Phur et Phurim, ou, comme prononcent les Hébreux, Pur et Purim, c’est-à-dire, les Sorts, fête très-solennelle des Juifs, instituée en mémoire des sorts que jeta Aman, l’ennemi des Juifs (Esther 3.7). Ces sorts ayant été jetés dans le premier mois de l’année, marquèrent le douzième mois de la même année pour l’exécution du dessein d’Aman, qui était de faire périr tous les Juifs de l’empire des Perses. Ainsi la superstition d’Aman à jeter et à suivre ce que le sort lui montrait fut cause de sa propre perte et du salut des Juifs ; car ceux-ci eurent le loisir de détourner ce coup par le moyen d’Esther, épouse d’Assuérus, et d’effacer de l’esprit de ce prince les mauvaises impressions qu’on lui avait données contre les Juifs. En mémoire de cette délivrance toute-miraculeuse, les Juifs instituèrent une fête, à qui ils donnèrent le nom de Phurim ou Purim. On peut voir les articles d’Aman, d’Esther et de Mardochée.
Le nom de Phur ou Pur est plutôt persan qu’hébreu il signifie proprement le sort ; et dans l’endroit ou la Vulgate porte : Missa est sors in urnam, quoe Hebraice dicitur, Phur, ce dernier mot se rapporte non à Urna, mais à Sors. La fête des Sorts se célébrait parmi les Juifs de Suse le quatorzième jour d’adar ; et parmi les autres peuples de l’empire des Perses, le quinzième du même mois, qui répond à notre mois de février. Voyez Esther (Esther 9.18-20) et (2 Machabées 15.39).
Les Juifs ont exactement conservé cette fête jusqu’aujourd’hui ; et voici les cérémonies qui s’y observent :
La veille, si c’est un jour que l’on puisse jeûner, on garde un jeûne rigoureux, en mémoire de celui de Mardochée et d’Esther. Si le jour ne permet pas de jeûner, à cause de la rencontre du sabbat, dans lequel on ne jeûne point, on anticipe le jeûne ; c’est-à-dire qu’au lieu de jeûner le treizième d’adar, on jeûne le onzième du même mois. Régulièrement ils demeurent vingt-quatre heures sans manger ; c’est-à-dire qu’ils ne mangent que d’un soir à l’autre ; et on est obligé à ce jeûne depuis l’âge de treize ans.
La veille de la fête ils donnent libéralement l’aumône aux pauvres, afin que ceux-ci puissent se réjouir, et faire bonne chère le jour des Sorts ; et le jour de la fête, ils envoient des parts de ce qui est sur leurs tables, à ceux qui sont dans le besoin. Le soir du treizième d’adar, auquel commence la fête des Sorts, ils s’assemblent dans la synagogue, allument les lampes ; et dès que les étoiles commencent à paraître, ils commencent la lecture du livre d’Esther. On en fait la lecture d’un bout à l’autre. Il y a cinq endroits du texte où le lecteur élève sa voix de toutes ses forces, et hurle si horriblement, que les femmes et les enfants en sont étourdis. Lorsqu’il arrive au lieu où sont les noms des dix fils d’Aman, il les récite de suite, et sans reprendre haleine, pour montrer que ces dix hommes perdirent la vie en un moment. Tontes les fois qu'on prononce le nom d’Aman, les enfants à l’envi frappent sur les bancs de la synagogue avec des maillets ou des pierres, et font des cris épouvantables. On dit qu’autrefois ils mettaient dans la synagogue une pierre avec le nom d’Aman, et qu’ils s’attachaient, pendant la lecture d’Esther, à frapper contre cette pierre avec d’autres pierres, jusqu’à ce qu’ils l’eussent mise en pièces.
Après la lecture ils retournent dans leurs maisons, où ils font un repas, dans lequel on sert plutôt du laitage que de la viande. Le lendemain de grand matin ils retournent à la synagogue où, après avoir lu l’endroit de l’Exode où il est parlé de la guerre d’Amalec, ils recommencent la lecture du livre d’Esther, avec les mêmes cérémonies que le jour précédent. Après cela ils retournent à la maison, où ils font la meilleure chère qu’ils peuvent, et passent le reste du jour dans le jeu et dans la dissolution, se travestissant même, les hommes en femmes, et les femmes en hommes, contre la défense expresse de la Loi (Deutéronome 22.5) ; et leurs docteurs décident qu’en ce jour-là ils pouvaient prendre du vin jusqu’à ne pouvoir distinguer entre : Maudit soit Aman, et : Maudit soit Mardochée. Autrefois ils élevaient un gibet, et y brûlaient un homme de paille qu’ils appelaient Aman. On crut qu’ils avaient dessein d’insulter aux chrétiens sur la mort de Jésus-Christ ; et les empereurs leur défendirent cette cérémonie, sous peine de perdre tous leurs privilèges.
La fête de Purim ou des Sorts, de la manière que les Juifs la font, a beaucoup de rapport aux anciennes. Bacchanales des païens. Les plaisirs, les divertissements, la joie, la bonne chère, les excès de vin, en font, pour ainsi dire, l’essence. L’esprit de vengeance qui anima les Juifs de Suse contre leurs ennemis est passé jusqu’à leurs neveux ; ils s’y livraient sans mesure et sans ménagement ; ils se permettent de boire du vin avec excès, parce que, disent-ils, ce fut en faisant boire le roi Assuérus qu’Esther obtint la délivrance des Juifs. Ils veulent que tout le monde assiste ce jour-là à la synagogue, hommes, femmes, enfants, serviteurs, parce que tout le monde eût part au bonheur de la délivrance, comme ils avaient tous eu part au danger. Ce jour-là les écoliers font des présents à leurs maîtres, les chefs de famille aux domestiques, les grands aux petits, en un mot tout le jour se passe eu joie et en festins, comme il est dit dans le livre d’Esther (Esther 9.21) : Il ordonna que ces jours fussent des jours de festins, de joie, et qu’ils s’envoyassent les uns aux autres des mets de leur table, ou des choses à manger, et qu’ils donnassent des présents et des aumônes aux pauvres.
Cette fête dure deux jours ; mais il n’y a que le premier qui soit solennel. Pendant ces deux jours on peut négocier et travailler ; on s’en abstient néanmoins le premier ; mais on n’y est point obligé. Le second jour on ne fait point de nouvelle lecture dans la Synagogue, et la fête n’est pas si grande ; mais on ne laisse pas d’y donner quelque marque de joie. Quand l’année est de treize mois, et qu’il y a deux mois d’adar, c’est-à-dire, quand, au bout de trois ans, il y a dans l’année lunaire un mois de plus, on nomme deux fois le mois Adar, qu’on place entre février et mars, et alors le second adar est nommé Né-Adar. Voyez l’article Moïse, et l’article intercalation. Lors donc qu’il y a un second Adar, ils célèbrent deux fois la Fête des Sorts : le grand Purim au quatorzième du premier Adar, et le petit Purim le quatorzième du deuxième Adar ; mais cette seconde fête des Sorts n’est point accompagnée des divertissements de la première : elle n’en a proprement que le nom.
La veille de la fête on lève le demi-sicle, qu’on payait autrefois au temple, et qu’on distribue à présent à ceux qui font le voyage de Jérusalem, où plusieurs se rendent par dévotion ; et où ils aiment à se faire enterrer, dans la créance que tous les Juifs doivent s’y rendre au jour du dernier jugement, et que même ils s’y rendent en roulant par-dessous la terre.
On lit le texte d’Esther, non dans un livre imprimé, ni dans un livre qui ait la forme de nos livres ordinaires, mais dans un rouleau de vélin à l’antique, écrit avec une encre particulière. Après avoir déployé le volume, le lecteur fait trois prières pour rendre grâces à Dieu de ce qu’il les a appelés à cette cérémonie, de ce qu’il les a délivrés, et de ce qu’il leur a conservé la vie jusqu’à cette fête. Il peut ce jour-là s’asseoir pendant la lecture, au lieu qu’aux autres temps il doit toujours être debout en lisant la Loi. La lecture du livre d’Esther finit par des malédictions contre Aman et Seres, sa femme, par des bénédictions pour Mardochée et pour Esther, et pal des louanges à Dieu, qui a conservé son peuple. Le repos s’y observe très-religieusement, surtout le premier jour ; et les Juifs racontent qu’un homme ayant semé du lin ce jour-là, il n’en leva pas un seul grain.
Ce fut l’empereur Théodose II qui défendit aux Juifs d’élever des gibets, d’y attacher une figure nommée Aman, et de brûler ensuite l’un et l’autre, parce qu’il n’était pas juste que, dans leurs fêtes, ils insultassent les mystères de la religion chrétienne. Cette loi fut publiée en 408 par tout l’Orient, et adressée à Anthernius, qui en était le préfet. Cependant, trois ans après, quelques Juifs, dans l’excès de leur emportement et de leur débauche, attachèrent au gibet d’Aman, malgré la défense expresse de l’empereur, ils y attachèrent, dis-je, un jeune chrétien, et t’y fouettèrent si cruellement, qu’il en mourut. Ceci arriva dans la ville d’Inmestar, située dans la Calcide et la Syrie. Les chrétiens du pays coururent aux armes ; le combat fut sanglant, parce que les Juifs étaient nombreux dans ces quartiers-là. Le gouverneur de la province en ayant informé Théodose, il donna ordre de châtier les coupables, et le tumulte fut apaisé par leur supplice.