Fils d’Aran, et neveu d’Abraham. Il suivit son oncle, lorsqu’il sortit de la ville d’Ur, et ensuite lorsqu’il sortit d’Haran, pour se retirer en la terre de Chanaan (Genèse 11.31). Abraham eut toujours pour lui une grande tendresse. Il le mena avec lui en Égypte, et le ramena dans la terre de Chanaan. Mais ils ne purent demeurer plus longtemps ensemble ; ils furent obligés de se séparer, parce que, comme ils avaient l’un et l’autre de grands troupeaux (Genèse 13.6-7), quelquefois les pasteurs d’Abraham et ceux de Loth prenaient querelle ensemble. Abraham dit donc à Loth : qu’il n’y ait point de dispute entre nous, puisque nous sommes frères. Tout le pays est devant vous, choisissez quelle part vous voudrez. Si vous prenez la gauche, je prendrai la droite, et si vous choisissez la droite, je prendrai la gauche. Loth choisit donc, pour sa demeure, Sodome, dont les environs étaient très-beaux et très-agréables.
Environ huit ans après, le roi Codorlahomor et ses alliés ayant attaqué celui de Sodome et ceux des villes voisines, les mirent en fuite, pillèrent Sodome, prirent grand nombre de captifs, et emmenèrent en particulier Loth, neveu d’Abraham. Abraham, en ayant été informé (Genèse 14.12-13), choisit entre ses serviteurs trois cent dix-huit hommes résolus et bien armés ; et ayant poursuivi les rois ligués, les atteignit vers les sources du Jourdain, les battit, les mit en fuite, recouvra le butin qu’ils avaient pris, et ramena les captifs, entre autres Loth, son neveu. [Voyez Abraham et Codorlahomor].
Quelques années après, les crimes de ceux de Sodome et des quatre villes voisines étant montés à leur comble, Dieu envoya trois anges pour les punir et pour les exterminer (Genèse 18.20 ; 19.1-3). Ces trois anges passèrent par la demeure d’Abraham, et ce patriarche eut l’avantage de les recevoir dans sa tente. Comme il les reconduisait du côté de Sodome, un des anges lui découvrit le sujet de leur voyage ; et Abraham, craignant pour son neveu, lui demanda si Dieu envelopperait l’innocent avec le coupable dans la ruine de cette ville, et s’il la ferait périr, supposé qu’il s’y trouvât seulement vingt ou dix Justes. L’ange lui ayant dit qu’il épargnerait Sodome s’il s’y rencontrait seulement dix justes, Abraham s’en retourna, s’assurant qu’il y aurait sans doute au moins ce nombre de gens de bien dans une si grande ville, et que Loth ne manquerait pas d’être de leur nombre.
Sur le soir, les deux anges, car le troisième, qui n’était apparemment envoyé que pour annoncer la naissance d’Isaac, étant disparu, ces deux anges, dis-je, étant arrivés à Sodome, Loth, qui était assis à la porte de la ville, les aperçut, alla au-devant d’eux, se prosterna jusqu’en terre, et les supplia avec beaucoup d’instance de prendre le couvert dans sa maison. Les anges s’en défendirent d’abord, disant qu’ils voulaient passer la nuit dans la place publique ; mais Loth les ayant pressés d’entrer dans sa maison, ils entrèrent et il leur fit un festin. Mais avant qu’ils se fussent retirés pour se coucher, tous les habitants de la ville vinrent assièger la maison de Loth, et lui dirent : Où sont ces hommes, qui sont entrés ce soir chez vous ? Faites-les sortir, afin que nous les connaissions. Loth leur dit : Ne faites point, je vous prie, mes frères, ne faites point un si grand mal. J’ai deux filles qui sont encore vierges, je vous les amènerai : usez-en comme il vous plaira, pourvu que vous ne fassiez point de mal à ces hommes-là, qui sont entrés dans ma maison comme dans un lieu de sûreté. Mais ils lui dirent : Retirez-vous ; vous étes venu ici comme un étranger, et vous prétendez être notre juge ? Nous vous traiterons vous-même avec violence. Et comme ils étaient sur le point de rompre la porte, les deux anges tendirent la main à Loth, le retirèrent dans sa maison, et frappèrent d’aveuglement tous ceux qui étaient autour : en sorte qu’ils ne purent plus trouver la porte.
Alors les anges dirent à Loth : Faites sortir de cette ville tous ceux qui vous appartiennent ; car nous allons renverser ce lieu, parce que le cri des crimes de cette ville est monté jusqu’au Seigneur, et il nous a envoyés pour la détruire. Loth alla donc avertir ses gendres qui devaient épouser ses filles, et leur dit qu’ils eussent à sortir promptement de Sodome, parce que le Seigneur allait détruire la ville. Mais ils traitèrent ces avis de visions, et n’en tinrent compte. Dès le malin, les anges prirent Loth, sa femme et ses filles par la main, et les arrachèrent en quelque sorte de leur maison, parce qu’ils différaient toujours d’en sortir. Alors ils leur dirent : Sauvez-vous au plus vite ; ne regardez pas derrière vous ; gagnez la montagne, de peur que vous ne soyez enveloppés dans le malheur des autres. Loth pria les anges de trouver bon qu’il se retirât dans Ségor, qui était une des cinq villes condamnées à périr. Les anges usèrent donc de condescendance à son égard, et lui permirent de se sauver à Ségor. Mais la femme de Loth, ayant regardé derrière, fut surprise dans la flamme qui tomba du ciel et qui embrasa tout le terrain de Sodome, et fut changée en une statue de sel.
Loth, ayant vu le malheur de Sodome et des villes voisines, n’osa demeurer dans Ségor (Genèse 19.30-31). Il en sortit et se retira dans une caverne de la montagne voisine, avec ses deux filles. Celles-ci s’étant imaginé que tous les hommes étaient péris, et que le monde finirait si elles ne lui donnaient de nouveaux habitants, enivrèrent leur père ; et l’aînée coucha avec lui sans qu’il s’en aperçût : en sorte qu’elle en conçut un fils, qu’elle nomma Moab et qui fut père des Moabites. La seconde s’approcha de lui la nuit suivante, après l’avoir encore enivré, et en eut Ammon, qui fut père des Ammonites. On peut voir les commentateurs sur le chapitre 19 de la Genèse, pour savoir quel jugement l’on doit porter de toute la conduite de Loth, de ses filles et de sa femme. Saint Pierre dit que Dieu tira le juste Loth de l’oppression et de la vexation de ceux de Sodome (2 Pierre 2.7).
Quelques-uns ont prétendu que Béelphegor, adoré parmi les Moabites, enfants de Loth, n’était autre que Loth lui-même. Béelphegor signifie, dit-on, le dieu découvert et sans pudeur : ce qui revient assez à ce qui arriva à Loth avec ses filles.
Les mahométans ont ajouté beaucoup de circonstances à l’histoire de Loth. Ils tiennent que ce patriarche fut envoyé de Dieu aux habitants de Sodome et des quatre villes, pour leur prêcher l’unité d’un Dieu et les détourner du crime abominable dont on dit qu’ils ont été les premiers auteurs, et qui a pris d’eux leur nom parmi nous. Nous lui donnons le nom de sodomie, et les Arabes lui donnent celui de louth ou laouth.
Loth s’acquitta du devoir de prédicateur pendant vingt ans. Il leur prêcha avec beaucoup de zèle le culte du vrai Dieu, et leur donna une grande horreur du crime contre nature dans lequel ils se souillaient, leur reprochant qu’ils seraient les premiers de tous les hommes qui seraient tombés dans cette abomination, en pervertissant l’ordre naturel ; mais et ses prédications et ses remontrances furent inutiles. Dieu résolut donc de les faire périr. L’ange Gabriel fut envoyé avec deux autres pour les exterminer. Il passa par la demeure d’Abraham et découvrit à ce patriarche la résolution de Dieu. Abraham contesta longtemps avec lui, lisant qu’il y avait peut-être cent hommes justes dans les cinq villes, et que Dieu était trop juste pour confondre l’innocent avec le coupable. Il descendit ensuite par gradations, jusqu’à faire promettre à l’ange qu’il n’exterminerait pas ces villes s’il y trouvait seulement un juste. Alors Abraham lui répliqua : Mais Loth y est avec sa famille. Aussi l’en tirerons-nous, répondirent les anges : ainsi ne nous en parlez plus ; car l’arrét de leur condamnation est donné, et il est irrévocable.
Les anges, étant arrivés près de la ville, trouvèrent Loth qui travaillait aux champs. Il les salua ; et ayant appris qu’ils voulaient passer la nuit dans la ville, il en fut affligé, craignant qu’à cause de leur beauté et de leur bonne mine on ne leur fit quelque insulte. Il ne put s’empêcher de leur dire qu’ils ne connaissaient pas apparemment quels gens c’étaient que les habitants de Sodome ; qu’il n’y en avait pas de plus méchants sous le ciel : ce qu’il leur répéta quatre fois, la pudeur ne lui permettant pas de s’en expliquer davantage. Ils ne se rendirent pas à ses raisons, et entrèrent avec lui dans la ville. Ils ne furent pas plutôt entrés dans sa maison, que ceux de Sodome les vinrent assièger. Luth sortit et leur offrit de sacrifier ses filles à leur passion, s’ils voulaient épargner ses hôtes. Mais ils lui répondirent : Vous savez que nous n’avons que faire de vos filles, et vous n’ignorez pas ce que nous demandons. Loth leur répondit : Je n’ai pas, à la vérité, assez de force pour vous résister ; mais j’ai mon recours à Dieu, qui pourra me défendre, moi et mes hôtes, contre vos outrages.
Alors les anges le rassurèrent, lui déclarèrent qui ils étaient, et lui dirent qu’ils étaient envoyés pour exterminer ces misérables. En même temps ils les aveuglèrent, eu passant seulement les mains sur leurs propres visages. Ce châtiment les dissipa, et ils se mirent à crier que ces étrangers étaient des sorciers. Aussitôt les auges firent sortir Loth et ses filles. Mais sa femme, qui s’était corrompue par le commerce qu’elle avait eu avec ceux de Sodome, voulut demeurer et périr avec eux.
L’ange Gabriel, passant sous les fondements de ces villes, les éleva en l’air à une telle hauteur, que les habitants du ciel les plus proches de la terre entendirent le chant de leurs coqs et l’aboiement de leurs chiens ; puis il les laissa tomber sur la terre, et tous les habitants furent écrasés sous leurs ruines, Dieu ayant voulu que leur châtiment eût quelque rapport à leur crime. Après ce renversement, Dieu fit tomber sur eux des pierres ardentes cuites aux fournaises de l’enfer, sur chacune desquelles était écrit le nom des coupables : en sorte que ceux-là même qui étaient hors de l’enceinte de leur ville en furent écrasés et brûlés. On dit même qu’un de ceux-là s’étant alors trouvé par hasard dans le temple de la Mecque, bâti par Abraham, y demeura en sûreté pendant quarante jours ; mais qu’il n’eut pas plutôt mis le pied dehors, qu’il fut frappé et mis à mort comme ses compatriotes.
Si les mahométans ont beaucoup ajouté à l’histoire de Loth, d’autres, avant eux, l’avaient copiée et arrangée aussi à leur façon. Les poêtes l’ont transformée en deux fables fameuses, celle d’Orphée et d’Eurydice, et celle de Philémon et Baucis. Delort de La va ur nous fait assez bien voir cette métamorphose dans son livre intitulé : Conférence de la Fable avec l’Histoire sainte, chapitre 19 et 20.
Ce savant, après avoir analysé l’histoire de Loth comme il convenait à son dessein, continue en ces termes :
1.« Quantité d’auteurs attestent ce terrible et fameux prodige. Strabon le rapporte ; Tacite décrit à-peu-près comme l’historien sacré ces campagnes jadis si fertiles et si peuplées dont les villes furent consumées par le feu du ciel. « Les marques du courroux céleste, dit-il, y durent encore ; la terre est comme brûlée et n’a plus la force de produire ; on y voit un lac comme une mer dont les eaux sont d’une odeur et d’un goût pestilentiels. » Solin Polyhistor, Pline, Bochart et Adricomius en disent autant ; ces derniers ajoutent, comme Josèphe le dit aussi, que de leur temps on voyait encore cette statue de sel entre la mer Morte et la montagne où Loth se retira, et Tertullien assure qu’on la voyait également de son temps. Ces auteurs représentent cet endroit qu’ils ont vu, comme une bouche de l’enfer. [Voyez statue de sel].
Tournons à présent les yeux sur la fable d’Orphée et d’Eurydice, par laquelle les Grecs ont voulu, à leur ordinaire, transporter de la Palestine dans leur pays la scène de ces prodiges.
Leurs poêtes font naître Orphée dans la Thrace, tantôt de Jupiter, tantôt d’Œagre et d’une muse. Ils ont conservé dans son nom la signification de celui de Loth ; car Orphée, en grec, veut dire, noir et obscur ; comme Loth, enveloppé, obscurci. Ils lui donnent pour mère, les uns Calliope, les autres Polymnie, qui veut dire hymne et chants ; comme le nom d’Aram, père de Loth, signifie chantre ou panégyriste. Orphée est connu sous le nom seul de Chantre de la Thrace :
Cette fable est rapportée dans Pausanias, dans Diodore de Sicile, par Conon dans Photius, par Ovide dans ses Métamorphoses ; elle est élégamment décrite par Virgile, et tous la reconnaissent comme une pure fable : aussi n’a-t-on donné à Orphée qu’une généalogie de la fantaisie des poêtes, et purement allégorique par rapport à celle de Loth. On a aussi nommé sa femme Eurydice, c’est-à-dire, deux fois trouvée et autant de fois perdue, comme la femme de Loth.
Orphée est placé dans la Thrace, peuple brutal, barbare, qui sacrifiait les étrangers, ennemi de toute soumission ; comme les habitants de Sodome aussi brutaux, barbares, haïssant les étrangers et les traitant avec outrage, dit Josèphe. Orphée avait voyagé dans l’Égypte, d’où il porta le premier aux Grecs les cérémonies et les connaissances des Égyptiens, avec plusieurs de leurs lois, comme nous l’avons vu ailleurs. Ce furent particulièrement ces belles connaissances qui lui attirèrent tant d’admiration, et qui faisaient venir à lui les peuples encore ignorants, sauvages et sans mœurs. Il leur inspirait l’amour et la crainte des dieux, avec l’horreur de tout ce qui est contre la justice et la raison, ce qui a fait dire, en langage poétique, qu’il apprivoisait les lions et les tigres, et se faisait suivre des forêts.
Les infâmes débauches des habitants de Sodome sont assez connues et décriées. Les poêtes, Ovide parmi les autres, en noircissent Orphée. Cet horrible trait ne convient nullement à Loth, mais il peint ses concitoyens. Lorsque l’on compare la Fable avez l’histoire, le rapport consiste tantôt dans une ressemblance directe de la copie avec l’original, tantôt dans une ressemblance qui roule sur des circonstances. Celle-ci est si singulière, et d’ailleurs cadrant si peu avec les autres parties du caractère d’Orphée, représenté sous le langage figuré de la poésie comme un législateur respectable, occupé du soin de détourner les hommes du vice et de les porter à la vertu, qu’on ne peut la prendre pour l’ouvrage de l’invention des poêtes, mais plutôt pour un assujettissement à recueillir les restes d’une tradition qui, en s’affaiblissant, était devenue également désavantageuse à tous les citoyens d’une même ville.
Comme les rois du Pont et de Babylone avaient enlevé la femme de Loth, et qu’après avoir été délivrée de leurs mains elle alla à Sodome, qui est une vive image de l’enfer, on a feint qu’un Aristée, roi d’Arcadie, voulut enlever la femme d’Orphée, et qu’elle fut, dans sa fuite, piquée par un serpent dont la morsure la conduisit aux enfers.
La fable d’Orphée a deux parties : la première est sa descente aux enfers : il perça les horreurs qui en défendent l’entrée, et il obtint la liberté de ramener sa chère Eurydice de ces abîmes affreux dont il est défendu de sortir ; tuais on joignit à cette faveur la condition de ne se point tourner pour la voir jusqu’à ce qu’ils fussent assez hors des vallées infernales pour ne pouvoir y porter leur vue. En contrevenant à cette loi, il devait perdre le fruit de la grâce qu’on lui avait accordée.
Dans la seconde partie du tableau on représente Eurydice déj à sortie des barrières de l’abîme, sur le point d’être rendue en sûreté à la lumière du jour, à la suite de son mari, lorsque celui-ci, par une imprudente curiosité, tourne la tête pour s’assurer de l’exécution de la promesse qu’on lui avait faite. Dans l’instant qu’il s’est tourné vers sa femme, il lui voit reperdre la vie qu’il venait de lui faire rendre ; ce n’est plus qu’une ombre qui le fait s’épuiser en regrets inutiles.
Ces fictions sans fondement ne peuvent avoir été forgées que sur un fond de vérité, dont on voit l’original dans l’histoire de Loth et de sa femme.
Elle était enfermée dans Sodome, qui n’a paru qu’un enfer à ceux qui ont vu le lieu où fut cette ville infortunée ; les vertus et la justice de son époux, bien éloigné des dérèglements qui y régnaient, furent si agréables à Dieu, qu’avec l’union et le concèrt de la piété et des prières d’Abraham, son oncle, il trouva grâce devant lui. Le Seigneur envoya des anges pour le retirer avec sa femme de cette ville condamnée, avant que la pluie de feu et de soufre la réduisit en l’état décrit par tant d’auteurs, après l’historien sacré.
Mais cette grâce avait été accompagnée de la défense de tourner la tête vers cette demeure infernale, jusqu’à ce qu’ils eussent gagné la montagne et fussent hors de cet orage de feu et de soufre. La femme fut trop curieuse et trop impatiente ; elle se tourna vers ce séjour malheureux, où elle entendait un bruit effroyable ; et sur-le-champ elle perdit le sentiment et la vie ; son corps fut transformé en une statue immobile que tant de gens ont vue plusieurs siècles après. Loth en fut accablé de douleur, et se retira sur la montagne qui lui avait été indiquée.
Sur la fin de la fiction, on représente Orphée qui haïssait toutes les femmes, et qui détournait les hommes de leur commerce : c’est une peinture des débauches infâmes des concitoyens de Loth, comme il a été remarqué.
Ce fut par l’instigation de Bacchus, que des femmes dans leur fureur et dans les ténèbres déchirèrent Orphée ; en quoi la Fable semble avoir retenu quelque chose de la dernière aventure de Loth, lorsque ses filles se servirent de son ivresse pour abuser de lui, et pour concevoir à son grand regret deux enfants qui faisaient son supplice, dont la vue et le souvenir déchiraient son cœur, et dont les descendants furent toujours les ennemis irréconciliables du peuple sorti dd la même race que lui.
Voilà le fond qui a servi de canevas sur lequel les poètes ont travaillé, et qu’ils ont brodé de toutes leurs fictions.
Nous pouvons assez à propos joindre ici une autre fable, qu’on reconnaît aisément avoir aussi été prise de l’histoire de Loth, sauvé de Sodome par l’avis et le ministère des anges en considération de sa piété envers Dieu. C’est la fable du poëte Simonide, rapportée par Valère Maxime, par Cicéron, par Quintilien l Is content que Simonide soupait chez un nominé Scopa homme considérable et opulent, pour qui il avait composé un panégyrique en vers, dans lequel il avait mêlé bien des louanges des dieux Castor et Pollux, pour en relever celles de son héros et pour orner son poème. Cet homme avare en prit occasion de lui retrancher la moitié du salaire qu’il lui avait promis, en lui disant d’une manière sordide qu’il s’en fit payer par Castor et Pollux, qui y avaient autant de part que, lui. Ils n’avaient pas achevé de souper, qu’on avertit Simonide que deux jeunes hommes l’attendaient à la porte du logis pour une affaire fort pressante ; il y court : dès qu’il est dehors, les deux jeunes hommes disparaissent, et dans le moment le e louis où l’on soupait est abîmé ; l’hôte avec toute sa compagnie furent écrasés sous sa ruine, et Simonide seul fut sauvé.
Qui ne voit la piété de Loth récompensée, l’impiété, l’injustice et les insultes de ses concitoyens punies, l’envoi des anges sous la forme de deux jeunes hommes pour sauver Loth, qu’ils font sortir de la ville, laquelle d’abord après est abîmée en la manière que nous l’avons vu dans son histoire ?
Il n’est pas besoin d’autres réflexions.
II. « La fable de Philémon et Baucis a assez de rapport avec l’histoire de Loth, sauvé de la ruine de son pays, et avec la fable de Simonide que nous venons de rapporter, pour leur être jointe : on y a mêlé cependant tant de circonstances particulières de l’histoire d’Abraham, qu’elle paraît y avoir plus d’affinité, et qu’elle mérite de lui être confrontée séparément, pour se convaincre qu’elle en a été tirée.
Nous allons mettre ici simplement un extrait de la narration qu’Ovide en fait faire par un homme qui en était instruit, pour justifier et inspirer le respect et la crainte qui sont dus aux dieux.
« On voit, dit-il, au pied d’une colline de la Phrygie, deux arbres qu’on a enfermés d’une muraille. J’ai été sur les lieux ; je les ai vus (dit celui qui fait ce récit). Il y a auprès un lac, qui était autrefois une terre habitée. Jupiter et Mercure, sous la figure d’hommes, vinrent visiter ce pays. Ils furent à la porte de mille maisons voir si l’on voudrait les y recevoir. Ils furent rebutés partout ; il n’y eut qu’une seule petite maison d’un bon vieillard, appelé Philémon, et d’une bonne vieille sa femme, appelée Baucis, où ils furent reçus avec joie. Ces bonnes gens avaient passé ensemble une vie sage et pieuse ; ils étaient sans enfants, et se servaient eux-mêmes, sans chagrin et sans murmure. Ils marquèrenl à leurs hôtes leur empressement, et dès que ces dieux déguisés furent entrés dans leur cabane, ils leur présentèrent les Meilleurs sièges qu’ils avaient ; ils allumièrent du feu ; ils préparèrent ce qu’ils purent cueillir de meilleur dans leur jardin, et s’empressèrent de tuer quelque volaille qu’ils avaient conservée ; ils les entretenaient cependant pour leur faire attendre plus doucement le repas ; ils l’apprêtèrent eux-mêmes le mieux qu’ils étaient » capables de le faire ; ils ajustèrent et couvrirent les lits de ce qu’ils avaient de plus propre ; ils firent chauffer de l’eau pour leur laver les pieds. Tout cela était accoma d’un air qui marquait la bonne volonté de ces sages vieillards. Après le repas, les dieux se firent connaître pour ce qu’ils étaient ; ils déclarèrent au mari et à la femme qu’ils allaient châtier et faire périr tout le pays de leur voisinage, à cause de l’impiété de ses habitants, et qu’ils seraient les seuls sauvés de cette ruine générale ; qu’il fallait promptement sortir de leur maison, et les suivre sur une montagne voisine. Ils ne perdirent pas le temps. À peine étaient-ils arrivés vers le milieu de la montagne, qu’ils virent tout le pays submergé et devenu un lac, à l’exception de leur petite habitation. Ils étaient, d’un côté, pénétrés de douleur, pour la perte des gens de leur pays ; et de l’autre, ravis d’admiration et de reconnaissance pour leur conservation. Ils craignaient encore et se répandaient en prières, lorsque Jupiter changea leur chaumière en un temple. Il dit ensuite à ces pieux vieillards de lui demander ce qu’ils souhaiteraient ; ils lui demandèrent de pouvoir le servir et d’être chargés du soin de son culte dans ce temple ; d’y vivre et d’y mourir ensemble : ce qui leur fut accordé. Ils y furent conservés en paix pendant leur vie ; et parvenus à une extrême vieillesse, ils furent tous deux changés en arbres, qu’on y voit encore, que l’on révère, et dont les branches sont chargées de bouquets, que ceux qui les vont voir y portent. Je les ai vus (ajoute celui qui fait ce récit), et j’ai appris toute cette aventure des vieillards du pays, gens sincères, qui disaient la bien savoir ; et qui n’avaient nul intérêt à me tromper. »
Voilà la fable rapportée par Ovide ; voyons l’histoire telle qu’elle est décrite dans la Genèse, et par Josèphe dans son Histoire des Juifs. Abraham, âgé de cent ans, et sa femme, âgée de quatre-vingt-dix, seuls et sans enfants, demeuraient sous des tentes dans la vallée de Mambré, près d’Hébron, qui fut aussi appelé Arbée, dans la Palestine. On sait combien ils étaient recommandables par leur charité. Un jour qu’Abraham était assis à la porte, près d’un chêne célèbre qu’on appelait le chêne de Mambré, il vit venir vers lui trois anges sous la figure d’hommes ; il courut au-devant d’eux, il se prosterna et leur demanda en grâce de vouloir entrer et s’ :rrêter dans sa tente. Il courut à sa femme et lui recommanda de faire cuire d’abord des pains sous la cendre. Ils apportèrent cependant de l’eau à leurs hôtes, pour leur faire laver les pieds, et les invitèrent à se reposer sous le chêne, pendant qu’ils préparaient de quoi manger. Abraharn courut eu même temps à son troupeau, il y tua un veau tendre et gras ; il donna à ses hôtes tout ce qu’il put leur offrir de meilleur, et il les servit à table.
Après le repas, ces hommes tournèrent les yeux vers Sodome, et parlant au nom du Seigneur, dont ils firent connaître qu’ils étaient les ministres, ils déclarèrent de sa partà Abraham le sujet pourlequel ils étaient envoyés : que le cri des crimes de Sodome et de Gomorrhe, qui étaient dans ce voisinage, s’était fortifié ; et que leurs péchés étaient parvenus à leur comble ; qu’il avait voulu descendre pour voir lui-même de près ce qui en était, et s’il y restait quelque homme de bien ; mais qu’il n’y en avait point trouvé. Alors deux de ces anges travestis en hommes prirent le chemin de Sodome ; ils y arrivèrent le soir. Loth, neveu d’Abraham, alla au-devant d’eux, les reçut chez lui avec empressement et piété, et les régala lis lui découvrirent leur commission, comme à Abraham ; ils le firent sortir de la ville avec sa femme., et le firent sauver sur la montagne, d’où il vit tout le pays inondé par une pluie de soufre et de feu, et changé en un lac affreux. La petite ville de Ségor, où il s’était retiré, fut sauvée en considération d’Abraham, qui, du lieu où il avait auparavant vu le Seigneur, vit les tristes restes de l’embrasement et cette épouvantable destruction.
Tout ce pays fut changé en un lac plein de bitume ; la petite ville où Abraham s’était réfugié, appelée Hébron, ou Arbée, fut miraculeusement conservée. Sara y mourut quelques années après, et y fut enterrée dans une caverne, près de la vallée de Mambré : Abraham y fut aussi enterré. Ils avaient été tous deux religieusement attachés au vrai culte du Seigneur, et ils le laissèrent à leur postérité. L’arbre sous lequel ils avaient reçu les anges et près duquel ils avaient été enterrés, se voyait encore plusieurs siècles après, du temps de saint Jérôme, sous l’empire de Constance ; c’est ce qu’atteste ce saint et grave docteur, soit que cet arbre, dit-il, se soit conservé si longtemps, soit qu’il ait péri et qu’il en ait poussé d’autres des blêmes racines. Ce saint docteur enseigne, avec les historiens ecclésiastiques, que cet arbre étant révéré des peuples qui venaient y faire des libations et brûler de l’encens, le grand Constantin, pour arrêter le cours de ce culte superstitieux, y fit bâtir un temple superbe. Cela a suffi pour faire dire à la Fable que ces deux époux avaient été changés en arbres, qui étaient près de leur tombeau, et qui furent l’objet de la vénération publique.
La conformité de la Fable avec l’histoire est aussi grande et aussi sensible que peut l’être celle d’une copie avec son original. »
La femme de Loth est appelée Hedith par les rabbins. Ce nom Hedith signifie témoin ; comme s’ils voulaient marquer que cette femme est un témoin ou une preuve du châtiment dont Dieu punit l’incrédulité et l’imprudence de ceux qui ne croient point à ses menaces et à sa parole. L’Écriture dit (Genèse 19.26) qu’ayant regardé derrière, elle l’ut changée en une statue de sel. Cette manière de parler, regarder derrière soi, se prend quelquefois pour différer, retarder, s’arrêter ; et il y a apparence que l’intention de l’ange était de faire bâter Loth et sa famille, et de leur faire comprendre qu’ils avaient tout à craindre, en usant de remises. On forme beaucoup de difficultés sur ce qui est dit, qu’elle fut changée en une statue de sel. Les uns ont cru que la phrase de l’Écriture ne marquait autre chose, sinon qu’elle avait été surprise et étouffée par le feu et la fumée, et qu’elle était demeurée au même endroit aussi roide et aussi immobile qu’un rocher de sel ; d’autres, que l’on avait mis sur son tombeau une colonne ou un monument de pierre de sel, d’autres, qu’elle fut étouffée dans la flamme, et qu’elle devint pour la postérité un monument de sel, c’est-à-dire, un monument permanent et durable de sa propre incrédulité et de son imprudence. D’autres prétendent que cette femme ayant été frappée de l’odeur du soufre et de la flamme, tomba morte sur la terre, où son corps se pétrifia et devint raide et sec comme les momies et les corps des Égyptiens qui ontété salés et embaumés ; en sorte qu’une statue de sel serait équivalente à un corps embaumé, desséché et salé.
Mais le sentiment le plus commun et le plus universel est que cette femme fut tout d’un coup pétrifiée et changée en une statue de sel de roche, qui non-seulement ne se fond pas à la pluie, mais qui est aussi dur que les plus durs rochers. La plupart des voyageurs qui ont parcouru la Palestine racontent qu’on leur a montré la femme de Loth, c’est-à-dire, le rocher auquel elle a été métamorphosée. Mais ce qui rend leur témoignage fort suspect, c’est qu’ils ne s’accordent pas entre eux sur le lieu où on la voit, les uns la mettant au couchant, les autres à l’orient, d’autres au septentrion, d’autres au midi de la mer Morte, d’autres au milieu de ses eaux, d’autres dans Ségor, d’autres à une grande distance de cette ville. Quelques anciens, comme saint Irénée, et l’auteur du poème sur Sodome, attribué à Tertullien, assurent qu’elle conservait encore de leur temps la forme de femme, et que, par un miracle continuel, elle ne perdait rien de sa grosseur, quoique l’on en arrachât toujours quelques pièces. Ils ajoutent encore une chose plus incroyable, qui est qu’elle était en cet état sujette à toutes les infirmités qui sont naturelles et ordinaires à son sexe. On peut voir notre commentaire sur Genèse (Genèse 19.26), la dissertation de M. Le Clerc sur la femme de Loth, celle de Henri Bauman sur le même sujet, celle de M. Hermand liard et de Christophe Auguste Bauman, et les commentateurs sur le lieu cité de la Genèse.
Notre-Seigneur dans l’Évangile (Luc 17.32) dit à ses disciples de se souvenir de la femme de Loth dans leur fuite, et de n’imiter pas sa lenteur. [Voyez statue de sel].