(hébreu Nazir)
C’est le nom que la loi de Moïse donnait à l’Israélite, homme ou femme, qui faisait pour un temps ou pour la vie entière le vœu du nazaréat, professant la sobriété en toutes choses, et renonçant complètement au vin, au vinaigre, aux raisins, à tout ce qui tenait de près ou de loin aux produits de la vigne, naturels, travaillés ou fermentes, laissant croître ses cheveux sans y toucher, évitant toute souillure cérémonielle ou réelle, et recommençant toutes les cérémonies de sa consécration au nazaréat (Juges 13.14), lorsqu’il avait été souillé fortuitement, comme par la vue d’une personne morte en sa présence, ou dont il aurait trouvé le cadavre sur son chemin (Nombres 6.1-2 ; cf. Amos 2.11-12).
Si les catholiques ont vu dans cette institution le germe du monachisme, ils doivent reconnaître que ce germe renfermait de tout autres éléments que ceux qu’on leur a substitués ; la fainéantise était bien loin de constituer une partie intégrante du nazaréat, et le mariage était si peu compté parmi les impuretés, même cérémonielles, qu’il n’en est pas seulement fait mention dans les prescriptions données à ce sujet, et que Samson, le nazaréen à vie, était marié. Lorsque le temps du nazaréat était accompli, la personne qui avait fait le vœu se présentait au temple, offrait un mouton en holocauste, une brebis d’un an en sacrifice d’expiation, un bélier en sacrifice d’actions de grâces, une corbeille pleine de gâteaux sans levain de fine farine, enfin l’huile et le vin nécessaires à toutes les libations. Le prêtre alors coupait les cheveux du nazaréen, et les brûlait sur le feu de l’autel ; puis il mettait entre les mains du nazaréen l’épaule cuite du bélier, un pain et un gâteau, pour les reprendre ensuite et les offrir à l’Éternel en offrande tournoyée (Nombres 6.1ss).
Plusieurs de ces cérémonies avaient également lieu lors de la consécration des prêtres (Lévitique 8.26). Si l’on se rappelle que l’usage du vin et du vinaigre était presque général en Palestine, que dans ces climats chauds le poids d’une longue chevelure était fort incommode, que les cas de souillure cérémonielle étaient passablement multipliés, et que l’on tienne compte des frais considérables que l’accomplissement du vœu entraîne, on comprendra que le nazaréat, même à temps, était un vœu considérable. Aussi les personnes riches qui ne se trouvaient pas en état, ou qui n’avaient pas le loisir d’en observer les cérémonies, cherchaient-elles souvent à s’associer en quelque sorte aux nazaréens, en participant aux frais des sacrifices. Ceux qui faisaient le vœu du nazaréat hors de leur patrie se contentaient d’observer les abstinences marquées ; ils se coupaient les cheveux au lieu où ils se trouvaient à l’expiration de leur vœu, et les offraient plus tard, ou les faisaient offrir par d’autres dans le temple, avec les victimes et les offrandes ordonnées. Samson, Samuel et Jean-Baptiste sont les seuls exemples de nazaréat à vie que nous présente l’Écriture (Juges 13.4-14 ; 1 Samuel 1.12 ; Luc. 1.15). Lorsqu’un enfant à naître était ainsi voué au nazaréat perpétuel, sa mère observait à sa place, jusqu’au moment de sa naissance, les prescriptions de la loi. Les rabbins opposent au nazaréat perpétuel celui de Samson qui leur paraît avoir été moins rigoureux que le premier, attendu que Samson a plusieurs fois vu et touché des corps-morts (Juges 14.15), sans qu’il soit fait mention de sacrifices purificatoires qu’il ait offerts.
On trouve chez presque tous les anciens peuples quelques cérémonies semblables à celles du nazaréat, et l’on remarque en particulier que les Égyptiens, les Syriens, les Grecs et les Romains avaient l’habitude d’offrir leurs cheveux et leur barbe dans les temples de leurs divinités, comme, de plus, certaines coutumes d’abstinence étaient imposées aux prêtres de l’Égypte ; quelques auteurs, Porphyre, Spencer, Michaêlis, ont cru voir dans le nazaréat hébreu une tradition de l’Égypte, mais les analogies sont en elles-mêmes trop vagues pour qu’on puisse en tirer une conclusion pareille, et l’on doit se rappeler que loin de vouloir établir un lien, Moïse a toujours creusé un abîme entre les coutumes de son peuple et celles des nations voisines. Le nom de nazaréen se prenant encore dans plusieurs sens différents, nous sommes appelés à considérer de plus près les passages suivants.
1°. Joseph est appelé le nazaréen d’entre ses frères (Genèse 49.26). Les Septante traduisent ce terme par chef, celui qui est honoré, et si l’on a égard à la signification primitive de nézer, on comprendra que Joseph ait pu être ainsi désigné ; le nom de nazir ou nezir était d’ailleurs comme il est encore dans plusieurs cours d’Orient, un nom de dignité, de charge publique, correspondant aux fonctions de vice-roi que Joseph exerçait en Égypte. Peut-être aussi, et dans le cantique du vieux Jacob il semble que cela aurait été plus naturel, le nom de nazaréen désignait-il simplement que Joseph avait été mis à part, choisi de Dieu pour lui être saint, et pour être le bienfaiteur de ses frères, celui devant qui sa famille se prosternerait.
2°. Quelques auteurs ont entendu du nazaréat temporaire le vœu que fit Paul en deux circonstances de sa vie (Actes 18.18 ; 21.24), mais ce n’est qu’une hypothèse, et nous en reparlerons aux art. Paul et Vœu.
3°. Dans plusieurs passages du Nouveau Testament (Actes 2.22 ; 22.8 ; 24.5), on lit nazorèen au lieu de nazaréen, et ce simple changement de voyelle donne au mot une signification comme une étymologie différente, remplaçant la couronne par le mépris ; voir plus loin.
4°. Nazaréen désigne souvent un homme natif de Nazareth, quel qu’il soit, et sans qu’aucune idée, autre que celle du fait, s’y rattache (Marc 10.47 ; Actes 4.10).
5°. Une prophétie citée par Matthieu d’après laquelle Jésus devait être appelé Nazaréen (2.23). Il est évident que, selon cet apôtre, il y a un rapport intime entre le séjour de Jésus à Nazareth et le surnom de Nazaréen qui lui avait été donné ; il faut donc dès l’abord rejeter l’explication de ce nom tirée du nazaréat (Nombres 6.2), quelque respectables et nombreux que soient les soutiens de cette opinion ; ce serait un jeu de mot assez mauvais, et d’autant plus que les prophètes n’ont jamais annonce Jésus-Christ comme devant être Nazaréen. Il faut donc supposer que le nom de Nazareth, ou d’habitant de Nazareth, renferme une idée qui, d’après les prophéties, devait être un attribut de Christ ; cette idée peut, ou bien se trouver dans l’étymologie de ce nom, ou bien se rattacher à l’opinion publique.
On sait qu’une assez mauvaise renommée pesait sur Nazareth, et qu’il suffisait d’en être originaire pour être méprisé (Jean 1.47 ; 7.52). Or ce que les prophètes annoncent, c’est que le Christ sera méprisé de ses contemporains (Psaumes 22.7-8 ; Ésaïe 53.3). Peu importe ce que l’on a dit ; que les Nazaréens n’étaient pas plus méprisés que les autres Galiléens ; l’un et l’autre reviennent au même, les deux noms servent également de termes d’injure ; cependant en examinant Jean 1.47, on trouvera que Nazareth était plus particulièrement méprisé, puisque le reproche en est fait, dans un entretien amical, par Nathanaël à Philippe, ces deux hommes étant l’un et l’autre Galiléens. Il faut ajouter que le nom de Nazaréen prêtait bien plus que celui de toute autre ville de la Galilée, aux mauvaises plaisanteries auxquelles les Juifs étaient assez enclins ; en changeant nazar en nazor (méprisé), les Juifs pouvaient exprimer d’une manière très directe et fort simple le mépris qu’ils avaient pour ces gens-là (voir 3°), et il est bien vraisemblable qu’en appellent notre Sauveur et ses disciples de ce nom, avec ou sans le jeu de mots, ils avaient l’intention de jeter sur eux du ridicule ; dans ce cas (et surtout si Matthieu a écrit en hébreu ou en syriaque), ces paroles devaient avoir une très grande force : « on lui a donné le surnom de Nazareth, ainsi que les prophètes ont annoncé qu’il serait en butte à toutes les moqueries de Ses ennemis ». On comprend alors aussi la parole de Jésus à Saül : « Je suis ce Nazaréen que tu persécutes ».
Quant à l’interprétation tirée de l’étymologie, et mise en avant par Jérôme, elle se fonde sur le sens de nezer, rejeton, buisson ; Matthieu ferait ressortir alors que, de même que les prophètes ont appelé Jésus un rejeton (Ésaïe 11.1), un germe (Ésaïe 4.2 ; Zacharie 6.12), de même les impies, probablement sans le savoir, lui ont donné le nom de rejeton, habitant issu de la ville des rejetons.
On a cru trouver dans le nazaréat l’explication de Luc 22.18.On a dit : Israël d’abord, puis les gentils en la personne de Pilate, ayant répudié l’envoyé du Père, et mis hors de la vigne le grand dépositaire de toute bénédiction, de toute puissance et de toute autorité, Jésus, dès l’institution de la cène, a pris en quelque sorte, relativement à la terre, le signe du nazaréat et l’a gardé jusqu’à ce jour. C’est pourquoi, dans la dernière pâque qu’il célèbre avec ses disciples, il leur dit : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’à ce que le règne de Dieu soit accompli ; » indiquant par là qu’il allait être séparé du monde et n’attendrait plus aucune joie du présent siècle jusqu’au jour où il recevra le royaume de la main du Père. Il est le nazaréen par excellence ; ses disciples doivent l’imiter (Guers).