Le mot grec latréia, rendu par « culte » dans nos versions, a d’abord signifié : « service mercenaire de celui qui est à la solde de quelqu’un ».
Les LXX l’ont pris pour rendre l’hébreu abôdâ (Exode 12.25 et suivant sainte cérémonie ; Segond usage sacré ; service de Dieu, Deutéronome 6.13, etc.).
Le Nouveau Testament fait de même dans Jean 16.2 ; Romains 9.4 ; Romains 12.1 ; Philippiens 3.3 ; Hébreux 8.5 ; Hébreux 9.1 ; Hébreux 9.9 ; Hébreux 12.28. Mais, pour la même idée, Colossiens 2.18 ; Colossiens 2.23 emploie le mot thrêskéia qui, dans Tobit 12.15, désigne l’intercession d’un ange ; il est aussi dans Actes 26.5 et Jacques 1.26 et suivant, que l’on traduit parfois par « religion ». Hébreux 9.21 emploie le mot leïtourgia. Il suffit de comparer en français Jean 16.2 et Romains 12.1 pour comprendre que « culte » peut avoir deux sens très différents : la cérémonie publique, avec rites et prêtres — ou sans eux — et l’attitude intérieure, la conduite morale du fidèle.
C’est d’abord l’offrande d’action de grâces, sous forme de dons matériels (hébreu tninkhâ, grec thusia pour Genèse 4.3, et zebakh dans Genèse 31.54). On l’applique aux repas de fêtes religieuses (1 Samuel 1.4 ; 1 Samuel 16.2, etc., 1 Corinthiens 10.18 pour le peuple ; Nombres 18.9 ; Deutéronome 18.3 pour les prêtres). On l’emploie à l’occasion de délivrances : Genèse 8.20, Noé sortant de l’arche ; Genèse 12.7 ; Genèse 13.4 ; Genèse 13.18 ; Genèse 15.9 ; Genèse 15.17, Abraham à diverses étapes de ses voyages en Canaan ; Exode 5.3, Israël en vue d’obtenir du secours ; Exode 12.14, en commémoration d’une délivrance. À Guilgal, Josué (Exode 4.30) dresse un monument qui a valeur de temple. David célèbre le retour de l’arche (2 Samuel 6.17). Salomon inaugure le premier temple de Jérusalem (1 Rois 8), et les Juifs fidèles font de même pour le second (Esdras 6). C’est au même ordre d’idées que répond la législation lévitique tout entière, sur les conditions rituelles du pardon : Exode 25 à Exode 30 ; Exode 35 à Exode 40 ; Lévitique 1.7 ; Lévitique 9.11 ; Lévitique 16.1-17 ; Lévitique 16.22-23 ; Nombres 3.44 ; Nombres 4.49 ; Nombres 6 ; Nombres 8 ; Nombres 9.14 ; Nombres 15.28 et suivant, etc.
Mais la pratique de tels cultes a mené à des abus si graves, fidèles et prêtres se sont montrés tellement au-dessous de la réalité, tellement incapables de s’élever au-dessus de la sanction matérielle et du rite, qu’une réaction violente s’est faite chez les Prophètes Osée (Osée 6.6) dit que ce que Dieu aime, c’est « non les sacrifices, mais la piété ; sa connaissance, et non les holocaustes ». Amos (Amos 5.21) déclare que Dieu ne regarde même pas un tel culte. Michée (Michée 6.6) récuse « les milliers de béliers et les torrents d’huile », le sacrifice même d’un premier-né (allusion probable à Genèse 22.12 ; Josué 6.26 = 1 Rois 16.34 ; Juges 11.39 ; 2 Rois 3.27, cf. Psaumes 106.37-39), pour ne laisser de valeur cultuelle qu’à la miséricorde et à l’humilité. Jérémie va jusqu’à dire (Jérémie 7.22) que les ordonnances rituelles ne viennent point du Dieu qui se borne à demander « qu’on marche dans ses voies » ; et ces voies (Jérémie 7.5 ; Jérémie 7.10) sont la morale sociale élémentaire : justice envers tous, étrangers compris, secours aux veuves et aux orphelins (on voit où saint Jacques a pris sa définition de la « religion », Jacques 1.27), lutte contre meurtre, idolâtrie, vol, adultère, mensonge et faux serment le Sermon sur la montagne en esquisse… (Saint Paul continue la ligne dans Romains 12.1, en quittant la morale sociale pour entrer dans la morale individuelle, par la discipline du corps). Ces voix des prophètes d’Israël et de Juda ont été entendues de quelques fidèles ; l’un d’eux (Psaumes 51.18) se déclare prêt à célébrer un culte rituel si Dieu le demande ; mais, dit-il, « tu ne prends point plaisir aux holocaustes ; ce qui t’est agréable, c’est un cœur brisé et contrit ». On comprend alors comment l’épître aux Hébreux (Hébreux 5.1-10 ; Hébreux 7.11-18 ; Hébreux 7.23-28 8.1-9.10) peut parler de l’inutilité du système lévitique et l’appeler une « ombre sans réalité », pour exalter d’autant mieux l’œuvre unique de Jésus. Pour établir ce qu’est le culte chrétien, nous ne pouvons partir que de Jésus-Christ (Hébreux 8.1 et suivant), et le mot latréia du Nouveau Testament nous suffira.
Une place intermédiaire doit être faite au culte pratiqué dans les synagogues (voir ce mot), avant le temps de Jésus et après lui. Les ordonnances lévitiques supposant l’existence du Temple de Jérusalem, n’ont pu être suivies nulle part, entre la destruction du premier temple et l’érection du second sous Zorobabel. On sait trop peu de choses sur celui de Léontopolis en Égypte (Ésaïe 19.18-22) pour rien conclure sur le culte qui y était célébré, et d’ailleurs il a été le seul de son espèce hors Palestine. Quant au troisième temple (d’Hérode le Grand à l’an 70 de notre ère), il n’a pu rendre des services qu’aux citadins de la capitale juive, auxquels se joignaient des pèlerins, lors des grandes fêtes. Même à Jérusalem, il y avait des synagogues (Jean 9.22 ; Jean 12.42 ; Jean 16.2 ; Jean 18.20 ; Actes 6.9). Partout, en Palestine et dans le reste de l’empire romain (Actes 15.21), le culte a été célébré dans des synagogues, sans sacrifices (voir encore Matthieu 4.23 ; Matthieu 9.35 ; Matthieu 13.54; Luc 4.14-28 ; Actes 9.20 à Damas, Actes 13.41 en Chypre, Actes 13.14 en Pisidie, Actes 14.1 à Icône, Actes 17.1 à Thessalonique, Actes 17.10 à Bérée, Actes 18.4 à Corinthe, Actes 18.19-28 à Éphèse, Actes 28.15-29 à Rome). La liturgie de la synagogue n’a connu que des prières, des cantiques (les Psaumes) et la lecture des livres saints, avec des discours, pratique qui revit dans une partie notable du protestantisme. Cependant, dans l’esprit même des rabbins, ce culte simplifié n’a pas eu la valeur des cérémonies symboliques du Temple de Jérusalem. Mais voici ce qu’un clairvoyant parmi les clairvoyants, un Père de l’Église, le pieux Origène (185-255), dit de celles-ci : « Si le culte au sanctuaire juif avait pu durer jusqu’à nous, il aurait rendu impossible aux païens la conversion à Dieu. Ses exercices ne pouvaient satisfaire qu’une piété exaltée : on montrait de loin un « lieu très saint », des prêtres entourant une victime… comme seul culte agréable au Seigneur. Mais Dieu soit loué pour la venue du Christ, qui a détourné nos âmes de ce « spectacle », pour qu’elles contemplassent les biens célestes et désirassent ici-bas les biens spirituels ! Loué soit Dieu de ce que le Christ a, sur la terre, aboli ce qui, avant lui, semblait si grand, et de ce qu’il a élevé le culte dans la sphère de l’invisible et de l’éternité ! Lui-même, le Seigneur Jésus, demande des oreilles vraiment ouvertes et des yeux capables de voir l’invisible. Alors que nous étudions encore la loi de Moïse (lecture de l’Ancien Testament dans l’Église primitive), nous levons les yeux jusqu’aux lieux où le Christ est assis à la droite de Dieu, et nous cherchons les choses, non d’en bas, mais d’En-haut. »
Si l’on prend les paroles de Jésus relatives au culte, on voit qu’il ne semble pas avoir prévu pour nous autre chose qu’un acte individuel (Matthieu 6.5 et suivant, « entre dans ta chambre »), fait en esprit : sans rites puisque Dieu est Esprit ; mais « en vérité » : en conformité de la vie morale avec la Loi de Dieu (Jean 4.24). Son modèle de prière (Matthieu 6.9-13 parallèle Luc 11.2-4) est tel, qu’il peut servir à un croyant solitaire aussi bien qu’au cercle de famille ou à une assemblée. Le conseil qu’il donne à quiconque « va à l’autel » (Matthieu 5.23 et suivant) n’implique pas nécessairement une assemblée de culte.
Mais, s’il n’a rien dit quant aux formes du culte, il a fourni en sa personne un sujet d’adoration sans pareil, une source unique de pardon, de secours et d’espérance ; le culte chrétien devient alors une création originale, sans analogies véritables avec aucun autre culte. Jésus a prié (Matthieu 11.25-27 ; Jean 11.41 ; Jean 12.27 17 ; Gethsémané et Golgotha, Hébreux 5.7), et, quand nous sommes assemblés, aussi bien que lorsque nous sommes seuls, nous pouvons prier « en son nom » (Jean 14.13). Il a chanté des cantiques : (Matthieu 26.30) nous pouvons chanter en public des hymnes à son honneur et à l’honneur de Dieu. Il a médité sur les Écritures : (Matthieu 20.17 ; Matthieu 22.31; Luc 4.21 ; Luc 9.26 ; Luc 11.52 ; Luc 18.31 ; Luc 24.25 ; Jean 8.30-47) nous pouvons chercher dans l’Ancien Testament ce qui le concerne, pour connaître le plan de Dieu. De là à lire aussi l’histoire de Jésus lui-même et les Actes de la Mission au Ier siècle (les épîtres en font partie), il n’y a qu’un pas ; c’est le culte chrétien qui veut la méditation de l’Évangile. Enfin — lien de la gerbe sacrée — Jésus crée en ses disciples authentiques un sentiment fraternel, qui les oblige à se grouper en famille nouvelle : le culte chrétien est né, les fidèles se recrutant dans toute race, langue, époque, pour ne former qu’un peuple nouveau et de franche volonté ; c’est une création sans modèle, comme le Chef de l’Église est sans rival. Voir Jésus-Christ.
L’Église primitive a donc inauguré un culte qui lui était spécial. Sans doute, en Palestine, jusqu’aux jours de la persécution et de la dispersion, les chrétiens ont fréquenté le Temple juif ou les synagogues (Actes 3.1). Mais très tôt on les voit réunis entre eux (Actes 1.4 ; Actes 1.15 ; Actes 4.24-31) et ils prient : là où l’on prie, il y a culte, avec la promesse que Jésus est présent (Matthieu 18.20 ; Matthieu 28.20), même lorsque c’est au Portique de Salomon qu’ils se réunissent (Actes 5.12). Aussitôt se forme le « ministère de la parole » (Actes 6.4), ce qui fait penser que, dans ces rencontres autant que dans la cure d’âmes individuelle, on médite les Écritures. Le baptême de quelques Samaritains (Actes 8.16) n’a pu être fait que dans un culte ; c’est un culte qui se célèbre chez Corneille (Actes 10.24-48), à Antioche (Actes 13.1 ; Actes 13.3), à Philippes au bord du fleuve (Actes 16.13-16) et chez le geölier (voir 33) ; à Corinthe (Actes 18.11), à Troas (Actes 20.7), à Milet (Actes 20.17-37), à Césarée (Actes 21.8-14), à Rome (Actes 28.16 ; Actes 28.30 et suivant).
Pour savoir de quelle liturgie se servait l’une au moins de ces communautés, il faut lire 1 Corinthiens 14, sans être en droit de conclure que partout ailleurs on fît de même.
Y a-t-il eu des jours spéciaux ? Très tôt surgit le dimanche, qui est le « jour du Seigneur Jésus » (voir article), choisi d’entre les sept de la semaine, à cause de la Résurrection. L’Église de Troas se réunit alors pour faire des adieux à Paul (Actes 20.7). Dans 1 Corinthiens 16.2, c’est le dimanche que l’on met à part de quoi alimenter les collectes. Dans Apocalypse 1.9 on voit saint Jean sur le rivage de son îlot solitaire occupé à méditer, « au jour du Seigneur », à l’heure où, dans les églises d’Asie Mineure, les disciples se réunissaient : c’est la communion des âmes dans la communion du jour. En tout cas, Paul blâme les Galates (Galates 4.10) d’avoir admis l’observation « juive » des jours, ce qui pourrait signifier qu’ils avaient renoncé au jour de Jésus au profit du sabbat. Il ne peut pas toutefois y avoir eu d’obligation à choisir le dimanche : le Synode de Jérusalem (Actes 15), qui règle l’indispensable, ne dit mot des « jours » ; le privilège du sabbat juif était donc aboli, et celui du dimanche chrétien pas encore établi. Aux Romains (Romains 14.5) Paul concède qu’on peut faire ou ne pas faire de distinction entre les jours : « c’est pour le Seigneur Jésus qu’on use de cette liberté ». Mais c’est ce Nom-là qui nous semble suffisant pour légitimer le choix du dimanche comme jour principal de culte. Fixer un jour a des avantages matériels certains ; mais, là encore, la superstition s’en est mêlée ; pour trop de gens, un culte célébré pendant la semaine a moins de valeur que celui du dimanche. On va plus loin : pour les mêmes gens, le culte du matin a plus de valeur que celui du soir ; les hymnes bonnes « pour le soir » sont irrecevables le matin… Pour des spiritualistes, au contraire, « tout est à nous — les jours et les heures — et nous sommes au Christ et le Christ est à Dieu » (1 Corinthiens 3.22), formule libératrice et féconde, puisqu’elle tient compte des possibilités et des nécessités de la vie de la paroisse et de celle des âmes.
Que veut-on donc, en célébrant un culte public ? Plusieurs théories ont leurs partisans.
La théorie symboliste. Il s’agit de « décrire » le drame du salut, chaque moment du culte reproduisant une étape nécessaire de la vie religieuse : repentance, foi, sanctification, espérance éternelle. Dans ce système, l’ordre des sujets est très important, mais, dans la mesure où il est fixé, il conduit à monotonie et usure ; l’âme s’habitue à ce cycle ; elle peut n’y participer que peu ou point, sans que le culte y perde, l’ordre étant observé. Le dernier mot de ce régime est la « messe basse », qui peut se célébrer par un officiant tout seul, sans assemblée ; les paroissiens « font dire » une messe sans y prendre part ; chez les protestants, tel exige qu’il y ait des cultes, mais n’y va point…
La théorie pédagogique, voisine de la première. Le culte est une « leçon de religion » ; tout est fait dans la supposition que les assistants sont passifs, faute de piété éclairée et personnelle ; on les morigène ; l’officiant garde toujours tels quels les passages en « vous » (1 Corinthiens 1.3) ; il joue lui-même un rôle capital, gardien de la tradition et des idées reçues ; il a le ton d’un maître ; les fidèles n’ont qu’à « écouter avec attention et respect ». Le sermon instructif prend une importance telle qu’on dit : « aller au sermon » pour « aller au culte ». Dans les églises où il y a un « officiant laïc », maint paroissien s’arrange à n’arriver que pour le sermon, et s’en va, le discours fini ; et tel ministre qui succède au laïc lit la « salutation », comme si le culte ne commençait qu’à l’arrivée du ministre. Lorsqu’on parle du sermon, on dit : « M. X a fait un beau culte » ou, ce qui est pis, « le culte de M. Z… a été remarquable » (Jadis on distinguait entre le culte de Baal et celui de Jéhovah ; maintenant il faut y ajouter les innombrables illustrations de la chaire… ). Ces abus de langage en disent long sur l’idée qu’on se fait du culte chrétien : en réalité, le sermon n’est qu’une des parties du culte, il ne fait de bien que si le début et la fin du culte ont été célébrés avec la collaboration intérieure de l’assemblée entière.
La théorie religieuse. Pour elle, le culte est fait pour exprimer les sentiments qu’éprouvent des croyants. Il est « fait pour les gens pieux, comme une kermesse pour les fêtards » (Schleiermacher). L’officiant devient alors le mandataire de ses compagnons de service ; il transpose en « nous » tout ce qui peut être donné comme voix de l’assemblée, selon Éphésiens 3.20, cf. Romains 16.25, 1 Corinthiens 1.3 ; Éphésiens 6.23 ; Philippiens 4.23 ; 2 Thessaloniciens 3.16 ; Hébreux 13.20 et suivant, 1 Pierre 5.10 ; Jude 1.24. Il joue un rôle de second plan ; il peut être un laïc aussi bien qu’un ministre ; sacrements et prédication sont confiés au croyant et non au fonctionnaire ; l’ordre des sujets traités importe moins que leur présence ; le culte dépend de la ferveur des fidèles. Les formules ont moins de crédit que les inspirations et les témoignages ; l’intérêt du culte et pour le culte se renouvelle de jour en jour.
Il va sans dire que tout exercice religieux aura des effets pédagogiques et une portée symbolique, en rappelant ce que les cœurs légers sont trop enclins à oublier. Il va sans dire aussi que l’institution d’officiants attitrés et bien formés est utile, à condition qu’ils soient des inspirés et non des esclaves d’une « lettre » et d’un système. Si, pendant cinquante ans, le « Désert » a vécu, jusqu’à l’arrivée de « ministres du culte », si les Quakers vivent depuis plus de deux cents ans sans aucun ministre du culte, c’est bien la preuve que le culte dépend du sens religieux des fidèles, officiants compris, et non de la présence d’un prêtre.
Mais quels sont ces sentiments que le culte public est chargé d’exprimer de la part de tous ? Étant simples, ils se retrouvent à des degrés divers dans toutes les expériences chrétiennes ; le culte peut donc réunir des hommes de toute condition, dès qu’ils se sont donnés au Christ. Sans attribuer de valeur à l’ordre de leur énumération, comptons ici ces sentiments :
Un mot semble manquer ici, celui d’Adoration (adorer = littéralement lever le visage vers quelqu’un). Il est certain que nous n’allons au culte que dans la persuasion d’y faire, en commun, « l’expérience de Dieu » (Spitta) ; ce Dieu est saint ; ses perfections sont innombrables. Adorer, c’est se rendre compte de cette sainteté et de cette perfection ; mais se bornera-t-on à ce genre d’extase ? Comment faire des cultes qui ne tiendraient aucun compte des cinq éléments ci-dessus esquissés ? L’adoration est moins un acte précis et limité, qu’une attitude générale, dont tout bénéficie quand elle existe, et dont tout pâtit quand elle manque. Sans l’adoration, qui dit : « Tout par grâce ! » la reconnaissance devient de la tenue de livres : « Tu as fait tant pour moi, j’ai fait tant pour toi, nous sommes quittes ! » (Genèse 28.20-22 ; Luc 18 : et suivant) ; avec elle, au culte, le cœur se remplit de gratitude et s’offre à tout service pour un Maître si bon. Sans l’adoration, la repentance devient terreur (Genèse 3.8 ; Genèse 4.13 ; Matthieu 27.3 ; Matthieu 27.6) ; avec elle, le pécheur vient au trône de grâce (Hébreux 4.15 ; Jean 1.47-50 ; Matthieu 26.75; Luc 23.40-42 ; Actes 9.6). Sans l’adoration, qui saisit l’infini des miséricordes du Père, la pitié se limite à quelques hommes, à une Église, à une race seulement ; avec elle, au culte, on sent que c’est sur la terre entière que doit venir le Règne (Matthieu 6.10 ; Philippiens 2.10 et suivant, etc.). Sans l’adoration, qui montre la Maison du Père, l’espérance retombe, le fidèle, volontairement privé des joies du monde, mais sans au-delà , est « le plus malheureux de tous les hommes » (1 Corinthiens 15.19) ; avec elle, au culte, chaque homme en deuil réapprend à chercher auprès de Dieu « ceux qui se sont endormis » les premiers (1 Thessaloniciens 4.13), on mesure quelle est la fin du chemin qui monte de la terre au Paradis… Sans l’adoration, enfin, le credo rend dur et le programme devient administratif ; avec elle, au culte, le credo se fait agent de liaison entre des frères, et l’action devient féconde.
Qui dira les bienfaits d’un tel culte pour qui adore ? Au lieu d’être une vaine cérémonie, il touche à tous les besoins essentiels de l’âme ; au lieu d’être parfois une heure d’école, dans la relation d’élèves maussades à professeur indifférent, il est une convocation fraternelle de cohéritiers du Christ, ministre et laïcs ne faisant qu’un. Qui se fatiguera de tels cultes ? Qui abandonnera les assemblées (Hébreux 10.25) ? C’est dans l’exercice de ce culte que, au nom de Jésus, nous refaisons l’expérience des privilégiés de l’Ancienne Alliance (Psaumes 16.11 ; Psaumes 42.3 ; Psaumes 42.5 ; Psaumes 43.4 ; Psaumes 122.1 ; Psaumes 133.1), qui connurent déjà des extases de joie ; nous nous préparons à rejoindre les croyants de l’Église primitive (Apocalypse 7.9 ; Apocalypse 7.17 ; Apocalypse 11.15-19 ; Apocalypse 15.2-8 ; Apocalypse 19.1-8 ; Apocalypse 21.22-27 ; Apocalypse 22.15) qui, martyrs aux jours mauvais ou bons serviteurs en temps propices, ont « gardé la foi » (2 Timothée 4.7) ; on disait d’eux : « Ils ont été avec Jésus » (Actes 4.13).
La question du culte ainsi posée, l’ordre des moments perd de son importance ; leur présence seule est nécessaire. Que la contrition doive toujours être en tête, voilà qui est inconcevable si le culte est la « fête des rachetés » (Spitta) ; mais que cette contrition pût y manquer serait une honte. Ce n’est pas dans le ciel seulement qu’il y a de la joie ; Jésus l’a donnée (Jean 15.11 ; Jean 16.24 ; Jean 17.13) sur la terre : il faut que le culte puisse débuter par elle… Pour exprimer ces besoins élémentaires, nous avons tout à disposition : prières, cantiques, lectures bibliques avec ou sans sermon, silences remplis de ce qui ne peut se dire, musique assez spirituelle pour se subordonner à la liturgie, tableaux et vitraux nés dans le cœur d’artistes chrétiens…
L’emploi de ces moyens expressifs, l’ordre de ces moments varient. Ne chanter jamais que deux fois, par exemple, serait tout aussi absurde que de chanter à chaque culte une kyrielle de cantiques. Renvoyer toujours l’intercession à la fin du culte, quand les participants sont fatigués ou inquiets de la durée de l’office, c’est compromettre la réalité de cette prière. Donner toujours la « louange » à un laïc, et lui refuser le droit de faire, parfois, les intercessions ou la confession des péchés, c’est priver le ministre de louer Dieu et le laïc de se faire l’avocat de ses frères et le messager de la grâce. Quand il s’agit de la vie de l’esprit, la rigidité n’est pas bonne conseillère. Mais, quel que soit le régime légal dans lequel nous devions célébrer nos cultes publics, ils seront un moyen de grâce, si c’est au nom de Jésus qu’on y convoque et accueille les hommes, pour faire de ces heures fugitives les haltes salutaires de notre vie spirituelle. « Lorsque les cœurs se convertissent au Seigneur Jésus, tout voile est ôté ; le Seigneur, c’est l’Esprit ; là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. Nous tous qui, le visage découvert, contemplons dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, comme par l’Esprit du Seigneur. » (2 Corinthiens 3.16 ; 2 Corinthiens 3.18). Voir Adoration, Liturgie. Note. Cet article était achevé lorsque parut le tome II de l’ouvrage capital de R. Will, Le Culte, tome I, Strasbourg, 1925 ; tome II, Paris 1929). C’est à lui qu’on recourra si l’on veut une étude approfondie de l’histoire et de l’exercice du culte.
L. M.-S.
Numérisation : Yves Petrakian