Hébreu rouakh ; grec pneuma. La notion de l’Esprit est l’une des plus importantes de la Bible, une de celles qui appartiennent le plus spécifiquement à la révélation. On peut dire en un sens que c’est elle qui fait à la fois l’originalité et l’unité de nos saints livres. Une parole de Jésus la résume : « C’est l’Esprit qui vivifie » (Jean 6.63). Pour comprendre tout ce que renferme cette déclaration, il faut d’abord suivre l’évolution de la notion de l’Esprit à travers l’histoire de la pensée hébraïque.
Le mot rouakh exprima à l’origine l’idée de vent (Genèse 3.8 ; Job 41.7 ; Jérémie 2.24 ; Cantique 2.17 ; Psaumes 104.4 ; Ésaïe 7.2 etc.): le vent qui soulève les flots, qui agite les arbres, le vent créateur du mouvement où l’homme primitif trouva sans doute sa première émotion religieuse : ce qui remue est animé. Le vent frappait aussi l’imagination parce qu’il révélait sa présence dans l’invisibilité, l’immatérialité et le mystère : « Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais d’où il vient et où il va… » (Jean 3.8).
De l’idée de mouvement est sortie l’idée de force ; pour l’Oriental né au souffle du désert, force redoutable, irrésistible, souvent dévastatrice et mortelle (Jérémie 13.24 ; Job 21.1 ; Psaumes 1.4 ; Psaumes 83.14 ; Ézéchiel 19.12, Psaumes 11.6, Job 30.15 etc.) ; de l’idée de mystère vint la croyance que le vent décelait la présence de la divinité, qu’il était le véhicule de Dieu (Psaumes 18.11 ; Psaumes 104.3 ; 2 Samuel 22.11 etc.), l’exécuteur de sa volonté (Psaumes 104.4 ; Psaumes 148.8), le symbole de sa puissance (1 Rois 19.11 ; Job 4.15 ; Ézéchiel 1.4) ; de l’idée d’immatérialité est sortie l’idée de vanité, de néant : le vent devient alors le type de ce qui est inconsistant, léger, insaisissable et vain (Proverbes 27.16 ; Ecclésiaste 1.14 ; Ecclésiaste 1.17 ; Ecclésiaste 2.11 ; Ecclésiaste 2.17 etc.). Cette acception défavorable glisse dans, la notion du rouakh une contradiction que l’on ne retrouvera pas dans le mot pneuma, et amène l’Hébreu à exprimer dans quelques textes, d’ailleurs rares, par le mot esprit : la fragilité de la créature (Psaumes 78.38 ; Job 7.7), la folie des discours en l’air (Job 8.2 ; Job 15.2 ; Job 16.3 ; Proverbes 11.29), la vanité des faux prophètes (Michée 2.11 ; Jérémie 5.13), l’inanité des idoles (Ésaïe 41.29).
Mais le mot esprit devait se développer dans une tout autre voie, et féconder la pensée d’Israël en rattachant à l’idée de vent celle de souffle, respiration de Dieu (Exode 15.8 ; 2 Samuel 22.16 ; Ésaïe 11.4) qui actionne la respiration de l’homme (Psaumes 104.29 ; Lamentations 4.20 ; Zacharie 12.1 ; Habakuk 2.19 ; Job 27.3), souffle de Jéhovah qui plane sur le chaos (Genèse 1.2). On voit ici, par sa notion du rouakh, que l’Hébreu se représente Dieu fait à l’image de l’homme, et aussi que l’homme se trouve dans la plus absolue dépendance de Dieu. Toute créature vit et meurt selon le bon plaisir du Créateur (Psaumes 104.29 et suivant, Ecclésiaste 12.9), et il en est sur ce point des animaux comme de l’homme (Ecclésiaste 3.19 ; Psaumes 104.29).
La respiration est le signe et le symbole de la vie. Le mot rouakh, par une nouvelle extension, désigne bientôt la vie elle-même ; non point la vie envisagée sous l’angle de la personnalité humaine (nèphech), mais la vie en tant que don de Dieu, disons mieux : prêt de Dieu, car à la mort de l’homme sa nèphech (son âme) descend avec son corps dans la tombe, tandis que le rouakh, retiré de la créature, retourne à Dieu (Ecclésiaste 12.9) ; quant à l’âme, appelée parfois « âme morte » (Lévitique 21.11 ; Lévitique 22.4 ; Nombres 5.2; Aggée 2.13, etc.), elle ne pourra revenir à la vie que sur une nouvelle initiative du Dieu qui « donne l’esprit » (Psaumes 49.15 ; Psaumes 16.10 ; Psaumes 30.4 ; Psaumes 86.13, Nombres 23.10, Ézéchiel 18.4 ; Ézéchiel 18.20). Nous sommes très loin ici de la doctrine de l’immortalité essentielle de l’âme, introduite bien plus tard par la philosophie des Grecs dans la théologie chrétienne. La révélation biblique enseigne que la vie est toute en Dieu ; l’homme, à aucun moment, ne la possède en lui - même, par le fait qu’il est homme. Pour que le mort revive, il faut qu’il soit ressuscité par le souffle de Dieu. Dans le Nouveau Testament, même notion physique de l’esprit que dans l’Ancien Testament (Jean 3.8 ; Jean 19.30; Luc 8.55 ; Luc 23.46 ; Hébreux 1.7 ; Actes 7.59 ; Jacques 2.26 ; Apocalypse 11.11 ; Apocalypse 13.5 ; 2 Thessaloniciens 2.8), à ceci près que, sous l’empire d’idées étrangères à la théologie hébraïque, on peut rencontrer à l’occasion le mot pneuma employé dans le sens d’être individuel, vivant indépendamment de tout organisme matériel : « Les disciples crurent voir un esprit » (Luc 24.37), ou pour désigner des puissances mystérieuses qui exécutent dans le monde la volonté divine sous le nom d’anges (Hébreux 1.14 ; Actes 13.8) ou la volonté de Satan sous le nom de démons (Luc 4.33 ; Luc 9.39 ; Matthieu 8.16 ; Matthieu 12.45 ; Actes 16.18, etc.).
De la vie à l’action, il n’y a qu’un pas ; or l’action appartient au domaine moral. Il était donc inévitable que, poursuivant son élargissement, la notion de rouakh, qui désignait d’abord la vie physique de l’homme, s’étendît à sa vie intérieure, aux phénomènes de son activité morale. Toutefois le terme de rouakh ne désigne pas ici le siège de l’initiative consciente et de l’intention personnelle, le for intérieur d’où viennent les pensées et les desseins du cœur (hébreu leb ; cf. Genèse 6.5 ; Psaumes 33.11 ; Proverbes 6.18, etc.), mais il présente cette activité sous l’angle des influences que Dieu exerce pour orienter les dispositions morales et agir sur la volonté. L’homme s’agite et Dieu le mène (cf. Proverbes 16.9). Les passages où il est question des esprits abattus, humiliés, patients, soutenus, font allusion à des mouvements que l’âme subit plutôt qu’elle ne les provoque ; ici encore nous sommes en présence d’une action plus ou moins directe du souffle divin (Proverbes 18.14 ; Proverbes 16.19 ; Job 21.4 ; Ecclésiaste 7.8, Segond ; Ésaïe 65.14). C’est Jéhovah qui excite l’esprit (1 Chroniques 5.26 ; Jérémie 51.11), qui le réveille (Aggée 1.14 ; Esdras 1.1 ; 2 Chroniques 36.22), qui le renouvelle (Ézéchiel 18.31) ou qui l’égaré (2 Rois 19.7). Dans le Nouveau Testament pneuma a le même sens moral que rouakh dans l’Ancien Testament. Il ne désigné jamais la conscience, les pensées intimes (= psukhè, kardia, nous), mais l’état d’esprit, les dispositions plus ou moins motivées par l’inspiration divine, ou (et ceci est un fait nouveau) l’inspiration satanique (1 Pierre 3.4; Luc 9.55 ; Matthieu 16.23 ; Matthieu 26.41 ; Marc 8.33 ; Marc 14.38, cf. Psaumes 51.12-14 ; Romains 8.16 ; Romains 11.8 ; Romains 9.17). Voir Homme.
Les passages que nous venons d’indiquer : « renouvelle en moi un esprit bien disposé » (Psaume 51) et « l’esprit est bien disposé » (Marc 14) nous livrent la transition entre la notion morale et la notion religieuse de l’Esprit ; il s’agit clairement ici d’une puissance déployée par Dieu avant la Pentecôte pour maintenir la créature dans la communion divine ou pour lui permettre d’y accéder.
L’Ancien Testament montre cette force de Dieu à l’œuvre sous les formes les plus diverses. C’est elle qui, pour le service de Jéhovah, donne à Betsaléel son talent d’artiste (Exode 31.3), a Samson sa vigueur (Juges 14.6), à Gédéon son héroïsme (Juges 6.34), à Joseph le don d’interpréter les songes (Genèse 41.38, cf. Daniel 5.12), à David ses vertus de roi (1 Samuel 16.13), à Zorobabel son génie de restaurateur (Zacharie 4.6), à Élisée le don des miracles (2 Rois 2.14) ; atteignant enfin la plus haute forme de son action parmi les hommes, l’Esprit suscite les grands prophètes écrivains, qui, par leur personnalité possédée de Dieu, deviennent les animateurs inspirés et les révélateurs religieux d’Israël (2 Pierre 1.21). « Hommes inspirés », comme on les appelait (Osée 9.7), mais non « hommes spirituels », les prophètes reçoivent l’Esprit comme un donum superadditum, une puissance qui s’empare d’eux au moment où leur action est nécessaire, qui les soulève, les emporte, les subjugue, parfois malgré eux ; une fois le témoignage rendu et l’œuvre accomplie, le prophète redevient lui-même et rentre dans la vie privée, Seule la Pentecôte, grâce au ministère du Christ, réintégrera l’Esprit dans la race humaine (cf. Joël 2.28).
Jusque-là l’Esprit n’est pas donné : il descend sur quelques hommes qui sont des précurseurs. Ici encore l’homme s’agite et Dieu le mène. Mais déjà dans ces hommes de Dieu « saisis » par le souffle divin, nous voyons se dégager la notion du Saint-Esprit : Esprit de grâce et de prière qui réconciliera l’âme repentante avec le Dieu méconnu (Zacharie 12.10), Esprit de résurrection qui transformera les hommes en les ramenant à Jéhovah (Ézéchiel 11.19 ; Ézéchiel 36.27 ; Ézéchiel 37.1-11 ; Ézéchiel 37.26-28) Esprit de sainteté, de justice et d’amour qui rétablira les hommes dans la communion de Dieu (Ésaïe 4.4 ; Ésaïe 32.15 ; Ésaïe 42.1 etc.).
Au seuil de la nouvelle alliance, le Saint-Esprit pousse le vieillard Siméon au Temple (Luc 2.25) pour accueillir Celui qui vient de naître « par Esprit saint » (Luc 1.35, cf. Symbôles des Apôtres) et dont le ministère rédempteur rendra le Saint-Esprit à l’humanité (Jean 1.33 ; Actes 19.1-6).
La venue de Jésus-Christ parmi les hommes inaugure une nouvelle création. Dans Genèse 1, l’Esprit « couve » le chaos et en fait sortir les merveilles de la nature. Ce n’est pas une force aveugle qui produit l’ordonnance magnifique des « choses qui sont », mais un souffle divin, un acte de l’Esprit. De même ce n’est pas l’humanité de la chute qui introduit dans la société des hommes Jésus comme une sorte de surprophète, c’est la puissance créatrice, l’Esprit qui féconde le sein de Marie ; par son Esprit, incarné en Christ, Dieu visite le monde, le rachète, y introduit un facteur nouveau qui va peupler le monde de nouvelles créatures, famille spirituelle du second Adam. L’importance du récit de l’Annonciation (Luc 1.35) est mise en lumière par le récit de la Création (Genèse 1) ; les deux actes divins se répondent. On s’explique dès lors pourquoi le parti judaïsant de l’Église naissante, qui voyait surtout en Jésus le prophète-Messie, s’est cristallisé en sectes ébionites que la naissance miraculeuse de Jésus laissait indifférentes, quand elles ne la niaient point ; tandis que l’essor du christianisme se présente, dans l’ensemble, par l’action de Paul et de Jean, pour qui l’incarnation sous l’action de l’Esprit, l’initiative divine dans la venue du Christ, était le point de départ de tout (Romains 8.3 ; Jean 1.14). L’apparition historique du Christ a été, si j’ose dire, le poème de l’Esprit sur la terre. Ce poème, la prophétie l’avait annoncé (Ésaïe 11.2 ; Ésaïe 42.1 ; Ésaïe 61.1). La naissance à Bethléhem l’inaugure (Matthieu 1.18-2.1), le ministère de Jésus en est le développement. C’est l’Esprit qui descend sur lui au baptême (Marc 1.10), qui le pousse au désert (Matthieu 4.1), qui l’introduit dans son ministère galiléen (Luc 4), qui lui donne la puissance pour ses miracles (Matthieu 12.28-32), qui lui fait accepter le sacrifice du Calvaire (Hébreux 9.14), qui le ressuscite le troisième jour (cf. Romains 8.11). Le but de son œuvre rédemptrice est de réconcilier les hommes avec son Père afin de pouvoir rendre à leur âme anémiée depuis la chute la puissance d’En-haut, l’Esprit de vérité : le Consolateur ou Paraclet (Jean 14.16 ; Jean 15.26 ; Jean 16.7 ; Jean 20.22 ; Paul l’appellera Esprit d’adoption, Romains 8.15), qui les réintégrera dans la famille céleste, fera de chacun d’eux au sein de l’humanité mourante une cellule de vie (dans l’ordre de l’Esprit « tout individu doué devient lui-même un don »: Matthieu 4.17-19 ; Matthieu 5.13-16 ; Matthieu 10.1-12 ; Actes 1.8 ; Actes 2.37-47, cf. Genèse 12.2), et les rendra dès ici-bas participants de la vie éternelle (Jean 6.40 ; Jean 6.47 ; Jean 6.63).
Ainsi vint la Pentecôte (Actes 2.4-8), par laquelle l’humanité entra dans sa nouvelle et décisive expérience de Dieu.
Tous ces témoignages, et bien d’autres que l’on pourrait invoquer ici, présentent l’Esprit comme l’essence créatrice qui procède du Père, puis du Père et du Fils, et qui manifeste dans l’Église leur présence vivifiante. C’est l’Esprit qui, après avoir animé le Christ, nourrit le chrétien, transforme, purifie sa personnalité, l’unit à son Sauveur et à ses frères, l’introduit par la résurrection dans le séjour de la gloire.
On comprend dès lors que Jésus ait défini son Père par le mot « Dieu est Esprit » (Jean 4.24) et que Paul ait déclaré aux Corinthiens : « le Seigneur Jésus est l’Esprit » (2 Corinthiens 3.17). Ce que l’on comprend moins, c’est que la théologie chrétienne ait voulu voir dans l’Esprit une hypostase divine, une personnalité distincte du Père et du Fils ; ce faisant, elle s’est écartée de la tradition hébraïque pour suivre la tradition grecque, et elle a jeté l’Église du Christ dans des discussions trinitaires sans issue, puisqu’elles mettent en cause la nature de Dieu qui nous est en elle-même un mystère.
Ce qui demeure clair pour qui veut s’en tenir aux données bibliques, c’est que, dans les épîtres du Nouveau Testament, la salutation apostolique ne mentionne que deux personnes, le Père et le Fils, comme dispensateurs de la grâce et de la paix, et, d’autre part, que la personne du Père et la personne du Fils nous deviennent inintelligibles et sont comme vidées de leur essence même : la Vie, si « l’Esprit qui vivifie » agit comme une troisième personne distincte du Père et du Fils.
On pourrait même aller jusqu’à dire que, si l’Esprit est une personne comme le Père et le Fils, c’est lui qui est en réalité la première des trois personnes, la divinité initiale, essentielle, puisqu’il détient par définition l’énergie divine dont vivent et par laquelle se manifestent le Père et le Fils. Or, ceci contredit l’enseignement de la révélation. Il est frappant de constater que dans la prière sacerdotale, son testament spirituel, Jésus ne parle pas de l’Esprit. Tant il est vrai que dans l’œuvre rédemptrice accomplie à la gloire du Père, le Fils, qui détient pour les hommes la puissance d’En-haut, qui vient de la promettre à ses disciples et qui va la leur envoyer, occupe lui-même, seul, comme personne divine, toute la place.
Paul dira aux Colossiens : « Vous avez tout pleinement en Lui » (cf. Colossiens 2.10). Sans nous laisser aller à nier quoi que ce soit dans un domaine où tout est mystère pour nous, le plus sage est donc de rester humblement sur le terrain de l’expérience religieuse où la réalité et l’action de l’Esprit ne nous apparaissent que comme une révélation dynamique, une présence du Christ en nous, une communion personnelle avec le Père céleste manifesté en Jésus-Christ : « moi en eux, et toi en moi » (Jean 17.23). L’ordre de baptiser toutes les nations au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit (Matthieu 28.19) dont l’Église post-apostolique a fait la formule du baptême n’a pas, dans sa notion primitive, d’autre sens que celui-là. Conclusion pratique du ministère de Jésus, cette formule inaugurait le ministère des apôtres. Elle devait donc résumer l’enseignement donné par le Maître. Or cet enseignement, muet sur la doctrine de trois hypostases divines, parle simplement des trois éléments inséparables de la foi chrétienne : le Père céleste manifesté dans le Fils, lequel dispense aux croyants l’énergie d’En-haut, le Saint-Esprit. Le Père : but de toutes les aspirations de l’âme ; le Fils : chemin qui conduit à ce but ; l’Esprit : force pour suivre le chemin. Et le Fils est si bien présenté par les Évangiles, puis les Actes et les épîtres, comme le centre du monde spirituel, que dans l’Église du premier siècle le baptême était administré non pas au nom de trois personnes, mais au nom seul de Jésus-Christ, révélateur du Père et dispensateur de l’Esprit : « Que chacun de vous, dit Pierre à la foule le jour de la Pentecôte, soit baptisé au nom de Jésus-Christ, pour obtenir la rémission de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit » (Actes 2.38 ; Actes 2.8 ; Actes 2.16 ; Actes 2.37 ; Romains 6.3 ; Galates 3.27 etc.), « Esprit de Christ » (1 Pierre 1.11) et « Esprit de Dieu » (1 Pierre 4.14). « En ces jours-là, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur mes serviteurs et mes servantes » (cf. Joël 2.28 et suivant). « Ce Jésus… a reçu du Père le Saint-Esprit qui avait été promis, et il l’a répandu comme vous le voyez et l’entendez » (Actes 2.18 ; Actes 2.33). Tel fut le thème du discours par lequel Pierre annonça à ses compatriotes l’inauguration de la nouvelle humanité.
Par la grâce de Christ, la force de l’Esprit est désormais un don de Dieu distribué aux hommes (Luc 11.13 ; 1 Jean 4.13) qui lui obéissent (Actes 5.32 ; Actes 15.8). La repentance et le baptême suffisent pour l’obtenir (Actes 2.38), voire même la repentance sans le baptême (Actes 10.44 ; Actes 10.47 ; Actes 11.15 ; Actes 11.10 ; Actes 11.18) ; il se transmet par l’imposition des mains (Actes 8.18 ; Actes 19.6), il peut être accordé sans imposition des mains directement par Dieu aux croyants, même aux incirconcis qui ont la foi (Actes 15.9), et c’est par son assistance que l’Église s’accroît (Actes 9.31). L’homme qui a reçu le Saint-Esprit (Jean 20.22 ; Actes 19.2 ; Actes 10.47 ; Actes 10.1) et qui en est rempli (Luc 1.1 ; Actes 2.4 ; Actes 4.8 ; Actes 4.31 ; Actes 9.17 ; Actes 13.9 ; Jacques 4.5 etc.) reçoit de lui des secours et des lumières qui surpassent ceux que le Sauveur lui-même a pu accorder pendant sa carrière terrestre (Jean 16.12 ; Jean 16.16).
La théologie hébraïque qui a identifié la vie avec le souffle, l’identifie aussi avec le sang (Genèse 9, Lévitique 17 etc.). Unissant cette seconde image à la première, on peut dire que le Saint-Esprit est à l’âme ce que le sang est au corps ; il est une transfusion de vie divine par laquelle l’homme né de nouveau atteint graduellement le plus haut point de son élévation morale et parvient au but suprême de son évolution, en réalisant dans la communion du Père céleste et à l’imitation de Jésus l’image de son Créateur. Par l’Esprit, Dieu demeure en lui (1 Jean 3.24, cf. 1 Pierre 4.14). Comme son influence est toute morale, l’Esprit ne s’impose pas, mais malheur à qui s’oppose à lui (Actes 7.51) ; mentir au Saint-Esprit équivaut à une mort instantanée (Actes 5.3) ; l’outrager mérite un châtiment pire que la mort (Hébreux 10.29), et si quelqu’un va jusqu’au blasphème, mieux vaudrait pour lui n’être jamais né, mieux vaudrait qu’il eût blasphémé le Fils même de Dieu : « Je vous le dis, tout péché, tout blasphème sera pardonné aux hommes ; seul le blasphème contre le Saint-Esprit ne sera jamais pardonné » (Matthieu 12.31-32 ; Marc 3.29; Luc 12.10).
C’est l’apôtre Paul qui, dans le Nouveau Testament, nous donne la théorie la plus systématisée de la notion de l’Esprit. Bien qu’Helléniste, il se maintient sur le pur terrain de l’anthropologie hébraïque et ne se laisse à aucun moment égarer par le dualisme métaphysique des Grecs. Son dualisme à lui est tout moral. L’homme n’est pas matière et Esprit, il est chair (voir ce mot) et peut recevoir l’Esprit, si la grâce de Christ le touche ; aussi Paul n’emploie-t-il nulle part le mot pneuma quand il parle des facultés de l’homme naturel. Fondé sur l’Ancien Testament, il part du récit de la chute (Genèse 3) et reste fidèle à la vieille notion du rouakh Élohim, « souffle de l’Éternel ». Par sa faute (Romains 5.12) le premier Adam s’est privé de la force vitale, de l’aliment spirituel (les fruits de l’arbre de la Vie) qui devait le nourrir et faire de lui par l’éducation divine un enfant de Dieu ; il s’est ainsi constitué « homme animal » ou psychique, qui ne comprend rien aux « choses de l’Esprit » (1 Corinthiens 2.14) et qui est voué à la mort si Dieu n’intervient par grâce et ne le sauve en Jésus-Christ (Romains 5.15-21). Or, pour Paul, accueillir Jésus, c’est s’ouvrir à la puissance d’En-haut (2 Corinthiens 3.17 et suivant), entrer dans l’Église « corps de Christ » (Colossiens 1.18 ; Colossiens 1.24 ; Éphésiens 1.23 et chapitre 5), comme « membre de Christ » (1 Corinthiens 6.15, cf. Éphésiens 5.30 ; 1 Corinthiens 12.12 ; 1 Corinthiens 12.13 ; Romains 12.5, etc.), participer à sa vie spirituelle (Galates 2.20 ; Éphésiens 3.17), devenir par lui un « homme spirituel » (1 Corinthiens 2.15 ; 1 Corinthiens 3.1 ; Romains 8.1 ; Romains 8.8), s’identifier avec lui (Philippiens 3.10 ; Colossiens 1.24 ; 1 Corinthiens 11.1 ; 1 Thessaloniciens 1.6 ; Philémon 1.21 ; Galates 2.20), marcher à sa suite dans la lumière et la sanctification par l’Esprit (Éphésiens 5.8 ; 1 Thessaloniciens 5.5 ; 1 Thessaloniciens 5.19-25 ; Romains 8.14 ; Romains 15.16 ; Éphésiens 3.16), souffrir avec lui et mourir avec lui pour ressusciter avec lui et régner avec lui en vie éternelle (Romains 8.17 ; Galates 6.8 ; 1 Corinthiens 15.20-23 ; Romains 8.10 ; Romains 6.4-8 ; Colossiens 2.20 ; Colossiens 3.1-3 ; 2 Timothée 2.11)
L’Esprit de Christ, tout le long de la carrière chrétienne, donne au racheté de Christ son soutien dans la faiblesse, son secours dans l’intercession, la joie, la paix et l’espérance dans l’épreuve (Romains 8.26 ; Romains 14.17 ; Romains 15.13 ; Galates 5.22 ; 2 Corinthiens 6.10), enfin la certitude qu’il est enfant de Dieu et héritier de Dieu par les seuls mérites du Christ, pourvu qu’il ne sépare jamais l’affranchissement de la peine du péché de l’affranchissement du péché lui-même (Romains 8.1 ; Romains 8.9-11). En résumé, pour Paul, la vie en Christ revient à la « vie dans l’Esprit ». De même que la vie selon la chair était la vie animale, la vie dans l’Esprit est la vie divine, l’une est une descente, l’autre une ascension. Chacune mène à un but précis : celle qui descend, aux ténèbres ; celle qui monte, à la lumière. Après avoir insisté plus que tout autre sur la gratuité du salut, l’apôtre relève son caractère moral en faisant de lui une récompense légitime, fruit d’un travail personnel ; « Celui qui sème pour la chair moissonnera de la chair la corruption, mais celui qui sème pour l’Esprit moissonnera de l’Esprit la vie éternelle » (Galates 6.8).
De l’ensemble de ces déclarations, dont la logique est irrésistible, il appert que, pour l’apôtre des Gentils, la société des hommes renferme depuis la Pentecôte deux humanités : l’ancienne, l’humanité naturelle ou psychique ou charnelle ; l’individu de cette humanité est appelé par Paul « le vieil homme » (Éphésiens 4.22, cf. Colossiens 3.9 et Romains 6.6) dont le sort est lié à la nature animale et dont l’âme exsangue est vouée à la mort éternelle (Romains 6.21 ; Romains 6.23 ; Romains 3.9-16 cf, Matthieu 25.46) et la nouvelle, née de l’Esprit, qui participe à la sève du Christ (Romains 6.4 ; Romains 6.8, cf. Jean 15.4 et suivant), porte des fruits pour le Royaume de Dieu et est destinée à la vie éternelle (Romains 6.22, cf. Jean 15.8 ; Jean 15.16). L’individu de cette humanité en Christ est appelé par Paul « l’homme nouveau, la nouvelle créature, l’homme spirituel » (Éphésiens 2.15 ; Éphésiens 4.24 ; Colossiens 3.10 ; 2 Corinthiens 5.17 ; Galates 6.15 ; 1 Corinthiens 2.15 ; 1 Corinthiens 3.1). « Nul ne peut dire : Seigneur Jésus, si ce n’est par le Saint-Esprit » (1 Corinthiens 12.3). Qui n’a pas l’Esprit du Christ n’est point à lui (Romains 8.9). À ceux-là seuls qui sont « en Christ » (2 Corinthiens 5.17 = nés de l’Esprit, Jean 3.8), les dons spirituels sont accordés « selon la mesure de la libéralité du Christ » (Éphésiens 4.7 ; Éphésiens 4.13) ; ces dons variés, distribués suivant les nécessités de l’édification (1 Corinthiens 14.12) et les occasions de servir (Romains 12.1 ; Romains 12.6), concourent ensemble au développement du corps de Christ qui est l’Église (1 Corinthiens 12.14 ; 1 Corinthiens 12.20).
Pour conclure, nous dirons que la doctrine de l’Esprit, telle qu’elle nous apparaît dans l’harmonie des textes bibliques, nous met en présence d’un fait auquel les diverses formes du christianisme n’attachent pas l’importance qui lui est due, à savoir que le chrétien et l’Église appartiennent au plan spirituel, en sorte qu’il n’est ni credo, ni œuvre, ni cérémonie, ni geste de prêtre qui ait une valeur quelconque tant que l’activité s’exerce en dehors de la nouvelle naissance et méconnaît la parole de Jésus à la Samaritaine : « Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en Esprit et en Vérité » (Jean 4.24).
Alexandre Westphal
Numérisation : Yves Petrakian