1 Or toute la terre avait la même langue et les mêmes mots. 2 Et étant allés du côté de l’orient, ils trouvèrent une plaine dans le pays de Sinéar, et ils s’y établirent. 3 Et ils se dirent entre eux : Allons, faisons des briques et cuisons-les au feu. Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de mortier. 4 Et ils dirent : Allons, bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet soit dans les cieux, et faisons-nous un monument, de peur que nous ne soyons dispersés sur la face de toute la terre. 5 Et l’Éternel descendit pour voir, la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. 6 Et l’Éternel dit : Voici, ils ne sont qu’un peuple et ils ont tous une même langue, et ceci est le commencement de leurs entreprises ; et maintenant, quoi qu’ils veuillent entreprendre, rien ne les empêchera. 7 Allons ! Descendons et confondons là leur langage, de sorte que l’un ne comprenne plus le langage de l’autre. 8 Et l’Éternel les dispersa de là sur la face de toute la terre, et ils cessèrent de bâtir la ville. 9 C’est pourquoi elle fut appelée Babel, parce que c’est là que l’Éternel confondit le langage de toute la terre, et c’est de là que l’Éternel les a dispersés sur la face de toute la terre. 10 Voici la postérité de Sem. Sem, âgé de cent ans, engendra Arpacsad, deux ans après le déluge. 11 Et après qu’il eut engendré Arpacsad, Sem vécut cinq cents ans, et il engendra des fils et des filles. 12 Et Arpacsad vécut trente-cinq ans, et il engendra Sélah. 13 Et après qu’il eut engendré Sélah, Arpacsad vécut quatre cent trois ans, et il engendra des fils et des filles. 14 Et Sélah vécut trente ans, et il engendra Héber. 15 Et après qu’il eut engendré Héber, Sélah vécut quatre cent trois ans, et il engendra des fils et des filles. 16 Et Héber vécut trente-quatre ans, et il engendra Péleg. 17 Et après qu’il eut engendré Péleg, Héber vécut quatre cent trente ans, et il engendra des fils et des filles. 18 Et Péleg vécut trente ans, et il engendra Réhu. 19 Et après qu’il eut engendré Réhu, Péleg vécut deux cent neuf ans, et il engendra des fils et des filles. 20 Et Réhu vécut trente-deux ans, et il engendra Sérug. 21 Et après qu’il eut engendré Sérug, Réhu vécut deux cent sept ans, et il engendra des fils et des filles. 22 Et Sérug vécut trente ans, et il engendra Nachor. 23 Et après qu’il eut engendré Nachor, Sérug vécut deux cents ans, et il engendra des fils et des filles. 24 Et Nachor vécut vingt-neuf ans, et il engendra Thérach. 25 Et après qu’il eut engendré Thérach, Nachor vécut cent dix-neuf ans, et il engendra des fils et des filles. 26 Et Thérach vécut soixante-dix ans, et il engendra Abram, Nachor et Haran. 27 Voici la postérité de Thérach. Thérach avait engendré Abram, Nachor et Haran, et Haran avait engendré Lot. 28 Et Haran mourut en présence de Thérach son père, dans le pays de sa naissance, à Ur des Chaldéens. 29 Et Abram et Nachor prirent des femmes ; le nom de la femme d’Abram fut Saraï, et le nom de la femme de Nachor, Milea, fille de Haran, père de Milca et de Jisca ; 30 et Saraï fut stérile. elle n’avait pas d’enfants. 31 Et Thérach prit Abram, son fils, et Lot, fils d’Haran, son petit-fils, et Saraï, sa belle-fille, femme d’Abram son fils, et ils sortirent avec eux d’Ur des Chaldéens pour aller au pays de Canaan, et ils vinrent jusqu’à Charan et s’y établirent. 32 Et les jours de Thérach furent deux cent cinq ans, et Thérach mourut à Charan.
Plusieurs interprètes ont trouvé une contradiction entre ce morceau et le chapitre 10. D’après le chapitre 10, disent-ils, l’humanité s’étend par un développement naturel ; d’après le chapitre 11, au contraire, sa dispersion est subite et survient à la suite d’une catastrophe. Mais en réalité, cette contradiction n’existe pas, car l’état de dispersion des peuples décrit au chapitre 10 est le résultat du fait raconté au chapitre 11. L’auteur a placé l’effet avant la cause pour rattacher directement à l’histoire de Noé le catalogue de ses descendants. On comprend d’autant mieux cette anticipation que le chapitre 10 est un morceau spécial pouvant facilement être détaché de son contexte.
Divers indices, en particulier la présence du nom de Jéhova (l’Éternel), nous montrent que le commencement du chapitre 11 appartient au document jéhoviste.
La narration reprend au point où l’avait laissée le chapitre 9. Ce verset décrit l’état de l’humanité dans les temps qui suivirent immédiatement le déluge. Cet état ne dut pas être de longue durée, puisqu’au moment de la catastrophe, l’humanité tout entière était encore réunie dans le même campement.
La plupart des commentateurs rapprochent l’événement qui va être raconté de la répartition de la terre (mentionnée selon eux Genèse 10.25) au temps de Péleg. D’après cela, la période depuis le déluge à la tour de Babel aurait duré une centaine d’années, si du moins on suit la chronologie du texte hébreu. Mais nous avons vu en Genèse 10.25 que ce passage doit être interprété tout différemment et que la dispersion était un fait déjà consommé au temps de Péleg.
La tradition qui attribue à Nimrod l’initiative de la construction de Babel n’a également aucun fondement solide. Nous avons vu, au contraire (Genèse 10.10), que Babel devait déjà exister quand il y établit son empire.
La même langue et les mêmes mots : une même prononciation et les mêmes termes. Plusieurs commentateurs, s’appuyant sur l’origine hébraïque des noms propres du commencement de la Genèse, ont supposé que cette langue primitive était l’hébreu qui se serait conservé dans la famille de Sem. Mais rien n’appuie cette supposition et les noms propres ont fort bien pu être traduits en hébreu au cours de la tradition.
Étant allés. Le terme hébreu sert à désigner les migrations d’un peuple nomade.
Du côté de l’orient. La plupart de nos versions traduisent : Comme ils étaient partis d’orient. Mais si l’on compare Genèse 12.8 et Genèse 13.11, on voit que l’expression employée en hébreu dit justement le contraire ; et en effet, l’Arménie, d’où les hommes étaient partis après le déluge, est au nord-ouest de la Babylonie.
Pays de Sinéar. Voir à Genèse 10.10. Cette plaine d’une rare fertilité et admirablement arrosée, ce jardin de Dieu, leur paraît favorable à un établissement définitif.
La maison doit remplacer la tente et la ville le campement. À défaut de pierres, qui n’existent pas dans les terrains d’alluvion de la Babylonie, le sol leur fournit de la terre à briques et du bitume. Pour les constructions ordinaires, on emploie en général des briques séchées au soleil ; mais quand on veut que les briques soient plus durables, on les cuit au feu. Les ruines de Babylone attestent que les briques étaient les matériaux essentiels de construction et que le bitume servait de ciment.
Dans les cieux : extrêmement haute. Comparez Deutéronome 1.28 ; Daniel 4.11.
Un monument. D’autres traduisent : un nom, c’est-à-dire une grande réputation. Mais aux yeux de qui ? Ne sont-ils pas les seuls habitants de la terre ? Le mot hébreu schem, qui signifie nom, a aussi le sens de signe, monument (2 Samuel 8.13 ; Ésaïe 55.13). Ce sens est le seul possible dans ce passage ; ce que veulent les hommes, c’est un monument qui soit pour eux un constant moyen de ralliement.
À cette explication conviennent les mots suivants : De peur que nous ne soyons dispersés. C’est donc à tort qu’on a supposé que les hommes voulaient ou bien escalader le ciel ou bien se mettre à l’abri d’un nouveau déluge. Cette tour sera le point, visible de partout, qui dirigera les hommes au retour de leurs excursions. Mais c’est précisément dans ce dessein que consiste leur péché ; car, par là, ils transgressent l’ordre que Dieu leur avait donné : Remplissez la terre (Genèse 1.28 ; Genèse 9.1).
Avant même que la construction soit achevée (ils bâtissaient), l’Éternel intervient. Son plan doit s’exécuter : les hommes se disperseront, qu’ils le veuillent ou non. C’est en se séparant en groupes distincts que les hommes arriveront à développer dans toute leur diversité et leur richesse les facultés dont le Créateur les a doués ; et ce sera là également le moyen de les préserver de la corruption totale qu’aurait amenée leur concentration en un même lieu.
L’Éternel descendit. Nous rencontrons ici un anthropomorphisme, c’est-à-dire l’expression en langage humain de quelque chose qui appartient au domaine divin. Dieu n’a pas besoin de descendre pour savoir ce que font les hommes (Psaumes 33.13-44). Mais chaque fois qu’il agit d’une manière sensible, ces derniers ont l’impression qu’il se rapproche d’eux, qu’il descend.
Rien ne les empêchera. Ce que Dieu craint, ce n’est pas que les hommes échappent à sa souveraineté, mais qu’ils n’en arrivent à ce point d’orgueil et d’impiété où il serait obligé de les détruire de nouveau, contrairement à la promesse faite à Noé après le déluge. Et pour les arrêter sur cette voie, il choisit un moyen qui les forcera précisément à réaliser leur destination primitive, celle de peupler la terre. Ainsi, par leur désobéissance même, ils reviendront à l’obéissance.
Allons ! Ce mot répond aux deux allons ! prononcés par les hommes (versets 3 et 4) : entreprise contre entreprise.
Descendons. Pour ce pluriel, voir Genèse 1.26, note. L’Éternel a manifesté d’une manière sensible, dont nous ignorons le mode, sa présence, afin que la vraie cause de la catastrophe fût comprise. D’après une tradition rapportée par Bérose et par Josèphe, un vent furieux aurait renversé la tour.
Confondons là leur langage. La différence de langage repose sur une manière différente de penser, de raisonner et de concevoir les choses. C’est donc dans ce domaine intérieur de la pensée et de la conscience qu’a dû se produire l’acte divin d’où est résultée la formation des langues diverses.
Comment cela s’est-il passé ? C’est ce qu’on ne saurait expliquer, pas plus qu’on ne peut expliquer le phénomène inverse qui s’est produit à la Pentecôte (Actes 2), et qui est le gage certain qu’un jour les conséquences de la catastrophe de Babel disparaîtront, comme toutes les autres conséquences du péché. Dans tous les cas, il n’y a pas à douter de la réalité du fait, puisque l’unité primitive de la race humaine, par conséquent aussi de sa langue, nous paraît positivement établie.
On peut penser, il est vrai, que la multiplicité des langues ne s’est produite que graduellement et a été le résultat plutôt que la cause de la dispersion des hommes. Le texte scripturaire ne dit pas non plus que le résultat se soit produit instantanément. Il attribue seulement à une action divine et momentanée la multiplicité des langues et la dispersion des peuples. Ces deux effets se sont sans doute produits graduellement et en réagissant constamment l’un sur l’autre.
Babel. Ce nom se rattache en hébreu au verbe balal, qui signifie confondre. Mais le nom primitif Babîl ou Babilou, qu’on retrouve dans les inscriptions, signifie dans la langue babylonienne : porte de Dieu. Que l’auteur ait ou non connu ce sens primitif, il a mis en rapport le sens hébreu de ce mot (confusion) avec l’événement qui s’était passé en cet endroit.
Remarquons la quadruple repétition de l’adverbe là dans les versets 7 à 9. L’auteur veut insister sur le fait que c’est là à cet endroit nommé désormais confusion, que s’est passé l’événement à jamais mémorable de la séparation des peuples par la confusion de leur langage.
Il est bien probable que la tradition consignée dans notre récit se rattachait à un édifice ou à une ruine existant à Babylone. On voit fort souvent représentées, sur les bas-reliefs babyloniens, des tours à trois, cinq ou sept étages superposés de telle manière que chaque étage est plus étroit que l’étage inférieur. On a retrouvé également les ruines d’une tour de ce genre construite au moyen de briques et de bitume, sur la rive occidentale de l’Euphrate, à l’endroit nommé par les inscriptions Borsippa, au sud de Babylone. Cette ruine, qui porte le nom de Birs-Nimroud, doit être identique avec un temple de Bel que décrit Hérodote et avec un temple dédié à Bel-Nébo, dont parle une inscription de Nébucadnetsar.
Dans cette inscription, ce roi raconte qu’il fit restaurer le temple des sept luminaires du ciel et de la terre, la tour de Borsippa qu’un roi ancien avait fait élever, sans l’achever et qui, dès longtemps, était tombée en ruines. La légende arabe et le Talmud identifient cet édifice avec la tour de Babel. Mais comme il était en dehors de Babylone, d’autres préfèrent rattacher la tradition biblique à l’édifice dont les ruines immenses, sur la rive orientale de l’Euphrate, portent aujourd’hui le nom de Babîl ; car cet édifice était situé dans la ville même. Cependant, les détails qui nous ont été transmis sur le Birs-Nimroud présentent tant d’analogies avec la tour dont parle le récit biblique qu’il est plus naturel d’en rester à la première manière de voir.
Les traditions des autres peuples ne renferment que des traces peu sûres du fait raconté ici. On a cru en retrouver quelques-unes chez les Grecs, chez les Babyloniens et jusqu’en Chine et en Amérique. Mais il n’est pas certain que ces légendes n’aient pas subi l’influence du récit biblique.
Les trois morceaux précédents nous ont présenté le caractère spécial de chacune des trois familles issues de Noé (Genèse 9.18-29), la dissémination sur la terre de l’humanité issue de ces trois familles (chapitre 10) et le point de départ de cette grande migration (Genèse 11.1-9). Le morceau dont nous abordons l’étude poursuit jusqu’à Abraham la ligne des descendants de Sem et forme ainsi la transition entre l’histoire générale de l’humanité primitive et l’histoire spéciale du peuple de Dieu, qui sortira d’Abraham. Ce morceau renoue la chaîne généalogique au point où l’avait laissée le chapitre 5 ; il appartient donc au document élohiste.
Agé de cent ans. Sem était né lorsque Noé avait 500 ans révolus, c’est-à-dire dans sa 501e année (Genèse 5.32) ; il avait, par conséquent, 99 ans au moment du déluge (Genèse 7.11). Deux ans après, il était dans sa 101e armée, c’est-à-dire qu’il avait cent ans révolus. Il n’y a donc pas désaccord entre la donnée de notre verset et celles de Genèse 5.32 et de Genèse 7.11.
Pour les noms, voir Genèse 10.24-25, notes et pour les chiffres l’appendice ci-dessous. La version grecque des LXX, suivie par le Nouveau Testament (Luc 3.36), ajoute à cette liste le nom de Kaïnan entre Arpacsad et Sélah.
Réhu signifie probablement ami. On ne retrouve aucune trace de ce nom.
Sérug signifie cep de vigne. Ce nom se retrouve dans celui de Sarug, ville et pays situés en Mésopotamie à une journée au nord de Charan.
Nachor signifie : celui qui respire fortement.
Thérach dérive d’un verbe qui signifie tarder, s’arrêter et peut signifier campement, lieu où l’on s’arrête.
Abram signifie : père élevé. Nachor fut le père d’un rameau considérable des Araméens ; comparez Genèse 22.20-24.
Haran signifie : le montagnard.
Remarquons que cette généalogie, comme celle du chapitre 5, présente dix chaînons jusqu’au personnage à l’histoire duquel elle sert d’introduction, c’est-à-dire depuis Noé jusqu’à Abraham.
Le but de ces versets est de nous orienter sur les rapports de parenté qui existaient entre les divers personnages dont l’histoire subséquente va faire mention.
Avec ce verset, nous passons de la généalogie à l’histoire. Mais avant de commencer cette dernière, l’auteur pose comme point de départ le résultat auquel avait abouti la généalogie (verset 26) ; c’est la raison pour laquelle il emploie le plus-que-parfait et non plus le passé indéfini.
En présence de Thérach son père : de telle manière que son père assista à sa mort, lui survécut. L’auteur nous indique par là pourquoi, dans la suite, il ne sera plus question de Haran, mais seulement de son fils Lot.
Ur des Chaldéens. On a cherché longtemps cette ville dans le bassin supérieur de l’Euphrate, sur le chemin que l’on pensait avoir été suivi par les descendants d’Arpacsad dans leur migration vers le sud-ouest ; plusieurs auteurs l’ont même identifiée avec la ville d’Edesse qui portait dans l’antiquité le nom d’Urhoi et se nomme aujourd’hui Urfa. Mais les inscriptions assyriennes ont jeté un jour nouveau sur ce point, en nous apprenant que le pays des Chaldéens (Caldou) se, trouvait sur le bas Euphrate, près du golfe Persique et que la ville d’Ur, en assyrien Uru, était située sur le bras occidental de ce fleuve, peu au-dessus de son embouchure. On en a retrouvé les ruines, en particulier celles d’un temple dédié à la lune, à l’endroit appelé maintenant Mugheir.
La communauté d’origine des peuples descendus d’Abraham avec les Babyloniens est suffisamment prouvée par la ressemblance frappante d’un grand nombre de leurs usages et de leurs traditions, ressemblance que nous avons pu constater souvent dans l’étude des dix premiers chapitres de la Genèse. L’itinéraire suivi par les descendants d’Arpacsad, à partir des régions du haut Tigre, a donc été plus étendu qu’on ne le pensait autrefois.
La filiation de Sara n’est pas indiquée. D’après Genèse 20.12, elle était aussi fille de Thérach, mais par une autre mère.
Père de Milca et de Jisca. C’était peut-être le nom sous lequel Haran était connu dans la tradition ; de là cette expression pléonastique.
Jisca. Ce nom ne reparaît nulle part dans les récits subséquents. La tradition juive, consignée par Josèphe, l’identifie avec Sara, qui serait ainsi la nièce d’Abraham et non sa sœur. D’autres pensent qu’elle est nommée spécialement parce qu’elle était la femme de Lot qui aurait ainsi épousé sa sœur, comme Abraham, tandis que Nachor avait épousé sa nièce.
Le tableau suivant donne une idée des alliances intervenues entre les différentes branches de la famille de Thérach.
Belle-fille. On peut être surpris qu’elle ne soit pas appelée sa fille ; mais maintenant qu’elle est mariée, sa qualité de femme d’Abraham l’emporte sur celle de fille de Thérach.
Ils sortirent. Le mot ils s’applique à tous les personnages secondaires depuis Lot.
Avec eux : avec Abraham et Thérach, les deux personnages principaux nommés en commençant.
Pour aller au pays de Canaan. Le pays de Canaan était pour les habitants de la Chaldée l’extrême occident. Cette migration est, sans doute, en rapport avec le grand mouvement des peuples vers l’ouest, mouvement qui a aussi amené les Cananéens sur la côte de la Méditerranée, les Hyksos en Égypte, etc.
Ils vinrent jusqu’à Charan. Les émigrants, accomplissant, sans le savoir, la volonté de Dieu, se dirigent vers le pays de Canaan ; mais, avant trouvé à Charan ce qu’ils désiraient, ils s’y établissent. Nous verrons (Genèse 12.1) comment Dieu fit reprendre à l’un d’eux leur projet primitif.
Charan, ville de la Mésopotamie septentrionale dont on a retrouvé les ruines à une forte journée de marche au sud-est d’Edesse. Comparez Ésaïe 37.12, note. Son nom qui signifie, d’après une racine arabe, terre desséchée, lui vient sans doute de sa pauvreté en arbres et en sources.
Thérach mourut. Cette notice est placée ici par anticipation, pour finir l’histoire de ce patriarche avant de passer à celle d’Abraham. En effet, si l’on additionne les données de Genèse 11.26 et de Genèse 12.4 on trouve que Thérach était âgé de 145 ans quand Abraham le quitta et que, par conséquent, il vécut encore soixante ans après le départ de ce dernier.
Cette mention anticipée a été la cause d’une erreur dans la tradition juive qui a passé dans le discours d’Étienne (Actes 7.4) ; on a cru qu’Abraham n’avait quitté sa famille qu’après la mort de Thérach.
Le morceau que nous venons d’étudier est la continuation de la généalogie qui commence au chapitre 5 et qui relie, par un fil conducteur, les grandes époques de l’histoire du monde ancien, la création et la chute, le déluge, la vocation d’Abraham.
Un coup d’œil jeté sur ces deux généalogies nous montre que, à mesure que l’humanité s’éloigne de ses origines, la longévité va en s’abaissant : sauf Sem, aucun des patriarches postérieurs au déluge ne dépasse la moitié de la vie des premiers patriarches. La moyenne de trente ans pour le mariage et de deux cents pour la mort remplace peu à peu celles de cent et de neuf cents ans.
On s’est aussi servi (voir chapitre 5) des chiffres donnés par cette généalogie pour essayer de fixer la durée de la période pendant laquelle ont vécu ces patriarches. Mais il se trouve que les trois textes du Pentateuque que nous possédons, le texte hébreu, le texte samaritain et la traduction des LXX, présentent sur ce point des divergences considérables. Voir le tableau.
Ce tableau soulève deux questions :
Pour ce qui concerne Kaïnan, la réponse n’est pas douteuse. Ce nom ne se trouve ni dans la généalogie parallèle des Chroniques, ni dans la traduction grecque de ce morceau (voir 1 Chroniques 1.24) ; il manque de même dans le texte samaritain, dans Josèphe et dans Philon. Ce qui contribue aussi à le rendre suspect, c’est que ce quatrième nom de cette généalogie est identique au quatrième nom de celle du chapitre 5 et que les chiffres qui s’y rattachent sont les mêmes que ceux de Sélah, qui le suit immédiatement. Il est donc fort probable que les LXX ont ajouté ce nom pour rendre cette généalogie tout à fait semblable à celle du chapitre 5 : dix générations, dont la dernière se ramifie en trois membres. Mais ils n’ont pas compris que ces dix chaînons existent déjà dans le texte hébreu par le fait qu’Abraham est le personnage principal d’où sortira un développement nouveau ; c’est en réalité lui et non Thérach, qui est le pendant de Noé.
Quant aux chiffres donnés par les divers textes, la plupart des interprètes envisagent que c’est dans le texte hébreu que nous trouvons les vraies leçons. L’adjonction de Kaïnan, en montrant la liberté avec laquelle les traducteurs ont agi, suffirait déjà pour rendre les LXX suspects. Mais nous avons une autre raison de doute tirée des chiffres eux-mêmes.
En effet, les chiffres donnés par les LXX étant beaucoup plus considérables que ceux du texte hébreu, simplifieraient beaucoup une question que nous discuterons plus bas, celle du rapport entre la chronologie de la Bible et celle des peuples anciens. Car la chronologie biblique paraît beaucoup trop restreinte en face de l’histoire des peuples de l’antiquité. Mais c’est justement cette simplification qui rend les LXX suspects. Les traducteurs grecs ont sans doute senti déjà la difficulté, et, avec la liberté qu’on leur connaît, ils ont, de même qu’au chapitre 5, cherché à allonger cette période en augmentant de cent ans l’âge de chaque patriarche à la naissance de son premier fils.
Quant au texte samaritain, il parait avoir été composé au moyen du texte hébreu et de celui des LXX. En effet, l’âge de chaque patriarche, au moment où il engendre son premier fils, y est le même que chez les LXX, tandis que la durée totale de la vie est la même que celle indiquée par le texte hébreu, à cette seule différence près que le texte samaritain corrige deux chiffres pour avoir, comme au chapitre 5, une série constamment décroissante. Le texte hébreu nous paraît donc devoir être préféré aux deux autres.
D’après la Genèse, la période qui s’est écoulée du déluge à la vocation d’Abraham est donc de 367 ans. Cette donnée peut-elle s’accorder avec ce que nous savons de l’histoire des Babyloniens et des Égyptiens, les seuls peuples de l’antiquité dont les souvenirs historiques remontent jusqu’à ces temps reculés ?
Pour répondre à cette question, nous devons tout d’abord chercher à fixer d’après la Bible la date de la vocation d’Abraham. La première date que l’on puisse établir avec quelque sûreté est celle de la sortie d’Égypte, qui ne peut être placée au-delà de l’an 1490 avant notre ère. Pour plus de détails sur ce point, nous renvoyons le lecteur à Exode 12.40. Le séjour en Égypte ayant duré 430 ans (d’après le texte hébreu) et l’ère patriarcale 215, la vocation d’Abraham devrait donc être placée, si la date ci-dessus est exacte, vers l’an 2135 avant Jésus-Christ. Le déluge qui a eu lieu, d’après la Genèse, 367 ans auparavant, se placerait donc vers l’an 2500.
Ces dates ne sont pas en contradiction avec la chronologie babylonienne, car les faits historiques mentionnés dans les inscriptions ne remontent guère au-delà de l’an 2000, moment où nous trouvons établi à Ur en Chaldée le roi Uruk, le premier qui ait porté le titre de roi de Sumir et Accad (Haute et Basse Babylonie).
Les données bibliques peuvent aussi s’accorder avec les renseignements de l’historien chaldéen Bérose, d’après lequel la première dynastie des rois de Babylone se place entre 2250 et 2500. Le même historien parle, il est vrai, d’une période héroïque d’environ 34 000 ans, qui serait placée entre les 432 000 ans de la période mythologique et les temps historiques, soit entre le déluge et la première dynastie des rois de Babylone. Mais cette donnée appartient à la légende et ne peut entrer ici en ligne de compte.
Les difficultés soulevées par la chronologie égyptienne sont beaucoup plus grandes ; car, ainsi que nous le verrons en étudiant l’Exode, il est probable que dix-huit dynasties ont régné sur l’Égypte avant le moment où les Israélites en sont sortis. Mais les égyptologues sont loin d’être d’accord sur la durée qu’il faut attribuer à ces dynasties. Voici les différentes dates qu’on assigne à l’avènement du premier roi d’Égypte : 5702, 5613, 4455, 4157, 3892, 3623. On voit combien la chronologie égyptienne est peu sûre. Ce n’est qu’à partir de la 26e dynastie, dit l’un des hommes les plus compétents en cette matière, que la chronologie est fondée sur des dates qui laissent peu à désirer pour leur exactitude.
À supposer même que ce soit la dernière date qui doive être préférée, ce qui est peu probable, l’accord avec les données bibliques est impossible, car cette date nous transporte à plus de 1100 ans avant le moment assigné par la Bible au déluge et au commencement de l’humanité nouvelle.
Dans l’état actuel de la science, il n’est donc pas possible de faire coïncider les deux chronologies. Mais, comme nous l’avons déjà remarqué, la chronologie égyptienne ne peut fournir un point de comparaison absolument certain, puisqu’elle est loin d’être fixée d’une manière définitive. D’autre part, la Bible ne donne pas de chiffres d’ensemble pour cette période, comme elle le fera Exode 12.40 pour le temps du séjour des Israélites en Égypte et 1 Rois 6.1 pour la période qui s’étend de la sortie d’Égypte à la construction du temple, ce n’est qu’en additionnant les chiffres attribués à chaque patriarche par l’auteur élohiste qu’on arrive à ce résultat. Or, les généalogies étant souvent incomplètes, cela ne donne pas une base suffisamment solide.
Il est certainement douteux que trois siècles et demi puissent suffire pour la formation et la constitution des divers peuples avec lesquels Abraham se trouve en relation et pour l’existence de deux couches de population, l’une sémitique, l’autre chamitique, qui semblent avoir occupé successivement le pays de Canaan avant l’arrivée d’Abraham.
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