Cette forme extérieure de bienveillance, cette espèce de bienveillance de surface, provisoire, transitoire, que son nom caractérise seul parfaitement, et qui accompagne souvent, et supplée quelquefois, la bienveillance du cœur, la bonté, l’amitié, a eu de tout temps chez les Orientaux un développement et des proportions beaucoup plus considérables que chez les Européens, moins formalistes et plus positifs.
Les anciens Hébreux ne faisaient pas exception sous ce rapport aux usages des peuples au milieu desquels ils vivaient isolés, et nous trouvons dans l’Écriture la trace de la plupart de ces coutumes qui se sont perpétuées jusqu’à nos jours en Orient. En se rencontrant ou en se séparant (2 Samuel 18.21), les inférieurs saluaient profondément leurs supérieurs, quelquefois jusqu’à terre suivant la distance sociale qui les séparait (Genèse 19.1 ; 23.7 ; 2 Samuel 9.8), même à plusieurs reprises (Genèse 33.3 ; 1 Samuel 20.41), devant des princes, des gouverneurs, des hommes haut placés ; on avait même l’habitude de se jeter par terre, à leurs pieds, ou de se mettre à genoux (Genèse 42.6 ; 44.14 ; 50.18 ; 1 Samuel 25.23 ; 2 Samuel 1.2 ; 14.4 ; 19.18 ; 2 Rois 1.13 ; Matthieu 2.11 ; 27.29 ; etc.). On ne voit pas d’exemples de l’usage actuel démettre la main droite sur la poitrine, en inclinant la tête devant un supérieur. Si un inférieur étant à cheval rencontrait un de ses supérieurs, il descendait de sa monture pour faire les révérences d’usage (Genèse 24.64 ; 1 Samuel 25.23). Il n’est pas dit, mais il est probable qu’en pareil cas les Hébreux de la classe inférieure, comme les anciens Égyptiens et les Arabes de nos jours, sortaient du chemin pour laisser un libre passage à la personne plus élevée qu’ils rencontraient.
Les formules de la salutation étaient simples ; elles exprimaient des vœux de bénédiction (Genèse 43.29 ; 1 Samuel 25.6 ; Juges 6.12 ; cf. Ruth 2.4), où nous voyons à la fois le salut et sa réponse ; ou bien c’étaient des informations touchant l’état de la santé (2 Samuel 20.9 ; 2 Rois 4.26 ; Juges 18.15 ; 1 Samuel 10.4), et cette dernière habitude était tellement générale qu’on disait : demander à quelqu’un comment il se porte, pour le saluer. Le salamalec des Arabes n’est autre sous ce rapport que le shalom aléka des Hébreux : paix te soit ! On accompagnait les partants d’un souhait de prospérité. Il arrivait quelquefois aussi qu’au lieu de se borner à une simple et courte salutation, les Hébreux qui se rencontraient s’adressaient de longues et verbeuses formules de bienveillance (1 Samuel 25.6), et c’est à ces longueurs que font allusion les défenses mentionnées (2 Rois 4.29 ; Luc 10.4). Les voyageurs modernes, Niebuhr, Arvieux, Russe !, racontent que les Orientaux, et, en général, presque tous les peuples à moitié civilisés, ont conservé l’usage de ces salutations circonstanciées, qui sont inutiles et fastidieuses pour des hommes occupés, et plus attachés à la réalité qu’aux formes de la politesse.
Dans la conversation, l’inférieur parlait de lui-même à la troisième personne, en se disant le serviteur de celui à qui il s’adressait, et en l’appelant mon seigneur, ou même mon maître, si c’était un prophète ou quelque personnage très distingué par son rang (Genèse 18.3 ; 19.2 ; 24.18 ; 43.28 ; Juges 19.19 ; 1 Samuel 26.18 ; 2 Rois 5.13 ; 6.21 ; 13.14 ; etc.) ; parfois même, pour mieux marquer son respect, l’inférieur se rabaissait jusqu’à se donner des titres injurieux, comme chien, ou chien mort (2 Samuel 9.8 ; 2 Rois 8.13). Il paraît que les Juifs postérieurs poussèrent le scrupule dans leurs rapports avec les païens jusqu’à refuser de les saluer (Matthieu 5.47), comme, en Égypte et en Syrie, les chrétiens et les mahométans de nos jours passent encore à côté les uns des autres sans remplir ce devoir de politesse.
Une convention tacite avait, à la même époque, dispensé de répondre à un salut certaines personnes, et presque certaines classes, notamment les nommes attachés au clergé, et entourés d’une réputation de vertu et de piété, ce qui n’empêchait pas ceux-ci de rechercher les salutations avec une petitesse d’amour-propre et de vanité qui leur a mérité les reproches de notre Sauveur (Marc 12.38 ; Luc 11.43 ; 20.46). La place de droite, à table ou ailleurs, était déjà, dans l’antiquité hébraïque, la place d’honneur (1 Rois 2.19 ; Psaumes 45.9 ; Matthieu 25.33). Les témoignages du respect, de la joie, ou de la reconnaissance publique, rendus à un monarque, consistaient dans des cris d’allégresse, parmi lesquels on distinguait celui de : Vive le roi ! Lorsqu’on le pouvait, on y joignait de la musique instrumentale (2 Samuel 16.16 ; 1 Rois 1.40 ; 2 Rois 9.13) ; on couvrait le chemin de tapis, de vêtements, et le peuple qui était trop pauvre, de branches d’arbres ou de fleurs, (2 Rois 9.13 ; Matthieu 21.8) ; et, si le personnage qu’on attendait faisait son entrée de nuit, on l’escortait avec des flambeaux (2 Maccabées 4.22).
On peut voir aux articles Âge, Baiser, Salive, d’autres préceptes relatifs à la politesse. Quelques autres détails encore sont conservés par les rabbins, ainsi l’habitude de saluer celui qui éternue, et de lui souhaiter du bien, l’éternuement étant regardé comme un présage en général fâcheux. Dans le texte de 1 Rois 16.11 ; 21.21, le mot qui a été traduit par homme, ou, pour mieux dire, qui n’a pas été traduit, fait allusion à un acte qui dénote une éducation grossière, et peut-être un manque affecté de respect ; il y a dans l’hébreu : « depuis celui qui urine contre la muraille », c’est-à-dire depuis l’homme le plus commun, ou depuis l’enfant, le gamin, « jusqu’à un chien ».