Il n’est point fait mention d’horloge dans l’Écriture, avant le règne d’Achaz ; et nous ne voyons pas même distinctement que depuis ce temps, les Juifs aient ordinairement partagé leur temps par heures ; ils continuèrent à compter à leur ordinaire.
Nous avons montré dans l’article des heures, que l’on trouve dans Daniel, dans Tobie (Tobie 12.22) et dans Judith les heures distinctement marquées. Il devait donc dès lors y avoir des horloges, de quelque nature qu’elles fussent ; soit qu’on mesurât les heures avec les pieds sur l’ombre de son corps, ou qu’on mesurât par l’ombre d’une aiguille, ou d’une colonne, ou d’un degré, ou de quelque autre manière ; car toutes ces sortes d’horloges ont été autrefois en usage : les montres solaires sont encore aujourd’hui très-communes ; et les gens de la campagne jugent encore assez juste de l’heure qu’il est par l’ombre de leur corps ou de leur maison.
Le terme hébreu maaloth (1 Rois 20.11 ; Isaïe 38.8), que l’on a traduit, dans la Vulgate, par horologium, par linea et par gradus, signifie, à la lettre, une montée, un degré ; et, par conséquent, ou n’en peut rien conclure pour la forme de l’horloge ou du cadran d’Achaz. Était-ce un degré fait exprès pour marquer les heures, ou seulement y servait-il par hasard et par occasion ? Était-ce une montée ordinaire, ou une montre ou cadran solaire, à qui l’on donne le nom de degrés, à cause des lignes qui y étaient tracées ou gravées ?
Une autre question aussi difficile à résoudre que la première, est de savoir d’où vient l’usage des montres et des horloges, de quelque manière qu’on les prenne ; car il est aisé de perfectionner une invention une fois trouvée. En voilà l’usage dans la Judée marqué sous le règne d’Achaz, et sous celui de Manassé dans le livre de Judith. Assez longtemps après nous voyons le même usage dans la Chaldée, au delà de l’Euphrate, dans les livres de Tobie et de Daniel : et nous n’avons rien qui nous persuade que l’invention en était nouvelle, ni en Judée, ni en Chaldée, lorsque ces auteurs en ont parlé. Les Égyptiens se vantent d’avoir donné commencement à la coutume de partager le jour en douze heures égales, et, par conséquent, d’avoir introduit dans fe monde l’usage des horloges ; puisque, comme nous l’avons déjà remarqué, l’un ne peut guère aller sans l’autre. On dit que Mercure Trismégiste, ayant remarqué que le Cynocéphale urine douze fois par jour, et toujours à une distance égale, et qu’il jette des cris à des heures réglées, partagea le jour en douze parties égales qu’on nomma heures. Mercure Trismégiste est beaucoup plus ancien que ni Achaz, ni Tobie, ni Daniel, s’il est vrai qu’il ait vécu peu de temps après Moïse.
Cela peut servir à confirmer l’opinion de ceux qui tiennent que l’invention des cadrans vient de delà l’Euphrate. D’autres croient que cette invention vient des Phéniciens, et que le premier vestige que l’on en rencontre dans l’antiquité, est ce qu’en dit Homère : Il y a, dit-il, une île nommée Syrie au-dessus d’Ortygie où l’on voit les révolutions du soleil ; c’est-à-dire, on voit dans cette île les retours du soleil, les solstices. Comme on croit que les Phéniciens avaient habité cette île, on présume que c’étaient eux qui y avaient laissé ce monument de leur science dans l’astronomie.
Environ trois cents après Homère, Phérécides dressa dans la même île un cadran solaire, pour marquer les heures. Enfin les Grecs avouent que ce fut Anaximander, qui le premier partagea le temps par heures, et qui leur apporta les cadrans solaires. Ussérius met la mort d’Anaximander sous l’an du monde 3437, sous le règne de Cyrus, et pendant la captivité de Babylone, cinq cent quarante-trois ans avant la naissance de Jésus-Christ, et cinq cent quarante-sept ans avant l’ère vulgaire. Comme ce philosophe avait voyagé en Chaldée, il pouvait en avoir apporté le cadran et l’aiguille, qui y étaient en usage.
Pour revenir à l’horloge d’Achaz, voici ce qu’en dit l’Écriture (2 Rois 20.2) : Ézéchias étant tombé dangereusement malade, Isaïe vint lui annoncer qu’il guérirait, et que, dans trois jours, il serait en état de monter au temple. Ézéchias lui dit : Et quel signe nie donnerez-vous de cette guérison ? Voulez-vous, lui répondit Isaïe, que l’ombre du soleil s’avance de dix lignes ou qu’elle retourne en arrière d’autant ? Le roi dit : Il est aisé que l’ombre s’avance de dix lignes ; mais faite, qu’elle recule d’autant. Isaïe se mit en prières et l’ombre qui avait déjà passé dix lignes retourna d’autant en arrière dans l’horloge d’Achaz. Ceci arriva l’an du monde 3291 environ douze ans après la mort d’Achaz.
Les interprètes sont assez peu d’accord entre eux sur la forme de cette horloge d’Achaz, Saint Cyrille d’Alexandrie et saint Jérôme croient que c’était un escalier disposé avec tant d’art, que le soleil, en se levant, y marquait les heures par son ombre ; et c’est ainsi que l’entendent la plupart des interprètes. D’autres croient que c’était une colonne dressée au milieu d’un pavé bien uni, sur lequel étaient gravées les heures. Les lignes imprimées sur ce pavé sont, suivant ces auteurs, ce que l’Écriture a exprimé par le nom de degrés. Grotius le décrit ainsi, après le rabbin Élie Chomer : C’était un demi-rond sphérique concave, au milieu duquel était un globe, dont l’ombre tombait sur diverses lignes gravées dans la concavité du demi-rond. Ces lignes étaient, dit-on, au nombre de vingt-huit. Cela revient assez à l’horloge que les Grecs nommaient scaphé, une nacelle, ou hemispherion, et dont Vitruve attribue l’invention à un Chaldéen nommé Bérose.
Voilà ce que l’on dit sur la forme de la montre d’Achaz. Quant à la manière dont se fit la rétrogradation de l’ombre dans cette horloge ; si le soleil retourna véritablement en arrière, ou si ses rayons réfléchis par quelque nuage formé subitement et surnaturellement produisirent cet effet, c’est sur quoi on est aussi fort partagé. Quelques auteurs ont cru que la rétrogradation n’avait pas été réelle, mais seulement apparente et dans l’opinion des peuples ; tout ce changement n’arriva que dans l’ombre qui tomba sur le cadran d’Achaz, et non sur le mouvement du soleil : cet astre se mut à l’ordinaire ; mais ses rayons réfléchis extraordinairement par l’opposition d’une nuée, ou autrement, causèrent naturellement dans la montre d’Achaz tout le changement qui fut pris pour un miracle. Et, quand la chose serait arrivée comme ils le croient, n’est-ce pas toujours un miracle de changer, à point nommé, la direction et la détermination des rayons du soleil, pour faire retourner en arrière de dix degrés l’ombre du cadran d’Achaz ?
Ceux qui tiennent que le soleil est au centre du monde que nous habitons, n’ont pas plus de peine à se tirer d’embarras à cet égard, que ceux qui tiennent que le soleil tourne autour de la terre. Sans suspendre ni arrêter le mouvement du soleil, on peut aisément concevoir que ses rayons ont pu être réfléchis d’une manière à faire paraître l’ombre du soleil dix lignes plus en arrière qu’elle n’aurait dû l’être, en suivant le cours ordinaire.
Mais ces dix lignes marquaient-elles autant d’heures ? C’est ce qu’on ne peut nullement décider. Il pouvait y avoir plusieurs lignes pour une seule heure, ou une ligne pour chaque heure ne dit point que ce jour-là ait été plus long qu’un autre. Et, en effet, si le miracle ne consistait qu’à changer, à point nommé et pour un peu de temps, la détermination des rayons du soleil, le jour n’a pas dû être plus long qu’à l’ordinaire ; et quand le soleil se serait arrêté dans sa course, comme le texte semble le dire, il ne s’ensuivrait pas que le jour aurait été plus long de dix heures qu’un jour ordinaire, puisque, comme on l’a dit, il n’est pas certain que chaque ligne marquât une heure. On peut consulter notre dissertation sur la rétrogradation du soleil dans la montre d’Achaz, à la tête de notre Commentaire sur le quatrième livre des Rois.