Autrement appelée Spart, ville célèbre [capitale de la Laconie dans le Péloponèse [et située sur le bord de l’Eurotas]. Lacédémone est très-ancienne ; on dit qu’elle s’appela d’abord Lélégie, de Lelex, son premier roi, qui était, dit-on, contemporain de Cécrops et d’Erichtonius. Elle prit ensuite le nom de Lacédémone, de Lacédémon, fils de Jupiter et de Sémélé ; enfin elle porta aussi le nom de Sparte, qu’elle prit de la reine Sparte, femme de Lacédémon.
On conne trois dynasties de rois qui ont régné autrefois à Lacédémone. La première commença à Lelex, premier roi de cette ville, et continua jusqu’à Tizamène, fils d’Oreste, treizième et dernier roi de la première dynastie, qui fut chassé par les Héraclides. La dynastie des Héraclides fut partagée en deux familles : celle des Euristhénides, ou Agides, qui donnèrent trente et un rois à Lacédémone ; et celle des Proclides, ou Euripanades, qui en donnèrent vingt-quatre.
Les Lacédémoniens se sont toujours distingués par leur valeur. Lycurgue les poliça et leur donna des lois. Il établit un conseil composé de trente-deux conseillers, dont le roi en était un. Genèse conseil ne pouvait rien conclure sans le consentement du peuple. Plusieurs des lois de Lycurgue ont assez de rapport à celles de Moïse. Par exemple, l’égalité des partages des terres, le respect pour les vieillards et les magistrats, la frugalité, l’horreur de l’ivrognerie et de l’intempérance, ils élevaient leurs enfants, même les filles, dans les exercices laborieux de la guerre ; ils leur inspiraient un amour infini pour la liberté et pour l’indépendance ; ils parlaient peu et disaient beaucoup en peu de paroles ; le style laconique est passé en proverbe.
Les Hébreux ne commencèrent à connaître les Lacédémoniens et à avoir commerce avec eux que depuis les Machabées. Nous avons dit dans la première édition de ce Dictionnaire de la Bible qu’Aréus, roi de Lacédémone, écrivit au grand prêtre Onias III en l’an du monde 3821, avant Jésus-Christ 119, avant l’ère vulgaire 183 (1 Machabées 12.7), qu’ayant appris que les Juifs et les Lacédémoniens étaient frères et de la race d’Abraham, il les priait de leur mander l’état de leurs affaires. Onias reçut très-bien les envoyés d’Aréus, et recrivit aux Lacédémoniens, reconnaissant avec plaisir la parenté des deux nations. Plusieurs années après, Jonathas Machabée, ayant envoyé des députés à Rome pour renouveler l’alliance des Juifs avec les Romains, donna ordre à ses gens de repasser par Lacédémone, et de porter aux Lacédémoniens une lettre, dans laquelle il rapporte toute entière celle d’Aréus, dont nous venons de parler, et dit qu’encore que les Juifs n’aient pas besoin du témoignage d’Aréus, pour se persuader de leur parenté réciproque, puisqu’ils ont les livres saints qui la leur apprennent ; et quoique dans la situation présente de leur république ils ne soient pas dans la nécessité de recourir à leur secours, ils ne laissent pas de leur envoyer des ambassadeurs pour renouveler leur amitié et leur union, et pour leur rendre compte de l’état où étaient alors les affaires de leur nation ; disant qu’ils ont été exposés à beaucoup de persécutions, mais que le Seigneur les en a délivrés d’une manière toute miraculeuse. On n’a pas la réponse des Lacédémoniens.
Longtemps auparavant, Jason, faux grand prêtre des Juifs et frère d’Onias III ayant été obligé de se sauver de sa patrie, à cause de ses crimes, se retira auprès des Lacédémoniens (2 Machabées 5.7), espérant y trouver un asile ; mais les Lacédémoniens ayant appris le sujet de sa tune, l’abandonnèrent, et il mourut sans qu’ils daignassent lui donner l’honneur de la sépulture.
Nous avions d’abord supposé après Josèphe, et avec Ussérius, que c’était le grand prêtre Onias III à qui Aréus, roi de Lacédémone, avait écrit ; cependant on forme sur cela des difficultés que nous ne devons pas dissimuler. On dit qu’au temps d’Onias III il n’y avait point de roi à Lacédémone du nom d’Aréus ; car pour celui dont l’histoire du temps d’Onias III parle, il n’avait pas le titre ni la qualité de roi ; aucun auteur ne la lui a jamais donnée. Les deux familles royales de Lacédémone étaient éteintes avant que cet Aréus vint au monde, et le gouvernement de cette ville avait pris une autre forme, après avoir passé par les mains de quelques tyrans. Outre cela le grand prêtre Jonathas, dans sa lettre aux Lacédémoniens (1 Machabées 12.10), en parlant de cette lettre d’Aréus, dit qu’il s’était passé beaucoup de temps depuis qu’elle lui avait été écrite : or, il n’aurait pas parlé ainsi si la lettre d’Aréus eût été écrite à Onias III puisque depuis la mort d’Onias III arrivée l’an du monde 3834, jusqu’au commencement de Jonathas, en 3843, il n’y a que neuf ans.
Il vaut donc mieux dire que ce fut Areus ou Arius I roi de Lacédémone, qui écrivit à Onias 1 grand prêtre des Juifs. Ce prince est sûrement contemporain d’Onias ; et toute l’histoire s’accorde fort bien à ce sentiment. Nous mettons le commencement d’Onias I en l’an du monde 3682, et sa mort en 3702.
Quant à la parenté des Lacédémoniens et des Juifs, nous allons proposer les principales conjectures que l’on apporte pour donner quelque couleur à cette opinion. Il est bon de remarquer premièrement que, selon le texte grec, ce furent les Lacédémoniens qui écrivirent les premiers aux Juifs, et leur témoignèrent qu’ils avaient trouvé dans d’anciens livres qu’ils étaient parents, et qu’ils avaient pour père commun le patriarche Abraham. Les Juifs tout enflés qu’ils ont toujours été de la noblesse de leur origine, ne rejetèrent point cette prétention des Lacédémoniens. Les uns et les autres crurent très-sérieusement qu’ils étaient parents. On voit bien la lettre d’Aréus à Onias, mais on ne trouve pas la réponse d’Onias à Aréus ; mais il paraît par la suite de l’histoire que la chose fut très-bien reçue en Judée ; et que les deux peuples entretinrent de bonne foi leur alliance et leur parenté.
Le grand prêtre Jason étant obligé de quitter la Judée, sa patrie, et l’Arabie où il s’était retiré, alla chercher un refuge à Lacédémone (2 Machabées 5.9). Le grand prêtre Jonathas, frère de Judas Machabée, écrivit au sénat et au peuple de Lacédémone, pour renouveler leur ancienne alliance (2 Machabées 12.6) ; leur parenté était en article non contesté. Il faut toutefois avouer que si cela n’était fondé que sur les monuments qui nous restent dans les Écritures saintes, ou dans les auteurs profanes, leur créance était assez mal fondée. Mais ils pouvaient alors avoir en main des monuments et des preuves qui nous sont inconnues.
Quoi qu’il en soit, voici les conjectures que l’on propose pour donner du jour à cette parenté. Quelques-uns ont avancé qu’Ebal fils de Jectan (Genèse 10.28) était lé même qu’Ebalus père de Tindare et aïeul de Castor, de Pollux et d’Hélène ; mais la chronologie ne peut s’accorder avec ce sentiment, et d’ailleurs cela ne prouverait pas que les Lacédémoniens et les Juifs eussent pour père commun Abraham, puisqu’Ebald est plus ancien qu’Abraham de six ou sept générations.
D’autres ont Cru que les Lacédémoniens étaient issus d’une des deux femmes d’Abraham, Agar ou Céthara ; mais cela est trop vague, et ne nous apprend rien au delà d’une conjecture qui n’est pas appuyée de la moindre preuve. Grotius s’imagine que la parenté des Juifs et des Lacédémoniens est fondée sur ce que les Lacédémoniens descendaient des Doriens, et les Doriens des Pélasges, et comme ces derniers étaient originaires des environs de la Syrie ou de l’Arabie, on a dit au hasard que les Lacédémoniens et les Juifs étaient d’une même race ; ce sont là de ces opinions agréables qui ne souffrent pas un examen rigoureux et exact.
Eutychius, patriarche d’Alexandrie, prend cette parenté du côté d’Ésaü ; il croit qu’Ésaü épousa non-seulement des femmes chananéennes, mais aussi des femmes grecques, et que de là vient l’alliance entre les Juifs et les Grecs serait à souhaiter que ce prétendu mariage d’Ésaü avec des femmes grecques fût seulement probable.
Quelques-uns la font venir de Cadmus, qui, étant Phénicien, et étant venu en Grèce avec quelques Arabes, aura donné lieu à dire que les Lacédémoniens descendaient d’Abraham, parce que Cadmus venait d’un pays qui était peuplé et habité par les descendants d’Abraham. On attribuait à Cadmus la fondation de la ville de Lacédémone, et on tirait l’étymologie du nom de Sparte, qui signifie semée, de ce que Cadmus y avait semé des dents de dragon, d’où étaient sortis des hommes. Apollodore ajoute que Cadmus, effrayé de voir des hommes tout armés sortir de la terre, jeta des pierres contre eux : que ces hommes ramassant ces pierres commencèrent à s’entre-battre et à s’entre-tuer, de sorte qu’il n’en resta que cinq, à la tête desquels était Udoeus. N’aurait-ou pas pris cet Udoeus pour Jactants, afin d’en tirer l’origine des Lacédémoniens Juifs ?
Diodore de Sicile raconte qu’une foule d’étrangers s’étant jetés dans l’Égypte, et commençant à en altérer les lois et les coutumes, les naturels du pays les chassèrent, et les obligèrent de se retirer où ils purent : une partie se retira dans la Grèce, sous la conduite de Danaiis et de Cadmus ; les autres, ayant Moïse à leur tête, s’emparèrent de la Judée, qui était alors entièrement déserte. Voilà encore de quoi fonder une conjecture sur l’origine commune des Lacédémoniens et des Juifs.
La fondation de Sparte est attribuée par quelques auteurs à un Juif nommé Sparton, qui accompagna Bacchus dans ses guerres et dans ses voyages ; d’autres l’attribuent à Spartus, fils de Phoronée. On veut que ce Sparton, compagnon de Bacchus, ait été Juif : si cela était bien prouvé, il ne faudrait point d’autre fondement pour dire que les Juifs et les Lacédémoniens viennent d’un même père. Mais Pausanias remarque que les Lacédémoniens ne connaissent pas cet homme, et ne l’avouent pas pour fondateur de leur ville.
Les anciens ont cru que les Juifs étaient originaires de l’ile de Crète. Ce sentiment était encore commun du temps de Tacite : Judoeos. Le mont Ida, peu différent de celui de Juda ; les Idoei, peu différents de Judoei ; le fleuve Jarden portant le même nom que le Jourdain de la Palestine ; les lois des Crétois données par Minos ; celles de Lycurgue données aux Lacédémoniens, et celles de Moïse aux Juifs : tout cela dans l’antiquité la plus reculée. Les peuples crétois avaient envoyé des colonies dans la Palestine. Les Philistins étaient Crétois d’origine. Lycurgue, législateur des Lacédémoniens, avait demeuré longtemps en Crêté, et en avait tiré les lois qu’il donna à ses corn-patriotes. Tout cela a pu donner lieu de croire que les Juifs et les Lacédémoniens étaient d’une même origine.
Josèphe a pris le passage de la lettre de Jonathas au sénat de Lacédémone dans un sens différent de ce qui se lit dans les livres des Machabées. Ces livres portent (1 Machabées 12.9) que les Juifs n’ayant nul besoin du secours des Lacédémoniens, ni de leur alliance, n’ont pas laissé d’envoyer vers eux pour la renouveler. Josèphe fait dire à Jonathas que pour les Juifs ils n’ont nul besoin du témoignage des étrangers, pour se persuader que les Juifs et les Spartiates sont frères, ayant en main les livres sacrés, qui leur en fournissent des preuves, etc. Cette explication de Josèphe est suivie de plusieurs interprètes ; mais où sont donc ces passages de l’Écriture qui démontrent la parenté des deux peuples ? C’est ce qu’on n’a pu encore montrer jusqu’ici, qu’en supposant, ce qui est très-incertain, que les Lacédémoniens étaient venus des Iduméens ou des Ismaélites. De tout ce qu’on vient de dire il résulte que la parenté de ces deux peuples est un point très-douteux, et qu’apparemment les Juifs et les Spartiates ont bien voulu en cela se faire une agréable illusion. L’Écriture ne nous oblige pas de croire ce que croyaient Aréus et Jonathas ; si c’est une erreur, elle est toute sur leur compte. Les livres que nous croyons inspirés et indubitables racontent quelquefois les erreurs et les vaines opinions des hommes, sans les approuver ni les autoriser [M. H.J. Ern. Palmer a fait une dissertation intitulée : De epistolarum quas Spartani algue Judoei invicem sibi misisse dicuntur, veritate, 36 pages in-4.°. Darmstadt, 1828.L’auteur cherche à prouver que les objections élevées contre l’authenticité des lettres entre les Juifs et les Lacédémoniens ne sont pas assez fortes pour nous les faire rejeter comme interpolées. On a objecté, par exemple, que la première lettre des Lacédémoniens est écrite en dialecte, non pas dorien, mais alexandrin. À cela, M. Palmer répond que le livre des Machabées a été originairement rédigé en hébreu ; la traduction grecque qui en a été faite dans le dialecte alexandrin, a dû nécessairement rendre dans le même dialecte la lettre de Lacédémone. Selon la conjecture de l’auteur, cette lettre a dû être écrite par Aréus 1°, roi de Lacédémone, à Onias 1°, à l’époque où Démétrius Poliorcète, vainqueur d’Athènes, pressait le Péloponèse, et où les peuples de cette péninsule avaient intérêt à susciter à ce peuple autant d’ennemis en Asie qu’ils le pouvaient. Cette dissertation ne manque pas d’intérêt et l’auteur y soutient son opinion avec beaucoup d’érudition].