Château ou forteresse dans la tribu de Juda, à l’occident de la mer Morte ou du lac Asphaltite, pas loin d’Engaddi, situé sur un rocher escarpé, et où l’on ne pouvait que très-difficilement monter ; mais lorsqu’on est arrivé au sommet du rocher, on trouve une plaine assez étendue, que l’on peut même cultiver, et d’où l’on peut tirer de la subsistance dans le besoin. Jonathas Asmonéen, frère de Judas Machabée et grand prêtre des Juifs, avait fortifié cette place pour se mettre en état de résister aux rois de Syrie (1 Samuel 22.3). Hérode le Grand ayant remarqué l’importance de ce poste, le fortifia encore de nouveau, et-en fit une place imprenable. Et comme le lieu manquait d’eau, il y fit faire plusieurs citernes, et y amassa une quantité prodigieuse de provisions, afin que, s’il lui arrivait quelque disgrâce ou quelque révolte dans son pays, il y trouvât une retraite assurée.
Après la dernière guerre des Juifs contre les Romains, Eléazar, fils de Jaïr et petit-fils du célèbre Judas le Galiléen, s’en empara à la tête des Sicaires ou Assassins ; ainsi nommés à cause des impiétés et des horribles cruautés qu’ils commettaient. Flavius Sylva, que Tite avait laissé dans la Judée pour réduire ce qui restait à soumettre dans la province, y assiègea Eléazar. Il commença par mettre des garnisons dans tous les lieux circonvoisins pour s’assurer du pays, et par faire environner la place d’un mur de circonvallation avec des corps de garde d’espace en espace, afin que personne ne pût échapper ; ensuite il poussa le siège vigoureusement, et avec des travaux presque incroyables : Eléazar de son côté, après s’être vaillamment défendu, voyant qu’il allait être pris dans cette place qu’il croyait auparavant imprenable, reconnut en cela le doigt de Dieu, mais trop tard ; car, son endurcissement le portant au désespoir, il persuada à tous les Juifs qui y étaient avec lui de se tuer l’un l’autre, et que le dernier qui resterait en vie, mettrait le feu au château. Ils exécutèrent ce conseil et se tuèrent volontairement l’un l’autre. Deux femmes qui s’étaient cachées dans des aqueducs, avec cinq jeunes enfants, racontèrent le lendemain aux Romains ce qui s’était passé. Cela arriva l’an de Jésus-Christ ou de l’ère commune 71.
Voici quelques remarques sur ce fameux siège.
Observations sur le siège de Massada et sur les travaux des Romains devant cette place. Joseph livre 7 de la Guerre des Juifs. Le siège de Massada par les Romains est un des plus remarquables dont l’histoire ancienne fasse mention. La torce et la situation avantageuse de la place, le courage et la vigoureuse défense des assiégés, la valeur et l’habileté du général des Romains, tout cela joint ensemble produisit des travaux immenses qui ont peu d’exemples parmi les anciens. Les modernes dans leurs sièges les plus mémorables, c’est-à -dire depuis le quatorzième siècle, n’en ont jamais produit ni imaginé de pareils. Josèphe, qui nous a donné la description de ce fameux siège, nous fournit ailleurs des exemples de valeur, de ruses, de surprise, de patience et d’obstination, encore plus surprenants que dans celui-ci ; la défense de Jotapat et celle de Jérusalern sont infiniment plus admirables ; mais quant aux travaux, je n’en remarque aucuns qui puissent les surpasser, ni même les égaler : c’est le chef-d’œuvre de l’intelligence et de la patience romaine ; il ne l’est guère moins de l’habileté et du courage des Juifs ; ce sont des désespérés ; mais ces désespérés mettent en pratique toutes les finesses de l’esprit et de l’art pour vendre chèrement et glorieusement leur vie : si l’on peut dire qu’il y a des désespoirs sages et prudents, c’est lorsque l’on aime mieux périr libre, que de tomber dans un, honteux esclavage.
Sylva, après avoir achevé le mur de circonvallation, s’empara d’un roc plus grand que celui sur lequel le château était bâti, mais plus bas de trois cents coudées et assiègea la place de ce côté-là . Il fitélever sur ce roc une masse de terre de cent coudées, dit Josèphe ; mais parce que ce terre plain ne paraissait pas assez ferme et assez solide pour soutenir les machines, Sylva fit construire dessus avec de grandes pierres une espèce de cavalier qui avait cinquante coudées de haut et autant de large. Outre les machines ordinaires, il y en avait d’autres que Vespasien et Tite avaient inventées ; et on éleva encore sur ce cavalier une tour de soixante coudées toute couverte de fer, d’où les Romains lançaient sur les assiégés tant de traits et tant de pierres, qu’ils n’osaient plus paraître sur les murailles.
Ce passage m’engage dans une digression que je ne puis éviter, j’y aperçois je ne sais quoi qui me paraît très-absurde. Le traducteur dit que le terré-plain (qu’il nomme ainsi très-improprement) ne paraissait pas assez ferme et assez solide pour soutenir les machines. Si les terres ne pouvaient soutenir un si grand poids, elles auraient encore moins souteau un cavalier de grosses pierres, et par-dessus une tour de soixante coudées toute garnie de fer. Il faut que le texte en cet endroit soit altéré ou corrompu. Or pour rétablir ce passage, ou du moins pour le faire entendre, je voudrais dire que Sylva fit revêtir la terrasse, et la fit soutenir par le mur bâti de grandes pierres, pour élever dessus un autre cavalier de cinquante coudées, sur le haut duquel il fit dresser une tour de soixante coudées de hauteur. Avec un tel secours le lecteur est au fait, et n’a pas besoin de s’alambiquer l’esprit pour comprendre la chose : c’était par le moyen de ces terrasses et à la faveur des machines de toute espèce qu’on faisait avancer le bélier pour battre en brèche.
Sylva ne pouvait ruiner la muraille, parce qu’elle était assise sur le roc et qu’on ne pouvait la battre qu’en s’élevant extraordinairement ; il éleva donc cet ouvrage prodigieux de cent coudées pour pouvoir battre le mur à la juste portée d’un bélier d’une grande longueur ; mais comme cette terrasse n’était qu’à la juste hauteur du roc, et seulement pour que le bélier pût battre le bas du mur, Sylva, qui voulait soutenir cette attaque, fit élever encore un second cavalier, comme nous l’avons dit ci-dessus. Il y a pourtant encore une difficultéqui se présente : l’auteur juif dit que le rocsur lequel il dressa son attaque, était plus bas de trois cents coudées que le château ; il s’en faudrait donc encore de 90 coudées que l’ouvrage, des assiègeants n’approchât de la hauteur du grand cavalier et de la tour ; il faut qu’il y ait faute au texte en cet endroit, cela est visible, ou supposer que le roc de ce côté-là était beaucoup plus bas, et que le mur par conséquent était plus haut, sans cela on n’eût pu se servir de bélier.
Puisque nous sommes en si beau chemin sur une matière aussi curieuse, rapportons le reste du passage de Josèphe. Sylva fit ensuite fabriquer un grand bélier dont il battit sans cesse le mur ; mais à peine put-il faire quelque brèche ; et les assiégés firent avec une incroyable diligence un autre mur qui ne craignait point l’effort des machines, parce que, n’étant pas d’une matière qui résistdt, il amortissait leurs coups en cédant à leur violence. Cc mur était construit en cette manière : ils mirent deux rangs de grosses poutres emboîtées ies unes dans les autres, qui, avec l’espace qui était entre deux, avaient autant de largeur que le mur, remplirent cet espace de terre et, a fin qu’elle ne pût s’ébouler, la soutinrent avec d’autres poutres. Ainsi l’on aurait pris cet ouvrage pour quelque grand bdtiment ; et les coups des machines ne s’amortissaient pas seulement, mais pressaient et rendaient encore plus ferme cette terre qui était argileuse. Sylva, après avoir fort considéré ce travail, crut ne le pouvoir ruiner que par le feu, et fit jeter par ses soldats une si grande quantité de bois tout enflammé, que, comme ce mur n’était presque composé que da la merlu matière et qu’il y avait beaucoup de jour entre deux, le feu s’y prit, gagna jusqu’au gazon, et une grande flamme commença à paraître.
Josèphe est fort obscur dans la description de l’avant-mur : nous n’en sommes pas étonnés ; c’est le défaut de presque tous les anciens écrivains de tomber dans l’obscurité, et de ne se pas faire entendre quand il s’agit de décrire des ouvrages extraordinaires. César est le seul qui ait particulièrement excellé dans cette sorte de mécanisme. Je suis assuré que le second mur de Massada était d’une structure toute semblable aux murailles de Bourges, dont cet auteur nous donne la description dans ses Commentaires. L’auteur juif dit que ce mur n’était composé que de bois, c’est-à -dire de poutres. Plusieurs se sont imaginé que c’était une espèce de coffre formé de poutres, et rempli de terre argileuse. Si cela eût été, l’incendie n’eût jamais-été si grand que l’auteur le représente ; ce retranchement devait être composé de poutres étendues par terre tout de leur long, rangées à une certaine distance les unes des autres, traversantes comme en échiquier, et les vides remplis de cette terre argileuse : c’est la manière dont je crois que ce mur était construit.
Quant à la forme ou à la figure qu’il avait, il paraît qu’il n’était point parallèle à la muraille de maçonnerie qu’on battait en brèche, mais qu’il représentait un rentrant circulaire, ou angulaire ; car l’historien dit plus bas que Sylva, après avoir considéré ce travail, voyant une très-grande difficulté de le ruiner avec ses machines, se détermina à y mettre le feu, et fit jeter par sils soldats une si grande quantité de pois tout enflammé, que le feu prit au retranchement, parce qu’il y avait beaucoup de jeter entre deux, c’est-à -dire entre la brèche faite à la muraille et le second mur de poutres car il serait absurde de rapporter ces mots, qu’il y avait beaucoup de jour, aux intervalles des poutres, puisqu’ils étaient remplis de terre argileuse : ce rentrant n’est pas une chose fort nouvelle chez les anciens, ils les faisaient pour avoir des flancs. On demandera peut-être s’ilétait bien aisé de jeter ce bois enflammé entre la brèche et le retranchement intérieur ; cela n’était pas difficile, puisqu’il y a apparence que les assiègeants s’étaient logés sur la brèche, et que l’on se donnait de main eu main ces bûches enflammées pour les jeter dans le rentrant. Nous aurions encore bien des choses à dire pour éclaircir cet endroit, qui est un des plus beaux de l’histoire des Juifs, mais nous passerions les bornes que nous nous sommes proposées. On peut voir le commentaire de M. le chevalier de Folard sur Polybe, tome 2 page 501 et suivants