On peut voir aux différents articles quels étaient les aliments dont, parmi les Hébreux, les riches et les pauvres se servaient le plus habituellement. La loi avait jusqu’à un certain point réglé sous ce rapport leur mode de vivre, et leur avait interdit absolument l’usage des viandes suivantes, soit pour des raisons hygiéniques, soit par des motifs de gouvernement intérieur, pour attacher les Hébreux à l’agriculture, ou pour élever entre eux et les peuples païens une barrière infranchissable.
1°. Toute bête morte de mort naturelle, ou trouvée dans les champs déchirée par quelque animal sauvage. Celui qui en avait mangé devait se baigner et laver ses habits, et il était regardé jusqu’au soir comme entaché de souillure légale (Exode 22.31 ; Lévitique 17.13 ; Deutéronome 14.21 ; cf. Ézéchiel 4.14). Le Nouveau Testament appelle ces viandes du nom général de bêtes étouffées, c’est-à-dire dont la vie ne s’en est pas allée régulièrement avec le sang, mais a été en quelque sorte comme comprimée et étouffée intérieurement (Actes 15.20-29 ; 21.25). Moïse le rattache à la sainteté devant Dieu et à l’isolement dans lequel son peuple doit vivre du monde et de ses souillures.
2°. Le sang et toute chair sanglante, le poisson peut-être excepté (Lévitique 3.17 ; 7.26 ; 17.10-14 ; 19.26 ; Deutéronome 12.16-23 ; cf. 1 Samuel 14.32 ; Ézéchiel 33.25 ; Actes 15.20). L’usage en était interdit sous peine de mort (Lévitique 7.27 ; 17.10). Cette défense reposait, soit sur l’idée que l’âme de la bête est dans son sang, soit aussi sur le fait que le sang des animaux appartenait à l’Éternel, comme expiation des péchés (Deutéronome 12.23 ; Lévitique 17.11) ; peut-être aussi était-ce une interdiction destinée à faire ressortir la coutume criminelle des Phéniciens et d’autres peuples païens qui dans leurs sacrifices mangeaient du sang, ou le mêlaient avec du vin pour le boire (cf. Psaumes 16.4). Un principe d’humanité s’y rattachait également, et les Hébreux devaient puiser dans l’horreur du sang l’horreur de la cruauté envers les animaux.
3°. Certains morceaux de la graisse du bœuf, de la chèvre et de la brebis, notamment la queue, ordinairement très fournie de graisse, de ce dernier animal. Ces morceaux comme plus succulents revenaient de droit au service de l’autel (Lévitique 7.25 ; cf. 3.14), voir Offrande. Au point de vue de la santé publique, cette défense était un bienfait, car dans ces climats brûlants où les maladies de la peau sont si communes, si invétérées, et parfois si dangereuses, il importait d’empêcher autant que possible l’usage des graisses parmi le peuple ; la culture assidue des olives, dont l’huile était le seul assaisonnement des viandes, était indirectement encouragée par ce moyen, et les Hébreux, en recherchant les graisses végétales qui leur étaient seules permises, se tournaient avec courage vers les travaux des champs.
4°. Le chevreau cuit ou rôti dans le lait ou la graisse de sa mère (Exode 23.19 ; 34.26 ; Deutéronome 14.21). Le motif de cette défense n’est pas très clair. Michaélis pense qu’il s’agit d’une brebis-mère en général, et plus généralement encore, d’un animal quelconque, de manière que la défense de Moïse reviendrait à une interdiction absolue de tout assaisonnement animal des viandes ; ce serait alors, soit au point de vue sanitaire, soit sous le rapport agricole, une mesure du genre de la précédente. D’autres y ont vu une accommodation à un préjugé existant alors et maintenant inconnu ; d’autres, un principe d’humanité envers les animaux domestiques, et en quelque sorte un symbole de l’amour maternel qui ne saurait se prêter à servir aux funérailles sanglantes de son fruit ; voir Chèvre. Je ne sais si peut-être cette loi, qui gênait certainement les ventes et les achats en mettant les acheteurs dans la crainte continuelle d’une transgression involontaire, ou dans la laborieuse obligation d’examiner et la naissance d’un chevreau, et l’origine du lait acheté, ne devait pas avoir aussi pour résultat, sinon pour but, de favoriser la consommation intérieure, d’entraver le commerce et d’empêcher ainsi d’une part une trop grande augmentation de richesses, de l’autre la pauvreté provenant de l’aliénation des biens ; en attendant mieux, je soumets cette explication à ceux qui voudront bien l’examiner ; elle me paraît se recommander autant que les précédentes, et pouvoir se combiner avec elles dans le système alimentaire de l’économie hébraïque.
5°. Les viandes sacrifiées aux idoles (Exode 34.15), défense maintenue comme les deux premières par la loi nouvelle (Actes 15.29 ; 21.25). Dans les villes païennes ces viandes étaient, après avoir été présentées, vendues sur la place du marché, et l’apôtre donne des directions sur la conduite à tenir dans ce cas (1 Corinthiens 10.25s). Les Juifs postérieurs appliquèrent même cette défense au vin, au pain, et aux gâteaux fournis par les païens, attendu que ces aliments pouvaient avoir servi dans un sacrifice ; quelques auteurs ont voulu, non sans raison, entendre dans ce sens les répugnances et les refus de Daniel et de ses trois amis (Daniel 1.8ss).
6°. La cuisse des animaux purs à l’endroit du muscle où la hanche de Jacob fut démise (Genèse 32.25). La viande de tous les animaux déclarés impurs (Lévitique 11.1-31 ; Deutéronome 14.1-19), leur lait n’était pas compris dans cette défense. Ces animaux étaient : a) les quadrupèdes qui ruminent, sans avoir l’ongle entièrement divisé, dessus et dessous, comme les lièvres, le porc, le chameau ; b) tous les serpents et reptiles ; c) les amphibies et animaux qui vivent dans l’eau sans écailles et nageoires ; d) tous les insectes, sauf ceux qui ont comme les sauterelles quatre pieds pour marcher, et deux pour sauter ; e) une vingtaine d’espèces d’oiseaux énumérées dans les passages indiqués, mais dont les noms ne peuvent pas tous être traduits d’une manière sûre ; celles que l’on connaît avec certitude sont l’aigle, le vautour, l’autruche, les chouettes et le pélican ; on peut voir sur ces oiseaux leurs différents articles. Comme il n’y a ici qu’énumération, sans que les caractères d’impureté soient indiqués, les Juifs regardent comme purs tous ceux qui ne sont pas expressément défendus ; il paraît cependant par la nature de ceux de ces oiseaux que nous connaissons, ou que nous croyons connaître, qu’une nourriture animale était le trait distinctif qui constituait un oiseau impur. Les rabbins ont cherché à définir ces caractères, et ils en indiquent quatre.
Comme fondement et source de toutes ces prescriptions, se trouvait avant tout le principe théocratique (Lévitique 20.24) ; mais il s’y mêlait, ainsi que nous l’avons vu, un grand nombre d’idées secondaires, hygiéniques, économiques, politiques et autres ; c’est leur réunion qui peut le mieux expliquer le nombre et la nature de ces défenses, quoique tel de ces points de vue soit peut-être plus évident dans un cas, et tel autre dans un autre cas. Les Juifs observèrent toujours minutieusement la distinction des animaux en purs et impurs, et ce ne fut que dans des cas de famine (2 Rois 6.23), que la nécessité les contraignit à manger des viandes souillées ; les persécutions dont ils furent l’objet plus tard, les trouvèrent inébranlables, et ils se laissèrent mettre à mort plutôt que de consentir à manger du pourceau (1 Maccabées 1.65 ; 2 Maccabées 6.18 ; 7.1). Plusieurs rabbins mêmes, sages au-delà de ce qui est écrit, regardèrent comme un péché de posséder des animaux impurs, tels que des chiens, tandis que la loi n’en interdisait que la viande. La loi n’avait pas prononcé de peine contre l’usage illicite d’une viande souillée, les rabbins établirent la flagellation, alors même qu’on n’en aurait mangé que la grosseur d’une olive ou d’une lentille.
Plusieurs peuples de l’antiquité ont connu une distinction des animaux, et avaient admis, mais pour d’autres motifs, l’interdiction de certaines viandes ; ainsi les Égyptiens, qui avaient leurs animaux sacrés, bœufs, chats, etc., qu’ils adoraient, ne permettaient pas qu’on s’en nourrît, et c’est peut-être à une raison de ce genre qu’il faut attribuer l’habitude qu’ils avaient de ne point manger avec des étrangers (Genèse 43.32). L’école pythagoricienne avait quelques principes analogues ; d’autres castes s’interdisaient l’usage du poisson, par des raisons hygiéniques et presque morales ; les Indous, et leur philosophe Menou, avaient une foule de préceptes qui rappellent ceux des Hébreux à l’égard des viandes ; Mahomet enfin en a reproduit un certain nombre dans son Coran, et les prêtres du catholicisme, fidèles à leur moyen âge, ont emprunté au judaïsme aboli, et au paganisme qu’ils condamnent, des interdictions de viande, déjà annoncées par Paul, qui appelle en conséquence ces docteurs « des révoltés de la foi, adonnés aux doctrines des démons » (1 Timothée 4.1-3).