(Jonas 4.6-10)
Saint Jérôme, après avoir traduit l’hébreu par lierre, avoue qu’il ne se contente de cette traduction inexacte que parce que le mot propre manque en latin, et qu’il aime mieux cependant mettre dans ce passage un mot bien connu que d’y laisser subsister le terme hébreu, qui pourrait donner lieu à des malentendus plus fâcheux encore que l’inexactitude. Il pense d’ailleurs comme Celse (et plus tard Boehart, Calmet, Michaélis, Rosenmuller, Harris, Gesenius, Winer, etc.), que le kikajon est la même plante que les Égyptiens appellent kiki, et les Arabes el kéroa, en français le ricin ou la palme de Christ. « En Grèce, rapporte Hérodote (2.94), cette plante croît spontanément et sans culture ; mais les Égyptiens la soignent, ils la sèment sur les bords des rivières et des canaux, et lui font produire en grande abondance des fruits d’une odeur très forte, qu’ils pressent ensuite, et dont ils extraient une huile bien connue, qui a des qualités médicinales, et qui brûle avec autant d’éclat et de facilité que l’huile d’olive. Les Égyptiens appellent la plante sillicyprion, et l’huile kiki ». Niebuhr, dans sa description de l’Arabie, décrit ainsi l’el kéroa : « Cette plante a la forme d’un arbre, quoique son tronc n’ait pas la consistance du bois ; chacune de ses branches est terminée par une seule large feuille à six ou sept lobes ; le sujet, que j’examinai était près d’un ruisseau qui l’arrosait continuellement ; en cinq mois il avait crû de 8 pieds et portait alors des fleurs et des fruits, mûrs et non mûrs ; les feuilles et les fleurs que je détachai de la tige se flétrirent en fort peu de minutes, comme font celles de tous les végétaux d’un rapide accroissement. On l’appelle à Alep palma Christi. Les chrétiens et les juifs de Mosul (Ninive), disent que ce n’est pas cette espèce dont il est parlé dans l’histoire de Jonas, mais une autre aux feuilles plus nombreuses et plus larges, et d’un développement plus prompt. Le ricin (classe XXI, monadelphia de Linnée), est une plante bisannuelle qui atteint en quelques jours la hauteur d’un arbre pouvant cacher un homme sous l’ombrage de ses feuilles ; sa tige, d’abord herbacée, devient plus tard ligneuse, mais elle est creuse en dedans, pleine de nœuds et d’articulations, et munie de grandes feuilles à longs pétioles, ayant la forme de feuilles de vigne, plus lisses et plus noires que celles du plane, dentelées en forme de scie ; les fleurs sont jaunes, et dans les deux sexes, sans corolles ; leur fruit est une gousse ou silique triangulaire, munie de poils durs et piquants, dont les grains donnent l’huile blanche ou jaunâtre dont nous avons parlé. On trouve principalement cet arbuste en Arabie, en Égypte et en Syrie, et le rabbin Kimhi raconte que les Orientaux ont l’habitude d’en planter devant leurs maisons et sur le devant de leurs boutiques pour se procurer ainsi quelque ombrage.
Ces détails sont d’accord avec ce que le passage de Jonas fait connaître du kikajon, pourvu toutefois qu’on ne presse pas outre mesure les mots du récit ; rien n’indique combien de temps cet arbuste a mis à croître, quoiqu’il soit évident que son développement a été fort prompt ; Dieu le prépara, est-il dit, et les paroles du verset 10 : « il est venu en une nuit », marquent simplement, ou bien en général la rapidité de son accroissement, ou bien qu’en une nuit il a crû assez pour donner au prophète le bienfaisant ombrage qu’il lui refusait la veille encore, quoiqu’il eût déjà une certaine hauteur et des feuilles en germe. Le dessèchement de la plante s’explique de la même manière ; il a été rapide, comme sa venue ; l’ardent soleil dont Jonas se plaint aura nui à l’arbuste, et le ver qui le ronge peut être pris littéralement, comme aussi l’on peut l’entendre d’une espèce de chenilles noires, assez grandes, et fort nombreuses, qui pendant les jours les plus chauds de l’année éclosent sur certains arbres, notamment sur le kikajon, et en rongent en une seule nuit toutes les feuilles, sans qu’il reste plus de l’arbre autre chose qu’un squelette. Mais si cette histoire tout entière peut s’expliquer naturellement, elle n’en a pas moins été amenée par l’intervention directe de l’Éternel-Dieu, et il est possible que la venue et la mort du kikajon aient été plus rapides qu’elles ne le sont d’ordinaire.
À cet arbuste malheureux se rattache le souvenir du grand égoïsme du prophète ; Jonas voulait que Ninive pérît, mais il voulait épargner le kikajon, parce que le salut de Ninive compromettait la vérité de sa prophétie, et que la mort de l’arbrisseau était pour lui une cause de souffrance physique ; il recherchait son intérêt propre, et tenait peu compte de la vie de 120000 hommes.
Plus tard le même arbrisseau a été une source de troubles dans une portion de l’Église chrétienne. Saint Augustin, s’appuyant de l’autorité des Septante, du syriaque et de l’arabe, croyait que le kikajon signifiait la citrouille ; saint Jérôme, d’après Aquila, Symmaque et Théodotion, avait traduit par lierre ; de là, grande rumeur et grand scandale un jour dans l’Église d’Assyrie ; on parla d’hérésie, et la version de Jérôme dut être positivement condamnée sur ce point, pour éviter un schisme à propos d’une différence entre deux grands et pieux docteurs dont il est maintenant prouvé que l’un et l’autre se trompaient.