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Fortune
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet

On entend sous le nom de Fortune une divinité bizarre et aveugle, qui, selon les païens, présidait à tous les événements et distribuait les biens et les maux selon son caprice. Les anciens Grecs ne connaissaient pas cette vaine divinité. On ne la trouve pas dans leurs livres. Ils attribuaient aux dieux le bien et le mal qui leur arrivait. Les auteurs sacrés de l’Ancien et du Nouveau Testament n’ont point employé le mot de Fortune dans leurs livres, au sens que nous lui donnons. Nous ne la faisons entrer dans ce dictionnaire, que parce que [dans la Vulgate] Isaïe (Isaïe 65.11) reproche aux Hébreux d’avoir érigé des autels à la Fortune. Il est certain que du temps d’Isaïe ni le nom ni la chose de Fortune n’étaient pas connus parmi les Hébreux ; aussi le texte original porte : Qui dressez une table à Gad, et qui remplissez vos vases de liqueurs pour en faire des libations à Meni. Il est question de savoir qui étaient ces deux divinités Gad et Meni.

Il y a beaucoup d’apparence que Gad signifie le Soleil, et Meni la Lune. Le soleil était le dieu de la bonne fortune, aussi bien que la lune : ces deux astres étaient considérés comme des principes heureux et des dieux bienfaisants ; et on croyait que ceux qui étaient nés sous l’aspect de l’un ou de l’autre de ces deux astres, jouissaient d’une constante prospérité. C’était la doctrine des Égyptiens et des Perses, et apparemment aussi des Syriens, puisque Liah ayant fait épouser Zelpha à Jacob, et en ayant eu par son moyen un fils, elle dit : Heureusement, ou à la bonne fortune ; (l’hébreu, dans Gad) et elle donna à ce fils le nom de Gad (Genèse 30.2).

Kimchi et Abrabanel disent que, chez les Arabes, l’étoile ou la planète de Jupiter porte le nom de Gad, et que cet astre a des influences heureuses pour ceux qui naissent sous son aspect. M. d’Herbelot dit que les Arabes appellent Sad, ou Saad, la planète de Jupiter, la plus heureuse des planètes, que nos astronomes appellent ordinairement Fortuna major ; de même que la planète de Vénus est nommée Sad-Saghir, Fortuna minor, la petite Fortune. Ils donnent à la même planète de Jupiter le nom de Moschteri ; mais en terme d’horoscope ils l’appellent Saad, Alsoud, Fortune des Fortunes.

Les Persans donnaient le nom d’Ormozd au génie qui préside au premier jour de l’année solaire ; c’est le même que les Grecs ont appelé Oromasdes. Il était regardé par les sectateurs de Mahomet, non-seulement comme le bon génie, mais comme le premier de la bonne fortune et Zoharah, qui est la planète de Vénus, comme la planète de la petite fortune, Ils opposaient Ormozd, ou Oromasde, dieu de la bonne fortune, à Aherman, ou Arimanios, dieu du mauvais destin.

Pour revenir à Gad et Meni, dont parle Isaïe, nous croyons que Gad des Syriens, était le même que Sad des Arabes et qu’Ormozd des Perses ; qu’il présidait à la bonne fortune, qu’il signifiait le soleil ; ou la planète de Jupiter ; et que Meni signifiait la lune, ou la planète de Vénus ; et qu’elle répondait à Zoharah des Perses, ou à Sad-Saghir des Arabes.

On honorait ces divinités dans la Palestine, en dressant des tables à Gad, et en versant des liqueurs en l’honneur de Meni. Démosthène nous apprend que chez les Grecs on sacrifiait pour la bonne fortune, ou pour obtenir quelque bonheur, à Apollon, qui préside aux rues : à Latone et à Diane (On sait qu’Apollon était le soleil, et Diane la lune). On leur dressait des tables aux coins des rues dans les carrefours, on leur offrait des coupes pleines de vin, on y brûlait des odeurs, on faisait des danses, et on portait des couronnes en leur honneur. Strabon parle de plusieurs temples dédiés à Men ou à Manus, à Anaïs, ou Diane, ou la Lune, qu’on voyait dans l’Arménie, où le culte de cette déesse était très-commun.

Saint Jérôme, écrivant sur le passage d’Isaïe que nous examinons, dit que c’est une ancienne coutume venue du paganisme, et qui subsiste encore dans presque toutes les villes, surtout en Égypte et à Alexandrie, de mettre aux coins des rues, le dernier jour de l’an, des tables couvertes de toutes sortes de biens, et des coupes pleines de vin mêlé avec du miel, comme pour un heureux présage de la nouvelle année. Jérémie (Jérémie 7.18 ; 44.17-18) reproche aux Juifs d’offrir à la reine du ciel, c’est-à-dire, à la lune, des gâteaux et des liqueurs. Voyez notre commentaire sur (Isaïe 65.11). On trouve souvent, dans les anciens monuments, la Fortune représentée avec les marques du soleil et de la lune, avec celles d’Isis, et accompagnée d’Hécate, et avec deux étoiles qui pourraient bien être celles de Jupiter et de Vénus, toutes deus consacrées à la bonne fortune.