En hébreu Jobel. L’année du jubilé était la cinquantième année, qui arrivait après sept semaines d’années, ou sept fois sept ans (Lévitique 25.8) : Sanctificabis annum quinquagesimum ; ipse est annus jubilceus. Malgré la clarté de ce texte, plusieurs commentateurs soutiennent que le jubilé se célébrait dans la quarante-neuvième année, et précisément la dernière de la septième semaine d’années. Moïse favorise ce sentiment lorsqu’il dit (Lévitique 25.8) : Numerabis tibi septem hebdomadas annorum, id est, septies septem, quoe simul faciunt annos quadraginta novem. Ceux qui soutiennent cette opinion, font remarquer l’inconvénient qu’il y aurait de faire célébrer l’année du jubilé la cinquantième année après l’année sabbatique, qui arrive la quarante-neuvième année. Ces deux années de repos de suite pourraient avoir de dangereuses conséquences dans un pays, et y causer la famine.
Le terme hébreu Jobel signifie, selon les rabbins, une corne de bélier, avec laquelle on annonçait l’année du jubilé. Mais comment la corne de bélier, qui est solide, et non creuse, pourrait-elle servir de trompette ? C’était donc apparemment une trompette de cuivre, faite en forme de corne de bélier d’autres tirent l’étymologie de Jobel, de l’hébreu Jubal, qui signifiait, dit-on, autrefois jouer des instruments. Nous croyons qu’il vient du verbe Hobil, ramener, rappeler ; parce qu’alors chaque chose était ramenée à son premier maître.
L’année du jubilé commençait au premier jour de Tizri, qui est le premier mois de l’année civile, qui revenait à-peu-près au mois de septembre et vers l’équinoxe d’automne en cette année (Lévitique 25.11-13) on ne semait ni on ne moissonnait point ; mais on se contentait de recueillir ce que la terre et les arbres produisaient d’eux-mêmes. Chacun rentrait dans ses héritages, soit qu’ils fussent vendus, engagés, ou aliénés. Les esclaves hébreux, de quelque manière qu’ils fussent tombés dans l’esclavage, étaient affranchis avec leurs femmes et leurs enfants, même ceux qui avaient renoncé au privilége que leur donnait l’année sabbatique de recouvrer leur liberté. Il n’en était pas de même des esclaves étrangers, lesquels ne jouissaient point du droit que donnait le jubilé. Il y a quelques autres particularités sur cette année, que l’on peut lire Lévitique 15.
Pour concilier les deux sentiments qui partagent les interprètes sur le sujet du jubilé, savoir si l’on doit le célébrer la cinquantieme année précise, comme le dit Moïse (Lévitique 25.10), et comme l’entendent Philon, Josèphe, Eusèbe, saint Jérôme, saint Augustin, saint Grégoire le Grand, saint Isidore, tous les Juifs, tant talmudistes que caraïtes, et un très-grand nombre de commentateurs ; ou seulement la quarante-neuvième année, comme Moïse le marque assez clairement au chapitre 25.8. du Levitiq., et comme l’expliquent plusieurs bons commentateurs et chronologistes : ils me semble qu’on peut dire que la cinquantième année est mise pour la quarante-neuvième, afin de faire un compte rond, comme tous les jours on dit huit jours pour une semaine, trente jours pour un mois, cinq ans pour une olympiade, quoiqu’en rigueur la semaine n’ait que sept jours, le mois quelquefois trente et un, quelquefois vingt-huit, ou vingt-neuf, ou trente jours, et l’olympiade seulement quatre ans. De plus, comme l’année du jubilé se commençait après la fin de la quarante-neuvième, et au commencement de la cinquantième année, on pouvait indifféremment lui donner le nom de la quarante-neuvième et de la cinquantième année.
La plus grande difficulté consiste à savoir si en ces deux années quarante-neuf et cinquante on observait le sabbat, ou le repos de la terre, ou seulement à la quarante-neuvième année. Il semble qu’il y aurait de trop grands inconvénients à observer de suite deux années de repos : on satisfait à l’intention du législateur par le repos d’une seule année. La septième des années sabbatiques était seulement plus privilégiée, plus célèbre que les deux précédentes ; on concilie tout, et les difficultés s’évanouissent par ce tempérament.
Voici quelques détails touchant l’année du jubilé : elle commençait dès le premier jour du mois,Tizri. Mais ni les esclaves n’étaient remis en liberté, ni les terres n’étaient rendues à leurs premiers maîtres qu’au dixième jour de ce mois. On passait les neuf premiers jours dans la joie et dans les plaisirs, à-peu-près comme les Romains dans leurs saturnales. Durant ces neuf jours les esclaves ne faisaient aucun ouvrage à leurs maîtres, mais ils mangeaient, buvaient et se réjouissaient, et prenaient chacun une couronne sur la tête. Le jour de l’expiation solennelle, qui est le dixième de Tizri, n’était pas plutôt arrivé, que les conseillers du sanhédrin faisaient sonner des trompettes, et à l’instant les esclaves étaient déclarés libres, et les terres revenaient à leurs anciens maîtres.
Le motif de cette loi était d’empêcher que les riches n’opprimassent les pauvres et les réduisissent en un esclavage perpétuel, qu’ils ne s’attirassent tous les fonds par les voies de l’achat, ou de l’engagement, ou enfin de l’usurpation ; que les dettes ne vinssent à se trop multiplier, et par conséquent à ruiner entièrement les pauvres ; que les esclaves ne demeurassent pas toujours, eux, leurs femmes et leurs enfants, dans la servitude. De plus Moïse voulait conserver, autant qu’il était possible, la liberté des personnes, l’égalité des biens, l’ordre des familles, dans le pays. Enfin il voulait que le peuple s’attachât à son pays, à ses terres, à son héritage, qu’if s’y affectionnât comme à un bien qui lui venait de ses pères, et qu’il devait laisser à ses enfants sans crainte qu’il sortit pour toujours de sa famille.
Lycurgue établit quelque chose de pareil parmi les Lacédémoniens en y ordonnant l’égalité des biens, en bannissant l’esclavage et empêchant, autant qu’il pouvait, que nul ne devint trop puissant et trop riche. C’est pour cela qu’il établit l’ostracisme, qui consistait à bannir.de la république les citoyens dont les richesses ou la trop grande puissance faisaient ombrage aux autres. Stolon avait voulu réprimer l’avidité et l’avarice des anciens Romains, en faisant une loi qui défendait à chaque particulier d’avoir plus de cinq cents arpents de terre, mais la fraude se mit bientôt de la partie et renversa cette sage ordonnance. Stolon lui même fut le premier à violer sa propre loi, et fut condamné parce qu’il en possédait mille, conjointement avec son fils, qu’il avait exprès émancipé à cet effet.
L’année du jubilé avait plusieurs prérogatives par-dessus l’année sabbatique ; et la sabbatique a aussi quelques petits avantages par-dessus l’année du jubilé : l’année sabbatique annulait les dettes, ce que ne faisait pas le jubilé ; mais le jubilé remet les esclaves en liberté, et rend’les terres à leurs anciens maîtres ; de plus il restitue les terres d’abord au commencement du jubilé, au lieu que dans l’année sabbatique les dettes no sont annulées qu’à la tin de l’année. Les biens qui avaient été achetés ou donnés retournaient sans difficulté à leurs anciens maîtres ; ceux qui étaient venus par droit de succession demeuraient à ceux qui en jouissaient ; les contrats de vente où l’on avait exprimé un certain nombre d’années subsistaient pendant toutes ces années, nonobstant la rencontre du jubilé. Mais les contrats absolus et illimités, étaient cassés par le jubilé. Les maisons et les autres édifices bâtis dans les villes murées ne revenaient point au propriétaire en l’année du jubilé.
Depuis la captivité de Babylone on continua d’observer les années sabbatiques, mais non pas les années du jubilé. Alexandre le Grand accorda aux Juifs l’exemption du tribut pour la septième année, à raison du repos qu’ils observaient cette année-là ; mais à l’égard du jubilé, puisqu’il n’était institué que pour empêcher l’anéantissement du partage fait par Josué et la confusion des tribus et des familles, il ne fut plus praticable comme avant la dispersion des tribus, celles qui revinrent de captivité s’étant établies comme elles purent et où elles purent, et un très-grand nombre de familles, et peut-être des tribus entières, étant demeurées dans le lieu de leur captivité. [Voyez Acquisition, année sabbatique, législation de Moïse].
Ussérius met le premier jubilé qui fut observé depuis la loi de Moïse en l’an de la période julienne 3318, du monde 2609, avant Jésus-Christ 1391, avant l’ère vulgaire 1395.
Le second jubilé, l’an de la période julienne 3367, du monde 2658, avant Jésus-Christ 1342, avant l’ère vulgaire.
Le troisième jubilé en l’an de la période julienne ee, du monde 2707, avant Jésus-Christ 1293, avant l’ère vulgaire 1297, et ainsi des autres. On peut voir les tables chronologiques et compter quarante-neuf ans de jubilé en jubilé.
À l’imitation des Juifs, les chrétiens ont aussi établi un jubilé, mais qui ne regarde que la rémission des péchés et l’indulgence que l’Église accorde aux pécheurs, en vertu du pouvoir qu’elle a reçu de Jésus-Christ de lier et de délier. Ces sortes de jubilés n’ont été établis que depuis le pape Boniface 8 en l’an 1300 de Jésus-Christ, et encore n’ont-ils commencé à porter le nom de jubilé que depuis Sixte 1V, qui fut fait pape en 1471, et qui, dans sa bulle de l’an 1473, donna à l’indulgence plénière et générale qu’il accordait à tous les fidèles le nom de jubilé. Dans les commencements, ces jubilés ne s’accordaient que de cent en cent ans ; mais le pape Clément VI en 1342, les réduisit à cinquante. Grégoire XI les avait fixés à un espace de trente-trois ans ; et Paul II trouvant que cette durée était encore trop longue, ordonna que de vingt-cinq en vingt-cinq ans on donnerait un jubilé ; ce qui s’est toujours pratiqué depuis ce temps-là. Cela n’empêche pas que les souverains pontifes n’accordent aussi des jubilés en l’année de leur consécration et dans les grandes nécessités de l’Église ; mais ce sont plutôt des indulgences en Influe de jubilé que de véritables jubilés. Je n’entre pas plus avant dans cette matière, parce qu’elle ne regarde qu’indirectement mon sujet, et que le Nouveau Testament ne parle du jubilé en aucun endroit, sinon d’une manière implicite, lorsqu’il marque le pouvoir de lier et de délier accordé aux apôtres, et celui d’user d’indulgence envers les pécheurs vraiment pénitents. Voyez (Matthieu 16.19, et 2 Corinthiens 2.10).