Vient du grec evangelion, qui signifie bonne nouvelle, parce qu’en effet le livre qui contient le récit de la vie, des miracles, de la mort, de la résurrection, de la doctrine de Jésus-Christ, renferme la meilleure nouvelle que l’on puisse annoncer aux hommes. Nous donnerons un précis de l’histoire évangélique dans la vie de Jésus-Christ. Voyez Jésus-Christ. Nous ne reconnaissons que quatre Évangiles canoniques, ceux de saint Matthieu, de saint Marc, de saint Luc et de saint Jean, desquels nous parlerons dans l’article de chacun des évangélistes. [Voyez Pierre, addition].
Mais outre ces quatre évangiles, reconnus de toute l’Église catholique, il y en a plusieurs autres apocryphes et sans autorité, dont les uns sont venus jusqu’à nous, et les autres sont entièrement perdus. En voici la liste :
1. L’Évangile selon les Hébreux.
2. L’Évangile selon les Nazaréens.
3. L’Évangile des douze apôtres.
4. L’Évangile de saint Pierre.
Ces quatre Évangiles ne sont apparemment que le même sous différents titres. C’est l’Évangile de saint Matthieu qui fut corrompu par les Nazaréens hérétiques.
5. L’Évangile selon les Égyptiens ;
6. L’Évangile de la naissance de la sainte Vierge. On l’a en latin.
7. L’Évangile de saint Jacques. On l’a en grec et en latin, sous le nom de Prolévangile de saint Jacques.
8. L’Évangile de l’enfance de Jésus. On l’a en grec et en arabe.
9. L’Évangile de saint Thomas. C’est le même que le précédent.
10. L’Évangile de Nicodème. On l’a en latin.
11. L’Évangile éternel,
12. L’Évangile de saint André.
13. L’Évangile de saint Barthélemy.
14. L’Évangile d’Apelles.
15. L’Évangile de Basilide.
16. L’Évangile de Cérinthe.
17. L’Évangile des Ebionites [Les Ebiomites étaient de ces pharisiens qui soutenaient que la pratique des cérémonies légales, imposées aux Hébreux par la législation mosaïque, était nécessaire pour être sauvé. On sait que cette doctrine occasionna des disputes à Antioche, qui donnèrent lieu à l’assemblée ou concile des apôtres, dont saint Luc nous fait le récit au chapitre 15 des Actes. Sur ce concile, à l’occasion duquel l’esprit de parti a émis de fausses assertions, voyez l’Etude que j’en ai faite dans le Mémorial catholique, publié par M. L. F. Guérin, n° de janvier 1846, tome 5 page 206].
18. L’Évangile des Encratites. C’est le même que celui de Tatien.
19. L’Évangile d’Ève.
20. L’Évangile des Gnostiques.
21. L’Évangile de Marcion. C’est le même que celui qui est attribué à saint Paul.
22. L’Évangile de saint Paul : le même que celui de Marcion.
23. Les petites et les grandes Interrogations de Marie.
24. Le Livre de la naissance de Jésus-Christ. Apparemment le même que le Protévangile de saint Jacques.
25. L’Évangile de saint Jean, autrement le livre du trépas de la sainte Vierge.
26. L’Évangile de saint Matthias.
27. L’Évanglle de la Perfection.
28. L’Évangile des Simoniens.
29. L’Évangile selon les Syriens.
30. L’Évangile de Tatien : le même que celui des Encratites.
31. L’Évangile de Thadée, ou de saint Jude.
32. L’Évangile de Valentin : le même que l’Évangile de la vérité.
33. L’Évangile de vie, ou l’Évangile du Dieu vivant.
34. L’Évangile de saint Philippe.
35. L’Évangile de saint Barnabé. [Voyez Barnabé].
36. L’Évangile de Saint Jacques le Majeur.
37. L’Évangile de Judas d’Iscarioth.
38. L’Évangile de la Vérité. Le même que celui de Valentin.
39. Les faux Évangiles de Leucius ; de Séleucus, de Lucianus, d’Hésychius.
On peut consulter sur toutes ces fausses pièces M. Fabricius dans son Codex apocryphes novi Testamenti, etc., et notre Dissertation sur les Évangiles apocryphes, à la tête du Commentaire sur saint Matthieu.
Les anciens hérétiques ont d’ordinaire commencé par attaquer les Évangiles, pour appuyer leurs erreurs, ou pour les excuser. Les uns ont rejeté tous les vrais Évangiles, pour leur en substituer de faux. C’est ce qui a produit les Évangiles d’Apelles, de Basilide, de Cérinthe, et quelques autres, d’autres ont corrompu les vrais Évangiles, et en ont retranché ce qui les y incommodait, ou y ont mis ce qui favorisait leurs mauvais dogmes. Ainsi les Nazaréens gâtèrent l’Évangile original de saint Matthieu, et les Marcionites tronquèrent celui de saint Luc, qui était le seul qu’ils reçussent. Les Alogiens voyant leur condamnation trop marquée dans saint Jean, le rejetèrent, et n’admirent queles trois autres évangélistes. Les Ebionites rejetaient saint Matthieu, et recevaient les trois autres Évangiles. Les Cérinthiens ne reconnaissaient que saint Marc, et les Valentiniens que saint Jean.
Voici des notions générales, exactes et nouvelles sur les Apocryphes.
Un écrivain distingué, considérant les saintes Écritures sous le rapport de l’art, s’exprime en ces termes au sujet des évangiles apocryphes : « Comme les évangiles canoniques n’entrent point dans les détails de la vie du Sauveur depuis son enfance jusqu’à sa prédication chez les Juifs, quelques chrétiens des premiers temps, emportés par leur enthousiasme au delà des saintes règles, remplirent ces lacunes de légendes, où souvent la profondeur du sens contraste avec la naïveté de la forme. Ces premiers monuments de notre poésie primitive nous ont été transmis sous le titre peu attrayant d’Évangiles apocryphes, et les précautions prises pour nous empêcher de les regarder comme des livres canoniques, nous ont presque fait oublier que nous possédions ce trésor de littérature chrétienne. On ne veut pas dire ici que tous les évangiles apocryphes présentent ce caractère. Il en est qui contiennent des témoignages réellement historiques que la critique a su apprécier d’autres renfermen : nne partie de récit évangélique,. altérée par les sectaires. » M. Rro, Cours sur l’art chrétien, Introduction, dans l’Universté catholique tome 1, pages 3.
« La dénomination d’apocryphes, par laquelle on désigne parfois toute espèce de récit controuvé, s’applique spécialement, dit un autre écrivain non moins habile et judicieux, à un recueil de documents fabuleux sur les personnages de l’Évangile, qui n’a qu’une valeur très-contestable en histoire, mais qu’on doit considérer comme le premier monument de la poésie chrétienne. Les légendes qu’il contient portent généralement le nom d’Évangile. Quelques-unes, en plus petit nombre, ont un autre titre : soit celui d’Histoire, soit celui d’Actes. Les uns et les autres sont l’œuvre naïve de la foi populaire. Il ne faut pas les confondre avec les livres publiés sous les mêmes titres par les hérésiarques des premiers siècles. Inventions ténébreuses et perfides, ceux-ci furent composés pour défendre de fausses doctrines et leur servir de véhicule. On y prêtait à Jésus-Christ et aux apôtres des actions et des discours qui n’étaient point historiques, mais qu’on espérait faire passer pour tels, à l’aide du silence de l’Évangile, sur plusieurs points et sur plusieurs époques, et qu’on supposaitpropres à appuyer certaines opinions auprès du peuple. Depuis Simon jusqu’à Marcion, il n’est pas un chef de secte un peu remarquable qui n’ait eu son Nouveau Testament à lui. Les évêques orthodoxes, les saints Pères, les papes mirent, dès le principe beaucoup d’ardeur à dévoiler ces machinations de l’erreur et du mensonge et à en détruire les monuments. Leur zèle a souvent réussi. Il nous reste en effet très peu de ces apocryphes systématiques, et de ceux qui ont survécu, aucun que nous sachions, ne nous est parvenu intégralement.
Si l’histoire de la philosophie y a perdu certains documents importants sur les erreurs orientales de l’époque chrétienne la littérature n’y a aucun regret. Compositions abstraites par le fond, résultats des préoccupations dogmatiques de quelques gnostiques bâtards, la sécheresse en faisait le caractère principal, et l’on y sentait bien plus la polémique que la poésie. Il n’en est pas ainsi des légendes du cycle évangélique proprement dit. Celles-ci sont de simples traditions, peut-être un peu trop crédules et un peu trop puériles, mais qui assurément n’ont pas été faites à mauvaise intention. La bonhomie et la candeur y brillent à chaque page, et il y a une telle conformité dans quelques-uns de leurs récits avec ceux de l’Évangile, que la critique a incliné à les regarder, sur plusieurs points, comme le complément authentique de la narration des apôtres. Nous ne réveillerons pas néanmoins les discussions qui se sont élevées sur ce point ; il importe peu à notre objet de connaltre le degré di confiance qu’il convient de leur accorder : ce n’est point comme documents d’histoire positive que nous les envisageons, mais comme témoignages d’histoire morale. Leur valeur, qui serait là fort problématique, est ici incontestable. Ces récits familiers et anecdotiques faits au foyer, sous la tente, aux champs, dans les haltes des caravanes contiennent un vivant tableau des mœurs populaires de l’Église naissante. Là , mieux que partout ailleurs, se peint la vie intérieure de la société chrétienne. Nulle part on n’étudiera mieux la transformation qui s’opérait alors, sous l’influence du christianisme, dans les rangs inférieurs. La riche source d’idées et de sentiments, ouverte par le nouveau culte, s’y épanche avec abondance et liberté. Il se peut que ce que ces livres nous racontent de la sainte Vierge et de ses parents, de Jésus et de ses apôtres ne soit point très-exact, cela même est probable ; mais les usages, les pratiques, les habitudes qu’ils révèlent involontairement sont véritables. Evidemment ils prêtent aux personnages sacrés de l’Évangile des discours qu’ils n’ont jamais tenus ; mais s’ils leur ont prêté telle conduite, telle démarche, telle parole, c’est qu’elles étaient dans l’esprit du temps, c’est qu’on les croyait dignes de ceux auxquels on les attribuait. Ces légendes sont donc, à vrai dire, un commentaire populaire de l’Évangile, et le mensonge même en est vrai. » M. P. Doun Airr, Cours sur l’histoire de la poésie chrétienne, Introduction, dans l’Université cathol., tome 4 pages 366, 367.
M. l’abbé Douhaire présente ensuite l’histoire des Apocryphes, de laquelle nous allons extraire oe qui suit, sans entrer avec lui dans les détails relatifs à chacune des légendes. Trois sortes de personnes, dit-il (Ibid., seconde leçon, dans le même recueil, tome 5 pages 121 et suivants), ont écrit sur ce sujet ; en premier lieu, ceux qui ont travaillé sur l’histoire de l’Église primitive ; secondement, les compilateurs qui ont rassemblé les matériaux de l’histoire ecclésiastique ; enfin les critiques qui se sont occupés de l’exégèse et de la censure des textes du Nouveau Testament. Venus dans un temps où les croyances naïves qui avaient fécondé ces légendes étaient éteintes, ni les uns ni les autres n’en purent comprendre la valeur poétique. Aussi serait-ce une grande erreur d’imaginer que le sentiment littéraire fut pour quelque chose dans l’inclination qui les porta vers ces matières. L’amour de la controverse, le désir de justifier la foi du reproche de superstition, peut-être aussi l’envie de se faire un nom dans la carrière, fort illustre alors, de l’érudition, tels furent les motifs qui les poussèrent à rechercher et à commenter les Apocryphes. Le ton fort peu respectueux dont ils en parlent le prouve de reste. Au dire des Varennius, des Coccus, des Lequien, des Richard-Simon, etc., etc., ce ne sont qu’histoires puériles et contes à dormir debout.
Parmi ces impassibles aristarques, il en est cependant qui ont droit à la reconnaissance de la poésie et de l’art, pour avoir rassemblé, corrigé et édité avec zèle et quelquefois avec amour ces fragments dédaignés d’une littérature élémentaire, et pour n’en avoir pas jugé la commentation indigne de leur savoir. Nous leur devons, en témoignage de gratitude, une mention particulière.
Le premier de tous est un théologien protestant, appelé Michel Néander, qui joignit un recueil incomplet des apocryphes à une édition greco-latine du Petit Catéchisme de Luther (Bâle, 1543-1548), sous ce titre : Apocryphe : hoc est, Narrattones de Christo, Maria, Joseph, cognatione et familia Christi, extra Biblia, apud veteres Patres, historicos et philologos reperta. Thomas Istig, professeur de théologie protestante à Leipzig, en donna plus tard une table méthodique dans son livre intitulé : De Bibliothecis et Catenis Patrum. Nicolas Glaser en publia, à Hambourg, une autre collection, fort incomplète aussi et qui ressemble à celle de Néander pour l’étrangeté et la confusion des matériaux.
Quelques recueils analogues parurent encore en Allemagne, en Italie et en France, dans le courant du dix-septième siècle, mais trop peu soignés ou trop peu spéciaux pour mériter qu’on s’y arrête et qu’on rappelle les noms oubliés de leurs auteurs. Il n’en est pas ainsi de celui que publia, au commencement du dix-huitième siècle le bon et docte Fabricius. Cet illustre érudit était né à Leipzig en 1668, et se distingua de bonne heure par ses mœurs douces, son intelligence élevée et son savoir immense. Appelé tout jeune à Hambourg pour y remplir la chaire d’éloquence, il y passa le reste de sa vie, refusant pour les travaux chéris qu’il y avait entrepris les places les plus honorables et les plus lucratives. Malgré la sécheresse du protestantisme qu’il professait, il y avait dans ce candide Allemand, comme il s’appelait lui-même, une conception vive et profonde de la poésie du christianisme ; et, au plus fort de ses préoccupations classiques, il sentait un attrait mystérieux le ramener vers les monuments de la littérature des premiers siècles, qu’il avait une fois entrevus dans la bibliothèque d’un de ses amis. Il nous raconte lui-même qu’un soir (c’était au moment de son début à Hambourg), devisant à souper avec son ami Christian Hillischer, la conversation tomba sur les Évangiles apocryphes. Ils en causèrent longtemps et se convainquirent qu’il y aurait une grande utilité à en publier une édition complète. Les deux amis ne se quittèrent pas sans se promettre d’y travailler chacun de son côté ; mais Fabrieius tint seul parole. En 1103 parut son premier recueil en 2 vol., intitulé : Codex apocryphes Novi Testamenti, qu’il augmenta, en 1719, d’un troisième volume. Cet ouvrage ne fut pas plutôt connu, qu’il acquit la réputation la plus haute et la plus méritée. Il serait difficile en effet de trouver, dans un livre de ce genre, plus de mérites divers, la science, l’érudition, la connaissance approfondie des langues anciennes et des langues orientales, la clarté, la sobriété et l’élégance du langage. On est confondu à la pensée du travail que dut exiger une pareille publication, et sa composition semble en quelque sorte miraculeuse, quand on se rappelle que le même auteur menait de front, avec ses cours publics, la préparation de deux autres ouvrages non moins gigantesques, la Bibliothèque grecque et la Bibliothèque latine. En 1723 parut le dernier complément de cette collection, sous ce titre :Codex V eteris Testamenti, liamburgi, sumptu Th. Christ. Felginer. Il présente fort bien, dans ce dernier volume, le côté véritablement grave des documents qu’il contient. « Ne croyez point, lecteur, dit-il,
Que je me laisse prendre à ces fables. » (Il venait d’avouer, le bon homme, qu’il y trouvait grand plaisir.) « Si j’ai cru devoir les rassembler, c’est que j’ai pensé que le meilleur moyen de les réfuter était de les présenter dans leur intégrité et dans leur ensemble aux lecteurs consciencieux. Com me ce sont d’ailleurs des choses qui datent de loin, j’estime qu’elles ne seront pas sans utilité pour ceux qui se livrent à l’étude de l’antiquité ecclésiastique. Tout n’y est pas faux, au surplus, et, comme dit le poëte, il n’y a pas que mensonge dans la bouche des Crétois. Ces faux Évangiles contiennent sur les mœurs, les usages et les traditions » juives des renseignements qu’il y aura plaisir et avantage à recueillir. C’est le cas de dire, avec Clément d’Alexandrie, qu’il est de ces choses dont l’inutilité même est utile. »
Tous ces spirituels et doctes détours n’ont pas d’autre but que de donner au public protestant le change sur les véritables motifs qui avaient porté Fabricius à publier les apocryphes et à dissimuler l’attrait poétique qui, dans le fond, avait été son principal mobile. Telles étaient alors les préventions du protestantisme contre tout ce qui tenait aux traditions tolérées ou respectées par l’Église, qu’on eût fait mauvais parti au professeur de Hambourg d’une pareille disposition. De nos jours même, cette croyance étroite n’a-t-elle pas gâté l’un des plus beaux ouvrages historiques de l’Allemagne ? N’est-ce point par une prévention innée contre les traditions catholiques que les frères Grimm, ont omis dans leur recueil des traditions germaniques toutes les légendes relatives à saint Boniface, légendes cependant si belles et si gracieuses ! Mais revenons à Fabricius.
Son recueil fit sensation en Europe malgré les préoccupations philosophiques qui déjà y dominaient les esprits. Saisissant l’idée exposée par Fabricius, que les livres apocryphes du Nouveau Testament pouvaient très-bien servir à la justification des livres canoniques, un ministre anglican en publia, à Oxford, en 1768, une traduction accompagnée de commentaires dirigés particulièrement contre la doctrine impie de Toland. Réimprimée plus tard sans nom d’auteur, cette traduction du R. Jeremias Jones paraît avoir eu peu de succès. Urie traduction francaise des Apocryphes, imprimée à Londres, en 1779, par l’abbé B., témoigne encore de la sensation produite par ce recueil ; mais l’oubli dans lequel il est tombé depuis atteste bien plus hautement la direction antichrétienne donnée depuis lors aux esprits.
Après Fabricius, l’homme à qui notre reconnaissance doit le plus est un professeur de l’université de Hale, M. Jean-Charles Thilo, qui a consacré vingt ans d’une érudition immense et d’un savoir profond à compléter le monument élevé par son devancier, et à lui donner la perfection dont le temps et les découvertes modernes avaient fait sentir l’absence. Nous avons sous les yeux la première partie, la seule publiée de ce vaste travail. L’éloge si mérité que nous venons d’en faire n’est, hélas ! qu’un éloge funèbre. M. Thilo est mort l’an dernier (1837), laissant son œuvre incomplète.
La collection des Apocryphes, telle quo l’ont faite les recherches et les épurations de Thilo, Fabricius, et leurs prédécesseurs, comprend quatorze légendes principales et complètes, et plusieurs fragments de légendes perdues. Nous nommerons d’abord les plus importantes, dans l’ordre chronologique des personnages auxquels elles se rapportent, ou des évenements qu’elles racontent :
1° Histoire de Joseph, l’artisan en bois.
2° Évangile de la nativité de la sainte Vierge Marie.
3° Histoire de la nativité de Marie et de l’enfance du Sauveur.
4° Évangile de l’enfance du Sauveur.
5° Protévangile de saint Jacques, ou Récit historique de Jacques le Mineur, frère et cousin de Jésus-Christ, et premier évéque de Jérusalem, touchant la naissance du Sauveur et de sa mère.
6° Évangile de Thomas l’Israélite et le philosophe, ou des actions que fit Jésus encore enfant.
7° Évangile de Nicodème, suivi des lettres de Pilate.
8° Histoire apostolique, par Abdias.
9° Actes des apôtres.
10° Apocalypses.
Telles que nous les possédons, ces légendes ne sont pas, à proprement parler, l’œuvre originelle des premiers chrétiens. Il est facile, en effet, de voir, aux répétitions, aux interruptions, aux sutures fréquentes de la narration, qu’elles sont, dans leur forme actuelle, le résultat d’une sorte de syncrétisme poétique, et qu’elles ont été formées, à une époque ancienne, des traditions isolées des Églises particulières réunies en corps de récit. Si les faits sur lesquels nous appuyons cette remarque sont certains, il en serait de ces premiers monuments de la poésie chrétienne comme de toutes les épopées nationales, qui n’ont été composées primitivement que de chants épars, rassemblés et coordonnés dans la suite sur un plan régulier. Il y a une telle identité dans le développement de
La poésie spontanée des nations, que le rapport que nous venons d’indiquer nous semble extrêmement probable.
Quoi qu’il en soit, la rédaction dernière de ces légendes remonte, pour la plupart, au troisième siècle. Elles forment, par la division naturelle de leurs groupes, un cycle véritable, qui embrasse toute l’histoire de l’établissement du christianisme, depuis la conception de la Mère du Sauveur jusqu’à l’entière manifestation de son Évangile aux nations de la terre. On reconnaît bien l’instinct poétique à la régùlarité de ce thème. L’histoire n’a point ce caractère de perfection ; ses tableaux, toujours incomplets parce qu’ils sont l’expression d’une réalité de trouble et d’obscurité, ne se déroulent pas avec tant de régularité. On peut dire, à quelques égards, de l’imagination des masses ce quo les anciens disaient de la nature, qu’elle a horreur du vide. En effet, elle ne tolère pas dans la vie des héros les lacunes auxquelles est trop souvent condamnée l’histoire. Les annales ont-elles laissé des intervalles obscurs dans leurs biographies, elle se hâte de les remplir de ses créations fantastiques. Voyez Charlemagne, par exemple : l’histoire dit peu de choses de sa jeunesse, et ce n’est guère qu’à l’âge de dix-sept ans qu’elle nous le montre dans quelques guerres entreprises par son père en Allemagne. Mais de sa naissance, de son enfance, qu’en savait-on ? Rien. La poésie a suppléé à cette absence de documente authentiques, et les deux gracieux romans de Berthe aux grans pués et de Mai-net ont enrichi de deux actes merveilleux le grand drame de la vie du vainqueur des Saxons. Le premier nous a peint sa mère, victime douce et résignée de l’ambition d’un ministre déloyal qui substitue sa propre fille à celle de son maître, et jette celle-ci sanglante et à demi morte dans un ruisseau, d’où elle est retirée par un meunier chez lequel elle souffre en silence jusqu’au jour où elle est rencontrée par Pepin, qui l’épouse et la rend mère du grand Charles. Le second nous montre ce dernier lui-même, héros avant l’âge, proscrit à dix ans, et rachetant par sa prudence et sa valeur le trône auquel l’appelait sa naissance.
Et ce n’est pas seulement aux desiderata de l’histoire des premières années de Charlemagne que la poésie populaire a ainsi satisfait ; c’est à toutes les periodes de son règne qu’elle a joint ces compléments grandioses. La longue série des romans du cycle carievingien n’est pas autre chose que sa biographie imaginaire. Nous citons Charlemagne, nous aurions pu citer tout aussi bien Achille, Robin-Hood, ou le Cid ; les procédés de la poésie instinctive sont les mêmes pour toutes ces grandes personnalités : c’est toujours une réalité élevée à l’idéal par l’imagination. La différence de cet idéal dans chaque poême fait la différence des civilisations. Dans les poëmes grecs c’est la force corporelle qui constitue la grandeur du héros ; dans les poêmes saxons c’est la constance, l’habileté aux armes et la ruse ; dans les poèmes espagnols c’est la bravoure et la loyauté ; dans les pairies carlovingiens la modération dans la force et la constance dans la valeur ; dans les pames chrétiens c’est l’exercice, à un degré divin, de toutes les vertus évangéliques.
Ce nom de poëmes, nous pouvons sans répugnance, après ce que nous avons dit, le donner à nos légendes, quelque éloignées-qu’elles soient de toute forme poétique : on sait qu’il ne signifie autre chose sous nôtre plume qu’une composition propre à élever l’âme et à y faire naître des sentiments supérieurs. Considérés dans leur ensemble, et comme formant un tableau poétique de la conquête du monde par l’Évangile, les Apocryphes sont l’un des plus beaux monuments qu’on possède, et nous ne sachions pas dé littérature qui ait en ce genre non-seulement rien de si élevé, mais rien d’aussi complet.
Pour en comprendre le développement et en sentir la beauté, il faut lire ces légendes dans l’ordre où nous les avons placées (lequel n’est point celui des éditeurs), c’est-à -dire l’Évangile de la nativité de Marie, d’abord ; puis l’Histoire de la nativité de Marie et de l’enfance du Sauveur, l’Histoire de Joseph l’artisan en bois, l’Évangile de l’enfance du Sauveur, le Pretévangile de saint Jacques, l’Evanyile de Thomas, l’Évangile de Nicodème, et enfin les diverses légendes concernant les missions des apôtres et classées sous le nom général d’Actes des apôtres. Il ne faudrait point se figurer qu’ainsi ordonnées ces légendes forment entre elles un tout harmonieux, une épopée en plusieurs chants successifs. C’est une œuvre qu’il serait facile de produire, sans doute, en retranchant les répétitions qui se trouvent dans chaque légende ; mais ces retranchements n’ont pas été faits : aussi chaque évangile empiète-t-il sur l’autre, le répète, et parfois le contredit. Il y a de tout dans tous. À quelques circonstances près, c’est dans plusieurs le même fonds, mais diversement narré, mais relevé par des détails différents. La naissance et l’éducation de la sainte Vierge est racontée dans deux légendes, identiques quant aux faits, et cependant revêtues d’un caractère très-distinct. Il en est dé même de l’enfance du Sauveur, sur laquelle nous avons quatre récits qui n’ont de ressemblance que par les faits principaux.
Ces rapports fondamentaux et ces dissemblances extérieures tiennent à deux causes, à la teinte particulière du génie des peuples chez lesquels chaque légende a pris naissance, et à la date plus ou moins récente de leur apparition. Celles qui nous viennent des Arabes ou des Égyptiens sont bien plus surchargées de faits merveilleux que celles qui sont d’origine juive ; comme aussi les anciennes sont plus sobres de style et moins ornées que celles qui sont relativement récentes. »
Les mahométans croient que Dieu envoya son Évangile à Jésus-Christ, mais que cet Évangile ne subsiste plus, du moins dans sa pureté primitive ; ils soutiennent qu’il est entièrement perdu, ou qu’il est fort altéré par les chrétiens, de manière que, selon leurs principes, on ne peut faire aucun fond sur ce que nous en pouvons citer, à moins qu’il ne soit conforme à ce qui en est cité dans l’Alcoran, composé par Mahomet, qui n’avait jamais lu l’Évangile, et qui n’était pas même en état de le lire ; il en cite à la vérité quelques passages, mais peu exactement, et comme un homme qui l’avait ouï citer, et qui n’en avait qu’une légère teinture. Par exemple, voici comme il rapporte la Salutation angélique : « Ô Marie, Dieu vous annonce la naissance de son Verbe qu’il a produit : son nom sera le Christ Fils de Marie. Il sera glorieux dans ce monde et dans l’autre : il sera du nombre de ceux qui s’approchent de Dieu. Il parlera étant encore dans le berceau et dans le maillot, et lorsqu’il sera plus grand, ce sera un homme de bien. »
Et voici la prière qu’ils attribuent à Jésus-Christ, fort différente du Pater noster, qu’il nous a enseigné.
« Mon Dieu, je ne puis ni éloigner le mal que je déteste, ni acquérir le bien que j’espère. Les autres ont déjà reçu leur récompense, mais j’attends le salaire de mon ouvrage. Nul pauvre n’est plus pauvre que moi. Accordez-moi le pardon, Ô grand Dieu ! Seigneur, ne permettez point que je charge d’opprobre mon ennemi, ni que mon ami tue méprise ; que ma religion ne me soit point un sujet d’affliction ; que le monde ne soit point l’objet de mon amour, ni le sujet de mon application et de mon étude. Ne me donnez pas pour maitre celui qui n’aura point de compassion de moi. Accordez moi ces grâces par votre miséricorde, Ô le plus miséricordieux de ceux qui font miséricorde. »
Les disciples de Mahomet croient que nous en avons retranché divers passages qui étaient favorables à Mahomet. Quoique saint Paul n’ait pas écrit l’Évangile, il ne laisse pas de citer son Évangile (Romains 2.16 ; 16.25 ; 2 Timothée 2.8) secundo Evangelium meum, soit qu’on l’entende de l’Évangile de Jésus-Christ, qu’il prêchait et qu’il avait appris par révélation, ou de l’Évangile de saint Luc, que quelques anciens lui attribuaient, comme s’il l’avait dicté à saint Luc, ou qu’il lui eût simplement conseillé de l’écrire, et qu’il l’eût aidé à le composer ; ou qu’enfin saint Luc l’ayant appris de la bouche de saint Paul, son maître, on ait attribué au maître l’ouvrage du disciple.