Le sentiment de la métempsycose, quoi qu’en puissent dire les Juifs modernes, n’est enseigné en aucun endroit de l’Ancien et du Nouveau Testament. Il paraît au contraire par la loi, par les prophètes et par les auteurs sacrés du Nouveau Testament, que les âmes des hommes après leur mort étaient dans un état fixe, et qu’elles n’avaient plus aucune relation à la vie présente. L’esprit s’en va et ne revient plus : Et, la chair retourne en la terre dont elle est tirée, et l’esprit retourne à Dieu qui l’a fait (Ecclésiaste 12.7). Les Juifs citent, pour appuyer leur opinion sur la métempsycose, ces paroles de Job (Job 33.29) : Le Dieu fort fait ces choses deux et trois fois envers l’homme ; comme s’il voulait parler d’une triple révolution, et d’un triple retour de l’âme dans le corps ; mais le vrai sens du passage est que Dieu garantit du danger, jusqu’à trois fois, c’est-à-dire, plusieurs fois, l’homme qui met en lui sa confiance. Il y a beaucoup d’apparence que les Juifs puisèrent ce sentiment dans la Chaldée, pendant leur longue captivité de Babylone, ou par le commerce qu’ils eurent avec les Grecs, qui l’avaient eux-mêmes emprunté des Orientaux.
Ce qui est certain, c’est que du temps de Jésus-Christ ce dogme était très-commun parmi les Juifs. Ils le témoignent assez dans l’Évangile, lorsqu’ils disent que les uns croient que Jésus-Christ est Jean-Baptiste, les à utres Élie, les autres Jérémie, ou quelqu’un des anciens prophètes (Matthieu 16.14) ; et Hérode le Tétrarque, entendant parler des prodiges de Jésus-Christ, disait : C’est Jean-Baptiste que j’ai fait décapiter, qui est ressuscité. Josèphe et Philon, qui sont les eus anciens et les plus savants d’entre les Juifs, après les auteurs sacrés qui nous restent, parlent de la métempsycose comme d’un sentiment très-commun dans leur nation. Les Pharisiens, selon Josèphe, tenaient que les âmes des bons pouvaient aisément retourner dans un autre corps, après la mort de celui qu’elles avaient quitté. Il dit ailleurs que les âmes des méchants entrent quelquefois dans les corps des hommes vivants, qu’elles les obsèdent et les tourmentent. Philon dit que les âmes qui sont descendues de l’air dans les corps qu’elles animent, retournent en l’air après la mort de ces corps ; que quelques-unes conservent toujours un grand éloignement de la matière, et craignent de s’engager de nouveau dans le corps ; mais que d’autres y retournent avec inclination, et suivent le penchant qui les y appelle.
Les docteurs juifs qui enseignent la métempsycose, n’en parlent pas d’une manière si claire et si simple. Ils l’enveloppent sous des termes mystérieux et cachés. Ils croient que Dieu destine toutes les âmes à un certain degré de perfection auquel elles ne peuvent atteindre pendant le cours d’une seule vie. Elles sont donc obligées de revenir plusieurs fois sur la terre, et d’animer successivement plusieurs corps, afin d’accomplir toute justice, et de pratiquer les préceptes tant affirmatifs que négatifs, sans quoi elles ne peuvent parvenir à l’état où Dieu les demande. D’où vient, disent-ils, qu’on voit des gens de bien qui meurent dans leur plus vigoureuse jeunesse ? C’est qu’ayant acquis de bonne heure la perfection, il ne leur reste plus rien à faire dans un corps fragile et mortel. D’autres, comme Moïse, meurent à regret, parce qu’ils n’ont point encore rempli tous leurs devoirs. D’autres, au contraire, comme Daniel (Daniel 12.23), meurent avec joie, et désirent la mort, parce qu’il ne leur reste plus rien à faire dans le monde.
La métempsycose ou révolution des âmes se fait de deux sortes. La première, lorsqu’une âme survient à un corps déjà animé. C’est ainsi que Hérode le Tétrarque disait que l’âme de Jean-Baptiste, qu’il avait fait décapiter depuis peu de temps, était entrée dans le corps de Jésus-Christ pour faire des miracles. D’autres fois les âmes entrent, dans un corps déjà animé pour y acquérir quelque nouveau degré de perfection qui leur manquait, ou pour aider celle qui est déjà dans le corps, aux œuvres que Dieu demande d’elle. Ils disent, par exemple, que l’âme de Moïse doit s’unir à celle du Messie, etc.
La seconde manière de révolution est lorsqu’une âme rentre dans un corps nouvellement formé, soit pour expier quelque faute qu’elle avait commise dans un autre corps, ou pour devenir plus sainte. Quelques âmes d’une nature plus relevée n’ont que de l’éloignement pour la matière, et ne reviennent que difficilement animer les corps. D’autres plus charnelles conservent toujours un penchant vers le corps, et y retournent souvent sans autre raison que de contenter ce désir. Les Juifs croient que cette révolution se fait jusqu’à trois ou quatre fois. Ils étendent même cette transmigration jusqu’aux bêtes et aux choses inanimées, et le nombre des partisans de ce dogme n’est pas petit. Les plus célèbres docteurs juifs le tiennent, et prétendent que Pythagore, Platon, Virgile et les autres anciens philosophes qui l’ont enseigné, l’avaient tiré des écrits des Prophètes.
Ce sentiment est très-ancien dans l’Orient. Les Chinois enseignent que Xékiah, philosophe indien, qui naquit environ mille ans avant Jésus-Christ, en a été le premier auteur dans les Indes ; que de là il se répandit dans la Chine l’an 65 après Jésus-Christ. Les Chinois tiennent que Xékiah est né huit mille fois, et que la dernière il naquit sous la forme d’un éléphant blanc. C’est sur ce principe que les Indiens et les Chinois se donnent si aisément la mort, et qu’ils font souvent mourir leurs enfants quand ils n’ont pas de quoi les nourrir. On raconte qu’un roi de ce pays-là ayant eu la petite vérole, et voyant son visage tout défiguré, ne put se résoudre de demeurer plus longtemps dans une demeure si hideuse ; il se fit couper la gorge par le fils de son frère, qui fut ensuite brûlé. L’histoire du philosope indien Calanus, qui se brûla du temps d’Alexandre, est fameuse.
Les Indiens regardent la mort avec beaucoup d’indifférence, persuadés de la métempsycose, qui passe chez eux pour indubitable. Ce dogme a produit dans l’Orient grand nombre d’imposteurs et de faux Messies, qui se disaient animés de l’âme d’Adam ou de Moïse. Par exemple, Akem-ben-Asha, fameux imposteur qui parut l’an 162 de l’hégire, et qui disait qu’après la mort d’Adam, Dieu était apparu aux hommes sous la figure de plusieurs prophètes et autres grands hommes, jusqu’à ce qu’il prit la figure humaine dans la personne d’Abu-Moslem, prince du Korasan ; qu’après sa mort, la divinité était passée et descendue en sa personne. C’est de la même source que sortirent ces fanatiques, qui voulaient rendre des honneurs divins à À bon-Giafar-Almansor, second calife de la race des Abassides, dans qui ils prétendaient que l’âme de Mahomet, ou de quelque ancien prophète, était passée. Enfin de là naît leur abstinence de tout ce qui a vie, et la crainte de violer dans un animal l’âme de leur père ou de leur proche. Ils ne se défendent pas même contre les bêtes farouches, et rachètent charitablement des mains des étrangers les animaux, quand ils voient qu’on est près de les tuer. Voyez ci-devant l’article âme, et ci-après l’article Résurrection.