Les Hébreux avaient accoutumé de composer des cantiques dans des océasions importantes : par exemple, Moïse en composa un après le passage de la mer Rouge (Exode 15.1-2), pour rendre grâces à Dieu de la délivrance de son peuple, et pour célébrer la grandeur de ce prodige. David composa un cantique lugubre à la mort de Saül et de Jonathas (2 Samuel 1.18), et un autre à la mort d’Abner (2 Samuel 3.33). Jérémie écrivit ses Lamentations, qui sont un cantique, où il déplore la ruine de Jérusalem. Il en avait encore composé un autre à la mort de Josias, roi de Juda (2 Chroniques 35.25). Débora et Barac firent un cantique de victoire après la défaite de Sisara (Juges 5.1-3), et Judith après la défaite d’Holopherne (Juges 15.1-2). Le Cantique des Cantiques et le Psaume 49, sont des cantiques pour célébrer un mariage ; ce sont des pièces que les Grecs appellent épithalames. Anne, mère de Samuel (1 Samuel 2.1-3), et le roi Ézéchias (2 Samuel 38.10-11), rendirent graces à Dieu de la grâce qu’ils avaient reçue de lui par des cantiques solennels. Les cantiques que la sainte Vierge, que Zacharie, père de saint Jean-Baptiste, et que le vieillard Siméon composèrent, sont de la même nature : ce sont des actions de grâces des faveurs de Dieu l’Écriture (1 Rois 4.32) dit que Salomon avait composé cinq mille cantiques, dont il ne nous reste que celui qui est intitulé Cantique des Cantiques, dont nous allons parler dans un article à part.
Livre sacré de l’Écriture, nommé par les Hébreux Schir, Haschirim, le Cantique des Cantiques, ou le plus excellent des cantiques. On croit que Salomon le composa à l’occasion de son mariage avec la fille du roi d’Égypte, et que c’est comme son épithalame. Mais pour en pénétrer le sens et en comprendre tout le mystère, il faut s’élever à des sentiments au-dessus de la chair et du sang, et y considérer le mariage de Jésus-Christ avec la nature humaine, avec l’Église et avec une âme sainte et fidèle. C’est là la clef de ce divin livre, qui est une allégorie continuée, où, sous les termes d’une noce ordinaire, on exprime un mariage tout divin et tout surnaturel [Des hommes prévenus ou se mêlant de ce qu’ils ignorent, ont avancé, tant ils sont chastes, que le Cantique des Cantiques attestait la corruption, des mœurs chez les Hébreux au temps de Salomon. Je ne verrais pas, dit à ce propos M. Gaillardin, professeur d’histoire au Collége royal de Louis le Grand, une preuve de corruption dans les expressions du Cantique des Cantiques. Cette franchise dans les termes est au contraire une preuve d’ingénuité ; nous sommes trop fiers, aujourd’hui, des précautions de notre langage ; je crains bien que cette décence extérieure ne soit qu’une dissimulation ; l’innocence et la pureté ne préparent ni leurs pensées, ni leur manière de dire. Sous le rapport littéraire, la poésie du Cantique des Cantiques l’emporte infiniment sur les compositions amoureuses des poètes arabes d’aujourd’hui. Sous le même ciel, aux mêmes lieux, dit M. Poujoulat, quelle différence entre les inspirations des deux âges ! Il fait remarquer qu’il y a du charme dans trois pièces qu’il rapporte, et ajoute : « Mais il y a loin de là à cette ineffable suavité des peintures de Salomon, à ces fraîches et ravissantes images de l’amoureux cantique ! C’est comme si vous vouliez comparer la pauvre et triste Jérusalem du temps présent à l’ancienne Jérusalem, qui faisait la joie de toute la terre, selon l’expression du Prophète ; ou comme si vous vouliez comparer la pâle nature de la Judée actuelle à la Judée biblique, où coulaient le lait et le miel. » « Le Cantique des Cantiques échappe, selon nous, dit un critique, à tout développement purement esthétique ; c’est une extase, une ivresse faite pour le cœur, et non un travail de l’esprit… On peut dire, parlant du plus grand nombre des livres inspirés, des Psaumes même et des prophètes, qu’il y a dans l’exposition un plan, une suite, dans l’expression un choix, susceptibles d’analyse et de développement. Mais nous ne savons apercevoir rien de semblable dans le Cantique des Cantiques ; nous n’y voyons qu’une chose, l’amour, l’amour dans le délire du ciel : »]
On remarque dans le Cantique sept nuits ou sept jours, marqués assez distinctement, parce qu’on célébrait les noces pendant sept jours chez les Hébreux (Genèse 29.22 Juges 14.12-17, Tobie 8.23). Ce cantique raconte les aventures de ces sept jours, mais d’une manière poétique et fort diftérente d’un récit historique et ordinaire. Les Hébreux craignant qu’on ne l’entendît d’une manière charnelle et grossière, avaient sagement défendu qu’on n’en fit pas la lecture avant l’âge de trente ans. On a suivi cette règle même parmi les Chrétiens, et rien n’est plus dangereux que de le lire avec des sentiments charnels. On s’expose non-seulement à perdre toute l’estime que l’on en doit avoir, mais même à blesser son âme au lieu de s’édifier.
L’Église chrétienne, aussi bien que la Synagogue, a toujours reçu ce livre au nombre des Écritures canoniques. Nous ne connaissons dans l’antiquité que Théodore de Mopsueste qui l’ait rejeté et qui ait nié sa canonicité. Quelques rabbins ont douté de son inspiration, et les anabaptistes le rejettent comme un dangereux livre. Mais on leur opposa l’autorité de la Synagogue et de l’Église chrétienne, qui l’ont toujours mis au rang des saintes Écritures les moins douteuses. Si l’on nous objecte que ni Jésus-Christ, ni les apôtres ne l’ont jamais cité, et que le nom de Dieu ne s’y trouve point, nous répondons qu’il y a bien d’autres livres saints que le Sauveur n’a pas cités expressément ; et que, dans une allégorie où le Fils de Dieu est caché sous la figure d’un Époux, il n’est pas nécessaire qu’il soit exprimé sous son propre nom ; s’il était exprimé nommément, ce ne serait plus, une allégorie.