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Juges
Dictionnaire Biblique Bost Calmet

C’est le nom particulier que l’Écriture donne à ces hommes extraordinaires qui furent suscités entre les jours de Josué et ceux de l’établissement de la royauté, charge en dehors des autres, fonction passagère, et toujours une manifestation spéciale de la bonté de l’Éternel. Le peuple n’était pas encore maître du territoire, il n’en occupait aucune portion d’une manière complète et définitive ; partout les Cananéens étaient mêlés aux Israélites qui, dans le commencement, avaient voulu, contre l’ordre de Dieu, ménager leurs ennemis, et qui ne purent plus les déposséder entièrement lorsqu’ils le voulurent. Ce premier désavantage politique était encore augmenté par le penchant naturel de ce peuple au sensualisme religieux ; et bien loin de songer toujours à repousser les premiers habitants du pays, ceux d’Israël se laissèrent entraîner plus d’une fois à partager leur idolâtrie ; c’est ainsi qu’avant la venue de Jephthé, nous les voyons adorer les uns après les autres, ou tous à la fois, les dieux de Syrie, de Sidon, de Moab, des Ammonites et des Philistins. N’ayant ainsi ni territoire assuré, ni principes religieux auxquels ils s’attachassent d’une manière sûre et ferme, ils étaient sans force ; et l’histoire sainte nous montre, dans ces six différentes servitudes, autant de châtiments pour autant de chutes religieuses. Ces servitudes consistaient parfois en de simples tributs à payer (Juges 3.15) ; d’autres fois c’étaient une série d’hostilités, des atteintes continuelles à la propriété, l’enlèvement des moissons ou des troupeaux (Juges 6.3-11), avec quelques intervalles de repos. Lorsque la détresse était arrivée à son comble, les Juifs idolâtres retournaient à Jéhovah qui, seul, pouvait les délivrer ; c’est alors que Dieu leur envoyait des juges revêtus de toute puissance, qui chassaient l’ennemi et ramenaient le peuple au sanctuaire. Quinze juges gouvernèrent ainsi le pays avec des interrègnes plus ou moins longs ; ce sont :

Othniel 1405 av. J.-C. Juges 3.9
Éhud 1325 av. J.-C. Juges 3.15
Shamgar 1305 av. J.-C. Juges 3.31
Debora 1283 av. J.-C. Juges 4.4
Gédéon 1243 av. J.-C. Juges 6.13
Abimélec 1236 av. J.-C. Juges 9.4
Thola 1233 av. J.-C Juges 10.1
Jaïr 1210 av. J.-C. Juges 10.3
Jephthé 1188 av. J.-C. Juges 11.1
Ibtsan 1182 av. J.-C. Juges 12.8
Élon 1173 av. J.-C. Juges 12.11
Abdon 1163 av. J.-C. Juges 12.13
Samson 1157 av. J.-C. Juges 13.24
Éli 1137 av. J.-C. 1 Samuel 1.9
Samuel 1116 av. J.-C. 1 Samuel 7.13

L’histoire des juges renferme une des périodes les plus intéressantes de la vie du peuple d’Israël, une période qui se retrouve également dans la vie de toutes les nations, sous les noms divers de temps fabuleux, héroïques, chevaleresques ou féodaux. Plus que tout autre état social, cet état d’enfance prête à l’imagination ; ce ne sont plus ici les grands miracles du voyage dans le désert, ce n’est plus la vie singulière des Hébreux vivant sur la terre conduits par Dieu même et nourris de lui jour par jour pendant quarante ans comme s’ils n’eussent pas été de la terre. Cette phase-là, qui ne s’est présentée nulle part ailleurs, était exceptionnelle, et n’appartient pas à l’histoire humaine de la théocratie ; ce fut un long et brillant éclair au milieu duquel les ombres terrestres du caractère hébreu parurent plus ténébreuses sans doute et bien nombreuses, mais comme des ombres seulement sur un fond céleste. Dieu était tout et en tous, à la fois législateur, pourvoyeur, guide, prophète, juge et roi.

Ce temps miraculeux passa lorsque le peuple fut établi dans son pays et constitué comme nation ; bien des miracles se firent encore ; mais l’organisation juive était devenue la base de la vie israélite, et l’intervention visible de Dieu ne fut plus, à son tour, qu’une exception, quoique fréquente encore ; des chefs, des prêtres, des juges administraient le pays ou étaient censés l’administrer ; les délivrances venaient de la terre même, et ce furent des hommes suscités de Dieu, non plus Dieu en personne, qui accomplirent pendant le cours des quatre siècles de cette période, les grandes choses que l’Éternel voulut faire en faveur de la postérité d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Israël est plus indépendant, il jouit de la protection divine ; mais il vit comme peuple au milieu d’autres peuples, étant chargé lui-même de sa défense et de son gouvernement. Des crimes atroces et de grandes vertus se montrent dans cette histoire sans unité ; des guerriers, des héros paraissent, libres, agissant pour eux-mêmes, chefs de chevaliers errants, tantôt poussés par l’esprit de Dieu pour le salut d’Israël, tantôt sans autre mobile que leurs passions ou leur ambition. Cette histoire, si elle eût été écrite par d’autres que par les saints hommes de Dieu, porterait certainement le cachet de merveilleux et de mythologie que l’on retrouve chez les poètes de l’antiquité ou chez les minnesœnger du Nord.

On peut voir chacun de ces articles en son lieu et place, ainsi que mon Histoire des Juges. Quant à la chronologie, on ne peut la déterminer ; en additionnant toutes les dates qui se trouvent dans le livre des Juges, on arrive pour cette seule période, au chiffre de 462 ans qui ne peut s’accorder avec celui de 480 indiqué (1 Rois 6.1), pour toute la période qui s’est écoulée depuis la sortie d’Égypte jusqu’à la construction du temple. On a donc été obligé de réduire ce chiffre, ce que l’on a essayé de faire, soit en regardant comme simultanées des administrations qui semblent indiquées comme successives (par exemple Shamgar et Debora), soit en confondant la durée des servitudes avec celle du gouvernement du juge qui a précédé ou suivi (par exemple Éhud et l’oppression de Jabin ; l’oppression des Philistins et les judicatures de Jephthé, Ibtsan, Élon, Abdon et Samson). Ces calculs sont arbitraires ; plusieurs peuvent se justifier, tous ne le peuvent pas, et l’on ne doit les regarder que comme des essais.

Livre des Juges. L’auteur en est inconnu, mais comme le livre tire toute son autorité du Dieu qui l’a fait écrire, et non de celui qui l’a écrit, cela importe peu. Les Hébreux l’attribuent généralement à Samuel sur la fin de sa vie, et c’est l’opinion la plus probable, celle qui peut le mieux se soutenir en l’absence de preuves positives. Des passages tels que Juges 17.6 ; 18.1 ; 21.25, montrent que la royauté existait déjà en Israël, et que cependant le royaume n’était pas encore divisé. D’un autre côté, la brusque interruption du livre au chapitre 16, après le récit des exploits et de la mort de Samson, lorsque la vie de Éli et de Samuel eussent dû le compléter, semble indiquer que ces deux hommes vivaient encore, qu’ils appartenaient à l’histoire contemporaine, et que l’auteur n’a pas jugé convenable, peut-être pas même nécessaire, de raconter des faits connus de tous. Cette lacune surprend d’autant plus que le commencement du livre, dont les deux premiers chapitres sont l’introduction, annonce un plan suivi, l’histoire complète d’une époque ; or Éli, et surtout Samuel, ne pouvaient être passés sous silence dans un travail de ce genre ; un contemporain seul a pu n’en rien dire, ou faire sur ces deux judicatures un travail à part, et les raisons intérieures sont toutes en faveur de l’opinion que nous avons exprimée. D’autres ont attribué ce travail à Esdras, d’autres enfin supposent que chaque juge a écrit l’histoire de son administration, et qu’un compilateur quelconque en a fait le livre canonique des Juges.

Les trois premiers chapitres sont un exposé de l’état du pays après la mort de Josué, de l’humiliation des Israélites d’abord, puis de leur première idolâtrie ; les chapitres 4-16 renferment l’histoire des six oppressions et des six délivrances ; c’est l’histoire des juges proprement dite ; les chapitres 17-21 contiennent enfin deux épisodes de la profonde immoralité qui s’était introduite en Israël après la mort de Josué, et qui amena sur ce malheureux pays tant de calamités, et la destruction presque totale de la tribu de Benjamin.

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