Peut signifier le pressoir d’huile. C’était un village dans la montagne des Oliviers, où Jésus-Christ se retirait quelquefois pendant la nuit. C’est dans un jardin de ce village qu’il fit sa prière, qu’il sua sang et eau, et qu’il fut pris et arrêté par Judas et par ceux dont ce traître était le conducteur (Matthieu 26.36) [M. de Lamartine était, le 28 octobre 1832, dans le vallon de Gethsemani. Nous allons rapporter les pages que la vue de ce lieu sacré lui a inspirées].
« Nous passâmes, dit-il, devant la porte de Damas, charmant monument de goût arabe, flanquée de deux tours ; ouverte par une large, haute et élégante ogive, et crénelée de créneaux arabesques en ogive, de turbans de pierre. Puis nous tournâmes à droite, contre l’angle des murs de la ville, qui forment, du côté du nord, un carré régulier, et ayant à notre gauche la profonde et obscure vallée de Gethsemani, dont le torrent à sec du Cédron occupe et remplit le fond, nous suivimes, jusqu’à la Porte de Saint-Étienne, un sentier étroit touchant aux murailles, interrompu par deux belles piscines, dans l’une desquelles le Christ guérit le paralytique. Ce sentier est suspendu sur une marge étroite qui domine le précipice de Gethsemani et la vallée de Josaphat : à la porte de Saint Étienne, il est interrompu dans sa direction le long des terrasses à pic qui portaient le temple de Salomon, et portent aujourd’hui la mosquée d’Omar ; et une pente rapide et large descend tout à coup à gauche, vers le pont qui traverse le Cédron, et conduit à Gethsemani et au jardin des Olives. Nous passâmes ce pont, et nous redescendîmes de cheval en face d’un charmant édifice d’architecture composite, mais d’un caractère sévère et antique, qui est comme enseveli au plus profond de la vallée de Gethsemani, et en occupe toute la largeur. C’est le tombeau supposé de la Vierge, mère du Christ : il appartient aux Arméniens dont les couvents étaient les plus ravagés par la peste. Nous n’entrâmes donc pas dans le sanctuaire même du tombeau ; je me contentai de me mettre à genoux sur la marche de marbre de la cour qui précède ce joli temple, et d’invoquer celle dont toute mère apprend de bonne heure à son enfant le culte pieux et tendre ; en me levant, j’aperçus derrière moi un arpent d’étendue, touchant d’un côté à la rive élevée du torrent du Cédron, et de l’autre s’élevant doucement coutre la base du mont des Olives. Un petit mur de pierres sans ciment entoure ce champ, et huit oliviers, espacés de trente à quarante pas les uns des autres, le couvrent presque tout entier de leur ombre. Ces oliviers sont au nombre des plus gros arbres de cette espèce que j’aie jamais rencontrés ; la tradition fait remonter leurs années jusqu’à la date mémorable de l’agonie de l’Homme-Dieu, qui les choisit pour cacher ses divines angoisses. Leur aspect confirmerait au besoin la tradition qui les vénère ; leurs immenses racines, comme les accroissements séculaires, ont soulevé la terre et les pierres qui les recouvraient, et, s’élevant de plusieurs pieds au-dessus du niveau du sol, présentent au pèlerin des sièges naturels, ou il peut s’agenouiller ou s’asseoir pour recueillir les saintes pensées qui descendent de leur cimes silencieuses. Un tronc noueux, cannelé, creusé par la vieillesse, comme par des rides profondes, s’élève en large colonne sur ces groupes de racines, et, comme accablé et penché par le poids des jours, s’incline à droite ou à gauche et laisse pendre ses vastes rameaux entrelacés, que la hache a cent fois retranchés pour les rajeunir. Ces rameaux vieux et lourds, qui s’inclinent sur le tronc, en portent d’autres plus jeunes qui s’élèvent un peu vers le ciel, et d’où s’échappent quelques tiges d’une ou deux années, couronnées de quelque touffes de feuilles, et noircies de quelques petites olives bleues qui tombent, comme des reliques célestes, sur les pieds du voyageur chrétien. Je m’écartai de la caravane qui était restée autour du tombeau de la Vierge, et je m’assis un moment sur les racines du plus solitaire et du plus vieux de ces oliviers ; son ombre me cachait les murs de Jérusalem ; son large tronc me dérobait aux regards des bergers qui paissaient des brebis noires sur le penchant du mont des Olives. Je n’avais sous les yeux que le ravin profond et déchiré du Cédron, et les cimes de quelques autres oliviers qui couvrent en cet endroit toute la largeur de la vallée de Josaphat. Nul bruit ne s’élevait du lit du torrent à sec ; nulle feuille ne frémissait sur l’arbre ; je fermai un moment les yeux, je me reportai en pensée à cette nuit, veille de la rédemption du genre humain, où le messager divin avait bu jusqu’à la lie le calice de l’agonie, avant de recevoir la mort de la main des hommes, pour salaire de son céleste message.
Je demandai ma part de ce salut qu’il était venu apporter au monde à un si haut prix ; je me représentai l’océan d’angoisses qui dut inonder le cœur du Fils de l’homme quand il contempla d’un seul regard toutes les misères, toutes les ténèbres, toutes les amertumes, toutes les vanités, toutes les iniquités du sort de l’homme ; quand il voulut soulever seul ce fardeau de crimes et de malheurs sous lequel l’humanité tout entière passe courbée et gémissante dans cette étroite vallée de larmes ; quand il comprit qu’on ne pouvait apporter même une vérité et une consolation nouvelle à l’homme qu’au prix de sa vie ; quand, reculant d’effroi devant l’ombre de la mort qu’il sentait déjà sur lui, il dit à son Père : Que ce calice passe loin de moi ! Et moi, homme misérable, ignorant et faible, je pourrais donc m’écrier aussi au pied de l’arbre de la faiblesse humaine : Seigneur, que tous ces calices d’amertume s’éloignent de moi et soient reversés par vous dans ce calice déj à bu pour nous tous ! Lui, avait la force de le boire jusqu’à la lie, vous connaissait, il vous avait vu ; il savait pourquoi il allait le boire ; il savait quelle vie immortelle l’attendait au fond de son tombeau de trois jours ; mais moi, Seigneur, que sais-je, si ce n’est la souffrance qui brise mon cœur, et l’espérance qu’il m’a apprise ?
Je me relevai, et j’admirai combien ce lieu avait été divinement prédestiné et choisi pour la scène la plus douloureuse de la passion de l’Homme-Dieu. C’était une vallée étroite, encaissée, profonde ; fermée au nord par des hauteurs sombres et nues qui portaient les tombeaux des rois ; ombragée à l’ouest par l’ombre des murs sombres et gigantesques d’une ville d’iniquités ; couverte à l’orient par la cime de la montagne des Oliviers, et traversée par un torrent qui roulait ses ondes amères et jaunâtres sur les rochers brisés de la vallée de Josaphat. À quelques pas de là, un rocher noir et nu se détache, comme un promontoire, du pied de la montagne, et, suspendu sur le Cédron et sur la vallée, porte quelques vieux tombeaux des rois et des patriarches, taillés en architecture gigantesque et bizarre, et s’élance, comme le pont de la mort, sur la vallée des lamentations.
À cette époque, sans doute, les flancs aujourd’hui demi-nus de la montagne des Oliviers étaient arrosés par l’eau des piscines et par les flots encore coulants du Cédron. Des jardins de grenadiers, d’orangers et d’oliviers couvraient d’une ombre plus épaisse l’étroite vallée de Gethsemani, qui se creuse, comme un nid de douleur, dans le fond le plus rétréci et le plus ténébreux de celle de Josaphat. L’homme d’opprobre, l’homme de douleur, pouvait s’y cacher comme un criminel, entre les racines de quelques arbres, entre les roches du torrent, sous les triples ombres de la ville, de la montagne et de la nuit ; il pouvait entendre de là les pas secrets de sa mère et de ses disciples qui passaient sur le chemin, en cherchant leur Fils et leur Maitre ; les bruits confus, les acclamations stupides de la ville qui s’élevaient au-dessus de sa tête pour se réjouir d’avoir vaincu la vérité et chassé la justice ; et le gémissement du Cédron qui roulait ses ondes sous ses pieds, et qui bientôt allait voir sa ville renversée et ses sources brisées par la ruine d’une nation coupable et aveugle. Le Christ pouvait-il mieux choisir le lieu de ses larmes ? pouvait-il arroser de la sueur de sang une terre plus labourée de misères plus abreuvée de tristesses, plus imbibée de lamentations ?…
Lévitique 2 novembre suivant, jour des Morts, l’illustre poëte, revenu de Jéricho et du lac Asphaltite, était campé auprès de la piscine de Salomon, sous les murs de Jérusalem.
Nous voulions, dit-il, consacrer une journée à la prière dans ce lieu vers lequel tous les-chrétiens se tournent en priant, comme les mahométans se tournent vers la Mecke. Nous engageâmes le religieux qui faisait seul les fonctions de curé à Jérusalem, à célébrer, pour nos parents vivants et morts, pour nos amis de tous les temps et de tous les lieux ; pour nous-mêmes enfin, la commémoration du grand et douloureux sacrifice qui avait arrosé cette terre du sang du Juste, pour y faire germer la charité et l’espérance ; nous y assistâmes tous dans les sentiments que nos souvenirs, nos douleurs, nos pertes, nos désirs et nos mesures diverses de piété et de croyance nous inspiraient à chacun ; nous choisîmes pour temple et pour autel la grotte de Gethsemani, dans le creux de la vallée de Josaphat. C’est dans cette caverne du pied du mont des Olives, que le Christse retirait, suivant les traditions, pour échapper quelquefois à la persécution de ses ennemis et à l’importunité de ses disciples ; c’est là qu’il s’entretenait avec ses pensées célestes, et qu’il demandait à son Père que le calice trop amer qu’il a vait rempli lui-même, comme nous remplissons tous le nôtre, passât loin de ses lèvres ; c’est là qu’il dit, a ses trois amis, la veille de sa mort ; de rester à l’écart et de ne pas s’endormir, et qu’il fut obligé de les réveiller trois fois, tant le zèle de la charité humaine est prompt à s’assoupir ; c’est là enfin qu’il passa, ces heures terribles de l’agonie, lutte ineffable entre la vie et la mort, entre la volonté et l’instinct, entre l’âme qui veut s’affranchir et la matière qui résiste, parce quelle est aveugle ! C’est là qu’il sua le sang et l’eau, et que, las de combattre avec lui-même sans que la victoire de l’intelligence donnât la paix à ses pensées il dit ces paroles finales, ces paroles qui ré sument tout l’homme et tout Dieu ; ces paroles qui sont devenues la sagesse de tous les sages, et qui devraient être, l’épitaphe de toutes les vies et l’inscription unique de toutes les choses créées : Mon Père, que votre volonté soit faite, et non la mienne !
Le site de cette grotte, creusée dans le, rocher du Cédron, est un des sites les plus probables et les mieux justifiés par l’aspect, des lieux, de tous ceux que, la pieuse crédulité populaire a assignés à chacune des scènes du drame évangélique : c’est bien là la vallée assise à l’ombre de la mort, l’abîme caché sous les murs de la ville, le creux le plus profond et vraisemblablement alors le plus fui des hommes, où le Christ, qui devait avoir tous les hommes pour ennemis, parce qu’il venait attaquer tous leurs-mensonges, dut chercher quelquefois un abri et se recueillir en lui-même pour méditer, pour prier et pour souffrir ! Le torrent impur de Cédron coule à quelques pas. Ce n’était alors qu’un égout de Jérusalem ; la colline des Oliviers s’y replie pour se joindre avec les collines qui portent le tombeau des rois, et forme là comme un coude enfoncé, où des masses d’oliviers, de térébinthe et de figuiers, et ces arbres fruitiers que le pauvre peuple cultive toujours, dans la poussière même du rocher, aux alentours d’une grande ville, devaient cacher l’entrée de la grotte ; de plus, ce site ne fut pas remué et rendu méconnaissable par les ruines qui ensevelirent Jérusalem. Des disciples qui avaient veillé et prié avec le Christ purent revenir et dire, en marquant le rocher et les arbres : C’était là ! Une vallée ne s’efface pas comme fine rue, et le moindre rocher dure plus que le plus magnifique des temples.
La grotte de Gethsemani et le rocher qui la couvre sont entourés maintenant des murs d’une petite chapelle fermée à clef, et dont la clef reste entre les mains des religieux latins de Jérusalem. Cette grotte et les sept oliviers du champ voisin leur appartiennent ; la porte, taillée dans le roc, ouvre sur la cour d’un autre pieux sanctuaire, que l’on appelle le Tombeau de la Vierge ; celle-ci appartient aux Grecs ; la grotte est profonde et haute, et divisée en deux cavités qui communiquent par une espèce de portique souterrain. Il y a plusieurs autels taillés aussi dans la roche vive ; on n’a pas défiguré ce sanctuaire donné par la nature, par autant d’ornements artificiels que tous les autres sanctuaires du Saint-Sépulcre ; la voûte, le sol et les parois sont le rocher même, suintant encore, comme des larmes, l’humidité caverneuse de la terre qui l’enveloppe ; on a seulement appliqué, au-dessus de chaque autel, une mauvaise représentation, en lames de cuivre peint de couleur chair, et de grandeur naturelle, de la scène de l’agonie du Christ, avec les anges qui lui présentent le calice de la mort ; si l’on arrachait ces mauvaises figures, qui détruisent celles que l’imagination pieuse aime à se créer dans l’ombre de cette grotte vide ; si on laissait les regards mouillés de larmes monter librement et sans images sensibles vers la pensée dont cette nuit est pleine. Cette grotte serait la plus intacte et la plus religieuse relique des collines de Sion ; mais il faut que les hommes gâtent toujours un peu tout ce qu’ils touchent…
Il reste, non loin de la grotte de Gethsemani, un petit coin de terre ombragé encore par sept oliviers ; que traditions populaires assignent comme les mêmes arbres sous lesquels Jésus se coucha et pleura. Ces oliviers, en effet, portent réellement sur leurs troncs et sur leurs immenses racines la date des dix-huit siècles qui se sont écoulés de puis celle grande nuit. Ces troncs sont énormes, et formés, comme tous ceux des vieux oliviers, d’un grand nombre de tiges qui semblent s’être incorporées à l’arbre, sous la même écorce, et forment comme un faisceau de colonnes accouplées. Leurs rameaux sont presque desséchés, mais portent cependant encore quelques olives. Nous cueillîmes celles qui jonchaient le sol sous les arbres ; nous en fîmes tomber quelques-unes avec une pieuse discrétion, et nous en remplîmes nos poches, pour les apporter en reliques, de cette terre à nos amis. Je conçois qu’il est doux pour l’âme chrétienne de prier, en roulant dans ses doigts les noyaux d’olives de ces arbres dont Jésus arrosa et féconda peut-être les racines de ses larmes, quand il pria lui-même, pour la dernière fois, sur la terre. Si ce ne sont pas les mêmes troncs, ce sont probablement les rejetons de ces arbres sacrés. Mais rien ne prouve que ce ne soient pas identiquement les mêmes souches. J’ai parcouru toutes les parties du monde où croît l’olivier ; cet arbre vit des siècles, et nulle part je n’en ai trouvé de plus gros, quoique plantés dans un sol rocailleux et aride. J’ai bien vu, sur le sommet du Liban, des cèdres que les traditions arabes reportent aux années de Salomon. Il n’y a là rien d’impossible ; la nature a donné à certains végétaux plus de durée qu’aux empires ; certains chênes ont vu passer bien des dynasties, et le gland que nous foulons aux pieds, le noyau d’olive que je roule dans mes doigts, la pomme de cèdre que le vent balaye, se reproduiront, fleuriront et couvriront encore la terre de leur ombre, quand les centaines de générations qui nous suivent auront rendu à la terre cette poignée de poussière qu’elles lui empruntent tour à tour. Ceci n’est point une marque de mépris de la création pour nous … » Voyez oliviers (Jardin des).