Dans ces derniers temps on a soutenu sur le zodiaque des discussions que nous n’avons pas besoin de caractériser. La Bible y a été trop souvent mêlée pour que nous omettions, de placer ici un sujet que certains hommes ont eu si à cœur d’exploiter dans un intérêt contraire à celui de la révélation. M. Desdouits, professeur de physique au collége Stanislas, a consacré la quatorzième leçon de son Cours d’astronomie, inséré dans l’Université catholique, à l’histoire du zodiaque ; nous allons rapporter ici cette leçon tout entière de l’origine du zodiaque.
De l’origine du zodiaque.
199. Si la découverte des zodiaque, égyptiens, dit ce savant, donna tant de vivacité et d’intérêt à la discussion sur l’antiquité des représentations zodiacales, il ne faut pas croire que cette question ait été soulevée par ces monuments eux-mêmes. S’ils firent leur entrée avec tant de fracas au sein de nos académies, et si tout le monde se passionna d’abord sur la question de leur âge, c’est que des thèses monstrueuses sur l’antiquité du zodiaque avaient excité récemment une vive agitation ; et je ne doute guère que, sans cet ébranlement général des esprits, les zodiaques égyptiens n’eussent passé à peu prèt inaperçus. Mais les idées de Dupuis s’étaient déj à infiltrées partout. Chez les uns la mode, chez les autres une fascination réelle, avaient fait de chauds adeptes à sa thèse ; et la voix de quelques esprits raisonnables, étouffée par les clameurs de la foule, avait laissé l’opinion antibiblique maîtressé du terrain. Les zodiaques d’Esné, apparaissant dans de telles circonstances, devenaient une confirmation de ces idées ; confirmation qui ne pouvait manquer de frapper vivement les esprits, et qu’on eût été tenté d’appeler providentielle, si ce mot n’eût été un barbarisme et un non-sens dans la langue de ce temps-là.
Systèmes de Dupuis, de Pluche, de Newton.
200. Or voici quel était le système de Dupuis sur l’origine du zodiaque. Posant d’abord en principe trois hypothèses très-gratuites, qui auraient eu besoin d’être appuyées tout au moins de quelques données historiques, il admit,
1° Que le zodiaque avait été formé tout d’une pièce ;
2° Qu’il avait pris naissance en Égypte ;
3° Que les signes zodiacaux étaient les emblèmes des phénomènes physiques du climat de l’Égypte aux époques correspondantes.
Partant de là, et reconnaissant tout d’abord que la succession de ces phénomènes n’est nullement en harmonie avec celle des emblèmes, si l’on fait correspondre les points équinoxiaux et solsticiaux aux signes qui les contiennent dans le zodiaque actuel, il conçut l’idée hardie de faire faire une demi-révolution aux colures ; c’est-à-dire, de supposer qu’en conséquence de la précession des équinoxes le signe occupé aujourd’hui par l’équinoxe du printemps l’avait été par l’équinoxe d’automne à l’époque qu’il envisageait. Ainsi le signe du Capricorne correspondait alors au solstice d’été, celui du Cancer au solstice d’hiver ; l’équinoxe du printemps commençait le signe de la Balance, celui d’automne ouvrait le signe du Bélier. Or, comme la coïncidence des cohues avec le premier degré de chaque signe dans le système actuel correspond à 400 ans avant notre ère, l’époque rêvée par Dupuis la précédait d’une demi-révolution équinoxiale, ou environ 13000 ans, de sorte que cette époque précéderait d’environ 15000 ans l’époque actuelle.
Or, comme ce n’est pas, au berceau de sa civilisation qu’un peuple imagine une institution semblable, il résultait de l’hypothèse de Dupuis que la civilisation égyptienne et par suite l’établissement de la nation remontaient à une époque encore fort antérieure. Ce système, il est vrai, abstraction faite de ce qu’il a de gratuit présentait une grave objection, tirée du silence complet de l’histoire, pendant au moins environ 12000 ans ; période qu’on ne retrouve d’ailleurs ni dans l’histoire sérieuse des autres peuples, ni dans celle des Égyptiens eux-mêmes, dût-on accepter les chiffres de Manéthon. Soit pour échapper à cette difficulté, soit par manière de concession aux esprits moins audacieux que le sien, Dupuis suggéra un autre système. Il admit que les signes zodiacaux emblématiques avaient pu être, non ceux dans lesquels se trouvait le soleil aux époques qu’ils figuraient, mais ceux qui lui étaient opposés à l’horizon, qui se levaient quand il se couchait, et réciproquement. Cette hypothèse, qui ne satisfit pas tous les esprits, était cependant assez naturelle, puisqu’elle représentait également la succession des signes, et qu’elle répondait à un système dans lequel les observations étaient beaucoup plus faciles. Abandonnée par Dupuis lui-même, mais admise par Fourrier, elle ne donnait au zodiaque qu’une antiquité de 2700 ans avant notre ère. Quoique ce résultat puisse s’accorder très-bien avec la chronologie biblique des Septante, comme il déborde de beaucoup la chronologie usitée, ses partisans, aussi bien que ceux du chiffre le plus hardi, s’accordaient sur ce point que l’histoire mosaïque se trouvait convaincue d’erreur dans ses dates.
201. Examinons donc la valeur intrinsèque du système de Dupuis, non pas au point de vue historique ou philosophique ; car, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer, comme il repose sui plusieurs hypothèses fort gratuites, dont la fausseté même est aujourd’hui démontrée, on le réfute suffisamment en opposant à ces hypothèses une négation pure et simple. Mais il s’agit d’apprécier la valeur morale du système, c’est-à-dire le plus ou moins de vraisemblance que peuvent présenter les rapprochements au moyen desquels il tente d’interpréter les emblèmes du zodiaque, considérés dans leurs rapports avec l’Égypte. Certes, pour admettre qu’une œuvre d’imagination est la véritable histoire d’une institution aussi vieille, pour la mettre dans la balance avec le témoignage désintéressé de l’histoire de tous les peuples, il faut tout au moins trouver dans l’interprétation des emblèmes, des harmonies frappantes, des caractères tranchés, des lumières sans ombre ; rien d’arbitraire, de forcé, d’équivoque ; rien à quoi l’on puisse donner une interprétation différente. Or sont-ce bien là les conditions que remplit le système de Dupuis ?
En plaçant le Capricorne au solstice d’été, les Égyptiens indiquaient par là, nous dit-il, que le soleil, semblable a une chèvre, était parvenu au point le plus élevé de sa course ; mais la queue de poisson avec laquelle on représente cet animal était l’indice de la crue du Nil, qui commençait en Égypte à l’époque du solstice d’été. Le Verseau qui vient ensuite, marquait le débordement du fleuve ; et les Poissons, qui le suivent, indiquaient que la surface du pays était entièrement couverte par les eaux. Le Bélier montrait les troupeaux se précipitant sur les verts pâturages après que les eaux avaient abandonné la plaine ; le Taureau marquait le labour ; les Gémeaux, la germination, ou l’époque à laquelle les bestiaux mettaient bas. Le Cancer correspondait au solstice.d’hiver, et indiquait la rétrogradation du soleil. Dans le Lion il faut voir la végétation à l’époque de sa plus grande activité ; ou bien, comme le mois correspondant suit le solstice d’hiver, le soleil reprend sa force dont le lion est le symbole. La Vierge indique par son épi l’époque où l’Égyptien moissonne ; la Balance est l’emblème de l’équinoxe du printemps ; le Scorpion figure les maladies causées par l’excessive chaleur et les vents éthiopiens ; enfin le Sagittaire, qui clôt la série, serait l’emblème des vents du nord, précurseurs de l’inondation, et chassant les vents malfaisants du sud ; aussi est-il représenté poursuivant le Scorpion, vers lequel il dirige une énorme flèche.
Sur ces douze interprétations, la moitié peine est assez plausible, et seulement comme pure hypothèse. Mais encore faut-il ; remarquer que sur cette moitié il y a trois : ou quatre emblèmes qui s’expliquent tout aussi bien dans un système diamétralement opposé à celui de Dupuis. Car, si le Capricorne et le Cancer indiquent que le soleil grimpe ou qu’il rétrograde, l’application s’en fait tout aussi bien en mettant le Cancer eue solstice d’été et le Capricorne à celui d’hiver. Si la Balance indique l’équinoxe, ce n’est pas plutôt celui du printemps, comme le suppose Dupuis, que celui d’automne, comme on l’admet dans le système contraire. En laissant le Cancer au solstice d’été, le-signe de la Vierge correspond presque partout à l’époque de la moisson ; de sorte que, jusqu’ici, les explications de Dupuis n’ont aucun avantage sur celles qu’on donne de ces signes dans un système tout opposé. Voyons maintenant ce qu’il faut penser des autres.
D’abord la queue de poisson du Capricorne fait un double emploi avec le signe des Poissons, qui vient après, et ne le suit même pas immédiatement ; et de plus on ne voit pas pourquoi un pareil emblème indiquerait l’élévation du niveau du fleuve ; s’il est bien placé après le débordement, il l’est mal avant le phénomène. Le Verseau et les Poissons sont bien expliqués ; mais on va voir plus bas qu’ils le sont tout aussi bien dans le système contraire. L’interprétation que Dupuis donne au signe du Bélier est grossièrement absurde. Car, l’inondation du Nil durant environ cent jours, la terre se trouve encore couverte par les eaux pendant la moitié du mois correspondant au signe du Bélier ; et, pendant l’autre moitié, elle n’offre qu’une boue qui ne peut donner aux troupeaux aucun pâturage. L’interprétation du Taureau est exactement la même dans le système contraire à celui de Dupuis ; elle est même beaucoup meilleure : car on peut objecter à Dupuis que le labourage devait suivre immédiatement en Égypte la retraite des eaux, et au besoin on le prouverait par le témoignage d’Hérodote ; de sorte que les deux emblèmes du Bélier et du Taureau seraient dans un ordre renversé : le labourage devait venir d’abord, et l’herbe tendre à sa suite. Les Gémeaux, quelque figure qu’on leur donne, présentent partout la double idée de dualité et d’égalité : or il fallait être Dupuis pour trouver un rapport quelconque entre ces idées et l’état de la végétation. Cependant il n’était pas impossible de s’écarter encore davantage du sens commun, et Dupuis n’y a pas manqué en interprétant l’emblème du Lion. Cette grande et vigoureuse figure doit avoir un sens décidé et représenter quelque phénomène large et imposant, dont l’analogie avec le roi des déserts éclate à tous les yeux. Or Dupuis vous dira qu’à l’époque correspondante la végétation est active en Égypte !… premier rapport avec le Lion ; et puis que le soleil, remontant du solstice d’hiver, reprend sa force en entrant dans ce signe. Cela revient à dire, d’une part, que le développement des choux, des ognons et des concombres rappelle à tous les esprits le roi des animaux ; et, en second lieu, qu’on plaçait l’emblème des ardeurs du soleil à-peu-près à l’époque où il fait le moins chaud 1 C’est absolument comme si dans notre climat on attachait au mois de février l’emblème des grandes chaleurs.
Après ce beau tour de force on ne daignera guère examiner sérieusement si le Scorpion indique d’une manière plus ou moins naturelle une époque de maladies ; si le Sagittaire représente plus ou moins clairement les vents du nord ou toute autre chose analogue ; si l’on ne peut pas trouver facilement dans nos climats et dans un système très-différent quelque phénomène auquel l’interprétation de ce mythe s’applique aussi bien. Voilà donc ce merveilleux produit d’une intelligence philosophique ; les voilà, ces éclatantes lumières, ces analogies décisives, auxquelles des esprits sérieux n’ont pas rougi de don-ner le pas sur le témoignage de l’histoire, et malgré une foule d’invraisemblances morales. Conçu à priori, et pétri d’hypothèses sans consistance, ce système ne se recommandait que par sa hardiesse et le mérite alors fort goûté de heurter dédaigneusement l’histoire de Moïse ; et il ne lui en fallait pas davantage pour lui assurer quelques années d’une vogue exorbitante. Disons cependant qu’il se rencontra un jour un savant, lequel se crut en mesure de l’appuyer par une preuve sérieuse et directe. Remy Raige, orientaliste très-érudit et judicieux tout autant que vous allez le voir, ayant remarqué dans Ptolémée que le mois égyptien nommé épifi commençait le 20 juin, au solstice d’été, et sachant d’ailleurs que ce mot signifie Capricorne, en conclut que, lorsque les Égyptiens avaient formé le signe du Capricorne et donné son nom à un de leurs mois, l’un et l’autre correspondaient au solstice d’été, ce qui rentrait admirablement dans les idées de Dupuis. Or ce n’était là qu’une méprise grossière de l’orientaliste. Le mois d’épifi était, comme tous ceux de l’année égyptienne, un mois vague dont le commencement parcourait tous les points du zodiaque. Au temps dont parle Ptolémée, ce mois commençait, mais seulement par hasard, à l’époque du solstice. 120 ans avant et après, il commençait 30 jours plus tard et plus tôt, pour se retrouver au solstice après une grande révolution sothiaque de 1461 ans.
202. Si le succès du système de Dupuis avait été déterminé par sa valeur intrinsèque, c’est-à-dire par le bonheur supposé de ses explications, les esprits se fussent montrés plus indulgents à l’égard du système de Pluche, qui, en abordant le problème de l’origine du zodiaque, donnait des solutions tout aussi plausibles et certainement même beaucoup plus satisfaisantes. Plaçant l’invention du zodiaque chez un peuple habitant d’une zone tempérée, à l’époque où le Bélier coïncidait avec l’équinoxe du printemps, Pluche voyait dans ce signe l’emblème des troupeaux abandonnant leurs prisons d’hiver. Le Taureau figurait le labourage, les Gémeaux la naissance du bétail ; le Cancer indiquait le solstice d’été et la rétrogradation du soleil ; le Lion, hôte des déserts brûlants, répondait à l’époque des plus grandes chaleurs de l’année ; la Vierge, avec son épi, présidait aux moissons ; la Balance représentait nettement l’équinoxe d’automne, le Sagittaire l’époque de la chasse ; le Capricorne, au solstice d’hiver, était le symbole du retour ascendant du soleil, le Verseau, celui des pluies d’hiver, les Poissons celui du débordement des fleuves. Le Scorpion seul et peut-être les Gémeaux n’avaient que des interprétations équivoques ; et, malgré cela, l’ensemble de ce système a une supériorité manifeste sur celui de Dupuis, dont il est le contre-pied. Comme l’équinoxe a atteint le premier degré du Bélier, quatre cents ans avant notre ère, en rétrogradant, et qu’il avait occupé cette constellation pendant plusieurs siècles, ou voit qu’on peut placer assez arbitrairement l’origine du zodiaque, sans néanmoins la porter au delà de l’époque du déluge, même dans le système de la chronologie restreinte. L’époque moyenne correspond au quinzième siècle avant notre ère.
203. L’origine du zodiaque se trouve encore plus rapprochée de nous dans le système de Newton. Cet immortel génie qui ébranla un instant tout le système de la chronologie reçue, se méprenant, comme beaucoup d’autres, sur le sens d’Hipparque, crut qu’Eudoxe avait décrit une sphère primitive ; qu’elle avait été composée par Chiron, à l’usage des Argonautes, dont ses calculs, fondés sur le mouvement supposé des équinoxes, jusqu’à l’époque d’Hipparque, fixaient l’expédition à l’année 936. Ce résultat a peu d’intérêt pour nous ; mais je dois cependant signaler l’origine de ce système de Newton fondé sur une méprise. Eudoxe plaçait les points équinoxiaux et solsticiaux au milieu des signes. Hipparque, au contraire, jugea à propos de les placer à l’origine de ces mêmes signes ; de là une différence de 15° entre toutes les longitudes de ces deux astronomes qui n’avaient pas le même point de départ, et c’est de quoi Hipparque nous avertit expressément. Or cette différence avait éte attribuée de prime abord à la précession des équinoxes, et comme un mouvement de 15° suppose un intervalle de 1100, tandis qu’à peine deux siècles séparent Eudoxe et Hipparque, on en conclut qu’Eudoxe avait décrit une sphère antérieure à son époque, sphère qu’on supposa la sphère primitive, et dont on rechercha l’époque avec beaucoup de soins et de calculs. La chose n’en valait cependant pas la peine. La critique habile de Delambre a prouvé que ta sphère primitive d’Eudoxe n’existait pas ; que la description que ce Grec avait donnée du ciel était d’une complète incohérence, et ne représentait aucune époque antérieure ; qu’elle n’était que le résultat et l’indice d’une astronomie grossière ; ce qui, soit dit en passant, rend un témoignage peu flatteur pour les savants de l’Égypte, dont Eudoxe était le disciple.
Intérét de la question au point de vue de la chronologie biblique.
204. Si l’on met de côté la stupide prétention de Dupuis aux 15000 ans d’antiquité du zodiaque, et voulût-on même adopter avec Fourrier sa seconde hypothèse, qui n’est cependant pas plus fondée, il n’y aura aucune opposition réelle entre cette prétendue vieillesse du mythe zodiacal et la chronologie biblique. Je dis plus. Pour peu qu’on voulût prendre au sérieux les prétentions de quelques savants qui le font remonter plus haut encore, jusqu’à l’époque par exemple où l’équinoxe était dans le Taureau, ce à quoi ils se pensent autorisés par des raisons qui ne valent pas la peine d’être exposées ici ; si l’on veut même pousser la condescendance jusqu’à admettre que le solsticed’été a été observé dans la Vierge, comme le demandent les plus audacieux, l’histoire mosaïque n’y mettra pas d’opposition, bien que cette hypothèse nous rejette moyennement à 4700 avant notre ère. Cette concession de ma part étonnera sans doute quelques-uns de mes lecteurs ; la théorie en est cependant d’une sûreté et d’une simplicité extrêmes.
En effet, si nous adoptons la chronologie des Septante, qui place le déluge 3000 ans environ avant Jésus-Christ, et 2262 ans après la création, il se trouve que le solstice d’été a parcouru la Vierge, pendant les douze premiers siècles. Or rien n’empêche d’admettre que le zodiaque n’ait é :é formé pendant cette première époque, et que ce zodiaque primitif n’ait été conservé, puis transmis par la famille de Noé aux premiers peuples qui se formèrent après le déluge. Parmi les monuments allégués, les uns, contemporains de cette première époque postdiluvienne, nous retraceraient l’image du zodiaque primitif ; les autres, qui placent le solstice dans le Lion, puis dans le Cancer, l’échelonneraient sur des temps postérieurs, et nous donneraient dès dates de plus en plus rapprochées. Remarquons en outre qu’en l’an 3000, époque moyenne du déluge, l’équinoxe correspondait à Aldébaran, principale étoile du Taureau, et le solstice tombait près de 8 du Lion. On peut donc supposer, si l’on veut, que les zodiaques orientaux, qui représentent cette position des colures, ou sont contemporains du déluge, ou ont été composés postérieurement, mais de manière à figurer l’état du ciel à la grande époque du cataclysme général et de la renaissance du genre humain.
L’importance de ce point de vue est facile à saisir. Non-seulement les choses ont pu absolument se passer ainsi, mais encore cette manière d’envisager le problème est tellement naturelle, qu’il en résulte une véritable probabilité pour cette hypothèse. Si les hommes antédiluviens avaient un zodiaque, la transmission à travers le déluge par Noé et ses enfants est non-seulement possible, mais très-vraisemblable, pour ne rien dire de plus ; de sorte qu’en admettant l’existence d’un zodiaque antédiluvien, la haute antiquité qu’on attribuera à ce cycle d’emblèmes bien loin de contrarier la Bible, serait une sorte de corollaire à ses chiffres.
L’existence d’un zodiaque antédiluvien semble d’ailleurs d’une haute probabilité. La longévité des hommes de cette époque et leur genre de vie concouraient à favoriser pour eux l’étude du ciel, et il n’y a pas lieu de douter qu’ils n’aient dû posséder de bonne heure un corps de science astronomique assez respectable. Les débris de cette science ont pu et dû traverser le déluge par le canal de la famille de Noé, et il serait t’imite d’expliquer de cette manière comment certains peuples auraient possédé de fort bonne heure des connaissances astronomiques très-précises, qui ne s’accordent guère avec l’état d’enfance de leur civilisation. Je parle ici dans le sens de quelques savants naïfs, qui s’imaginent avoir trouvé ces formules précises chez les vieux Égyptiens, les Chaldéens, les Perses. Ce sont, à mon avis, autant de rêves absurdes ; mais, au point de vue biblique, je n’ai aucun intérêt à y mettre opposition. La grande période luni-solaire de Josèphe, dont j’ai parlé (n° 143), est un débris probable de cette science antédiluvienne ; c’est le seul, il est vrai, auquel il me semble qu’on puisse supposer cette origine ; mais on pourra l’escorter de tant d’autres qu’on voudra, sans aucune objection de ma part.
Fausses idées sur l’antiquité de notre zodiaque.
205. Voilà donc la Bible tout à fait désintéressée dans la question de l’origine du zodiaque. Mais si solide que soit la théorie que nous venons d’établir, accordant la très-haute antiquité du zoiaque, il est possible que rien de tout cela n’ait de réalité, et nous allons même établir qu’il en est ainsi. Le peu d’ancienneté de cette institution est un fait maintenant acquis à l’histoire. Nous ne doutons pas que les hommes antédiluviens n’aient fait beaucoup de science astronomique, n’aient eu un zodiaque quelconque, et ne l’aient transmis à leurs successeurs, sur la terre, par le moyen que j’ai indiqué ; mais il me paraît certain que leur zodiaque n’est pas, le nôtre, et que celui qu’ils ont pu transmettre au monde postdiluvien est tombé dans l’oubli, ce qui se conçoit du reste : car les premières familles, les premières tribus, les premières nations avaient autre chose à faire que de s’occuper des signes zodiacaux. Le genre de vie auquel les condamna longtemps la nécessité de pourvoir à leurs besoins matériels dut les détourner d’uneétude à laquelle les Grecs étaient encore étrangers au temps d’Homère ; car, comme tout le monde en convient, ils ne connaissaient qu’un fort petit nombre de constellations, et ne soupçonnaient pas le zodiaque.
Il est d’origine grecque, et dû à l’école d’Alexandrie.
206. La thèse que je vais établir ici, véritable paradoxe que M. Letronne a fait passer au rang des vérités démontrées, se résume dans cette proposition unique : Notre zodiaque en douze signes, qui se retrouve en Égypte et dans presque tout l’Orient, est aigine grecque. Cette proposition est à-peu-près l’inverse de tout ce qui avait été dit sur ce sujet ; car, s’il y avait autant d’avis que de têtes sur l’objet et l’époque originaire du zodiaque, tout le monde s’accordait sur ce point, que le zodiaque grec venait de l’Asie ou de l’Égypte. Cette idée, adoptée de confiance, avait son origine dans la supposition que le zodiaque existait depuis longtemps chez des peuples déjà vieux à l’origine de la civilisation grecque ; la découverte des zodiaques égyptiens, différents du nôtre, en apparence, n’était pas de nature à ébranler cette opinion.
Il y a, pour en sortir, tant de chemin à faire, que nous concevons, malgré la puissance des preuves, la répugnance et l’obstination des esprits qui s’y refusent encore. Mais abordons directement la question.
Il n’y a d’abord enclin doute sur l’identité de notre Sphère avec celle des Grecs. La nôtre, qui nous vient de Ptolémée, est la même que celle dédite par Eudoxe dans le quatrième siècle de notre ère. Si la description en est fautive, dû moins les constellà fions sont les mêmes. En second lieu, le planisphère de Dendérah, qui est le plus comptet de tous les monuments astronomiques trouvés en Égypte, contient, outre les douze signes, un certain nombre de constellations extrazodiacales, sinon même tout le ciel visible sur l’horizon de Dendérah ; c’est là un fait sur lequel on s’accorde. Mais si l’on remarque que les signes zodiacaux sont les mêmes sur la sphère grecque et sur celle de Dendérah, tandis que les constellations extra-zodiacales sont tout à fait différentes de l’une à l’autre, il en résulte avec évidence : 1° que les deux sphères grecque et égyptienne étaient différentes au fond ; 2° que l’un des deux peuples a pris à l’autre ses constellations zodiacales, et les a introduites dans sa propre sphère parmi ses autres figures. Il ne s’agit que de savoir lequel des deux peuples a fait cet emprunt à l’autre.
207. Si l’on traite cette question par les moyens archéologiques, la présomption est d’abord tout entière en faveur des Grecs. En effet sur tous les zodiaques égyptiens connus jusqu’à présent il n’en est aucun qui ne soit d’une date postérieure à notre ère. Il est à remarquer qu’on n’en atrouvé aucun dans les temples de l’Égypte et de la Nubie, dont l’époque remonte avant la domination romaine ; aucun dans les tombes royales qu’on a pu ouvrir, et qui contiennent néanmoins des scènes astrologiques ; aucun dans les momies anciennes, qui ont été ouvertes. Ainsi, historiquement parlant le zodiaque grec d’Eudexé : est très-antérieur à ceux de l’Égypte.
Mais si l’on considère la composition même du zodiaque, on en tire une preuve fort simple et décisive en faveur de l’antériorité des Grecs. Il est bien établi qu’au temps d’Aratus et d’Hipparque le zodiaque grec ne contenait pas encore le signe de la Balance, mais que là constellation du Scorpion était divisée en deux parties, dont l’une, sous des Serres du Scorpion, formait le douzième signe. Plus tard, on jugea convenable d’avoir douze figures au lieu de onze, comme on avait douze signes, et l’on créa en conséquence la constellation et le signe de la Balance, qui remplaça les Serres du Scorpion. C’était là d’ailleurs un emblème parfaitement convenable pour représenter l’équinoxe d’automne. La coïncidence avait lieu à l’époque d’Hipparque ; et si ce n’est pas cet astronome qui a inventé le signe de la Balance, l’introduction de ce signe dans le zodiaque ne lui est pas postérieur de beaucoup, puisqu’on le trouve indiqué dans Varron et dans Géminus, venus un siècle après lui. Ce sont d’ailleurs les plus anciens auteurs qui en fassent mention.
Ce fait bien établi, voici ce qui en résulte. Puisque chez l’un des deux peuples, à une époque quelconque, il a existé un zodiaque composé de douze figures, et que ce zodiaque a passé, de l’un chez l’autre, il est évident qu’il a dû passer tout entier. Il serait grossièrement absurde de supposer que le peuple qui aurait emprunté à l’autre un zodiaque en douze figures, en aurait négligé une, et précisément une figure caractéristique, pour n’en conserver que onze ; et qu’il se serait bêtement plié en conséquence à la nécessité d’en couper une en deux, pour avoir ses douze signes complets. Au contraire, il est très-naturel que si, après avoir divisé la course du soleil en douze parties, on avait rattaché ces douze parties aux constellations voisines, et que si, faute d’en trouver douze toutes faites, on en avait coupé une en deux, il est, dis-je, naturel qu’un jour, ennuyés de cette discordance, les astronomes aient formé une douzième figure, pour en rattacher une a chacun de leurs douze signes. Or le zodiaque grec d’Aratus et d’Hipparque ne se composait que de onze figures : donc il n’a pu être emprunté à un peuple qui en aurait eu douze. Donc ce zodiaque est d’invention grecque. À moins donc qu’on ne signale un autre peuple, qui aurait eu un zodiaque endécatomorphe, ce qu’on n’a pas fait jusqu’à présent, il restera certain que le zodiaque grec n’a été importé de nulle part ailleurs ; et, comme nous le retrouvons avec cette modification de la Balance en Égypte, et chez beaucoup de nations orientales, il en résulte nécessairement que l’Égypte et l’ancienne Asie ont reçu, par une voie quelconque et à une époque assez tardive, le zodiaque des Grecs.
Cette conclusion est confirmée pour l’Égypte en particulier par ce fait que j’ai signalé plus haut, savoir que de tous les zodiaques trouvés en Égypte et en Nubie aucun n’est antérieur à la domination romaine.
208. L’importance de cet argument m’engage à m’y arrêter et à répondre aux objections qu’on a cru pouvoir faire contre l’introduction tardive de la Balance dans le zodiaque. On a d’abord fait remarquer que la Balance se trouve souvent figurée dans les bas-reliefs de l’Égypte. Cela est vrai, mais elle y est comme le crocodile, l’épervier ou toute autre chose, et, nullement comme astérisme zodiacal dupuis objecta les sphères de l’Orient, où l’on trouve cette figure ; ce qui était une pétition de principe, puisque l’ancienneté relative de ces sphères est contestée. Enfin, de ce que le mot Svyôs, balance, se trouve dans un traité d’Eratosthènes ou d’Hipparque, il en conclut que cette constellation était connue avant ces astronomes. Cette observation donne lieu à deux sortes de réponses.
On fait remarquer d’abord que le traité en question est apocryphe, et qu’il n’appartient ni à Eratosthènes, ni à Hipparque, auxquels il serait postérieur tout au moins d’un siècle, et de beaucoup plus peut-être. En effet il y est question da mois de juillet et du mois d’août ; et l’on y remarque le mot écliptique, qu’on ne trouve point ailleurs avant le quatrième siècle. D’où il suivrait que ce traité pseudonyme n’aurait été rédigé qu’assez tard.
Malgré ces objections, je crois l’ouvrage non sans doute de la main d’Eratosthènes ou d’Hipparque, mais d’une époque à peine plus récente que celle de ce dernier astronome ; et bien loin d’y trouver un argument en faveur des prétentions de Dupuis, j’y reconnais des faits qui déposent précisément en sens contraire. En effet, partout on y trouve le signe des Serres, soit dans la description du zodiaque, soit ailleurs. Dans la nomenclature des signes zodiacaux, au commencement du traité, on y lit, après le nom du signe de la Vierge, c’est-à-dire, les Serres ; ce qui est la même chose que la Balance. Cette remarque prouve manifestement que les Serres formaient un signe à l’époque de l’auteur du traité, et que des mots ont été ajoutés après coup par quelque annotateur plus récent. Autrement l’auteur aurait toujours employé la Balance au lieu des Serres, si la substitution avait été déjà faitè, tandis qu’il fait constamment le contraire. Or on conçoit aisément qu’un transcripteur ait cru devoir faire remarquer plus tard que le vieux signe des Serres était celui que de son temps on appelait la Balance. Cela posé, on conçoit également qu’il ait substitué à des dates exprimées dans un ancien style, celles qui leur correspondaient dans le calendrier julien, et cela, dans l’intérêt des lecteurs de son temps. Enfin l’emploi du mot écliptique qu’on y lit peut se justifier d’une manière semblable. Le cercle qui divise le zodiaque sur la largeur, y est-il dit, « se nomme héliaque, et aussi écliptique ; ce dernier nom vient de ce que les éclipses ont lieu quand le soleil et la lune sont dans le plan de ce cercle. » Or cette remarque et cette explication qui étaient nécessaires à une époque où l’écliptique n’était connue que sous ce nouveau nom, permettent de croire que cette phrase est le fait d’un annotateur. Le mot héliaque, qui précède, vient à l’appui de cette idée ; car on ne voit pas pourquoi l’auteur aurait mis là cet ancien mot, qui cessa d’être usité quand on lui substitua celui d’écliptique. Rien n’empêche donc d’admettre que cet ouvrage ne soit fort ancien. Il n’est pas d’Hipparque, puisque cet astronome y est cité à propos de son catalogue d’étoiles ; mais il doit être antérieur à Ptolémée ; car, autrement, on aurait cité cet auteur préférablement à Hipparque au sujet du dénombrement des astres. Il peut même être antérieur à Géminus ; celui-ci employant habituellement le signe de la Balance, tandis que l’ouvrage en question n’emploie que celui des Serres. Mais, en tout cas, et quelque soit la date de ce livre, il est évident que si le signe de la Balance eût existé originairement dans le zodiaque, on ne lui eût pas substitué les Serres du Scorpion, comme on le fait toujours dans cet ouvrage, et dans tous ceux qui sont antérieurs au premier siècle avant notre ère.
Il résulte généralement de tout ce qui précède que tout zodiaque composé comme le nôtre n’est autre chose que le zodiaque d’Flipparque ou dérivé de celui-là, par l’admission du signe de la Balance. À l’appui de cette conclusion on peut encore citer quelques faits que voici. Les configurations de la sphère grecque ont subi à diverses époques des modifications qu’on reconnaft par la diversité des descriptions qui en ont été données. Pour se borner aux figures zodiacales, on peut citer le Capricorne et le Sagittaire. Le premier, comme le prouve son nom (à cornes de chèvres), ne pouvait indiquer une chèvre, « animal grimpeur, » comme disent tous nos Œdipes du zodiaque ; ce devait être quelque chose de très-différent d’une chèvre, mais qui en avait les cornes ; aussi, dans les anciennes descriptions, le Capricorne est-il figuré sous forme humaine, telle que celle de Pan ou d’un satyre. Ce n’est que plus tard qu’on en fit une chèvre à queue de poisson, figure qui ne paraît sur aucun monument avant le règne d’Auguste. Quant au Sagittaire, il est figuré sous la forme d’un centaure sur tous les zodiaques, même ceux trouvés en Égypte. Or cette figure est tout à fait étrangère à l’art et à la religion des Égyptiens, à tel point qu’on ne la rencontre pas une seule fois dans les peintures et sculptures si nombreuses des monuments de ce pays. Nouvelle preuve que les zodiaques égyptiens étaient une importation de la Grèce.
Il n’a été formé que successivement.
209. Mais, si notre zodiaque est d’origine grecque, on peut encore rechercher l’époque de sa formation. Or je dis que cette époque n’existe pas, c’est-à-dire que le zodiaque n’a pas été formé tout d’une pièce. En voici les preuves.
Si le zodiaque était une formation homochrone, il y aurait dans la disposition des signes une certaine régularité qui n’a nullement lieu. Les constellations zodiacales sont rangées d’une manière fort irrégulière par rapport à l’écliptique, plusieurs s’en écartent beaucoup soit au nord, soit au midi. Leur étendue est extrêmement inégale ; car le cancer n’occupe qu’une vingtaine de degrés, tandis que la Vierge en occupe jusqu’à cinquante. Plusieurs sont séparées par de longs intervalles ; d’autres sont tellement rapprochées qu’elles se touchent et se confondent. Or, vu l’extrême facilité de former des groupes d’étoiles d’une manière tout à fait arbitraire, il est évident que si l’on avait formé le zodiaque tout d’une pièce, un aurait créé les constellations qui donnent leurs noms aux signes, de manière à ce qu’elles fussent à-peu-près égales, à-peu-près équidistantes, a peu près traversées par l’écliptique, tandis qu’il en est tout autrement. Il est évident que les constellations étaient déjà composées, lorsqu’on partagea l’écliptique en douze parties et qu’on fit correspondre à ces douze parties les diverses constellations qui se trouvèrent sur leur route d’une manière telle quelle. C’est ainsi qu’on ne trouva d’abord que onze astérismes, et qu’on se crut obligé plus tard d’en former un douzième, qui fut la Balance.
Outre l’époque tardive de l’introduction de celui-ci dans le zodiaque, un fait historique vient à l’appui de ces considérations : c’est que deux des constellations zodiacales ont été inventées à une époque connue. Selon Pline, Cléostrate de Ténédos inventa et plaça au ciel le Bélier et le Sagittaire, vers la 71° olympiade ; et Hygin lui attribue également la petite constellation des Chevreaux. Ces faits détruisent de fond en comble toutes les explications qu’on voudrait donner des signes du zodiaque considérés comme emblèmes. J’ajouterai à ce point de vue que l’ancienne et véritable ligure du Capricorne se trouve sans aucun rapport avec l’idée du solstice et de l’ascension du soleil, quoi qu’en aient pu dire les modernes, et Macrobe avant eux. Je ferai remarquer encore que si la Balance, inventée si récemment, est l’emblème de l’équinoxe, ce qui est très-vraisemblable, il n’y a aucun emblème pareil à l’équinoxe opposé. Or on n’aurait pas manqué d’y placer aussi un emblème significatif, si l’on en avait appliqué un à l’autre équinoxe, et deux aux solstices, comme on le suppose communément. Cette remarque seule suffit à renverser toute idée d’un système de représentation emblématique.
On demandera sans doute comment le zodiaque complet a pu venir si tard ; car c’est dans Eudoxe qu’on en trouve la plus ancienne mention. La réponse est simple. C’est que longtemps les levers héliaques d’étoiles firent toute l’astronomie par leurs rapports avec les phénomènes de l’année agricole ; aussi ne trouve-t-on autre chose chez les Égyptiens que les observations du lever de Sirius, qui se reproduisit longtemps après des intervalles exacts de 365 jours et 6 heures. Ajoutez que le zodiaque en lui-même est chose parfaitement inutile ; et lorsqu’on étudia avec quel que soin les mouvements solaires le long de l’écliptique, on n’en dut pas trouver l’emploi plus nécessaire que ne le trouvent aujourd’hui nos astronomes, qui ne s’en servent pas. Or, tant qu’on n’observa que les levers héliaques et qu’on ne rapporta pas à l’écliptique les mouvements célestes, il était à-peu-près impossible de remarquer le déplacement du point équinoxial. Voilà ce qui explique comment les Égyptiens ont ignoré la précession des équinoxes ; et comment les Chinois, qui faisaient depuis deux mille ans de l’astronomie à leur manière, et qui mesuraient l’obliquité de l’écliptique, 1100 ans avant Jésus-Christ, n’ont connu la précession que 400 ans après Hipparque, et probablement par une influence occidentale.
Il nous reste à nous expliquer sur les sphères de l’Orient, qui retracent notre zodiaque, et qui seraient d’une époque fort antérieure à celle où nous le supposons formé chez les Grecs.
Tous les zodiaques orientaux n’en sont que des copies.
210.1° On a prétendu trouver le zodiaque dans le livre de Job, et l’on croit avoir remarqué entre autres la constellation du Scorpion et celle des Pléiades, qui est située sur le dos du Taureau. Mais la plus complète incertitude règne à cet égard, à en juger par la variété des interprétations. Cette incertitude générale du sens des mots hébreux est telle, que la traduction grecque du livre de Job, qui cite les Pléiades, Orion et Hespérus, a conservé le mot original Nazzaroth, sans oser l’interpréter ; mot que la Vulgate traduit par Lucifer, et dans lequel Goguet veut voir les douze signes du zodiaque, sans en donner d’autres preuves qu’une racine très-équivoque qui signifierait entourer. Ce n’est pas sur de telles bases qu’on peut raisonner sérieusement.
2° Encore moins le fera-t-on sur les trois sphères tirées d’Aben-Ezra par Scaliger, lesquelles, en les supposant même authentiques, ne représentent que de l’astrologie pure, et ne remonteraient pas à beaucoup près au voisinage de l’ère chrétienne.
3° Plusieurs auteurs, tels que Sextius Empiricus, Achille Tatius, Macrobe, Théon d’Alexandrie et Servius, parlent des signes de notre zodiaque comme employés par les Chaldéens et les Égyptieus. Mais ces textes se rapportent à des siècles postérieurs à l’ère chrétienne, après que le zodiaque grec s’était répandu partout, et était employé par les astrologues égyptiens et chaldéens.
4° Ce dernier nom donne lieu à une remarque très-importante. Vers l’époque chrétienne, l’astrologie commença à se répandre sous l’influence des prétendus savants chaldéens, et envahit en peu de temps l’empire romain tout entier. Il en résulta que tous ceux qui faisaient profession de haute astrologie invoquaient les Chaldéens, comme plus tard on invoqua Aristote, dans lequel on prétendait tout trouver ; et, en second lieu, que le nom de chaldéen fut appliqué généralement à tous les astrologues. Cette homonymie a dû jeter de la confusion dans les traditions astronomiques on a pu, on a dû même attribuer aux Chaldéens différentes découvertes astronomiques qui n’appartenaient pas aux Chaldéens considérés comme corps de nation.
Ce qu’on conne de la sphère chaldéenne proprement dite n’est rien ou presque rien. Tout ce qu’on sait d’elle se résume, tant bien que mal, dans une phrase de Diodore de Sicile qui rapporte que les Chaldéens avaient un zodiaque en douze signes, « et ajoute « qu’ils avaient douze constellations au nord et douze au sud. » Or le zodiaque en douze signes peut signifier très-hien l’écliptique en douze parties. Cette confusion est d’autant plus naturelle que le vulgaire conne mieux le zodiaque que l’écliptique, et que la seconde partie de la phrase de Diodore témoigne un homme très-étranger à l’astronomie. Que, si l’on veut prendre celle-ci à la lettre et au sérieux, il en résulte tout au moins que la sphère chaldéenne était tout à fait différente de la sphère grecque. Rien ne prouve donc que notre zodiaque fût celui des Chaldéens ; et soit qu’on suppose qu’ils en eussent un autre, soit qu’ils n’aient eu rien desemhlable, ce que je crois plutôt, cela n’empêche pas qu’ils naient pu faire depuis longtemps de l’astronomie, à la manière des Chinois, et les observations d’éclipses citées par Ptolémée.
211. Mais je trouve une démonstration historique du point en litige dans le fait si connu des 1903 ans d’observations astronomiques envoyées de Babylone à Aristote par Callisthènes, son disciple. Il est évident que le zodiaque chaldéen devait jouer un certain rôle dans un pareil corps d’observations ; et la Grèce en aurait ainsi reçu connaissance. Donc Aratus, et tous les autres astronomes grecs postérieurs auraient connu ce zodiaque chaldéen supposé en douze signes ; et Hipparque surtout n’aurait pu l’ignorer. Or Hipparque n’avait que le zodiaque en onze figures. Remarquez encore que les relations de la Grèce avec la Chaldée étaient ouvertes et faciles depuis l’époque d’Alexandre ; que les Grecs s’étaient établis dans le pays, comme ils le firent en Égypte ; que le zodiaque chaldéen ne pouvait leur rester inconnu ; que le musée d’Alexandrie possédait entre autres choses tout ce qu’on avait pu trouver de livres chaldéens ; enfin qu’Hipparque lui-même cite des observations chaldéennes. Donc le zodiaque chaldéen, en douze signes et douze figures, ce zodiaque qui aurait contenu, comme on le prétend, le signe de la Balance, aurait été connu d’Hipparque, de tous les savants d’Alexandrie et même de toute la Grèce. Or ni Aratus, ni Eratosthènes, ni Hipparque ne connaissaient la Balance. Ils ne parlent jamais que du signe des Serres du Scorpion. Donc notre zodiaque en douze figures et douze signes était tout à fait étranger aux astronomes chaldéens.
5° Dans les livres sacrés des Perses, tels que nous les a transmis Anquetil-Duperron, on ne découvre aucune trace d’astronomie zodiacale. Dupuis n’a pu en trouver que dans le Boundehesh, où les signes de notre zodiaque sont en effet cités. Mais ce livre est une compilation formée postérieurement à la domination sassanide, et même à l’introduction du mahométisme en Perse : donc elle est d’une époque bien plus récente que l’importation du zodiaque grec en Orient. Aussi y trouve-t-on le Bélier et la Balance comme répondant aux équinoxes ; le Cancer et le Capricorne correspondent aux solstices. Or c’est justementlà la sphère d’Hippartwe. D’ailleurs, vu cette position des colures, ce zodiaque ne pouvait guère être plus ancien que cet astronome. Comment donc la sphère grecque, à son époque, aurait-elle eu précisément onze des signes de la sphère persane, qui en aurait eu douze ?
6° On a allégué les monuments mithriaques comme représentant l’époque où le Taureau était équinoxial et le Lion solsticial. Mais il n’y a pas la moindre preuve que le taureau qui y joue le principal rôle seille Taureau du zodiaque. Rien ne prouve que ces emblèmes ne soient pas des types religieux : et certes, cela est bien plus naturel que d’admettre une représentation si ancienne et si multipliée de la position de l’équinoxe dans telle ou telle constellation ; car quel intérêt si grave un pareil fait astronomique pouvait-il offrir aux peuples primitifs ? Dans ces monuments on voit le taureau accompagné quelquefois d’un lion, d’un scorpion qui lui mord le ventre (pourquoi ?), d’un chien, d’un serpent. Que font là ces autres animaux, et qu’y a-t-il d’équinoxial dans tout cela ? De plus l’on sait que le type principal offert par ces monuments est emprunté à l’art grec ou romain ; que dans tout l’Orient on ne trouve pas de traces d’un pareil type, ce qui autorise à croire que le culte ancien de Mithra n’est pas celui que ces monuments représentent. Enfin il est bon de faire remarquer que le plus ancien bas-relief mithriaque ne remonte pas au delà du règne d’Adrien.
7° Les Chinois n’ont employé anciennement que le zodiaque lunaire divisé en vingt-huit parties. Quant au zodiaque en douze signes qui leur est commun avec nous, il est hors de doute qu’il a été importé en Chine à une époque que l’histoire chinoise elle-même mous a conservée. En l’an 164 de l’ère chrétienne, des étrangers envoyés par Gan-toun (Antonin), roi de Ta-tsin (empire romain), arrivèrent à la Chine et y apportèrent la connaissance de la sphère. C’est alors qu’on y fit des armilles et un globe céleste, et qu’on y connut les douze signes.
8° Le zodiaque indien en douze signes a une origine semblable. Le véritable zodiaque indien est le zodiaque lunaire, divisé par la révolution périodique en vingt-sept nakschatras ; c’est celui dont il est fait mention dans les Védas et les plus anciens livres de l’Inde, suivant Colebrooke. La plus ancienne mention du zodiaque en douze signes se trouve, dans l’aryabhatta, dont l’époque est indiquée par Colebrooke entre 200 et 400 de notre ère, c’est-à-dire après que le zodiaque grec avait pu se répandre dans tout l’Orient ; et cette origine est d’autant plus manifeste que dans le zodiaque les équinoxes sont placés au premier degré du Bélier et de la Balance, comme ils l’ont été par Hipparque.
Le zodiaque trouvé par J. Call dans une pagode présente la même succession de signes que le nôtre, avec les mêmes points de division ; mais l’édifice où il fut trouvé est fort moderne, et il retrace le système d’Hipparque. On en peut dire autant de plusieurs autres.
On a prétendu reconnaître le zodiaque solaire dans un passage du Ramahâna et un autre des lois de Manou mais il est reconnu que ces passages sont très-équivoques, sinon interpolés. Le zodiaque est mentionné dans un dictionnaire indien, composé entre l’an 100 et l’an 800, et de plus les signes zodiacaux y sont figurés par les mêmes caractères que nous employons. Mais rien n’empêche que le zodiaque grec n’ait été connu aux Indes à l’époque de la composition de ce livre, qui présente précisément la division d’Hipparque ; et il n’y a pas même besoin de recourir à l’hypothèse d’une interpolation subséquente, ce qui pourtant est très-admissible et très-naturel quand il s’agit d’un dictionnaire qui se modifie essentiellement par la succession des temps.
212. Or non-seulement le zodiaque grec a pu passer aux Indes avec d’autres éléments astronomiques à une époque voisine de notre ère, ou peut-être beaucoup postérieure, mais encore il existe des indices irréfragables de cette importation. Nous en trouvons la preuve évidente dans certaines dénominations purement grecques dont se servent les astrologues indiens. Ainsi la vingt-quatrième partie du jour se nomme hora, l’équation du centre kendra, les moyens mouvements midya, la minute de degré lipta, certains points du cours des planètes anapha, et sunapha.
L’origine grecque est ici palpable, et il n’y a pas lieu d’admettre l’intermédiaire des Arabes, puisque leurs astrologues ne se servent d’aucune de ces expressions.
Mais il y a mieux encore que tout cela. On trouve dans un auteur indien du sixième siècle, cité par Colebrooke, les noms des douze signes de notre zodiaque, que je produis ici en écrivant au-dessous les noms grecs correspondants : Kria, Tavourou, Joudima, Colira, Leia, Partona, Jouka, Corpia, Tochica, Agokera, Idroka, Ictiis.
On remarquera que le mot colira est le seul qui soit sans analogie évidente avec le mot grec correspondant ; encore faut-il observer qu’il représente le mot colure, et que le colore des solstices passe par le Cancer dans la sphère d’Hipparque. Pour la plupart de ces noms il y a identité véritable ; or, de l’aveu de Colebrooke, ils n’ont pas d’analogues dans le sanscrit.
Tout atteste donc que l’astronomie grecque a été importée aux Indes ; ce qui eut lien sans doute lorsque les communications s’établirent entre ce pays et l’Égypte des Ptolémées, et surtout au premier siècle de notre ère. Alors les relations s’étendirent entre les Indes et l’empire romain, au point de donner lieu à une ambassade réciproque sous le règne de Claude. On peut voir sur ce sujet le Périple de la mer Erythrée.
Ce fut sans doute à cette époque ou dans les siècles suivants que l’influence de l’astrologie fit passer jusqu’aux Indes l’institution de la semaine planétaire. Le christianisme lui-même avait adopté les noms païens des jours de la semaine, dont chacun était dédié à une planète. Les communications qui mirent les astrologues grecs et leurs tables en rapport avec les Indiens, qui les leur empruntèrent, durent amener chez ceux-ci le même ordre dans la répartition des jours et même un accord initial dans leur rapprochement. C’est ainsi que les Indiens comptent les mêmes jours de la semaine que nous, et que les mêmes ont lieu au même instant physique : phénomène singulier qui avait beaucoup exercé jusqu’ici l’imagination des critiques et des astronomes.
213. De tout ce qui précède il résulte que l’histoire du zodiaque, telle qu’on l’avait conçue jusqu’en ces derniers temps, n’était qu’un roman dont l’imagination des astronomes avait fait les frais. En dehors même des folies de l’auteur de l’Origine des cultes, tous les systèmes ne reposaient que sur des idées admises de confiance, sur des pièces sans authenticité, sur dés préjugés, en un mot, que la main de la critique avait jusque-là respectés, sans qu’on sache trop pourquoi. Un examen, attentif a renversé cet échafaudage, et le zodiaque a été forcé de suivre une route précisément inverse de celle qu’on s’était accordé jusque-là à lui faire tenir. Cette péripétie, en détruisant le prestige de son antiquité, lui a fait perdre la plus grande partie de son importance et de son intérêt, parce qu’il reste une autorité muette dans la question de l’âge du monde. Si ce résultat n’apparaît pas à tous les yeux avec le même degré d’évidence, s’il existe des esprits qui ne puissent se détacher de cette idée de haute vieillesse et d’origine fantastique dont on avait jusqu’ici gratifié le zodiaque, libre à eux de rester fidèles à ce système. Nous leur offrôns jusqu’à 6000 ans d’antiquité, si ce titre peut les satisfaire ; et j’avoue que je ne me suis pas détaché sans peine de la foi au zodiaque antédiluvien. Dans tous les cas, l’autorité biblique est hors d’atteinte, et vraiment c’est merveille de voir comme elle se joue des passions des hommes et de leurs systèmes. Chaque système passe à son tour, étouffé sous les huées du système qui lui succède ; il passe après avoir vécu un siècle, un lustre, un seul jour peut-être. Or voilà plus de 3000 ans que notre Écriture parle et jette ses révélations au monde. Trente-trois siècles ici-bas ! n’est-ce pas là le caractère et le sceau de l’éternité ?
L. Desdouits, Professeur de physique au collège Stanislas (Quatorzieme leçon de son Cours d’astronomie, dans l’Université catholique, tome 9 pages 16-28).