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Transmigrations
Dictionnaire encyclopédique de la Bible de Augustin Calmet

Voyez ci-devant, captivité. On forme de grandes difficultés sur le pays où les dix tribus d’Israël furent transportées. L’Écriture nous apprend que Téglatphalassar (2 Rois 15.29 1 Chroniques 5.26) enleva les tribus de Nephtali, de Ruben, de Gad et la demi-tribu de Manassé, qui était au delà du Jourdain et qu’il les transporta à Lahela, à Habor, et à Ara, l’an du monde 3264. Environ 20 ans après et en 3283, Salmanasar ayant pris Samarie, emmena le reste du peuple du royaume d’Israël, en Assyrie, à Halé, à Habor, sur le fleuve de Gozan, et dans les villes des Mèdes (2 Rois 17.6 ; 18.10).

Lahela et Halé sont sans contredit les mêmes, et marquent apparemment le pays Hévila ou la Colchide : Habor ou Chabor, c’est le fleuve Chaboras, et le pays qu’il arrose ; Gozan, ou Gauzan est le nom de la province où coule le fleuve Chaboras, selon le 2e livre des Rois (2 Rois 28.11 ; 17.6). Il y a aussi un canton nommé Gauzan dans la Médie, entre les rivières Cyrus et Cambyse. Benjamin de Tudèle met Gozan dans la Médie, à quatre journées de Hamadam. Les Juifs sous le nom de Gozan entendent le fleuve Sabbatique, qui ne coule pas le jour du sabbat, et qui, ce jour-là, est, tout environné de feu, en sorte qu’on ne le peut passer.

Hara, ou Ara, est dans la Médie. C’est apparemment la province des Aréens, connue dans les anciens géographes, et située dans la Médie. Benjamin de Tudèle assure qu’il y avait dans la Médie jusqu’à cinquante villes peuplées par des Israélites. Nous voyons par le livre de Tobie (Tobie 1.11-16 ; 3.7 ; 5.8), qu’il y avait des Israélites à Ninive, à Ragés et à Ecbatanes, villes de Médie. Du tempes de notre Sauveur, il y avait des Israélites répandus dans toutes les provinces d’Orient, dans la Perse, la Médie, le pays d’Élam, la Mésopotamie, la Cappadoce, le Pont, l’Asie, la Phrygie, la Pamphylie, l’Égypte, la Cyrénaïque, l’lle de Crète, et l’Arabie (Actes 2.9-11). Saint Jacques écrit aux douze tribus de la dispersion (Jacques 1.1) Philon met des Juifs en grand nombre dans tout l’Orient, sous l’empire des Perses : Josèphe, parlant des dix tribus, dit que de son temps elles étaient encore sans nombre au delà de l’Euphrate ; et saint Jérôme assure que jusqu’à son temps les dix tribus étaient encore captives dans les montagnes et dans les villes de Médie.

L’auteur du quatrième livre d’Esdras (4Esdras 13.41) avance que les Israélites qui avaient été emmenés captifs par Saltnanasar, résolurent de se tirer du milieu des nations, pour pouvoir servir Dieu avec plus de liberté ; qu’à cet effet ils passèrent l’Euphrate, Dieu leur ayant ouvert le lit de ce fleuve, et ayant fait en leur faveur un miracle semblable à celui qu’il avait fait lorsque les Hébreux passèrent le Jourdain sous la conduite de Josué. Ils marchèrent un an et demi avant que d’arriver au lieu qu’ils cherchaient. Enfin ils s’établirent à Arzeret, où ils doivent demeurer jusqu’aux derniers temps, et alors le Tout-Paissant les rappellera et leur ouvrira de nouveau un passage à travers l’Euphrate.

Mais quel est ce pays d’Arzeret ? les Hébreux eux-mêmes ne le connaissent pas. Joseph, fils de Gorion, dit qu’Alexandre le Grand, ayant voulu passer les montagnes ténébreuses qui séparent le pays des Israélites des autres nations, en fut empêché par une voix qui lui cria : Gardez-vous bien d’entrer dans la maison de Dieu. Benjamin de Tudèle raconte qu’après un voyage de vingt-un jours, en s’avançant vers le septentrion, il arriva au royaume des Réchabites, qui a seize journées de chemin d’étendue il raconte plusieurs particularités des villes de ce royaume ; mais il ne dit pas que ce royaume soit celui d’Arzeret.

Manassé-Ben-Israël prétend que les Israélites des dix tribus se retirèrent d’abord dans la Tartarie, et que delà plusieurs se jetèrent dans l’Amérique. Ce sentiment ne lui est pas particulier. Plusieurs savants ont cru que les dix tribus étaient encore à présent dans la Tartarie ; et que c’est par là qu’ils se sont répandus dans la Russie, dans la Moscovie, la Pologne, la Lithuanie, oè ils sont en plus grand nombre qu’en aucun lieu de l’Europe. Les Tartares ont conservé plusieurs pratiques judaïques ; ils ne mangent point de porcs, prennent la circoncision à neuf ans, observent la loi du lévirat c’est-à-dire, le frère épouse la veuve de son frère, si celui-ci meurt sans enfants. Davity raconte que le roi de Thabor en Tartarie vint en France sous le règne de François I et proposa à ce prince de se faire juif. Il fit la même proposition à divers princes de l’Europe, qui la reçurent avec mépris.

On croit que plusieurs Juifs passèrent de la Tartarie dans la Chine ; nous en avons parlé assez au long ci-devant dans l’article Chine.

Quant à l’opinion qui veut que les Israélites des dix tribus soient passés, au moins en partie, dans l’Amérique, voici sur quoi elle est fondée : Montésini, dans sa relation adressée à Menassé-Ben-Israël, dit qu’il a trouvé beaucoup d’Israélites cachés derrière les montagnes Cordilleron qui bordent le Chili dans l’Amérique. Il ajoute qu’étant avancé dans ce pays, il arriva sur le bord d’une rivière, et en donnant le signal, on vit paraître des gens qui prononçaient en hébreu ces paroles du Deutéronome : Écoutez, Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. Ils tenaient Abraham, lsaac et Jacob pour leurs pères, et prétendaient en descendre par Ruben. Ils racontaient qu’ils avaient été conduits dans ce pays par une conduite particulière et miraculeuse de Dieu ; qu’à l’instigation des mages, les Indiens leur avaient déclaré la guerre jusqu’à trois fois ; mais que les Israélites étaient toujours demeurés victorieux ; qu’enfin quelques mages, échappés du carnage, avaient déclaré que le Dieu d’Israël était le seul vrai Dieu, et qu’à la fin des siècles les Israélites deviendraient maîtres du monde.

La relation de Montésini trompa Menassé, qui composa sur cela son traité intitulé : L’Espérance d’Israël, dans lequel il établit que l’Asie et l’Amérique étaient autrefois un continent, que Dieu sépara par le détroit d’Anian ; et que ce fut avant cette séparation que les Israélites y passèrent, et s’y cantonnèrent contre les habitants du pays. Il appuie ce sentiment par ces paroles de l’Écriture (Isaïe 51.5) : Les îles espéreront en moi, ou m’attendront, dit le Seigneur ; et encore (Isaïe 42.4) : Les îles attendront sa Loi. C’est l’Amérique, dit Menassé, que le prophète Isaïe a désignée sous le nom d’Îles en cet endroit.

Le chevalier Pen, dans sa Lettre sur l’état présent des terres des Anglais dans l’Amérique, se persuade que les Américains viennent des Hébreux. Leurs visages, surtout celui des enfants, ressemblent si parfaitement à celui des Juifs, qu’on croirait voir des Hébreux en les voyant. Leurs yeux sont petits et noirs. Ils comptent par lunes ; ils offrent les prémices des fruits ; ils ont une espèce de fête des tabernacles ; on dit que leur autel est composé de douze pierres ; leur deuil dure un an ; leurs femmes suivent les mêmes coutumes que celles des Juifs ; leur langage est mâle, court, serré, plein d’énergie ; un mot sert pour trois, et le reste est suppléé par ceux qui l’entendent.

D’autres ajoutent que les Mexicains reçoivent la circoncision ; qu’on a vu autrefois des géants dans ce pays ; que les Américains ont quelque idée du déluge et du passage de la mer Rouge ; qu’en quelques endroits du Pérou on tue un agneau blanc, dont on mêle le sang avec de la farine et qu’on distribue au peuple, qui fait une marque avec ce sang sur le seuil de sa maison. Quelques-uns croient la résurrection, conservent un feu perpétuel en l’honneur de leurs dieux, font l’année du Jubilé au bout de cinquante ans, et le sabbat toutes les semaines. Ces conformités et plusieurs autres qu’on remarque entre les Américains et les Israélites, ne peuvent être casuelles. Il faut donc avouer que les Israélites ont pénétré dans l’Amérique, ou par la Chine, ou par quelques autres endroits.

Il y a des Juifs qui les y font passer de l’Espagne même, ou de la France, et qui expliquent de ce passage un passage d’Abdias (Abdias 1.20) qui porte, selon le texte hébreu : Les captifs d’Israël qui sont sortis de Chanaan pour aller à Sarphat (c’est-à-dire en France), et les captifs tirés de Jérusalem qui sont à Sarphad (c’est-à-dire, selon eux, en Espagne) posséderont les villes du Midi. On peut voir sur cela un livre français intitulé : Conformité des coutumes des Indiens orientaux avec celles des Juifs, par M. de la C… à Bruxelles en 1701, in-12 ; un livré anglais composé sur le même sujet par Thomas Thorowgood, et quelques autres auteurs cités par M. Fabricius, Bibliograph antiquar page 16, 17, 18.

Mais quand on envisage toutes ces preuves avec plus d’attention, et qu’on veut vérifier tous les faits qui servent de fondements à ces opinions, on trouve qu’une partie de ces caractères sont faux, les autres sont douteux et les autres équivoques ; et si l’on remarque parmi les Américains quelques traces du judaïsme, on y en trouve aussi quelques-unes du christianisme, et surtout un paganisme et une idolâtrie déclarée et publique ; de sorte qu’on n’en peut rien conclure en rigueur pour l’origine des Américains comme venus des Israélites, ni comme descendus des chrétiens. Nous n’entrons pas dans un plus profond examen de ces choses, on peut voir ceux qui les ont traitées exprès ; par exemple M. Basnage, Histoire des Juifs livre 7 chapitre 1, notre Dissertation sur le pays où les dix tribus ont été transportées ; Wolfius, Biblioth. Histoire Hebr., tome 1 ; le Père Lafiteau, Mœurs des Sauvages américains, t. II et en général ceux qui ont écrit sur l’histoire et les coutumes des Américains.

Il y a longtemps qu’on dit que les dix tribus, ou-du moins une partie d’entre elles, se sont retirées dans l’Éthiopie. On dit que, dès le temps de Salomon, plusieurs y suivirent la reine de Saba. [Voyez Saba]. Le rabbin Eliézer enseigne que du temps de Jéroboam, la tribu de Dan se rendit dans ce pays, et que les tribus de Nephtali, de Gad, à Aser et de Moïse y allèrent quelque temps après. La tribu de Moïse, dont l’Écriture ne dit rien, était, dit-il, idolâtre. Mais s’étant convertie elle s’occupa à bâtir des palais dans le pays où elle s’était retirée. Ces tribus réunies avaient de leur nation un puissant monarque, qui pouvait mettre sur pied une armée de six vingt mille chevaux, et de cent hommes de pied. Fables. Ce qui est certain, c’est qu’il y a en Éthiopie beaucoup de Juifs, qu’ils sont braves et guerriers, qu’il y en a même d’assez puissants, puisqu’il y en eut un au milieu du siècle dernier qui entreprit de se faire roi d’un petit pays de montagnes de très-difficile accès ; ainsi que le racontaient deux ambassadeurs du roi d’Éthiopie, que M. Bernier vit en la cour du Mogol. Mais ces Juifs se disent descendus de Juda, et on n’a aucune preuve qu’ils viennent des autres tribus dont on vient de parler.

Olaüs Rudbek, fils du fameux M. Rudbek, auteur de l’Atlantique, dans la Laponie illustrée, soutient que ce n’est ni clans l’Asie ni dans l’Afrique et beaucoup moins dans l’Amérique que l’on doit chercher les restes des dix tribus d’Israël, mais dans le fond du Nord, dans la Laponie, sa patrie. Il appuie sa prétention sur certaines probabilités générales, et surla conformité des mœurs et des cérémonies des Lapons avec celles des Juifs. Mais sur ce pied-là il n’y aura aucun pays au monde où l’on ne trouve les Juifs et les dix tribus.

Il est certain :

1° Qu’il n’y a aucun endroit de la terre qui nous soit connu, où l’on trouve les dix tribus réunies, et ne composant qu’un seul peuple.

2° Qu’il y a très-peu de pays où il n’y ait des Juifs et des Israélites, et des vestiges de leur religion.

3° Qu’un très-grand nombre d’Israélites captifs revinrent dans leur pays pendant la domination des Perses et des Grecs.

4° Que les tribus de Juda et de Benjamin et les dix tribus d’Israël sont à présent tellement confondues ensemble, qu’il est presque impossible de les distinguer, et qu’ainsi il est inutile de se fatiguer à chercher les dix tribus en aucun endroit du monde. Voyez ci-devant captivité Chefs [Princes] de la captivité, etc.