1 Et il arriva, quand Jésus eut achevé tous ces discours, qu’il dit à ses disciples : 2 Vous savez que la Pâque a lieu dans deux jours, et le fils de l’homme est livré pour être crucifié.
3 Alors les principaux sacrificateurs et les anciens du peuple s’assemblèrent dans le palais du souverain sacrificateur, nommé Caïphe, 4 et délibérèrent ensemble de se saisir de Jésus par ruse, et de le faire mourir. 5 Mais ils disaient : Que ce ne soit pas pendant la fête, de peur qu’il n’y ait du tumulte parmi le peuple.
6 Et Jésus étant à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, 7 une femme s’approcha de lui, ayant un vase d’albâtre plein d’un parfum de grand prix, et elle le répandit sur sa tête pendant qu’il était à table. 8 Or les disciples voyant cela, en furent indignés, et dirent : Pourquoi cette perte ? 9 Car cela pouvait être vendu bien cher, et donné aux pauvres. 10 Mais Jésus le sachant, leur dit : Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? Car c’est une bonne œuvre qu’elle a faite à mon égard. 11 Car vous avez toujours les pauvres avec vous ; mais moi, vous ne m’avez pas toujours. 12 Car en répandant ce parfum sur mon corps, elle a agi en vue de ma sépulture. 13 En vérité je vous le dis, en quelque endroit que cet Évangile du royaume soit prêché dans le monde entier, ce qu’elle a fait sera aussi raconté en mémoire d’elle.
14 Alors l’un des douze, appelé Judas Iscariot, s’en étant allé vers les principaux sacrificateurs, 15 leur dit : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? Et ils lui payèrent trente pièces d’argent. 16 Et dès lors il cherchait une occasion favorable pour le livrer. 17 Or, le premier jour des pains sans levain, les disciples s’approchèrent de Jésus, en disant : Où veux-tu que nous te préparions le repas de la Pâque ? 18 Et il dit : Allez dans la ville chez un tel, et dites-lui : Le Maître dit : Mon temps est proche ; c’est chez toi que je fais la Pâque avec mes disciples. 19 Et les disciples firent comme Jésus leur avait ordonné et ils préparèrent la Pâque. 20 Et le soir venu, il se mit à table avec les douze disciples. 21 Et comme ils mangeaient, il dit : En vérité, je vous dis que l’un de vous me livrera. 22 Et, fort attristés, ils se mirent chacun d’eux à lui dire : Seigneur, est-ce moi ? 23 Mais répondant, il dit : Celui qui a mis la main dans le plat avec moi, c’est celui qui me livrera. 24 Quant au fils de l’homme, il s’en va, selon qu’il est écrit de lui ; mais malheur à cet homme par qui le fils de l’homme est livré ! Il eût été bon pour cet homme-là qu’il ne fût pas né. 25 Et Judas, qui le livrait, répondant, dit : Est-ce moi, Rabbi ? Lui dit : Tu l’as dit.
26 Et comme ils mangeaient, Jésus, ayant pris du pain et prononcé une bénédiction, le rompit, et le donnant à ses disciples, il dit : Prenez, mangez, ceci est mon corps. 27 Et ayant pris une coupe, et rendu grâces, il la leur donna, disant : Buvez-en tous ; 28 car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, lequel est répandu pour plusieurs pour la rémission des péchés. 29 Or je vous le dis, je ne boirai point désormais de ce produit de la vigne, jusqu’à ce jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. 30 Et après qu’ils eurent chanté les cantiques, ils sortirent pour aller à la montagne des Oliviers. 31 Alors Jésus leur dit : Pour vous tous, je serai cette nuit une occasion de chute ; car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées. 32 Mais après que je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. 33 Mais Pierre répondant, lui dit : Quand tu serais pour tous une occasion de chute, tu ne le seras jamais pour moi. 34 Jésus lui dit : En vérité je te dis que cette nuit même, avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois. 35 Pierre lui dit : Quand même il me faudrait mourir avec toi, je ne te renierai point. Et tous les disciples dirent la même chose.
36 Alors Jésus se rend avec eux dans un lieu appelé Gethsémané, et il dit aux disciples : Asseyez-vous ici, jusqu’à ce que m’en étant allé là, j’aie prié. 37 Et ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à être attristé et dans l’angoisse. 38 Alors il leur dit : Mon âme est triste jusqu’à la mort, demeurez ici et veillez avec moi. 39 Et étant allé un peu plus avant, il se prosterna, priant et disant : Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Toutefois, non pas comme je veux, mais comme tu veux. 40 Et il vient vers les disciples et les trouve endormis ; et il dit à Pierre : Ainsi, vous n’avez pas pu veiller une heure avec moi ! 41 Veillez et priez, afin que vous n’entriez pas en tentation ; l’esprit est prompt, mais la chair est faible. 42 Il s’en alla encore pour la seconde fois, et pria, disant : Mon Père, s’il n’est pas possible que cette coupe passe sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! 43 Et étant revenu, il les trouva encore endormis ; car leurs yeux étaient appesantis. 44 Et les ayant laissés, il s’en alla encore, et pria pour la troisième fois, disant la même parole. 45 Alors il vient vers les disciples, et leur dit : Dormez désormais et reposez-vous ! Voici, l’heure approche, et le fils de l’homme est livré entre les mains des pécheurs. 46 Levez-vous, allons ! Voici, il approche celui qui me livre !
47 Et comme il parlait encore, voici, Judas, l’un des douze, vint, et avec lui une grande foule armée d’épées et de bâtons, de la part des principaux sacrificateurs et des anciens du peuple. 48 Or celui qui le livrait leur avait donné un signe, disant : Celui que j’embrasserai, c’est lui ; saisissez-le. 49 Et aussitôt, s’approchant de Jésus, il lui dit : Salut, Rabbi ! Et il l’embrassa. 50 Mais Jésus lui dit : Ami, pour quel sujet es-tu ici ? Alors, s’étant approchés, ils mirent les mains sur Jésus et le saisirent. 51 Et voici l’un de ceux qui étaient avec Jésus, ayant étendu la main, tira son épée, et, ayant frappé le serviteur du souverain sacrificateur, lui emporta l’oreille. 52 Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. 53 Ou bien, penses-tu que je ne puisse pas maintenant prier mon Père, et il me fournira plus de douze légions d’anges ? 54 Comment donc s’accompliraient les Écritures, qui disent qu’il doit en être ainsi ? 55 En ce moment-là, Jésus dit à la foule : Vous êtes sortis comme après un brigand avec des épées et des bâtons pour me prendre. Chaque jour j’étais assis enseignant dans le temple, et vous ne m’avez point saisi. 56 Mais tout ceci est arrivé afin que les écrits des prophètes fussent accomplis. Alors tous les disciples, l’abandonnant, s’enfuirent. 57 Mais ceux qui avaient saisi Jésus, l’emmenèrent chez Caïphe, le souverain sacrificateur, où les scribes et les anciens s’assemblèrent. 58 Et Pierre le suivait de loin, jusqu’à la cour du souverain sacrificateur ; et y étant entré, il s’assit avec les huissiers, pour voir la fin. 59 Or les principaux sacrificateurs et tout le sanhédrin cherchaient un faux témoignage contre Jésus, pour le faire mourir ; 60 et ils n’en trouvèrent point, bien que plusieurs faux témoins se fussent présentés. Mais plus tard deux faux témoins s’étant présentés, 61 dirent : Celui-ci a dit : Je puis détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours. 62 Et le souverain sacrificateur s’étant levé, lui dit : Ne réponds-tu rien ? Qu’est-ce que ceux-ci déposent contre toi ? 63 Mais Jésus gardait le silence. Et le souverain sacrificateur reprenant la parole, lui dit : Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire, si tu es le Christ, le Fils de Dieu. 64 Jésus lui dit : Tu l’as dit ; en outre, je vous le dis, désormais vous verrez le fils de l’homme assis à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel. 65 Alors le souverain sacrificateur déchira ses vêtements, en disant : Il a blasphémé ! Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Voici, vous avez maintenant entendu le blasphème. Que vous en semble ? 66 Ils répondirent : Il mérite la mort ! 67 Alors ils lui, crachèrent au visage et le souffletèrent, et d’autres le frappèrent 68 en disant : Prophétise-nous, Christ, qui est celui qui t’a frappé.
69 Pierre cependant était assis dehors, dans la cour ; et une servante s’approcha de lui en disant : Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen. 70 Mais il le nia devant tous, disant : Je ne sais ce que tu dis. 71 Et comme il sortait vers le porche, une autre le vit, et dit à ceux qui étaient là : Celui-ci était avec Jésus le Nazaréen. 72 Et il le nia de nouveau avec serment : Je ne connais point cet homme. 73 Et peu après, ceux qui étaient là s’approchant, dirent à Pierre : Vraiment, toi aussi, tu es des leurs, car aussi ton langage te fait connaître. 74 Alors il se mit à faire des imprécations et à jurer : Je ne connais point cet homme. Et aussitôt le coq chanta. 75 Et Pierre se souvint de la parole de Jésus, qui lui avait dit : Avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois. Et, étant sorti, il pleura amèrement.
L’approche de la Pâque et la réunion du sanhédrin
La Pâque devant avoir lieu dans deux jours, Jésus annonce à ses disciples qu’il va être livré et crucifié. De leur côté, les membres du sanhédrin s’assemblent et délibèrent de se saisir de lui ; mais ils désirent que ce ne soit pas pendant la fête, de peur d’exciter du trouble parmi le peuple (1-5).
Jésus oint chez Simon
Jésus étant à Béthanie, dans la maison de Simon, une femme s’approche de lui avec un vase de parfum précieux qu’elle lui répand sur la tête pendant qu’il est à table. Ses disciples s’en indignent comme d’une perte inutile, prétendant qu’il aurait mieux valu en donner la valeur aux pauvres. Mais Jésus, prenant la défense de cette femme, déclare qu’elle a fait une bonne œuvre, par laquelle les pauvres ne seront pas réellement lésés, que, pressentant sa mort prochaine, elle lui a rendu le suprême hommage, qu’enfin partout où l’Évangile sera prêché, cette action sera rappelée en mémoire de celle qui l’a faite (6-13).
Judas trahit Jésus
Alors Judas, l’un des douze, s’en va vers les membres du sanhédrin et leur demande quel prix ils lui donneraient, s’il leur livrait Jésus. Ils lui offrent trente pièces d’argent ; et dès lors, il cherchait une occasion favorable pour le livrer (14-16).
Tous ces discours sont ceux qui remplissent les chapitres 24 et 25 (comparer Matthieu 7.28 ; Matthieu 11.1 ; Matthieu 13.53 ; Matthieu 19.1).
Toutes les fois que Matthieu emploie cette formule de conclusion, c’est qu’il est arrivé au terme d’un cycle de discours que Jésus a prononcés en diverses occasions, mais que l’évangéliste a groupés, selon sa méthode.
La Pâque (en hébreu Pesach, en araméen Pasecha, c’est-à-dire passage de l’ange exterminateur pour épargner les premiers-nés des Israélites, Exode 12.14) était la fête la plus solennelle du peuple juif ; il la célébrait annuellement en souvenir de sa délivrance de la captivité égyptienne.
La fête commençait le 14 du mois de nisan, après le coucher du soleil et durait jusqu’au 21. Les Juifs la célébraient exactement selon les prescriptions que Moïse avait données en l’instituant et qui se lisent dans Exode 12.1 et suivants ; Lévitique 23.5 et suivants.
L’expression dans deux jours, qu’emploie ici le Sauveur et qui se trouve aussi dans Marc, semble indiquer qu’on était au mardi 12 du mois de nisan, puisque la fête commençait le 14 au soir, moment où l’on immolait l’agneau pascal. Quant à la différence qui parait exister entre les synoptiques et Jean, voir Jean 13.1, note ; Marc 15.21, note.
Quelle parfaite connaissance Jésus avait de tout ce qui allait se passer et même du moment précis ! Les verbes au présent expriment la certitude de ces tragiques événements et montrent que pour Jésus ils étaient déjà actuels.
Quant aux disciples, ils pouvaient en effet avoir connaissance des souffrances et de la mort de leur Maître d’après Matthieu 20.18-19 ; mais ils ne pouvaient pas savoir qu’elles auraient lieu à la fête de Pâque et Jésus le leur apprend par ces paroles. Les mots : vous savez se rapportent donc à la proximité de la Pâque, non au crucifiement de Jésus pendant la fête.
Entre les sacrificateurs et les anciens le texte reçu place encore les scribes, mot qui n’est ici ni authentique ni nécessaire pour faire comprendre que l’évangéliste a en vue les diverses classes d’hommes qui composaient le sanhédrin (voir Matthieu 21.23, note).
Ils s’assemblent dans le palais du souverain sacrificateur. Il pourrait paraître étrange que Matthieu, parlant d’un homme si connu et occupant un poste si éminent, se serve de ce terme : nommé Caïphe. C’est que Caïphe était un surnom, il s’appelait en réalité Joseph (Josèphe, Antiquités Juives, XVIII, 2, 2). Établi dans sa charge vers l’an 18 par Valerius Gratus (15-26 après Jésus-Christ), le prédécesseur de Pilate, il ne fut destitué que par le successeur de celui-ci, Vitellius, en 36.
Alors (verset 3) ils délibèrent de leur dessein meurtrier, précisément au moment où Jésus annonce sa mort (verset 2). Tragique coïncidence. Ils ne font qu’accomplir « les choses que la main et le conseil de Dieu ont auparavant déterminées » (Actes 4.28).
Ils doivent agir par ruse, parce que Jésus se retirait pendant la nuit (Matthieu 26.6 ; Luc 21.37 ; Jean 11.57) et que, le jour, ses adversaires craignaient le peuple (Luc 22.2). Jésus alla volontairement à la mort qu’il avait plusieurs fois prédite (verset 2), mais il ne voulut rien faire pour l’occasionner ; il fallait que ses ennemis en portassent toute la responsabilité.
Ils pouvaient craindre ce tumulte pendant la fête, à cause des immenses multitudes qui alors remplissaient Jérusalem et parmi lesquelles il y avait un grand nombre d’amis de Jésus, surtout de la Galilée.
Mais encore ici ces aveugles ennemis de la vérité devaient accomplir les desseins de Dieu, car leur plan fut changé par l’offre inattendue de Judas (verset 14).
Comparer Marc 14.3-9 ; Jean 12.18.
Matthieu et Marc, plus occupés du sens intime du touchant récit qui va suivre que de la chronologie, le placent à l’entrée de l’histoire de la Passion, à cause de son étroite relation avec les souffrances du Sauveur, dont il devait être la sainte inauguration (verset 12 ; comparez Matthieu 21.1, note).
D’après Jean (Jean 12.1 et suivants) ce repas à Béthanie eut lieu six jours avant la Pâque, la veille de l’entrée solennelle à Jérusalem. Personne, en effet, ne conteste plus aujourd’hui que Jean et les deux premiers évangiles ne racontent le même fait avec quelques légères différences dans les détails.
Ainsi Jean ne dit pas que la scène se passe dans la maison de Simon le lépreux (homme inconnu du reste dans l’histoire et qui probablement avait été guéri de la lèpre par Jésus), mais il ne dit nullement le contraire. Ce Simon pouvait être un parent ou un ami intime de Marthe et de Marie et il n’y a rien d’étonnant dans le fait qu’elles sont présentes avec leur frère et qu’elles agissent comme étant chez elles.
Mais un autre trait de l’histoire évangélique qu’on a quelquefois confondu avec celui-ci, c’est l’histoire de la pécheresse, rapportée par Luc (Luc 7.36 et suivants). Tout dans cette dernière est absolument différent : le temps, le lieu, les circonstances, les personnes, le sens moral et le but entier du récit (voir les notes).
Celle que Matthieu appelle simplement une femme, était Marie, sœur de Lazare (Jean 12.3), qui, ayant depuis longtemps ouvert toute son âme à la parole et à l’amour du Sauveur (Luc 10.39), saisit avec empressement cette dernière occasion de lui témoigner sa vénération. Elle lui fait le sacrifice de ce qu’elle avait de plus grand prix, comme elle lui avait consacré son cœur et sa vie.
En Orient, oindre ainsi la tête de quelque personnage éminent qu’on recevait comme hôte dans sa maison, était un témoignage de la plus haute distinction dont on pût l’honorer.
Cette perte ou cette inutile prodigalité.
D’après Marc, ce furent quelques-uns (des disciples) qui firent entendre ces murmures. Selon le récit de Jean, ce fut Judas qui, obéissant à une basse cupidité, entraîna ainsi quelques autres disciples, dont le légalisme étroit ne pouvait comprendre cet acte de dévouement et d’amour.
Judas dit dans sa mauvaise humeur : cela (et non, selon le texte reçu, ce parfum) pouvait être vendu bien cher ; et d’après Marc et Jean, il indique même la somme à laquelle il l’estimait : 300 deniers.
Mais Jean (Jean 12.6) nous révèle aussi le motif de son mécontentement. Il y a toujours dans le monde une certaine vue des choses d’après laquelle tout ce qui n’est pas matériellement utile, qui n’augmente pas le bien-être ou la possession, est une perte.
Jésus ressent, dans sa vive sympathie, la peine que ces murmures durent faire à Marie ; et pour la justifier, il déclare bonne (grec belle), moralement excellente, l’œuvre qu’elle vient de faire, par cela seul qu’elle procède de la vénération et de l’amour pour lui. Toute œuvre, au contraire, qui n’a pas pour mobile ces sentiments du cœur, ne saurait être bonne.
Ces pauvres que vous avez toujours, parce que malheureusement cela est fondé dans la nature des choses en ce monde, « vous pouvez leur faire du bien, quand vous voudrez » (Marc 14.7) ; mais moi, ajoute Jésus avec tristesse, dans le sentiment de sa mort si prochaine, vous ne m’avez pas toujours.
Et alors, quelle source de regrets pour ceux qui l’aiment de ne pouvoir rien faire pour lui témoigner personnellement cet amour !
Grec : elle l’a fait pour m’ensevelir. C’est-à-dire que, comme on embaume un corps avant de l’ensevelir, elle a voulu rendre au vivant le même honneur qu’on rend aux morts (Jean 19.40 ; Marc 16.1).
On admet généralement que, par ces paroles, Jésus prête à Marie une pensée, une intention qu’elle n’avait pas, afin de donner plus de valeur à son action et de la justifier entièrement aux yeux des disciples. Nous ne pouvons adopter cette interprétation.
Elle donne aux paroles de Jésus un sens qui ne serait pas entièrement vrai. Sans aucun doute, Marie, dans son âme profonde et aimante, avait pressenti la mort prochaine du Maître.
Elle avait pénétré le sens des prédictions nombreuses que Jésus avait faites de cette mort, tandis que les disciples n’y avaient rien compris. Elle avait vu d’ailleurs la haine de ses adversaires grandir à la suite de la résurrection de son frère (Jean 12.10).
Et elle remarquait qu’il y avait dans la personne et dans les paroles de Jésus, pendant ce séjour à Béthanie, quelque chose de particulièrement sérieux et solennel.
Il n’en fallait pas davantage pour faire naître dans l’âme d’une Marie ce pressentiment douloureux auquel Jésus donne une expression plus précise. Les paroles qu’il prononce durent être d’ailleurs pour Marie une révélation nouvelle, en même temps qu’une précieuse approbation de ce qu’elle venait de faire
Voir, sur ce pronom démonstratif cet Évangile et sur la grande prophétie ici répétée qu’il sera prêché dans le monde entier Matthieu 24.14, note.
En Dieu rien ne se perd, pas même
un verre d’eau froide donné au nom du Sauveur (Matthieu 10.42), combien moins une action faite avec l’amour d’une Marie. De siècle en siècle s’accomplit cette prophétie remarquable du Seigneur et nous contribuons nous-mêmes à son accomplissement, en expliquant cette parole du Fils de Dieu.
Comparer Marc 14.10-11 ; Luc 22.3-6.
On peut conclure de cet alors, avec la plupart des interprètes, que ce furent les paroles de Jésus prononcées au sujet de Marie qui irritèrent Judas et déterminèrent sa trahison. Et c’est sans doute par cette raison que Matthieu et Marc ont placé dans cet ordre le récit qui précède.
L’un des douze. Il y a un contraste tragique entre cette désignation et l’action ici racontée (comparer Matthieu 27.4, note).
Ainsi c’est Judas lui-même qui prend l’initiative de cet horrible marché.
On a fait bien des suppositions sur les causes psychologiques et morales de la trahison de Judas et aussi sur les raisons qui pouvaient avoir déterminé le Sauveur à choisir ce disciple.
Le plus simple et le plus vrai est de s’en tenir à cet égard aux données de l’Évangile. Ce serait une erreur que de penser qu’il n’y avait en Judas, lorsqu’il fut appelé à l’apostolat, aucune des dispositions qui, avec le secours de la grâce, auraient pu faire de lui un vrai serviteur de Jésus-Christ. Mais Judas avait laissé s’enraciner dans son cœur une passion qui, alimentée par un manque de droiture, le conduisit par degrés à l’hypocrisie, à l’injustice, au vol (Jean 12.6).
Malgré les avertissements réitérés du Sauveur (Matthieu 26.23-50 ; Jean 13.18-26 etc.) Judas s’endurcit dans son péché et joua avec une passion qui finit par livrer son âme à la puissance des ténèbres (Luc 22.3 ; Jean 13.2-27) et par l’aveugler tout à fait. Au reste, bien qu’il y ait un profond mystère dans la destinée de cet homme (Jean 6.70 ; Jean 17.12), comme dans celle de toute âme qui se perd, il faut ajouter que Judas ne prévoyait point alors le résultat de sa trahison. Il pensait que le sanhédrin se contenterait d’infliger à Jésus quelque peine légère ou que celui-ci ferait usage de sa puissance pour échapper à ses ennemis.
Ce qui le prouve, c’est sa propre conduite après l’événement (Matthieu 27.3, note), mais cela prouve aussi que nul ne peut calculer d’avance les suites d’un péché qu’il nourrit dans son cœur.
Grec : ils lui pesèrent trente pièces d’argent. Ce terme rappelle l’antique usage de peser l’argent ou l’or qui n’était pas monnayé. Il ne faut pas traduire : ils lui promirent, car Judas reçut réellement alors le prix de sa trahison, que bientôt il voulut rendre (Matthieu 27.3).
Ces trente pièces d’argent qui étaient sans doute des sicles, équivalaient à environ cent francs de notre monnaie. C’était le plus bas prix d’un esclave (Exode 21.32).
Il est difficile de comprendre que Judas, pour prix d’une telle trahison, se soit contenté d’un si pauvre salaire ; et comme Matthieu seul indique le chiffre de cette valeur, la critique en a conclu que la tradition avait déterminé ce prix d’après la prophétie (Zacharie 11.12 ; comparez Matthieu 27.9-10). Mais c’est là une pure supposition.
Il ne faut pas oublier que Judas n’avait point prévu les terribles conséquences de son action (Matthieu 27.3, note) et qu’ainsi, dans son aveuglement, il n’y attachait pas l’importance que les événements ont donnée à son crime.
Quoi qu’il en soit, cet argent avait été pris dans le trésor du temple, qui servait à acheter les victimes.
Ainsi l’Agneau de Dieu dut être payé par ce trésor, où cependant les trente pièces d’argent ne rentrèrent plus (Matthieu 27.6). Tout a un sens dans ces solennels moments de la vie et de la mort du Sauveur.
Pour le livrer, sans courir le danger de susciter quelque tumulte parmi le peuple (versets 4 et 5, note).
Les préparatifs du repas
Le premier jour des pains sans levain, les disciples demandent à Jésus où ils doivent lui préparer la Pâque. Jésus leur indique une maison amie, en ville et les disciples exécutent ses ordres (17-19).
Le repas, la trahison de Judas dénoncée par Jésus
Le soir venu, il se met à table avec les douze. Il déclare que l’un d’eux le livrera. Consternés, ils demandent chacun : Est-ce moi ? Jésus désigne le traître et dit que la mort du fils de l’homme est l’accomplissement des prophéties, mais que celui qui est l’instrument de cette mort n’en est pas moins coupable et malheureux. Judas demandant à son tour si c’était lui, Jésus le lui confirme (20-28).
L’institution de la cène
Pendant le repas, Jésus prend du pain et après avoir prononcé une bénédiction, il le rompt et le donne à ses disciples en leur disant : Ceci est mon corps. Il prend aussi une coupe et leur commande d’en boire tous, disant : Ceci est mon sang, le sang de l’alliance répandu pour la rémission des péchés (26-28).
L’achèvement du repas
Jésus termine le repas en déclarant qu’il ne boira plus du produit de la vigne jusqu’à ce qu’il le boive à nouveau dans le royaume de son Père. Après le chant des cantiques, ils s’acheminent vers la montagne des Oliviers (29-30).
Comparer Marc 14.12-25 ; Luc 22.7-23.
C’est-à-dire le premier jour de la fête où l’on mangeait les pains sans levain (Exode 12.18 et suivants ; Nombres 28.16 et suivants).
C’est ainsi que les Juifs désignaient la Pâque. Ce premier jour était le quatorze du mois de nisan. On préparait alors l’agneau de Pâque et les pains sans levain et la fête commençait le même jour à six heures du soir, bien qu’elle fût fixée au lendemain quinze, de même que le sabbat des Juifs commence le vendredi à six heures du soir. L’après-midi du 14 nisan, avant le coucher du soleil, l’agneau pascal était immolé par les sacrificateurs dans les parvis du temple et c’est dans la soirée qu’on le mangeait (comparer verset 2, note).
Grec : que nous te préparions à manger la Pâque. Jésus est considéré comme le père de famille et les disciples, dans leur vénération, lui parlent comme si cette préparation ne concernait que lui.
Les mots allez dans la ville supposent que cet entretien eut lieu à Béthanie.
L’expression chez un tel est de l’évangéliste qui passe sous silence le nom de la personne que le Sauveur ne désigna qu’avec une sorte de mystère commandé par la situation (voir Marc 14.15, note).
C’était probablement un de ses disciples auquel il annonce ainsi sa mort prochaine : Mon temps est proche et à qui il veut donner une marque particulière de son amour, en célébrant chez lui cette fête solennelle. Peut-être en était-il convenu d’avance avec lui ; de là la connaissance exacte qu’il avait de la chambre haute qui serait indiquée aux disciples (Marc 14.15 ; Luc 22.12).
D’après Luc (Luc 22.7 et suivants), c’étaient Pierre et Jean que Jésus chargeait de cette mission et auxquels il donna des indications plus précises, omises par Matthieu (comparer aussi Marc 14.13-14).
Ce mot de Jésus : Mon temps est proche, ne peut pas signifier autre chose que le moment de sa mort (Jean 13.1) et cette mention suffisait à son disciple pour qu’il comprît toute l’importance de la communication que Jésus lui faisait et de la suprême demande que le Maître mourant lui adressait.
Le texte reçu, avec B, D, majuscules, omet le mot disciples.
Les Israélites, à l’origine, célébraient la Pâque debout, les reins ceints et le bâton à la main (Exode 12.11). Dans la suite, l’usage prévalut de prendre ce repas assis à table, ou plutôt, selon le sens du mot original, à demi couché sur le côté (Luc 7.38 note, Jean 13.23, note).
Les convives devaient être au moins dix, car l’agneau devait être entièrement mangé (Exode 12.4-10).
Le but du Sauveur, en prononçant cette terrible révélation, était de montrer à Judas qu’il connaissait fort bien son dessein, de réveiller si possible sa conscience et ainsi de le détourner encore de son crime à la dernière heure. Mais à quel moment est-ce que Jésus lui donna cet avertissement ?
Matthieu dit ici : comme ils mangeaient, c’est-à-dire pendant le repas de la Pâque et avant l’institution de la cène (verset 26). Selon Luc (Luc 22.21) cet incident aurait eu lieu après la célébration de la communion, à laquelle Judas aurait ainsi pris part. Tout porte à croire que la relation de Matthieu et de Marc est la plus exacte. On ne conçoit pas que Jésus pût, après le moment intime et solennel de la cène, soulever ce triste incident qui porta le trouble dans tous les cœurs (verset 22), ni qu’il eût admis Judas à prendre part à la cène, au moment où il lui reprochait son crime.
D’ailleurs cette révélation de la trahison de Judas est évidemment identique à celle que rapporte Jean (Jean 13.21 et suivants) avec quelques circonstances différentes ; or, cet évangéliste dit positivement (Jean 13.27) que le traître sortit immédiatement après. Donc il n’était plus présent au moment de la cène (voir Luc 22.21, note).
Grec : je ne le suis pas, Seigneur ? Ou ce n’est pourtant pas moi ?
La question suppose une réponse négative. L’horreur que leur inspire le crime révélé par le Sauveur leur fait éprouver le besoin d’entendre de sa bouche l’assurance qu’ils en sont innocents.
Jésus donne encore ici, par ménagement pour Judas, une réponse vague que, d’après Jean, il précisa ensuite davantage (Jean 13.18-26).
Les Israélites mangeaient, avec l’agneau de Pâque, un plat composé de dattes, de figues, etc., appelé charoset et ayant la couleur des briques, en souvenir de celles d’Égypte. Ils plongeaient dans cette sauce le pain et les herbes amères. Il parait que Judas, assis près du Sauveur, venait de faire en même temps que lui ce mouvement de la main.
Il s’en va, c’est ainsi que le Seigneur désigne son départ de ce monde et son retour auprès du Père, mais en passant par la mort (Jean 7.33 ; Jean 8.21). Toutefois ce grand événement ne dépendait pas de la trahison de Judas ; celui-ci ne fait que contribuer à l’accomplissement d’un plan divin, écrit dès longtemps dans la prophétie (comparer Actes 2.23).
La vie est un don de Dieu, mais l’homme est responsable de l’usage qu’il en fait, si elle devient pour lui un mal, il ne peut l’attribuer qu’à sa faute : tel n’était pas le dessein de Dieu. En présence de la perdition d’une âme, cette parole de Jésus est d’une redoutable et mystérieuse vérité, mais dans les grandes afflictions de la vie présente, c’est par erreur que l’homme arrive quelquefois à considérer le don de l’existence comme un malheur (Job 3.2 et suivants Jérémie 20.14 et suivants).
Tu l’as dit, hébraïsme qui signifie : Oui, c’est toi (verset 64).
Matthieu seul rapporte ce dialogue. Judas, ajoutant l’hypocrisie à son crime, répète encore une fois, en se l’appliquant avec une feinte innocence, la question des disciples (verset 22).
L’insolence du traître dépasse toutes les bornes. Mais cet entretien eut lieu probablement à voix basse, Jésus ne voulant pas même alors rendre tout retour impossible à ce malheureux disciple, en le dévoilant directement aux autres. Ceux-ci en effet, ignoraient ses intentions criminelles (Jean 13.28-29).
Le repas pascal comprenait, d’après les rabbins, les actes suivants :
Ces mots : comme ils mangeaient, désignent, aussi bien qu’au verset 21, le moment plus libre du repas qui suivait la célébration cérémonielle de la Pâque.
Luc et Paul (Luc 22.20 ; 1 Corinthiens 11.25) disent que Jésus donna la coupe après le souper. Ils entendent sans doute la troisième coupe et c’est pour cela que l’apôtre l’appelle « la coupe de bénédiction » (1 Corinthiens 10.16).
Le texte reçu dit : « Jésus prit le pain ». L’article (le) n’est pas authentique. Il ne s’agit point d’un pain spécial destiné à la cène, mais d’un quelconque des pains qui se trouvaient sur la table.
Au lieu des mots : ayant prononcé une bénédiction (grec ayant béni), plusieurs manuscrits portent : ayant rendu grâce, comme au verset 27. C’est aussi le terme employé par Luc et par Paul (1 Corinthiens 11.24).
L’usage de rendre grâce avant la cène se conserva dans l’Église ; de là est venu le nom d’eucharistie (action de grâce), par lequel on désignait la communion. Dans la célébration de la Pâque, le père de famille, en prenant le pain, disait : « Béni soit celui qui produit le pain du sein de la terre ». On a quelquefois pensé que ce fut par ces paroles que Jésus bénit le pain. Cela n’est pas probable. Il exprima sans doute du fond de son cœur des sentiments nouveaux, conformes à la grâce nouvelle qu’il communiquait.
Ce pain, il le rompit ; action symbolique, comme tous les traits de cette institution ; elle indiquait que le corps du Sauveur allait être rompu, brisé par la souffrance et par la mort. Le même usage symbolique se conserva dans l’Église apostolique, où la cène s’appelait la « fraction du pain » (Actes 2.42).
L’emploi d’une hostie a donc été plus tard une dérogation à la vérité de ce symbole.
Ceci désigne simplement le pain que Jésus tenait dans sa main et distribuait aux disciples. Le mot est, sur lequel on a tant discuté, n’était point exprimé dans la langue que le Sauveur parlait (l’araméen).
En disant : mon corps « donné pour vous » (Luc 22.19) et ensuite : mon sang « répandu pour la rémission des péchés », Jésus désignait à ses disciples sa personne, sa vie, qu’il allait livrer comme rançon pour plusieurs (Matthieu 20.28).
Comme Jésus était présent et vivant au milieu d’eux, en prononçant ces paroles, il est évident qu’il ne pouvait pas matériellement leur donner son corps à manger et son sang à boire et qu’ainsi ces paroles étaient prononcées dans un sens symbolique.
Mais sous ce symbole il y avait une profonde réalité. Jésus ne montre pas seulement à ses disciples les signes sacrés de son corps et de son sang, mais il dit : Prenez, mangez. Or, cela aussi est symbolique ; c’est l’acte d’une appropriation intérieure et personnelle de toute l’efficace du sacrifice qui allait s’accomplir par la mort du Sauveur ; de sorte que celui qui fait cet acte par une foi vivante en lui, entre dans la communion réelle du corps et du sang de Christ (1 Corinthiens 10.16).
Mais ce Christ, « livré à cause de nos offenses », est aussi « ressuscité à cause de notre justification » (Romains 4.25) ; il est vivant, glorifié et à celui qui fait une vraie communion avec lui, il se donne avec toute l’efficace de sa mort et toute la réalité de sa vie (Jean 6.51-58). Nous trouvons donc dans la cène du Seigneur, comme dans tout l’Évangile :
Toutes les communions chrétiennes sont d’accord sur cette signification essentielle de la cène, elles diffèrent sur le « comment » de la présence de Christ et de sa communication aux fidèles. Or ce « comment » est un mystère dont l’intelligence n’est point nécessaire à l’édification.
Matthieu (selon le vrai texte) et Marc disent : une coupe, une de celles qui se trouvaient sur la table ; Luc et Paul écrivent : la coupe, d’où l’on a conclu qu’il s’agissait de l’une de celles qui circulaient pendant le repas de la Pâque (comparer verset 26, première note).
Rendre grâces n’a pas un sens différent du mot bénir ou prononcer une bénédiction (verset 26). Il s’agit d’une prière ou d’un chant d’adoration et de reconnaissance. Les mots : « buvez-en tous », sont d’autant plus frappants que rien en apparence ne les rendait nécessaires. Jésus n’a pas fait la même recommandation à propos du pain. Marc relève cette circonstance en disant : « et ils en burent tous ».
Ainsi a parlé l’Écriture, prévoyant (Galates 3.8) ce que ferait Rome.
Ces paroles motivent (car) l’ordre de Jésus donné à tous (verset 28).
Ceci désigne la coupe ou le vin qui y est renfermé. Ce vin est le symbole du sang de Jésus qui allait être répandu.
Dans Matthieu et Marc, selon le vrai texte littéralement traduit, Jésus dit : Ceci est mon sang de l’alliance ; le texte reçu porte « de la nouvelle alliance ».
Cette variante est assez fortement documentée dans Matthieu surtout (A, C, D, les versions). Mais elle parait provenir de l’intention de donner à la parole eucharistique dans les deux premiers évangiles la même forme que dans Luc et dans Paul. Il est donc probable qu’il faut la rejeter et la parole de Jésus est dès lors exactement conforme à la déclaration de Moïse : « Voici le sang de l’Alliance que l’Éternel a traitée avec nous » (Exode 24.8).
Seulement Jésus, par ce mot mon sang, substitue son propre sang à celui de la victime, que répandait Moïse, comme, par la coïncidence de la Pâque et de la cène, il substitue à l’agneau pascal le vrai « agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde ».
Jésus scelle ainsi de son sang, c’est-à-dire par sa mort, la vraie alliance de la grâce entre Dieu et l’homme, dont l’alliance ancienne n’était que l’image. De là est venu le terme de nouvelle alliance qui se trouve dans Luc et Paul, d’où il a passé dans le texte reçu de Matthieu et Marc (voir sur les autres différences entre Matthieu et Marc d’une part et Luc et Paul de l’autre, Luc 22.19-20 ; 1 Corinthiens 11.23-25, note).
Ces paroles expliquent comment et pourquoi le sang de Jésus est devenu le sang de l’alliance : c’est qu’il est répandu pour la rémission des péchés. Ainsi, la mort expiatoire du Sauveur est la cause objective du pardon et la foi en est la cause subjective dans le communiant.
De là peut-être ce mot pour plusieurs, qui limite aux croyants l’efficace du sacrifice de la croix, tandis que dans l’intention de Dieu il a eu lieu pour tous (1 Jean 2.2).
Nous avons ainsi dans ces paroles prononcées par le Seigneur lui-même une déclaration authentique et irrécusable sur la signification et le but de sa mort expiatoire, dont le premier fruit est le pardon de nos péchés et dont le croyant reçoit toujours de nouveau le sceau et l’assurance dans la cène.
Ce qui remplissait l’âme de Jésus dans ce moment solennel où il instituait la cène, c’est l’immense amour qui le poussait à se livrer à la mort pour ses rachetés. C’est aussi le gage et le souvenir de cet amour qu’il lègue en mourant à son Église de tous les temps, en disant : « Faites ceci en souvenir de moi » (1 Corinthiens 11.24-25). Le sentiment de cet amour de Jésus doit dominer toute autre pensée dans chaque célébration de la cène.
La tristesse de la séparation s’exprime dans ces paroles, qui renferment en même temps une consolante promesse.
Désormais il ne célébrera plus avec eux ni la Pâque, ni la cène, au moyen de ce produit de la vigne. Mais il élève leurs pensées vers les temps de la perfection, où, dans le royaume de son Père, il fera communion avec eux d’une manière plus intime encore.
Alors « toutes choses auront été faites nouvelles » et les éternelles réalités que nous présente la cène, le pardon, l’union avec Christ, l’amour, la vie, auront atteint la perfection.
C’est là ce qu’indique le mot : nouveau qui caractérise cette promesse. Ainsi la cène, célébrée sur la terre, est un gage, un avant-goût de celle que l’Église glorifiée célébrera dans les cieux avec son divin chef.
On chantait, après la célébration de la Pâque, les Psaume 115 à Psaume 118, que les Juifs appelaient le grand hallel (louange). Ce chant était une sorte de récitatif, tel qu’on l’entend encore dans quelques synagogues et auquel se prêtent admirablement les psaumes hébreux.
C’est-à-dire au pied de cette montagne, dans la vallée de Cédron, où se trouvait le jardin de Gethsémané.
Entretien sur le chemin
Jésus déclare à ses disciples que cette nuit même il sera pour eux une occasion de chute, conformément à la prophétie, mais qu’après sa résurrection, il les précédera en Galilée. Pierre proteste de son inébranlable fidélité. Jésus lui prédit le triple reniement dont il se rendra coupable avant que le coq chante. Pierre se dit prêt à mourir, plutôt que de renier Jésus. Tous disent de même (31-35).
L’agonie de Jésus
Arrivé en Gethsémané, Jésus prend avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée. Il leur confie sa tristesse et ses angoisses et leur demande de veiller avec lui. Il s’avance un peu et, se prosternant, il demande à son Père d’éloigner la coupe, tout en se soumettant à sa volonté. Revenu vers les disciples, il les trouve endormis ; il leur reproche leur insensibilité et les exhorte à veiller et à prier, vu la faiblesse de la chair. Il s’en va une seconde fois et dit à son Père que s’il n’est pas possible que la coupe passe loin de lui, sa volonté soit faite. À son retour vers les disciples, il les trouve encore endormis. Il s’éloigne une troisième fois, répétant la même prière. Puis il dit aux disciples qu’ils peuvent dormir désormais. Il les avertit que son heure est venue, que celui qui le livre approche (36-46).
L’arrestation de Jésus
Comme Jésus parle encore, Judas arrive, suivi d’une grande troupe armée. Il désigne Jésus à cette troupe en le saluant par un baiser. Jésus lui demande pourquoi il est îà. À ce moment, l’un des disciples fait une tentative de résistance. Jésus la réprime, condamnant l’emploi de la violence. Il rappelle le secours puissant que son Père est toujours prêt à lui accorder, mais qu’il ne réclamera pas, parce qu’il faut que les Écritures s’accomplissent. Puis se tournant vers ses adversaires, il constate qu’ils sont venus après lui comme après un brigand, alors qu’il enseignait tous les jours dans le temple ; il montre dans tout ceci l’accomplissement des Écritures. Les disciples abandonnent Jésus et s’enfuient (47-56).
Comparer Marc 14.26-52 ; Luc 22.31-53.
Grec : Tous, vous serez scandalisés en moi… Tous !
Ce mot, expressément placé en tête de la phrase, dut faire sur les disciples une impression profonde (verset 33).
Sur ce mot être scandalisé, voir Matthieu 11.6, note ; comparez Matthieu 5.29, note.
D’après Luc 22.31 et suivants, Jean 13.36 et suivants, cet entretien eut lieu encore dans la chambre haute.
Zacharie 13.7, librement cité et appliqué par Jésus à la mort qu’il allait souffrir et à ses disciples qui seraient dispersés comme des brebis n’ayant plus de berger.
Après une parole si propre à attrister les disciples (verset 31), Jésus en prononce une autre qui les aurait remplis de consolation et de courage s’ils l’avaient comprise.
La Galilée avait été le principal théâtre du ministère de Jésus, c’était la patrie des disciples, où ils comptaient retourner après la fête qu’ils étaient venus célébrer à Jérusalem et c’est là que Jésus leur promet de les réunir après leur dispersion.
C’est comme s’il leur avait dit : « Avant même que vous soyez retournés en Galilée, je serai ressuscité et je vous y précéderai ». Cette promesse fut en effet accomplie (Matthieu 28.16 ; Jean 21.1 ; 1 Corinthiens 15.6).
Grec : Si tous se scandalisent en toi, moi, je ne me scandaliserai jamais.
Le Seigneur vient de dire : Tous. Pierre répond : Si tous, moi jamais.
Le texte reçu lui faisait dire : Si même tous. Sa pensée est bien assez absolue sans ce mot non authentique. Il était sincère, plein de courage et d’amour pour son Maître, en parlant ainsi ; mais il ne songe pas à sa faiblesse. Plus il s’élève au-dessus de ses condisciples, plus sa chute sera profonde.
Pierre dit : jamais.
Jésus répond : cette nuit même, avec cette affirmation solennelle : En vérité. Il indique même à son disciple le temps précis que les anciens appelaient : le chant du coq, c’est-à-dire la troisième veille de la nuit, entre minuit et trois heures, vers le point du jour (comparer versets 74 et 75).
Pierre porte son assurance jusqu’à se croire prêt à mourir, sans s’apercevoir qu’il contredit formellement son Maître. Il méprise son avertissement deux fois répété et entraîne ses condisciples (tous) dans sa présomption. Jésus lui laisse le dernier mot et se contente de prier pour lui (Luc 22.32).
Ce que le disciple n’a pas voulu croire, il devra l’apprendre par une amère expérience.
D’après les plus anciens manuscrits Gethsemanei ; ce nom correspond très probablement à l’hébreu Gath-schemen qui signifie pressoir à l’huile.
C’était un enclos situé au pied du mont des Oliviers au-delà du Cédron et de la vallée de Josaphat, au fond de laquelle coulait ce torrent, à très peu de distance de Jérusalem.
Matthieu dit que Jésus s’y rend, reprenant ainsi son récit (verset 30), interrompu par les entretiens qui ont eu lieu en chemin entre Jésus et ses disciples.
Le Sauveur ne parle encore à tous ses disciples que de sa prière : il leur tait ses combats, son amère souffrance.
Il les épargne et a égard à leur infirmité.
Il les conduit ainsi par degrés, avec une sagesse pleine d’amour, sur le chemin de la croix.
Jacques et Jean. Ces trois disciples furent les témoins de ce qu’il y eut de plus intime, de plus mystérieux, dans la vie du Sauveur (Matthieu 17.1 ; Luc 8.51).
Grec : À être attristé et angoissé. Il y a progression de l’un à l’autre de ces deux mots, dont le dernier désigne cette souffrance morale causée par l’agitation intérieure, le découragement, en un mot l’angoisse.
Maintenant que Jésus est seul avec ses trois disciples les plus intimes, il leur fait part avec confiance de ce qui se passe en lui. C’est dans son âme qu’il souffre, sa douleur est exclusivement morale ; mais sa tristesse est si profonde, qu’elle va jusqu’à la mort, c’est-à-dire qu’il éprouve la douleur et l’angoisse de celui qui lutte avec la mort, qui est à l’agonie (Luc 22.44).
Dans les grandes tentations, on aime à être seul, mais cependant à avoir des amis à sa portée.
Jésus demande à ses disciples de veiller, non de prier avec lui, bien qu’ils dussent prier pour eux-mêmes (verset 41), mais même ce qu’il leur demande, il ne peut l’obtenir d’eux (verset 40). Dans son dernier combat, le Médiateur dut souffrir seul (Jean 16.32), et cela, aussi contribua à rendre sa coupe plus amère.
Grec : Il tomba sur son visage.
Sur son visage, non seulement sur ses genoux : abaissement suprême !
Malgré sa terrible souffrance, Jésus conserve toute sa communion de confiance et d’amour avec Dieu ; mon Père (Quelques manuscrits et des Pères omettent mon).
Les mots : s’il est possible, ne doivent s’entendre que d’une possibilité morale : si cela est compatible avec le dessein de ta miséricorde pour le salut du monde, si l’humanité déchue peut être sauvée sans ce moyen de la croix.
La coupe, image très fréquente dans les Écritures (Matthieu 20.22, note), exprime ici l’immense sacrifice, les souffrances, la mort du Sauveur, avec toutes les craintes qu’il en éprouvait dans ce moment (comparer verset 46, note). Ces paroles de Jésus ne sont point seulement une plainte, un cri de douleur, mais une véritable prière, une ardente supplication.
Jésus a prié ; mais il fait immédiatement à Dieu le sacrifice de toute sa volonté (Jean 6.38 ; comparez Matthieu 12.27). En ceci, comme dans toute sa vie, Jésus est à la fois notre Sauveur et notre modèle ; car, comme c’est surtout dans la volonté de l’homme que réside le péché, cette volonté devait être offerte en sacrifice à la volonté souveraine de Dieu.
Ce sacrifice Jésus l’a fait comme représentant de notre humanité. Il est de plus notre modèle dans toutes nos épreuves, car nous aussi, nous pouvons demander à Dieu de nous en épargner l’amertume, pourvu qu’il nous accorde la grâce de renoncer à toute volonté propre, ce qui est l’essentiel du sacrifice et déjà une victoire.
Ce sommeil des trois disciples, dans un tel moment, ne s’explique que comme celui dont il est parlé dans Luc 9.32. Il est un degré de joie ou de tristesse que la nature humaine ne peut supporter sans en être accablée.
Aussi Luc (Luc 22.45) observe-t-il expressément qu’ils étaient « endormis de tristesse ». Cependant les disciples restaient responsables de cet abattement, puisque Jésus leur en fait un reproche.
Ces verbes au présent : il vient, il les trouve, aussi bien que le mot et trois fois répété, rendent très vivement cette scène et le douloureux étonnement que Jésus éprouve et qu’il va exprimer lui-même.
C’est à Pierre que Jésus adresse avec tristesse ce reproche ; n’est-ce pas lui qui avait fait les plus grandes protestations de fidélité ?
Comparer Matthieu 6.13, note. Il y a dans toute grande épreuve une tentation, un danger moral qui ne peut être écarté que par la vigilance et la prière.
C’est là une sentence générale que Jésus applique à la position actuelle des disciples. L’esprit, ou ce que Paul appelle « l’homme intérieur » (Romains 7.22), la faculté spirituelle et morale, est prompt, ou, comme d’autres traduisent, plein de courage, d’ardeur ; mais la chair, la nature inférieure, sensuelle de l’homme, est faible, n’a aucun moyen de résister à la tentation, conspire plutôt avec elle (Romains 7.18-25).
Pierre, à qui s’adressent ces paroles, en fera bientôt la plus triste expérience.
Le texte reçu porte comme au verset 39 : loin de moi.
Il y a, entre la première et la seconde prière de Jésus, une différence notable : il parait admettre maintenant qu’il n’est pas possible ; la volonté divine pénètre, domine plus complètement la volonté humaine ; et nous pressentons que dans le troisième combat (verset 44) la victoire sera complète.
Voir Matthieu 26.40, note.
La même parole peut être prononcée avec un sentiment très différent. Cette triple reprise dans la prière, dont Matthieu seul nous a conservé le récit complet, montre combien le combat du Médiateur fut prolongé et terrible (comparer Luc 22.43).
L’apôtre Paul nous décrit une expérience analogue de sa vie (2 Corinthiens 12.8).
Grec : Dormez le reste (du temps) ou désormais et reposez-vous.
Ces paroles ont été très diversement interprétées. Traduites par l’impératif, elles peuvent exprimer une douloureuse ironie, ou avoir le sens d’une permission, comme si Jésus disait : « Il est trop tard, je n’ai plus besoin de vous, vous pouvez dormir ».
Cette dernière interprétation est en contradiction avec les paroles qui suivent dans ce verset même. D’autres, rendant ces verbes par l’indicatif, traduisent : Vous dormez encore ! Mais, bien qu’à la rigueur on puisse adopter l’indicatif, le mot grec que nous traduisons par désormais ne peut pas signifier encore.
La même objection s’oppose à l’idée de ceux qui ont voulu rendre cette phrase par une question : Dormez-vous encore ? qui se rapprocherait de l’expression toute différente employée par Luc : (Luc 22.46) « Pourquoi dormez-vous » ? Il ne reste donc, pour expliquer le texte de Matthieu, qu’à admettre, avec les meilleurs interprètes, depuis Calvin jusqu’à nos jours, la première signification donnée à ces paroles.
On a objecté que l’ironie n’était pas en harmonie avec les sentiments qui remplissaient l’âme de Jésus. C’est une erreur. Cette forme de langage peut exprimer une profonde tristesse et une vive douleur sans aucune amertume ni aucune dérision.
D’ailleurs l’ironie est dans la situation beaucoup plus que dans les paroles. Jésus a demandé à ses disciples de veiller avec lui (verset 38) ; il leur a reproché leur assoupissement (verset 40), il les a exhortés en vue de la tentation qui les menaçait (verset 41) ; et pendant que leur Maître souffre et prie, ils dorment ! Les ennemis s’approchent et ils dorment !
L’heure ! l’heure suprême décisive (comparer Jean 17.1).
Le fils de l’homme (Matthieu 8.20, note) est livré ! verbe au présent comme si Jésus était déjà entre les mains des pécheurs.
Par ces pécheurs, les uns entendent les membres du sanhédrin, ou, en général, les Juifs qui vont rejeter leur Sauveur ; d’autres, les Romains, qui le mettront à mort. Pourquoi ne pas appliquer ce mot aux uns et aux autres ?
Quel contraste entre ces vives paroles, qui signalent un péril imminent et le sommeil des disciples ! Maintenant le Sauveur, relevé de son abattement, s’avance plein de calme et de courage au-devant de ses ennemis.
Au terme de ce récit, nous devons nous demander quelles ont été dans l’âme de Jésus les causes de cette souffrance cruelle qu’il a endurée. Il faut bien avouer que cette question nous met en présence du mystère « sur lequel les anges se penchent, désirant de voir jusqu’au fond » (1 Pierre 1.12).
On a répondu que c’était le sentiment profond de la perversité humaine, de l’ingratitude de son peuple, de l’abandon de ses disciples, en un mot, ce poids immense d’iniquités qui s’accumulaient sur lui. On a répondu surtout que c’était le frémissement de la nature en présence des souffrances les plus atroces, de la mort la plus ignominieuse.
Tout cela peut être vrai. Mais cette mort qu’il avait prévue et si souvent annoncée, pour laquelle il savait qu’il était venu (Jean 12.27), qu’il avait préfigurée dans la cène, quelques heures auparavant, dont il avait parlé avec un calme si sublime (voir les discours dans saint Jean et la prière sacerdotale), cette mort qui de sa part était libre et volontaire, était-elle bien la cause unique de ses angoisses, de sa défaillance ? Ne nous paraîtrait-il pas alors moins courageux que tant de martyrs qui ont affronté avec héroïsme des supplices pareils ?
Une certaine critique, pour laquelle rien n’est sacré, n’a pas manqué de lui en faire un reproche ; elle a même trouvé une contradiction entre le calme majestueux des derniers entretiens de Jésus avec ses disciples et les profondes angoisses de Gethsémané ; et cette contradiction, elle s’en est armée pour contester la vérité historique du quatrième évangile.
Il faut regarder plus avant. La mort, dans le sens que l’Écriture donne à ce mot, n’est pas seulement la destruction du corps, « salaire du péché », elle atteint tout notre être ; elle devient, sous le jugement de Dieu, « la mort seconde », la condamnation. Or Jésus, nous le savons de sa propre bouche, allait payer de sa vie la rançon des pécheurs (Matthieu 20.28) ; il allait « répandre son sang pour les péchés de plusieurs » (verset 28 : comparer Jean 1.29 ; 1 Jean 2.2 ; 2 Corinthiens 5.21 ; Galates 3.13) ; en un mot, chef et représentant de notre humanité, il se mettait à la place du pécheur, sous le jugement de Dieu.
De là ces angoisses, ce poids de souffrance morale sous lequel il craint de succomber (comparer Matthieu 27.46). Il s’agit donc ici d’une tentation spéciale, terrible, d’une lutte contre la puissance des ténèbres (Luc 22.53 ; Jean 14.30).
Jésus invoque son Père, dont il n’a point perdu l’amour et la faveur, il prie (versets 36, 39 et 42).
Que demande-t-il en ces mots : « Que cette coupe passe loin de moi » ? De ne pas accomplir son sacrifice ? On peut à peine le penser ; et s’il fallait l’admettre, ce ne serait là qu’un cri de douleur arraché par l’angoisse et aussitôt réprimé par cette expression d’entier abandon : « comme tu le veux ». Il demande avant tout avec ardeur la délivrance de cette angoisse même, de sa crainte.
C’est là ce que nous apprend la parole profonde d’un auteur sacré qui ajoute qu’il fut exaucé et que, « bien qu’il fût Fils, il apprit ainsi l’obéissance par les choses qu’il a souffertes ; et qu’ayant été consommé (rendu parfait dans l’obéissance), il est devenu l’auteur d’un salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent » (Hébreux 5.7-9 ; comparez ci-dessus verset 39, 2e note).
Ici se trouvent désignés trois ordres de personnes : en tête Judas, l’un des douze ; puis ce que Matthieu appelle une foule armée d’épées et de bâtons et qui se composait, comme nous l’apprend Jean (Jean 18.3, note), d’une « cohorte », par où il faut entendre un détachement de la garnison romaine et non la garde juive du temple ; et enfin « d’huissiers », accompagnés par des serviteurs des sacrificateurs et des anciens, membres du sanhédrin et instigateurs de cette arrestation.
Il faut compléter la scène qui suit par les autres évangiles.
C’était, chez les Juifs, une manière de s’aborder et de se saluer avec intimité. Il y a même ici un verbe composé qui signifie baiser avec affection.
M. Rilliet traduit :
il lui donna un tendre baiser.
Ce baiser de Judas, devenu proverbial, comme l’acte de la plus noire hypocrisie, devait d’abord désigner la victime à ses persécuteurs, mais probablement Judas pensait-il aussi pouvoir cacher sa trahison à Jésus lui-même, en lui faisant croire que son arrivée était fortuite.
Cette question, plus directe dans Luc (Luc 22.48), devait faire rentrer Judas en lui-même, en lui montrant que son dessein était découvert.
Le terme original rendu par ami n’exprime point un sentiment d’affection, mais signifie plutôt compagnon, camarade, comme Matthieu 20.13 ; Matthieu 22.12.
C’était Pierre, dont les trois premiers évangiles taisent le nom par prudence, parce que cet apôtre vivait encore.
Jean (Jean 18.10) le nomme, parce que, Pierre étant mort, il n’y avait plus aucun danger à le faire.
Par ces paroles, le Seigneur condamne de la manière la plus expresse et la plus sévère toute violence et toute persécution en faveur de sa cause. Son règne, tout spirituel, ne saurait s’étendre par des armes charnelles (2 Corinthiens 10.3-4).
Que de sang, de souffrances et de scandales épargnés à l’Église et au monde, si ces paroles avaient été comprises et mises en pratique !
C’est abuser de l’Écriture que de faire de cette déclaration un argument en faveur de la peine de mort. Beaucoup plutôt pourrait-on y voir une condamnation de la guerre, de toute guerre injuste ; mais il est probable que Jésus n’a pensé ici qu’aux moyens d’étendre son règne.
Douze légions d’anges, au lieu de ces pauvres douze disciples, dont l’un croit devoir défendre son Maître par l’épée. Ces paroles nous montrent quelle était la confiance absolue du Sauveur en son Père et combien sa mort était volontaire. Codex Sinaiticus, B, la Vulgate, les versions égyptiennes placent le mot maintenant (grec à l’instant) après me fournira.
La plupart des critiques et des traducteurs adoptent cette leçon.
Car, selon les Écritures, le Messie ne peut sauver le monde et arriver à la gloire que par la voie des souffrances (Psaumes 22 ; Ésaïe 53 ; comparez Luc 24.26-46).
Voir Matthieu 26.53, note.
Jésus reproche à la foule (verset 47, note) et à ses chefs le traitement indigne qu’elle lui infligeait en le saisissant comme un malfaiteur ; mais il lui déclare en même temps que ses ennemis ont été impuissants à lui faire aucun mal avant que fût arrivé le temps de la volonté de Dieu, révélée dans les Écritures (verset 56).
Tous l’abandonnent, bien que tous eussent promis de lui rester fidèles (verset 35).
Accomplissement de la prédiction que Jésus venait de faire (verset 31).
Première partie de la séance pendant la nuit
Le reniement de Pierre
Seconde partie de la séance, au matin
Le matin venu, le sanhédrin délibère sur les moyens de mettre à mort Jésus : des membres de l’assemblée l’emmènent lié chez Pilate (27.1-2).
Comparer Marc 14.53 à Marc 15.1 ; Luc 22.54 à Luc 23.1.
Voir verset 3, note ; verset 47, note.
Ce conseil s’assembla au milieu de la nuit, en toute hâte, dès qu’on eut appris l’arrestation de Jésus.
D’après le récit de Jean (Jean 18.13), Jésus fut conduit d’abord chez Anne, beau-père de Caïphe. Voir la note sur ce passage. Les synoptiques passent ce fait sous silence (Luc 22.54, note).
La fin, c’est-à-dire ce qui arriverait à son Maître. Son amour pour lui l’attire, la crainte du danger l’éloigne, il le suivait, mais de loin. Déjà le combat a commencé dans son âme.
Le texte reçu répète une seconde fois à la fin de ce verset les mots : ils n’en trouvèrent point, qui ne sont pas authentiques.
Il en est de même des mots : et les anciens qu’il introduit après les principaux sacrificateurs (verset 59).
Quoiqu’il se fût présenté plusieurs faux témoins, aucun d’eux ne proférait une accusation assez grave pour condamner Jésus à mort (comparer Marc 14.59).
Le sanhédrin voulait hypocritement conserver les formes de la justice.
Cette parole de Jésus pouvait paraître aux Juifs un sacrilège, une atteinte portée au temple de Dieu ; mais elle était à la fois mal comprise et faussée. Il n’avait pas dit, en effet, je puis détruire, mais détruisez (Jean 2.19, note ; comparez Marc 14.58).
On peut réunir en une les deux propositions interrogatives :
Ne réponds-tu rien à ce que ceux-ci déposent contre toi ?
La ponctuation que nous avons adoptée est préférée par Tregelles, Westcott et Hort, Meyer. Ce dernier trouve avec raison qu’elle répond mieux à la passion avec laquelle le souverain sacrificateur interroge Jésus.
Jésus se tait par un sentiment de dignité et par la conviction que toute défense serait inutile en présence d’un tel tribunal. Il y a donc dans ce silence une sévère accusation contre les accusateurs.
Codex Sinaiticus, B, des majuscules et des versions omettent : reprenant la parole.
Par ces termes solennels : Je t’adjure, et cela, par le Dieu vivant qui doit punir le mensonge (Hébreux 10.31), le souverain sacrificateur imposait à Jésus une sorte de serment.
Quelle est la question précise qu’il lui pose ? Non pas seulement : Es-tu le Christ, le Messie, car il n’est pas probable qu’une telle prétention eût paru digne de mort ; mais es-tu le Fils de Dieu ?
C’est en vain que plusieurs interprètes veulent nous faire considérer ces deux termes comme synonymes. Pour comprendre toute la portée que le souverain sacrificateur attachait à ce dernier titre, il faut se rappeler les termes dans lesquels les Juifs avaient précédemment articulé contre Jésus-Christ la même accusation : « il disait que Dieu était son propre Père, se faisant égal à Dieu » (Jean 5.18) ; « nous ne te lapidons point pour aucune bonne œuvre, mais pour un blasphème et parce que, n’étant qu’un homme, tu te fais Dieu » (Jean 10.33).
La question de Caïphe est destinée à arracher à Jésus une semblable déclaration, qui permettra de l’accuser de blasphème (verset 65), crime que la loi de Moïse punissait de mort. La réponse de Jésus aussi n’a toute sa signification que si l’on y voit une affirmation de sa divinité.
Tu l’as dit. Hébraïsme qui signifie : Oui, comme tu l’as dit.
Ou, selon le récit de Marc : (Marc 14.62) Moi je le suis. Moment unique dans la vie de Jésus, que celui où il proclame sa messianité et sa divinité devant les représentants de la théocratie !
Jésus emploie à dessein le langage et les images de l’Écriture que ses auditeurs connaissaient bien. Ainsi, le fils de l’homme, venant sur les nuées du ciel, sont des termes messianiques, empruntés à Daniel 7.13 et qui annoncent son retour dans la gloire pour exercer le jugement du monde (Matthieu 24.30).
Ainsi encore être assis à la droite de la Puissance (de Dieu), c’est, conformément à la prophétie (Psaumes 110.1), prendre part à la puissance et à la gloire divines, aussi bien qu’au gouvernement de l’univers (Marc 16.19 ; Actes 2.33 ; Actes 5.31 ; Romains 8.34).
Ce fils de l’homme va passer de son profond abaissement au plus haut degré de gloire. Cet accusé qui va être condamné à mort, cite d’avance ses juges à son propre tribunal !
Quelques interprètes, pressant le mot désormais ou dés maintenant, qui s’applique au verbe vous verrez, pensent que les mots venant sur les nuées du ciel ne peuvent pas désigner le retour final de Christ, mais bien l’exercice de son pouvoir spirituel dans son règne sur la terre. Cette dernière idée n’est sûrement pas contraire au texte ; mais ce serait trop presser les termes que de vouloir en exclure la seconde venue du Sauveur. Il vient sans cesse à travers les siècles, mais il ne fait par là que préparer ce retour suprême par lequel il élèvera son règne à la perfection. Les paroles du Sauveur que nous venons de citer (Matthieu 24.30) ne laissent d’ailleurs aucun doute sur le sens de notre passage.
Déchirer ses vêtements était chez les Juifs un signe de tristesse profonde ou de vive indignation (2 Rois 18.37 ; 2 Rois 19.1). Il est évident que, chez Caïphe, ces sentiments étaient hypocritement simulés ou du moins dominés par la haine (Jean 11.49 et suivants).
Caïphe affirme que Jésus, en se déclarant le Messie, le Fils de Dieu et en prétendant avoir part à la puissance divine (verset 64), s’attribue une gloire qui n’appartient qu’à Dieu et prononce un blasphème (comparer Jean 10.33). Les mots Que vous en semble ? étaient la question solennelle posée par le président à tout le conseil, pour que celui-ci fit connaître son vote. Or ce vote, d’après Lévitique 24.16, ne pouvait être qu’une condamnation à mort. Et c’est ce qui eut lieu (verset 66).
D’où il faut conclure que si Jésus n’avait pas été ce qu’il déclarait être, la sentence prononcée contre lui conforme à la loi de Moïse serait parfaitement juste. Ceux qui nient la divinité de Jésus-Christ ont-ils réfléchi à cette conséquence de leur négation ?
Ainsi l’unique cause de la condamnation de Jésus devant le conseil de sa nation fut la déclaration solennelle de sa divinité.
Le Saint et le Juste mérite la mort ! Ô justice des hommes !
Qui sont ceux qui infligent à Jésus ces traitements horribles ?
Selon notre Évangile et surtout d’après Marc (Marc 14.65), on ne saurait douter que ce ne soient quelques-uns des membres du sanhédrin qui l’injurient, au moins en paroles (voir Marc 14.65, note).
S’il parait peu probable que des juges puissent descendre à ce rôle indigne envers un condamné, tout s’explique par la haine qui remplissait leurs cœurs.
Cette raillerie impie : Prophétise, ne signifie pas seulement : Devine qui t’a frappé, ainsi que portent quelques versions ; mais bien : Montre que tu es un prophète, le Christ (Messie), en nommant celui qui t’a frappé.
Dehors, dans la cour, est pris ici du point de vue de ceux qui étaient dans le palais (comparer verset 58).
Grec : « il le nia, ou renia, devant tous », ou, selon une variante, « en présence d’eux tous », c’est-à-dire des huissiers et des serviteurs qui se trouvaient là (verset 58).
Il y avait en effet dans ces mots : Je ne sais ce que tu dis, non seulement une négation du fait, mais un premier reniement de Jésus.
Pierre fut surpris par la brusque affirmation de cette servante ; il ne veillait pas (verset 41) ; et précisément parce qu’il était entouré de plusieurs témoins, la crainte se joignit à l’irréflexion dans ce premier reniement, qu’il voulut maintenir ensuite. Là est la vraie cause de sa chute.
Vers le porche, ou le portail qui donnait accès de la cour intérieure (verset 69) à la cour extérieure (comparer Marc 14.68).
La première servante donne à Jésus l’épithète de Galiléen (verset 69), celle-ci de Nazaréen.
C’est par l’un ou l’autre de ces noms que le peuple le désignait, avec une sorte de mépris.
Le texte reçu fait dire à la seconde servante comme à la première : Celui-ci aussi ; ce dernier mot n’est pas authentique.
Cet homme ! Quel froid mépris dans cette manière de désigner son Maître ! Quel abîme entre cette parole et celle de Matthieu 16.16 !
Et c’est avec serment qu’il prononce ces mots. Il faut remarquer la progression d’un reniement à l’autre.
Ton langage, c’est-à-dire l’accent galiléen, assez différent de celui des Juifs de la Judée. Cet accent avait été reconnu dans les paroles que Pierre venait de prononcer.
Ici encore il y a progression : non seulement il jure de nouveau qu’il ne connaît point cet homme, mais il ajoute à ce serment des imprécations contre lui-même pour le cas où il ne dirait pas la vérité. Ainsi il y eut, dans le reniement de Pierre :
Le chant du coq aurait retenti à ce moment pour la seconde fois, selon le récit de Marc (Marc 14.68-72).
Les quatre récits du reniement de Pierre présentent quelques différences de détails concernant surtout les personnes qui dénoncent Pierre comme disciple de Jésus (Luc 22.58, note). Mais ils s’accordent pour rapporter trois reniements de l’apôtre.
Voir Matthieu 26.34. Pierre se souvint de cette parole, non seulement à cause du chant du coq, mais surtout parce qu’en ce moment le Sauveur lui jeta un regard de compassion et de reproche qui perça sa conscience et son cœur (Luc 22.61). Il se réveilla au fond d’un abîme.
Ainsi commence le relèvement du disciple tombé. Le sang qui allait couler sur la croix était nécessaire pour laver son péché. Mais pour l’amener à la croix, il fallait ses larmes amères.
L’orgueilleuse présomption qui causa sa chute fut à jamais brisée. Pierre reste le type de la vraie repentance, comme Judas de la fausse (comparer Marc 14.72, note).
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