(Exode 16 ; Nombres 11 ; Deutéronome 8.3 ; Josué 5.12)
La nourriture que Dieu donna aux Israélites dans le désert, depuis Sin, leur huitième campement, jusqu’à la fin de leur séjour. Moïse la décrit comme quelque chose de menu, blanc, rond comme du grésil, comme de la semence de coriandre, et ayant le goût de beignets. Elle tombait chaque matin avec la rosée, et lorsque la rosée avait disparu sous l’action des premiers rayons du soleil, la manne restait seule sur le roc ou sur le sable, où les Israélites venaient la ramasser, mais seulement en quantité suffisante pour la journée, à l’exception du vendredi où il en tombait une quantité double et où les Israélites devaient aussi faire la provision du sabbat. Elle se gâtait du jour au lendemain, et ceux qui, se méfiant de la divine Providence, voulurent essayer d’en conserver, la virent se corrompre et les vers s’y mettre. Chacun avait droit à un homer (3,5 l), et celui qui en avait recueilli beaucoup n’en avait pas plus, comme celui qui en avait recueilli peu n’en avait pas moins, c’est-à-dire qu’ils répartissaient entre eux, proportionnellement au nombre des membres de chaque famille, ce qu’ils avaient ramassé, de sorte que celui qui en avait trop communiquait de son superflu à celui qui n’avait pas assez, et ramenait l’égalité voulue de Dieu. Le passage de 2 Corinthiens 8.15, semble établir ce sens, en même temps qu’il trace aux chrétiens une ligne de conduite qui n’est malheureusement que bien peu suivie. En commémoration de cette merveilleuse Providence qui nourrit pendant tant d’années un peuple tout entier dans un désert, Dieu voulut qu’un homer de manne fût recueilli dans un vase d’or et placé devant le témoignage à côté de l’arche sainte (cf. Hb. 9.4).
Cette nourriture comme telle, et cette substance considérée en elle-même, était quelque chose de tout à fait nouveau pour les Israélites, si bien qu’en la voyant pour la première fois couvrir le sol, ils se demandèrent les uns aux autres : Qu’est-ce que cela ? (en hébreux : man ; Exode 16.15), et ce nom interrogatif resta à ce pain descendu du ciel : man hou, qui signifiait qu’est ce que cela ? fut traduit : cela est de la manne. C’est la même question que firent plus tard les Juifs au sujet de Jésus le vrai pain céleste (Luc 4.36 ; 5.21 ; 7.49 ; 9.9 ; Matthieu 21.10), car il était pour eux une apparition également inconnue, mais plus bénie encore.
Outre les passages déjà cités, la manne est rappelée en Néhémie 9.20 ; Jean 6.31-49, 58 ; Psaumes 78.24 ; Apocalypse 2.17. Ce dernier passage contient une allusion évidente à l’urne d’or renfermant la manne ; la manne commune et corruptible du désert était la nourriture du corps mortel ; mais la manne cachée dans l’urne est incorruptible, c’est la nourriture du corps immortel.
Psaumes 78.24-25 : « ... qu’il eût fait pleuvoir sur eux la manne pour manger… L’homme mangea le pain des puissants ». Nos versions rendent exactement le sens de l’hébreux abirim, mais la phrase n’est pas claire et ne se comprend pas : la Vulgate, l’anglais, et Luther ont « le pain des anges », ce qui ne se justifie pas par l’usage de la langue ; Hengstenberg paraphrase : le pain venu des lieux habités par les anges ; Durck propose le pain des taureaux, qui d’après l’analogie de Sophonie 1.17, pourrait signifier la viande des taureaux ; abirim a en effet quelquefois le sens de taureaux (Psaumes 22.12 ; 50.13 ; 68.30 ; Ésaïe 34.7 ; Jérémie 50.11), et l’auteur entendrait que, outre la manne, Dieu a aussi donné aux Israélites de la chair à manger, ce qui ne s’accorde ni avec le sens du passage, ni avec l’histoire du désert. Dimock pense qu’au lieu de abirim il faut lire Élohim, ou Abir Jéhovah (cf. Exode 16.15-16 ; Jean 6.33), et traduire le pain de l’Éternel. Harris enfin prend abirim dans le sens de ailis pour oiseaux, « chacun mangea (outre la manne) du pain, c’est-à-dire de la chair d’oiseaux ; il leur envoya de la nourriture à les rassasier ». Mais toutes ces explications sont un peu recherchées, et la traduction française, qui est la plus littérale, n’a besoin que d’être comprise dans le sens du génie de la langue hébraïque ; le pain des puissants ou des riches, c’est un pain excellent, ou, d’une manière générale, une nourriture excellente. Dieu envoya aux Israélites la manne, le froment des cieux, tellement qu’au lieu de disette, chacun avait en abondance un mets très recherché, une nourriture agréable et délicate. L’auteur de la Sapience dit que la manne s’accommodait tellement au goût de ceux qui la mangeaient, que chacun y trouvait de quoi satisfaire son appétit, et quelques-uns l’ont entendu en ce sens qu’elle prenait pour chacun le goût particulier qu’il désirait y trouver. Josèpe dit plus simplement qu’elle était si excellente qu’on ne pourrait rien désirer de meilleur ; et saint Augustin, qu’elle se conformait au goût de ceux qui en usaient, en faveur des enfants de Dieu, lesquels ne s’en lassèrent pas, tandis que pour les autres elle ne fut plus bientôt qu’un objet de dégoût (Nombres 11.6).
La manne n’est pas une substance qui soit entièrement inconnue ou perdue : elle se retrouve encore en divers lieux, en Pologne, dans le Dauphiné, en Calabre, en Arabie, sur le Sinaï, sur le Liban, et ailleurs. La plus estimée est celle d’Arabie, espèce de miel condensé qui suinte des feuilles et des branches, et que l’on recueille quand elle a pris une certaine consistance. On peut augmenter de beaucoup la récolte qu’on en fait, au moyen d’incisions pratiquées à l’arbre, et c’est au mois d’août surtout que cette opération se fait avec le plus de succès ; parfois c’est un petit insecte, le coccus, qui se charge de piquer l’arbre avec son aiguillon, et de provoquer ainsi l’écoulement de la résine. Saumaise pense que c’est de cette manne qu’il est parlé dans l’histoire du désert, et que le miracle a consisté moins dans la production même que dans l’abondance et la régularité de cette production. Son opinion peut parfaitement se soutenir en ce sens qu’elle n’enlève rien à tout ce qu’il y a eu de miraculeux dans presque tous les détails de cette alimentation providentielle ; en général on peut remarquer dans la plupart des miracles de la Bible, qu’ils ne contrarient pas la nature, qu’ils ne sont pas des monstruosités en dehors du cours des choses ; mais qu’ils se distinguent soit par des modifications apportées à certaines lois, physiques, soit par l’accélération d’effets qui se produisent également dans la nature, mais lentement et suivant certaines règles, soit enfin par la multiplication, l’augmentation en nombre ou en volume, des effets que des causes physiques auraient aussi produits, mais en moindre quantité. Admettant que la manne céleste n’ait pas été une création nouvelle, le miracle reste dans son abondance, sa régularité, sa périodicité, interrompue le sabbat, mais précédée d’une quantité double de nourriture la veille, sa prompte corruption pendant la semaine, et sa conservation au septième jour, sa production au milieu des sables quand d’ordinaire elle ne se trouve que découlant des arbres, etc., tout autant de caractères qui ne sont point naturels, mais que Dieu a pu miraculeusement ajouter pour un temps à l’une des productions de la nature orientale, les uns pour conserver son peuple, les autres pour l’habituer au respect de la loi qu’il avait donnée. Disons cependant que les voyageurs donnent à la manne du désert quelques propriétés qui ne rendent pas l’identité absolue. Cette gomme qui découle goutte à goutte ne se laisse ni piler, ni broyer, comme faisait la manne israélite, et de plus elle a une vertu légèrement purgative et affaiblissante, qui se perd, il est vrai, pour celui qui, par un fréquent usage, en a pris l’habitude, comme on sait que l’estomac peut s’accoutumer à une nourriture qui lui est naturellement contraire.
Les Hébreux et les Orientaux pensent, à l’inverse de Saumaise, que la manne était un miracle, jusque dans la nature même de sa substance, et c’est bien, à tout prendre, l’opinion qui paraît le mieux justifiée par la lettre de l’Écriture ; mais ils sont tellement jaloux de la grâce que Dieu leur fit en cette occasion, qu’ils vont jusqu’à prononcer l’anathème contre ceux qui ne partagent pas entièrement leur manière de voir à cet égard (A bon Esr. ad Exode 16, 15.) ; c’est aller un peu loin.
On peut consulter sur la manne la Physique sacrée de Scheuchzer avec les notes de Donat, la dissertation de Faner, l’Hist. de la manne de Buxtorf, Saumaise, les Notes de Rosenmuller sur Bochart, le Traité d’Altomare, et un art. dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1816, t. II, p. 452, séance du 31 août.