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Pour les anciens Hébreux la bénédiction et la malédiction étaient des paroles magiques, produisant d’elles-mêmes leur effet bon ou mauvais, par une puissance mystérieuse qui leur était propre et qui était souvent conçue comme tout à fait indépendante de la puissance de Yahvé. Le fait de maudire ou de bénir ne consistait pas, au moins à l’origine, à appeler sur quelqu’un la colère ou la bienveillance divines : maudire, c’était déchaîner sur l’adversaire une force inconnue mais d’autant plus redoutable, et bénir c’était diriger une force salutaire, également inconnue, sur ceux auxquels on voulait du bien. Si la religion a fini par triompher de la magie, elle en a été longtemps fortement pénétrée.
L’histoire, si curieuse, de Balaam (Nombres 22) nous montre que certains hommes, sortes de devins ou de sorciers (No 22.7), étaient des spécialistes de la bénédiction et de la malédiction, surtout de la malédiction, si nécessaire, pensait-on, contre l’ennemi. On les, faisait venir de très loin pour utiliser leur puissance (No 22.5), car on savait que ceux qu’ils bénissaient étaient bénis et que ceux qu’ils maudissaient étaient maudits (verset 6). C’est ainsi qu’un roi de Moab fait venir de Mésopotamie le devin Balaam pour maudire Israël, persuadé que cette malédiction sera la ruine de l’adversaire. Et la tradition racontait comment Yahvé, pour sauver son peuple, obligea le sorcier à bénir au lieu de maudire. On voit par là que, selon les idées du temps, ce stratagème étant nécessaire, la malédiction aurait eu son effet malgré la volonté de Yahvé. Dieu, croit-on, peut forcer Balaam à bénir au lieu de maudire, mais la bénédiction ou la malédiction une fois prononcées, aucune puissance ne peut intervenir pour en arrêter les effets.
Cette parole magique n’était cependant pas l’apanage des seuls devins, des personnes « saintes », des prêtres ou des prophètes : la bénédiction ou la malédiction de tout homme pouvait être efficace. Goliath et David se maudissent l’un l’autre avant le combat (1 Samuel 17.43-47). Et nous voyons, par cet exemple, que bénédictions ou malédictions, malgré leur puissance intrinsèque, en vinrent à être renforcés par l’invocation de la divinité. Goliath maudit David « par ses dieux » et David voue Goliath à la colère de « Yahvé des armées, le Dieu de l’armée d’Israël ». Quand des malédictions se croisent ainsi, elles ne peuvent pas être également efficaces puisqu’il y a un vainqueur et un vaincu. La réflexion en vient donc à admettre que toute malédiction n’a pas nécessairement d’effet : celle qui l’emportera sera celle qui sera soutenue par la divinité la plus puissante. La pensée commence à faire reculer la magie et c’est au profit d’une religion plus élevée : David n’a aucune crainte parce qu’il sait que « la victoire appartient à Yahvé » (1 Samuel 17.47).
Le père de famille, surtout aux derniers jours de sa vie, était de ceux à qui l’on reconnaissait un pouvoir tout particulier de bénir ou de maudire et par là d’influer efficacement, en bien ou en mal, sur l’avenir de ses enfants. Noé maudit Canaan, raconte le livre de la Genèse (Génèse 9.25) et la tradition voulait que l’effet de cette malédiction se fût étendu, de génération en génération, sur toute la descendance du fils de Cham. Dans ce récit on voit que des considérations d’ordre moral ont motivé la malédiction paternelle. Il n’en a pas toujours été ainsi : Isaac veut bénir Esaü (Genèse 27.1-5) plutôt que Jacob, non parce qu’il est meilleur que son frère, mais soit parce qu’il est l’aîné, soit parce qu’il est le préféré. On sait comment Jacob ravit à Esaü la bénédiction de son père et l’on reconnaît encore à quel point les idées de bien et de mal dominent peu ce récit puisque le stratagème de Rebecca et la fourberie de Jacob ne privent nullement ce dernier de la bénédiction d’Isaac. Cet exemple montre aussi la nature magique et le caractère irrévocable de la sentence paternelle. Pas plus ici que dans l’histoire de Balaam la divinité n’est absente, mais nous en sommes encore à la période primitive où elle pâlit devant la magie : Isaac manifeste bien l’intention de bénir Esaü « devant Yahvé » (Génèse 27.7), mais c’est manifestement la puissance de sa bénédiction paternelle et non la puissance divine de Yahvé qui doit intervenir et quand il a béni Jacob par erreur rien ne peut défaire ce qui a été fait et il n’est pas question d’en appeler à la puissance supérieure d’un Dieu qui pourrait réparer tous les méfaits des hommes. Si Esaü obtient, comme une faible compensation pour tout ce qu’il a perdu, de, ne pas subir à perpétuité le joug de son frère (Génèse 27.40), c’est encore la parole prophétique du père et non l’intervention du dieu qui réalisera la promesse.
Mais ces conceptions primitives devaient s’effacer lentement à mesure que le prophétisme donnait naissance à une religion plus morale et plus spirituelle.
On en vint à reconnaître que seule la postérité du juste peut être bénie (Psaume 37.26) et qu’une malédiction sans cause demeure sans effet (Proverbes 26.2).
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