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Le mot hébreu « ébed » est traduit, dans nos versions françaises de la Bible, tantôt par « serviteur », tantôt par « esclave », sans que l’on sache pour quel motif, dans chaque texte, l’un des termes a été préféré à l’autre. Il est certain que ces mots éveillent dans nos esprits des idées que les Israélites ne connaissaient guère. D’une part, un libre contrat entre employeur et employé était chose rare : il n’y a, dans tout l’Ancien Testament, que quelques allusions à des « mercenaires » qu’on n’appelle pas d’ailleurs « ébed », mais « sakir » (Exode 12.45 ; Job 7.1 ; 14.6 ; Malachie 3.5). Un serviteur ou une servante étaient, en règle générale, la propriété du maître de maison. Un « ébed », en tous cas, est un esclave. D’autre part, l’esclavage ne ressemblait pas à ce que nous entendons généralement par ce mot : l’esclave était placé, dans la maison israélite, presque au même niveau que l’épouse ou que l’enfant. Ce niveau n’était évidemment pas très élevé, car les membres de la famille, tout comme l’esclave, étaient les choses du maître : celui-ci pouvait vendre ses enfants, aussi bien que ses esclaves. On n’était pas révolté par l’idée qu’un homme, né libre, pût devenir esclave. Il n’y avait pas entre ces deux conditions l’abîme que nous serions tentés d’imaginer aujourd’hui. Les esclaves n’étaient pas considérés comme des êtres inférieurs ; s’ils ne possédaient pas ce que nous appelons les droits civils, ils n’en étaient pas moins les frères des hommes libres, tout autant sinon plus que les « étrangers » (voyez ce mot). L’esclavage, en somme, n’était pas une dégradation. Telle est bien l’impression qui se dégage avec évidence de bien des récits de l’Ancien Testament. Saül et son esclave, à la recherche des ânesses de Kis, s’entretiennent sur la route comme des frères et c’est l’esclave qui fournit l’argent pour payer l’homme de Dieu (1 Samuel 9.3-10). Abigaïl accepte d’un esclave, et contre la volonté de son propre mari, le conseil d’aller apaiser la colère de David (1 Samuel 25.14-17). Abraham a un esclave qui est l’intendant de tous ses biens. Aussi longtemps qu’il n’a pas d’enfants, il le considère comme son héritier (Génèse 15.2) et, plus tard, il lui confie les négociations qui aboutiront au mariage d’Isaac (Genèse 24). David donne à un esclave, Tsiba, tous les biens du dernier survivant de la famille de Saül (2 Samuel 9.1-4 ; 16.1-4). Un Israélite donne sa fille en mariage à un esclave égyptien (1 Chroniques 2.35).
Les lois sur l’esclavage sont, en Israël, plus humaines que partout ailleurs dans l’antiquité. Elles lui assurent une protection efficace contre la dureté du maître (Exode 21.20-21, 26-27 ; Deutéronome 23.15-16). Le Sabbat est une institution qui le vise particulièrement (Exode 23.12 ; Deutéronome 5.12-15). La femme esclave, qui était généralement une des épouses du maître, était peut-être mieux protégée encore (De 21.10-14). Les esclaves étrangers, la plupart prisonniers de guerre, et plus nombreux vraisemblablement que les esclaves indigènes, bénéficiaient comme ces derniers de la protection légale ; et il ne pouvait guère en être autrement puisque, par leur participation au culte de la famille ou du peuple, ils étaient, en un sens, assimilés à la nation. En ce qui concerne particulièrement les esclaves de race israélite, il faut noter les. traits suivants. La loi ne permettait pas qu’on se les procurât par enlèvement (Exode 21.16), mais elle autorisait le père à vendre sa fille (Exode 21.7): Certains textes nous prouvent que l’on pouvait vendre le débiteur insolvable (2 Rois 4.1) ainsi que le voleur incapable de restituer ce qu’il avait dérobé (Exode 22.3). Enfin un homme, tombé dans l’indigence, pouvait se vendre lui-même (Lévitique 25.39,47). Mais ces esclaves israélites jouissaient d’un privilège essentiel refusé aux esclaves étrangers. Ceux-ci étaient esclaves à vie, ceux-là non.
Les lois contenues dans le code qu’on appelle « Le Livre de l’Alliance » (Exode 21, Exode 23) stipulent qu’un esclave hébreu devra servir six ans et être relâché la septième année, « sans rien payer ». « S’il est entré seul, il sortira seul ; s’il avait une femme, sa femme sortira avec lui. Si c’est son maître qui lui a donné une femme et qu’il en ait eu des fils et des filles, la femme et les enfants seront à son maître, et il sortira seul. Si l’esclave dit : « J’aime mon maître, ma femme et mes enfants et je ne veux pas sortir libre, alors son maître le conduira devant Dieu et le fera approcher de la porte ou du poteau et lui percera l’oreille avec un poinçon, et l’esclave sera pour toujours à son service » (Exode 21.2-6).
Le code « deutéronomique », plus récent, et partout préoccupé de rendre la législation plus humaine, exige davantage du maître : l’esclave ne sera pas renvoyé à vide ; « tu lui feras des présents de ton menu bétail, de ton aire, de ton pressoir, de tout ce que tu auras par la bénédiction de Yahvé, ton Dieu. Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d’Egypte et que Yahvé, ton Dieu, t’a racheté » (Deutéronome 15.12-18).
On voit, d’ailleurs, par le récit renfermé au ch. 34 du livre de Jérémie, (Jérémie 34) que ces prescriptions étaient loin d’être toujours observées.
Enfin, le « code Sacerdotal », plus récent encore, puisqu’il est postérieur à l’exil, ne veut pas qu’aucun Israélite soit réellement esclave ; si un pauvre se vend à un de ses « frères », celui-ci le considérera comme un serviteur à gages et ne le traitera jamais avec dureté. « C’est des nations qui vous entourent que tu prendras ton esclave, il le demeurera à perpétuité et tu le laisseras en héritage à tes enfants après toi » (Lévitique 25.39-46); et si un Israélite pauvre se vend à un riche étranger, résidant dans le pays, il pourra être racheté par un membre de sa famille ou se racheter lui-même (Lévitique 25.55). En progrès général sur les législations précédentes, le Code Sacerdotal marque cependant un recul, au moins théoriquement, quant à la périodicité des dates de libération des esclaves : il n’est plus question d’une émancipation obligatoire après six années, sans doute parce que cette prescription n’avait pu être généralement imposée, mais d’une émancipation globale tous les cinquante ans, lors de l’année du « Jubilé » (Lévitique 25.8-17). Toute propriété revenant alors à son premier propriétaire, l’esclave libéré aura le moyen de vivre. Assurément, cette loi impraticable de l’année jubilaire n’entra jamais en vigueur, mais il est certain que l’émancipation fut fréquente et que, peu à peu, l’esprit de la loi prévalut : l’idée se répandit qu’un Israélite ne saurait légitimement être l’esclave d’un autre Israélite, tous les enfants du peuple de Yahvé étant frères et esclaves de Dieu seul.
L’esclavage n’en subsista pas moins en Palestine jusqu’à la fin de l’histoire du peuple juif, sans que l’on puisse savoir, semble-t-il, si les esclaves israélites étaient le petit ou le grand nombre. Le Christianisme naissant n’a pas protesté contre l’esclavage, mais il a répandu dans le monde le principe d’universelle fraternité qui devait, un jour, en réaliser l’abolition.
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