dans le ciel au-dessus de tous les astres… Dieu manifesté sous une forme humaine », écrit aux Éphésiens Ignace d’Antioche (Mort vers 117). « Dieu, dit saint Ambroise (Mort en 397), dans une même naissance a apporté la lumière et aux hommes et aux jours… En un sens, la foule a raison d’appeler Nativité (diem Natalis Domini) le jour du soleil nouveau. Preuve en soit que les Juifs et les païens s’accordent pour appeler ainsi cette fête. Mais nous aussi, nous revendiquons volontiers cette interprétation, puisqu’au moment où le Sauveur est né se levait l’aurore du salut pour le genre humain en même temps que se renouvelait la clarté du soleil ». Dès lors, la joie humaine, l’élan universel vers la vie et vers la lumière étaient orientés.
Est-ce à dire qu’il a suffi de donner le 25 décembre à l’Église pour purifier Noël de tout paganisme ?
On commença par instituer trois messes la nuit de Noël. Mais, comme le peuple montrait de l’indifférence, on a imaginé, pour l’instruire et pour l’attirer, de transformer, au Ve siècle, le chœur des églises en grotte ou en étable, où des poupées figuraient les personnages de Noël. Bientôt les poupées furent trop rigides, et le bœuf et l’âne aussi. On exhiba donc une jeune femme avec un vrai nouveau-né dans les bras, et le bœuf et l’âne entrèrent en chair et en os dans l’église. Prêtres et diacres représentaient les bergers, les mages, les apôtres, etc. Dans les galeries, tout en haut, les enfants de chœur faisaient entendre la voix des anges. On se répondait de l’étable aux galeries. Ainsi naquirent, toujours naïfs, souvent risqués, les couplets des vieux Noëls et des antiques pastourelles. Saint François d’Assise était ravi de ces réprésentations.
Bientôt les choses se gâtèrent. Pour attirer, on amusa. La cérémonie de Noël dégénérant en drôlerie, l’âne finit par y jouer le grand rôle : âne de la crèche, âne de la fuite en Égypte, âne du jour des Rameaux ! L’imagination des clercs se donna libre carrière. Bientôt l’on descendit vers la renaissance des antiques saturnales, et la « fête de l’âne » devint la « fête des fous ».La France Pittoresque, d’A. Hugo (1835), raconte qu’à Provins en Brie la fête de l’âne revêtait au XIVe siècle un éclat particulier.
« Cette cérémonie burlesque, reste des bacchanales payennes, attirait un grand concours de spectateurs. Les enfants de chœur et les sous-diacres couvraient un âne d’une grande chape, et le conduisaient à l’église, où l’animal était solennellement introduit avec des chants dignes de la fête, et dont voici un échantillon :
Un âne fort et beau est arrivé de l’Orient ; Hé ! sire âne, hé ! chantez ; Belle bouche rechignez, Vous aurez du foin assez, Et de l’avoine a planté.
« On faisait approcher l’âne de l’autel, et là, on chantait ainsi ses louanges : amen, amen, asine, hé, hé, hé ! sire âne ! hé, hé, hé, sire âne ! Il assistait à une messe à la fin de laquelle, au lieu de Vite missa est, le prêtre officiant criait trois fois : hihan ! hihan ! hihan ! et le peuple répondait par le même braiement. »
À la même époque, en pleine cathédrale de Notre-Dame à Paris, le bas clergé, déguisé comme au carnaval et la face barbouillée, chantait la messe des fous. Du haut de la chaire, on glorifiait les sept péchés capitaux, tandis que le peuple en liesse se livrait aux farces et aux beuveries. Le tout à la gloire de Noël.
La Faculté de Paris, en 1444 voulut mettre fin à ce scandale. Un évêque répondit : « Nos prédécesseurs, grands et dignes personnages, ont permis cette fête ; vivons comme eux… afin de donner au moins une fois l’an issue à la folie qui nous est naturelle et qui semble née avec l’homme ». Voilà une réplique qui ne manque pas de saveur. Tout de même, en 1485, un concile obtint qu’on n’introduisît plus d’hommes sans vêtements dans l’église et que, pour clôturer la fête, on ne jetât plus que trois seaux d’eau sur le préchantre.
Tout cela est symptomatique. Si nous y avons insisté, c’est pour donner une idée de l’état de paganisme où peuvent descendre les mœurs ecclésiastiques quand la Bible est éclipsée par la tradition. Les choses en étaient là lorsque Luther parut. La Réforme amena la fin de la profanation bachique de Noël dans l’église ; et les protestants calvinistes, pour couper court, supprimèrent toute manifestation joyeuse à Noël. Calvin, parlant dans son Institution (IV, 10) des « abominations énormes » par lesquelles « prélats et conducteurs du peuple ignorant et grossier renversent toute piété », n’avait-il pas condamné toutes les cérémonies « où les docteurs de la communion romaine font accroire au monde que de grands mystères y sont renfermés ? Il ne faut pas s’étonner que ceux qui les ont inventés soient tombés dans cet excès de folie, puisqu’ils ont pris leur modèle en partie des folles rêveries des païens… qu’ils ont imités comme font les singes ».
Luther, l’homme de la famille, avait conservé son caractère joyeux à la fête de Noël. La Réforme issue de lui popularisa dans les foyers et dans le grand foyer qu’est l’Église l’arbre rayonnant par lequel un usage antique célébrait, en Allemagne — comme dans notre Midi par la bûche de Noël —, la fête du retour de la lumière. Pour se rendre compte à quel point le grand réformateur a façonné la mentalité de ceux qui l’ont suivi, il suffit de constater qu’aux États-Unis, où la célébration ecclésiastique de Noël est malheureusement sortie des mœurs, seules les églises luthériennes la maintiennent jalousement, avec ses arbres de Noël et ses beaux cantiques dont les plus anciens remontent à Luther lui-même.
Benedict Pictet, revenant d’Allemagne en 1705, communiqua aux calvinistes genevois son enthousiasme pour la fête de Noël qu’il y avait célébrée, et composa en souvenir d’elle son hymne :
Béni soit Dieu ! tous nos vœux s’accomplissent.
Et toi, Soleil de grâce et de justice,
Qui te revêts de notre humanité,
Jette sur nous, jette un regard propice,
Et conduis-nous par ta vive clarté.
Ce n’est pourtant que vers le milieu du siècle dernier que les églises réformées s’ouvrirent à l’Arbre de Noël. De la Réforme, l’Arbre de Noël passa dans l’Église romaine et se dressa illuminé auprès de la crèche traditionnelle.
« Te rappelles-tu les Noëls de l’enfance ? » écrivait à ce sujet le Père Charles de Foucauld (Mort en 1916) à sa sœur ; « j’espère que tu fais à les enfants une crèche et un arbre. Ce sont de doux souvenirs, qui font du bien toute la vie… Tout ce qui fait aimer Jésus, tout ce qui fait aimer le foyer paternel est si salutaire ! Ces joies de l’enfance, où s’unit la religion dans ce qu’elle a de plus doux à la vie de famille, dans ce qu’elle a de plus attendrissant, font un bien qui dure jusqu’à la vieillesse… Fais tout ton possible pour que leurs fêtes de Noël leur soient douces, douces, leur laissant ce souvenir d’une suavité infinie… Mais, surtout, prépare-leur un beau Noël au ciel, en te sanctifiant le plus possible et en les élevant pour être des saints… »
Alexandre Westphal
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