Il y avait chez les Hébreux divers ordres d’épouses, toutes considérées comme telles, mais occupant une place plus ou moins élevée dans la famille, et jouissant de privilèges plus ou moins grands. Michaëlis (Mos. Liecht) en compte trois degrés : d’abord les femmes libres et légitimes, épousées et non achetées, comme Sara femme d’Abraham ; ensuite les épouses légitimes, mais achetées, comme Léa et Rachel (Genèse 20.18-27) ; enfin les concubines, femmes esclaves, qui, sans être légitimes, étaient cependant unies à l’époux d’une manière légale et régularisée, sans que leur état les avilit, et sans qu’elles fussent coupables de mauvaise conduite. À côté d’une, et même de plusieurs femmes légitimes, un homme pouvait avoir plusieurs concubines, surtout s’il n’avait point d’enfants de sa première épouse (Genèse 16.3 ; 30.3). C’était ordinairement parmi ses esclaves, ou parmi celles de la femme et du consentement de celle-ci, qu’il choisissait celle qu’il voulait élever à ce rang secondaire, qui était plutôt un privilège qu’une honte.
Dans cette coutume si contraire à l’institution primitive du mariage, il faut reconnaître une déviation de la droite voie, moins coupable peut-être chez les hommes qui avaient à la fois beaucoup de besoins et peu de lumières, mais coupable cependant, et qui ne fut jamais en bénédiction à ceux qui s’y livrèrent. Le grand Abraham, polygame, fut obligé de la part de Dieu à répudier la femme qu’il avait prise pour en avoir des enfants en dehors de la promesse ; Jacob fut malheureux dans l’intérieur de sa famille, il vit ses quatre femmes se quereller, et l’une d’elles se livrer à Ruben, l’aîné de ses fils ; David s’en trouva mal, et Salomon s’égara loin de Dieu au milieu des voluptés de son sérail.
Quoi qu’il en soit, ce fut une coutume qui commença de bonne heure à se répandre, que les hommes les plus fidèles acceptèrent, qui passa presque à l’état de règle, et qui semble sanctionnée par un détail de la loi mosaïque (Exode 21.8 ; cf. Genèse 22.24 ; 36.12 ; Juges 8.31 ; 2 Samuel 3.7 ; 1 Chroniques 1.32). Les enfants issus de pareilles unions n’étaient point considérés comme fils légitimes ; et quoiqu’ils pussent habiter avec leurs frères légitimes, ils n’avaient aucun droit à l’héritage du père de famille ; celui-ci pourvoyait par des dons volontaires et de son vivant à leur assurer une condition avantageuse (Genèse 28.6 ; 21.10 ; 24.36).
Une esclave, par le fait de son alliance avec son maître, ne pouvait plus disposer d’elle-même pour appartenir à un autre (Juges 19.2 ; 2 Samuel 3.7) ; elle était sa femme, quoique moins honorée, et ses infidélités devenaient adultères, mais passibles des peines ecclésiastiques seulement, et non point des peines criminelles (Lévitique 19.20). Moïse présente le servage et les rapports de maître à esclave-femme sous un point de vue assez particulier, lorsque (Exode 21.7-11), il maintient la servitude de la jeune esclave dans l’année sabbatique, contrairement aux dispositions qui rendaient cette année la liberté à ceux qui l’avaient perdue d’une manière ou de l’autre. Il part de la supposition qu’une esclave n’est jamais achetée qu’à titre de concubine ; il la considère donc comme telle, et regarderait son affranchissement comme une espèce de divorce. Mais comme il arrivait fréquemment qu’une esclave n’était pas concubine, elle était alors en droit ou d’être rachetée, ou d’être affranchie, ou de passer à un autre maître, afin de n’être pas vouée à un triste et honteux célibat par l’indifférence de son maître. Quelquefois un père achetait une jeune fille pour la donner à son fils, jugeant convenable de prévenir ainsi de plus grands désordres ; et quand ce fils venait à prendre une épouse légitime, l’esclave était en droit d’exiger de son jeune maître les mêmes traitements qu’avant son mariage.
Ce régime de relâchement répugne à tout ce que nous pouvons avoir d’idées sévères, et sur la sainteté du mariage, et sur la sainteté de l’individu, et sur la dignité de la femme, et sur la grandeur et la pureté des exigences mosaïques. Il faut admettre que Dieu a voulu faire des concessions à l’endurcissement du cœur, aux passions qui l’agitent et à la violence de ses désirs : ne voulant pas exterminer son peuple, et sachant que les peines les plus sévères n’empêcheraient point des transgressions constantes, il a mieux aimé régulariser le cours des passions, les limiter par des lois, leur accorder quelque chose, et punir d’autant plus sévèrement les infractions aux lois subsistantes, que ces lois elles-mêmes avaient été adoucies, autant qu’il était possible de le faire. Et si l’idée de ces concessions est rejetée de quelques théologiens, si on y voit le germe ou l’indice d’une morale relâchée, nous répondrons en citant ces paroles de notre Sauveur (Malt. 19.8), qui prouvent évidemment un système de concession dans la législation de Moïse : « C’est à cause de la dureté de vos cœurs que Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; mais au commencement il n’en était pas ainsi ». Nous demanderons encore si le fait même de ces lois sur les esclaves concubines n’était pas une concession ; s’il y aurait une autre manière de l’expliquer ; ce que l’on aurait pu substituer à ces lois : nous demanderons si même maintenant Dieu n’accorde rien à la faiblesse de notre nature, si le mariage lui-même ne nous sera peut-être pas dans l’Éternité représenté comme une condescendance divine (cf. 1 Corinthiens 7.2) ; et enfin si, le mariage une fois admis, Dieu ne peut pas, lorsqu’il le juge convenable, permettre à un homme deux femmes aussi bien qu’une, et un plus grand nombre aussi bien que deux ? Il est évident que nous n’avons point à résoudre ici ces questions, ni à examiner les raisons d’économie morale, civile ou politique, qui appuient en général l’établissement de la monogamie primitive.
Ajoutons encore que la polygamie prit un développement effrayant sous quelques-uns des rois de Juda : David avait sept femmes et dix concubines (2 Samuel 3.2-5 ; 20.3). Salomon eut jusqu’à sept cents femmes ayant train de reines, et trois cents concubines (1 Rois 11.3), elles firent égarer son cœur, ajoute l’historien sacré ; et Roboam, son fils, dix-huit femmes et soixante concubines (2 Chroniques 11.21).
La venue du Christ a ramené le mariage a sa première institution, et a condamné l’usage des concubines « quoique, ajoute Calmet, on y ait toléré assez longtemps les mariages clandestins, dans lesquels on appelait assez souvent la femme du nom de concubine » ; phrase mystérieuse dont nous laissons à chacun de débrouiller le sens.