La Palestine et les contrées qui l’avoisinent, surtout les lieux déserts de l’Égypte et de l’Arabie, étaient, dans les temps anciens, fort riches en serpents, gros et venimeux. Forskal a distingué, en Égypte et en Arabie seulement, huit espèces de couleuvres. Les serpents de Syrie ont, d’après Russel, la réputation de n’être que peu ou point malfaisants. Toute cette espèce d’animaux fut naturellement classée parmi les viandes dont l’usage était interdit aux Israélites (Lévitique 11.10-41). On compte au moins huit noms hébreux pour désigner différentes sortes de serpents. Calmet va jusqu’à onze ; mais il met dans cette catégorie le képhir, qui signifie jeune lion (Ézéchiel 19.2-3), le tsabouah, c’est-à-dire l’hyène, ou des bêtes sauvages en général (Jérémie 12.9), le tsïtnmaôn, un lieu désert et aride (Ésaïe 35.7), et le shachal, qui est encore un lion. Il convient, du reste, pour ces quatre mots, que la traduction de sa Vulgate est fort loin d’être sûre. Quant à une désignation bien claire des sept ou huit espèces mentionnées dans la Bible, on ne saurait la donner, et l’on doit se borner à des présomptions, les noms de ces espèces n’étant généralement pas accompagnés de détails qui les fassent reconnaître ; cependant, lorsqu’à ces détails qui mettent sur la voie, se joint une analogie du nom dans les langues voisines, l’arabe surtout, la présomption devient vraisemblable, et la possibilité devient probabilité.
1°. Le tsèphah ou tsiphehoni, et
2°. le shephiphon, désignent le céraste ou couleuvre cornue.
3°. Le péthen, voir Aspic.
4°. Le kippoz, que le prophète représente comme pondant des œufs et les couvant (Ésaïe 34.15). On a cru d’abord que c’était une espèce d’hirondelles ; nos versions même l’ont traduit par martinet. On est d’accord maintenant à penser qu’il s’agit du serpent que les Grecs nommaient « le dard », et les Latins anguis jaculus ; il est très commun en Arabie et en Afrique ; il se jette sur sa proie avec la rapidité de la flèche. Les Septante, le chaldéen et saint Jérôme, traduisent par hérisson.
5°. Le haksoub (Psaumes 140.3), serpent venimeux, dont l’espèce ne saurait être déterminée de plus près.
6°. Le ephehéh, serpent venimeux (Job 20.16 ; Ésaïe 30.6 ; 59.5). On le trouve, entre autres, en Égypte. D’après Avicenne, le mot arabe correspondant désigne la vipère à tête plate, au col étroit, à la queue émoussée, qui fait du bruit en rampant, et fait entendre un léger sifflement ; c’est le coluber vipera d’Égypte, de Hasselquist, et l’animal nommé dans le Nouveau Testament (Matthieu 3.7 ; 12.34 ; 23.33 ; Luc 3.7 ; Actes 28.3).
7°. Le nachash (Genèse 3.1 ; Exode 4.3 ; 7.15) ; d’après l’étymologie, ce serait un serpent qui siffle ; d’après le contexte des divers passages où il est nommé, ce serait un serpent en général, sans désignation spéciale ; il est probable que c’était en effet le nom de l’espèce et non celui d’un genre en particulier. Il rappelait cependant l’idée de grandeur, et a donné son nom à la constellation du serpent, voir Astres. Cf. aussi Ésaïe 27.4, et ce qui en sera dit plus loin.
8° Le saraph, ou serpent brûlant, que les Israélites rencontrèrent dans les déserts de l’Arabie (Nombres 21.6-8 ; Deutéronome 8.15). Le même saraph est désigné comme un animal qui vole (Ésaïe 14.29 ; 30.6), mais par le contexte même, on doit reconnaître dans ces mots une image poétique plutôt qu’une description zoologique ; car, bien que plusieurs auteurs, les anciens surtout, Hérodote, Élien, et même quelques modernes, aient soutenu l’existence de serpents volants en Arabie et en Égypte, cet animal n’a pas été vu de ceux en l’assertion desquels on pourrait avoir le plus de confiance ; et comme les plus dignes de foi de ces témoins ajoutent expressément que ces serpents ailés ont des pieds, il est fort à croire qu’ils auront confondu des serpents avec des lézards. Il paraît, en effet, que dans certaines parties du sud de l’Asie, on trouve une espèce de lézards volants, dont les pattes parallèles sont unies par une fine membrane semblable à celle des ailes de la chauve-souris. Les théologiens ne sont pas d’accord sur l’espèce de serpents désignée sous le nom de serpents brûlants. Le voyageur Laborde pense que les Israélites furent mordus par des scorpions, fort abondants dans cette contrée, où ils ont même donné leur nom à la vallée d’Hakrabbim, et que ces scorpions furent nommés brûlants (saraph), à cause de la douleur cuisante que causaient leurs morsures ; mais cette explication est inadmissible, et l’on doit se contenter de l’idée générale exprimée par saraph, de serpents très venimeux.
Le serpent d’airain, que sur l’ordre de Dieu, Moïse dressa à la vue de tout le camp, afin que ceux qui le regarderaient fussent guéris, a naturellement fort préoccupé les interprètes. Les uns ont mis la force curative du remède dans la force d’imagination du malade, aidée de quelques herbes ou potions administrées conjointement avec la foi au serpent ; d’autres ont pensé que c’était un échantillon, un modèle destiné à faire connaître aux Israélites la forme de l’animal, de manière à ce qu’ils pussent le distinguer et l’éviter ; pour d’autres, le mouvement que se donnaient les Israélites mordus dans la campagne pour arriver au plus tôt en présence de l’image, était le véritable remède ; la course faisait transpirer, et le venin sortait avec la sueur, comme on dit en Italie que le mouvement de la danse guérit de la tarentule celui que la piqûre de cette araignée a affligé de la rage de la danse. D’autres, beaucoup plus simplement encore, prétendent que le serpent d’airain était l’enseigne de l’hôpital général où ceux qui avaient été mordus, étaient sûrs de trouver tout ce dont ils avaient besoin, médecins, médecines, infirmiers, etc. On voit que ces explications sont tout à fait naturelles et passablement ridicules.
Quelques Juifs en ont donné de plus recherchées, et ils expliquent la vertu du serpent d’airain par l’influence des constellations sous lesquelles il avait été fondu et travaillé. Mais la vraie vertu du remède, le vrai sens dans lequel doivent être prises les paroles de Moïse, nous est indiqué dans le chapitre même ; le peuple s’était repenti, Moïse avait supplié l’Éternel, et Dieu, pour guérir des blessures inguérissables, devait intervenir miraculeusement ; il ne mettait à la guérison de tous qu’une condition, la foi ; il guérissait par sa puissance tous ceux qui, en faisant acte de confiance, montraient qu’ils regrettaient leurs rébellions et leurs murmures passés. Le serpent d’airain n’était qu’une image, un signe visible ; mais comme il a plu à Dieu, même sous la nouvelle alliance, de rattacher à des signes visibles des grâces réelles, de même, la contemplation de ce signe, acte d’obéissance et de foi, procurait aux malades croyants la guérison de leurs corps. Le signe n’était rien en lui-même, et les Juifs, en s’en faisant une relique, voir Nehushtan, se sont montrés infidèles à leur foi ; Ézéchias a brisé la relique, Rome l’a raccommodée. Jean (3.14-15), nous apprend, quant à ce détail de l’histoire juive, ce que Paul nous dit de l’histoire juive tout entière (1 Corinthiens 10.41 ; Hébreux 3.4), que le serpent d’airain était un type de Jésus-Christ. Le venin est le symbole du péché qui donne la mort ; les serpents brûlants rappellent le serpent ancien qui est Satan, et Jésus, comme le serpent d’airain, de même forme et non de même nature, a dû être élevé, crucifié pour être vu de tous, et guérir tous ceux qui auraient confiance en lui.
Ajoutons encore ici quelques observations détachées.
1°. Satan est appelé le serpent ancien, le dragon (Apocalypse 20.2), parce qu’il prit la forme d’un serpent pour séduire nos premiers parents. La condamnation qui frappa l’animal est-elle juste ? Quelle est-elle ? Le serpent avait-il des pieds avant cette époque ? Le serpent se nourrit-il réellement de terre, etc. ? Bien des questions curieuses ont été faites, et il n’est pas nécessaire d’y répondre. Quant à la justice de la condamnation, l’on ne discute pas avec Dieu ; pourtant on peut dire que la complicité la plus indirecte établit déjà parmi les hommes une solidarité, et que Satan choisit le serpent, parce qu’il était le plus rusé des animaux ; être distingué par le diable, c’est une condamnation, comme être reconnu de Dieu c’est une grâce. Quant à la nature de la peine, il est probable que le serpent avait avant cette époque ses quatre pieds, dont on peut encore reconnaître les rudiments sous sa peau ; il ne paraît pas, quoique ce fût une opinion répandue chez les Grecs et les Romains, qu’aucun serpent mange de la terre ; dans sa condamnation (Genèse 3.14 ; Michée 7.17 ; cf. Ésaïe 65.25), il n’est pas dit qu’il mangera volontiers de la terre ; on peut entendre, au contraire, que la privation de ses pieds, le forçant de ramper, l’obligera souvent à avaler de la poussière malgré lui ; il y a cependant aussi une terre grasse et argileuse que certaines espèces de serpents aiment à manger.
2°. La ruse et la prudence du serpent sont indiquées dans l’Écriture comme des qualités qui le distinguent de tous les autres animaux (Genèse 3.1 ; Matthieu 10.16), et l’ancien Orient a développé cette même idée sous toutes les formes ; il n’est sorte de fables qu’on n’ait inventées ; le serpent a l’art de se rajeunir ; quand il boit, il jette sa première gorgée de peur de s’empoisonner ; il se bouche les oreilles pour ne pas entendre la voix de l’enchanteur (cf. Psaumes 58.4-5 ; etc.). Dans ce dernier passage, le psalmiste fait allusion aux préjugés reçus, sans entendre ni les partager, ni les confirmer. La docilité du serpent entre les mains des enchanteurs de l’Orient, aura aussi contribué à lui donner cette merveilleuse réputation de prudence et d’habileté.
3°. Le serpent a été autrefois l’un des principaux objets du culte et des superstitions païennes ; les Égyptiens l’employaient dans tous leurs symboles, dans la coiffure d’Osiris, autour de son sceptre, dans leurs représentations de l’Être suprême, etc. De même, chez les Grecs et les Romains, Anchise, devenu dieu, envoie un serpent goûter aux oblations mortuaires que lui offre son fils, le pieux Enée ; et deux serpents annoncent la ruine de Troie, puis se retirent sous le bouclier de Minerve après la mort de Laocoon. Esculape, le dieu de la médecine, était représenté sous la forme d’un serpent ; et le caducée, emblème de la paix, était un bâton, ou une croix, autour de laquelle deux serpents entrelaçaient leurs corps annelés. On a voulu faire intervenir la fable du dieu de la médecine dans l’explication des motifs qui dictèrent à Moïse le symbole destiné à guérir les Israélites mordus par les serpents du désert. Trop de gens sont encore tentés d’expliquer la Bible par la mythologie plutôt que par la Bible elle-même.
4°. Le passage Ésaïe 27.1, est traduit d’une manière peu claire et peu littérale dans nos versions, qui ont ajouté les mots dis-je pour donner de la clarté au sens, et n’ont fait que l’obscurcir. L’Éternel, y est-il dit, punira de sa forte épée trois nations qui, selon l’usage prophétique, sont représentées par autant d’animaux, le léviathan, serpent traversant (le crocodile qui désigne l’Égypte), le léviathan, serpent tortu (le serpent en général, qui paraît désigner l’Assyrie ou la Babylonie), et il tuera la baleine qui est dans la mer (ou à l’Occident, car le même mot désigne les deux choses ; ce serait l’empire d’Occident, la Rome païenne, et la Rome papale). Le mot léviathan est pris ici dans son sens le plus général, puis, il est déterminé deux fois par le mot serpent avec deux épithètes dont la seconde est facile à comprendre, mais dont la première n’a pas toujours été bien saisie : l’hébreu bariaoh signifie selon les uns s’enfuir, s’étendre, et on a traduit serpent fugitif, ou droit, ou encore traversant ; selon d’autres il se rapporte au mot verrou qui marque en général la raideur et l’inflexibilité, et il renfermerait une allusion aux mouvements gênés et raides du crocodile.