Ce nom, dont la signification revient en grec à celle de chef de famille, est employé dans cette signification générale en parlant de David et des fils de Jacob dans le Nouveau Testament (Actes 2.29 ; 7.8-9). Dans un sens plus restreint, il désigne les fondateurs de la nation juive, et les pères du genre humain, ou plutôt parmi eux et d’une manière plus particulière, ceux qui appartiennent à la ligne directe dans laquelle se sont perpétuées les promesses, ainsi, parmi les enfants d’Adam, la ligne de Seth, parmi ceux de Noé, la ligne de Sem, parmi ceux de Héber, celle des Hébreux, Térakh, Abraham, Isaac, etc. Ordinairement, et, d’après une espèce de convention tacite mais universelle, on regarde Jacob comme le dernier des patriarches. Dans ce sens, le Nouveau Testament ne donne ce nom qu’au seul Abraham (Hébreux 7.4).
Leur histoire, que l’on trouvera sous chaque article particulier, ne peut nous occuper ici, nous nous bornerons à quelques observations sur le grand âge auquel ils sont tous parvenus, problème tout ensemble de physiologie et de chronologie, qu’il ne s’agit du reste pas de résoudre, mais d’expliquer. La moyenne de leur vie depuis Adam jusqu’à Noé, Énoch excepté, est de 900 ans ; depuis Sem dont les jours ne sont plus que de 600 ans, la vie des patriarches va en diminuant : Joseph meurt à 110 ans. Quelques rapprochements ont de l’intérêt ; un seul homme sert de chaînon entre la création et le déluge, entre Adam et Noé, c’est Méthusélah qui a vu l’un et l’autre, qui a vécu 243 ans avec le premier et 600 ans avec le second ; ou bien Énosh, petit-fils d’Adam, qui a vécu 695 ans avec son aïeul, et 84 ans avec Noé ; ou bien encore Kénan, Mahalaléel, Jared, qui tous ont vu le premier et le dernier homme de l’ancien monde, ces trois derniers ayant vécu avec Noé 179, 264 et 366 ans. Dans le nouveau monde, Noé vit encore 128 ans avec le père d’Abraham, et ne meurt que 2 ans avant ce patriarche, de sorte qu’entre Adam le père des hommes, et Abraham le père des croyants, pour un espace d’environ 21 siècles, nous ne trouvons que trois chaînons nécessaires, Seth, Noé, et Térakh. De ces longues vies, et de ces synchronismes si étendus, il résulte évidemment une très grande sûreté pour les traditions historiques, de grandes garanties pour l’exactitude de l’histoire des premiers temps.
La longévité des patriarches a trouvé bien des incrédules, et ceux qui, respectant l’autorité de l’Écriture, désirent n’en admettre que ce qu’ils veulent croire, ont cherché à concilier leur respect avec leur raison ou leurs habitudes. De là, quelques-uns ont entendu de familles entières les chiffres qui indiquent l’âge des patriarches ; idée malheureuse, car on ne peut pas dire que la famille d’Adam se soit éteinte au bout de neuf cent trente ans ; que la famille d’Énoch ait été enlevée tout entière pour être avec Dieu ; que la famille de Noé, outre ses trois fils, soit entrée dans l’arche, etc. On a donc cru faire quelque chose de plus raisonnable en diminuant la longueur des années, et on les a prises pour des mois ; mais cette hypothèse arbitraire, que rien ne justifie, amène le résultat ridicule de Mahalaleël ou de Hénoc, pères de famille à l’âge de cinq ans et demi. Il a donc fallu allonger un peu ces années d’un mois, et on les a faites de trois mois ; mais, d’après ces calculs, on arrive déjà à des vies de plus de deux siècles, ce qui répugne moins sans doute, mais toujours un peu, à ceux qui veulent que ce qui est maintenant ait toujours été ; d’ailleurs l’histoire du déluge, avec ses douze mois de trente jours (Genèse 7.11-24 ; 8.3-5, 13-14), renverse complètement toute hypothèse de cette nature. On n’a donc que le choix d’accepter les chiffres avec leur valeur historique, ou de les considérer comme les rêves mythiques des premiers poètes qui ont composé les origines du monde et les premiers temps du genre humain. La seule objection qu’on élève contre le grand âge des patriarches, et contre le récit biblique, n’est véritablement pas sérieuse ; on n’arrive plus de nos jours, dit-on, à une pareille vieillesse, on n’y est donc jamais parvenu. Mais on ne trouve plus maintenant non plus le mammouth, ni l’iguanodon avec ses 20 mètres de longueur, ni la bête de l’Ohio qui était plus grande que l’éléphant, et avait des défenses de plus de 4 mètres de longueur, ni cette espèce de cerfs dont le crâne pesait 40 kg, et dont le bois, avec ses ramifications, comptait 5 mètres. Et si le règne animal, avant le déluge, avait des proportions parfois colossales, et supérieures à celles auxquelles il a été réduit dès lors, qu’y aurait-il d’étrange à ce que la race humaine elle-même eût participé à ces proportions plus fortes, à cette constitution plus robuste, à cette vie plus longue ? Ce n’est pas, du reste, que nous voulions rattacher la longévité à un plus ou moins grand développement physique de la taille de l’homme. Faisant abstraction de l’action de Dieu, qui a certainement dû intervenir pour faciliter un rapide accroissement de la population du globe, et le maintien des vérités traditionnelles, on peut comprendre qu’une vie dont la longueur nous surprend, fût le partage d’hommes chez qui la sève de la création, si l’on peut s’exprimer ainsi, avait encore quelque chose de sa force première ; d’hommes qui vivaient dans un milieu plus pur et moins altéré, dans une atmosphère peut-être moins corrompue ; d’hommes dont la vie était sobre, et qui ne connaissaient ni le vin, ni la viande, dont toutes les occupations étaient saines, et qui vivaient en plein air, au milieu de leurs champs et de leurs troupeaux. Si chaque génération perd sur celle qui la précède quelques mois dans la moyenne de sa durée, cette perte devait être beaucoup plus considérable dans les premiers temps du monde, alors que l’homme passait de l’immortalité à la mort ; par conséquent aussi, en remontant en arrière, chaque génération devait avoir une durée plus longue que celle qui la suivait. Et si les désordres des pères frappent la santé de leurs enfants, cette influence devait être moindre dans un temps où la sensualité ne se satisfaisait qu’avec peine, dans une famille surtout dont le caractère était la recherche de la sainteté, et dont un des membres fut enlevé avant le temps pour être avec Dieu. « Jusqu’au déluge, dit Bossuet, toute la nature était plus forte et plus vigoureuse ; par cette immense quantité d’eaux que Dieu amena sur la terre, et par le long séjour qu’elles y firent, les sucs qu’elle enfermait furent altérés ; l’air, chargé d’une humidité excessive, fortifia les principes de la corruption, et la première constitution de l’univers se trouvant affaiblie, la vie humaine, qui se poussait jusques à près de mille ans, se diminua peu à peu ».
Cette tradition de longévité, d’ailleurs, n’appartient pas à la Bible seule ; la mémoire en a été conservée chez plusieurs auteurs païens.