On est d’accord sur le mot. Les interprètes ne peuvent faire autrement, en présence du vingtième chapitre de l’Apocalypse, que de reconnaître clairement un règne de mille ans comme prédit ; mais ils sont extrêmement divisés quant à la manière de le concevoir. Les uns le présument terrestre, comme un règne visible et personnel de Christ sur le monde vaincu et soumis, qui tentera cependant de se soulever une dernière fois. C’est proprement la théorie apocalyptique. Il y a quelques présomptions assez fortes, a priori, en faveur de cette idée.
1°. Pendant ce règne de mil ans, l’Église ne sera plus présente, car elle aura été ravie par le Seigneur qui viendra la prendre à lui, c’est le résidu d’Israël qui occupera la scène à ce moment-là comme ayant reçu la grâce nécessaire car il aura reconnu et reçu le Seigneur comme Sauveur, Messie et Roi.
2°. Les promesses faites aux Juifs sur le rétablissement de Jérusalem comme métropole du monde, et où son Messie enfin reconnu dominera en étendant sa loi sur tous les peuples, prophéties qui ont quelque chose de littéral et qui n’ont jamais eu d’accomplissement encore et n’en ont un possible que dans cette hypothèse (Jérémie 32.37-44 ; 33.20-24-26).
On explique le millénium terrestre par l’idée d’un grand jour sabbatique, en appliquant à ce jour d’une manière littérale le principe de Pierre : Un jour devant le Seigneur est comme mille ans. Ce serait le septième jour de l’œuvre entière de Dieu, le jour où cette œuvre serait pleinement bénie et sanctifiée. On aurait compté deux mille ans avant la loi, deux mille ans sous la loi, et deux mille ans sous le Messie. Christ, la lumière du monde, le vrai soleil de justice, venant à la fin du quatrième millénaire, correspondrait à la création du soleil qui eut lieu le quatrième jour. Le septième millénaire serait le grand sabbat, le grand repos terrestre auquel se rapporte cette promesse de l’Épître aux Hébreux, qu’il reste encore un repos pour le peuple de Dieu, et cet âge d’or décrit par Ésaïe, et cette déclaration de l’Apocalypse, qui nous représente Satan lié pour mille ans.
Pendant cet âge bienheureux, le Christ régnerait sur la terre visiblement, c’est-à-dire, selon les uns, par de grandes et fréquentes manifestations ; selon les autres, même personnellement comme roi, après avoir renversé les pouvoirs établis, les puissances terrestres, les royautés et les puissances, et concentré dans ses mains les rênes du gouvernement du monde entier. Les saints alors jugeraient le monde ; tel serviteur serait établi sur cinq villes, tel autre sur dix. Les saints du Souverain posséderaient le royaume selon l’oracle de Daniel, ce qui n’a jamais eu lieu ; les apôtres seraient assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël, comme le dit Jésus (Matthieu 19.28 ; Luc 22.30). Car, qu’est-ce que peut être ce royaume promis aux apôtres ?
La doctrine du millénium entendu de cette manière, rend nécessaire le sens littéral des deux résurrections dont parlent Paul (1 Corinthiens 15.23 ; 1 Thessaloniciens 4.16), et Jean (Apocalypse 20.4ss) ; d’après ce dernier passage, on est forcé de reconnaître que ce sont ceux-là seulement qui ont été mis à mort pour le témoignage de Jésus et pour la parole de Dieu que ressusciteront, lesquels n’ont point adoré la Bête ni son image, et n’ont point pris sa marque sur le front ou sur la main. Tous ceux qui vivront pendant le millénium ne seront pas des ressuscités.
Les partisans de la doctrine millénaire sont nombreux, et tendent à le devenir tous les jours davantage ; mais ils sont très loin de s’accorder entre eux pour les détails, et la diversité de leurs sentiments ne contribue pas peu à en rendre l’exposition difficile ; on peut s’en convaincre par la lecture des ouvrages qui ont paru sur ce sujet, ces dernières années.
Les difficultés du sujet sont grandes et commandent la prudence, mais on oublie parfois qu’il faut être prudent des deux côtés. Spener, par exemple, était plus que prudent lorsque, interrogé sur ce qu’il pensait du chiliasme, il répondait « que, s’il y avait des idées fausses et condamnables sur le millénium, il y en avait aussi de vraies ; qu’on ne devait pas, en conséquence, taxer d’hérésie et exclure de l’Église quiconque admettait un chiliasme : d’autant plus que la confession d’Augsbourg ne le rejetait pas d’une manière absolue, mais qu’elle condamnait seulement une certaine manière de le comprendre ».
Ailleurs cependant il se prononce avec plus de clarté : la conversion des Juifs, la ruine de la Rome antichrétienne, et une époque florissante pour l’Église sur la terre, sont les principaux éléments de son système. Pour les Juifs, il se fonde sur Romains 11.25 et Osée 3.5 ; si tous les individus ne se convertissent pas, ce sera le cas au moins de la grande masse, et ainsi tout Israël sera sauvé. Le chapitre 18 de l’Apocalypse : « Elle est tombée, la grande Babylone, etc., » lui semble prédire la chute de toutes les religions qui n’ont pas Christ comme Sauveur et Seigneur, et par conséquent la destruction de l’empire de l’antechrist, bien qu’il puisse en demeurer encore quelques restes épars et sans force. Enfin il croyait voir l’annonce de beaux jours pour l’Église dans le chapitre 20 de l’Apocalypse ; sans doute il ne pouvait pénétrer le sens obscur de ce passage ; mais il voyait bien clairement qu’il y était question d’un règne de mille ans de Christ avec ses saints, règne qui évidemment n’avait point encore commencé, et qui était tout entier à venir ; il ferait partie du règne de la grâce sur la terre, et se terminerait par le passage au règne de la gloire. Il n’ose point se prononcer sur la durée précise de cette époque, ni sur la nature de cette félicité, toutefois ce ne sera point un règne terrestre et mondain ; le règne de Christ n’est point de ce monde, bien qu’il doive avoir lieu dans ce monde.
Presque toutes les difficultés dans l’examen de cette question viennent de ce que l’Apocalypse présente, sous une autre forme que le reste des livres du Nouveau Testament, la doctrine de la fin de toutes choses, et de ce qu’il répugne au sentiment naturel du chrétien d’associer un règne de Christ aux misères de ce monde maudit. Il nous semble au contraire que la terre, qui toujours a suivi parallèlement l’histoire de l’humanité, doit, comme elle, être en quelque sorte régénérée, convertie avant sa destruction (et elle le serait par le règne de Christ), pour être rendue digne d’être renouvelée et de devenir éternelle, en passant, comme l’homme, par la mort de la destruction qui marquera les derniers temps et le dernier jour.