Préambule (Hébreux 1.1 ; Hébreux 1.3)
L’auteur, sans aucun préliminaire, pose la thèse qu’il va développe, celle d’une nouvelle révélation de Dieu par son Fils, l’agent de la création, le reflet de sa gloire, l’empreinte de son essence qui, après avoir accompli la purification des péchés, s’est assis à la droite de Dieu.
Supériorité de la nouvelle alliance sur l’ancienne.
Seul il a droit à l’adoration, il est le Fils, appelé à la royauté. Son abaissement momentané a été nécessaire pour le conduire à la perfection. Les souffrances qu’il a subies parce qu’il participe à la chair et au sang détruisent celui qui a le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable. Pour que le Christ pût faire l’expiation des péchés, il fallait qu’il fût semblable aux hommes. Ce développement est coupé dans Hébreux 2.1 ; Hébreux 2.4 par une exhortation pratique incidente sur la nécessité de se tenir fortement à la doctrine du salut proclamée par le Seigneur lui-même, parce qu’elle a plus d’autorité que la parole prononcée par les anges (la Loi), laquelle pourtant était appuyée par des sanctions.
Il est le Fils, tandis que Moïse n’a été qu’un serviteur. Il donne à ceux qui croient en lui un repos que Moïse n’a pu assurer aux Israélites. Il faut donc résister à l’incrédulité qui écarterait du Dieu vivant, pour ne pas perdre la promesse du Royaume de Dieu comme les Israélites sortis d’Égypte ont perdu celle qui leur avait été faite.
Les fidèles qui ont dans les cieux un grand-prêtre qui n’a point péché, bien qu’il ait été tenté, peuvent s’approcher avec hardiesse du trône de grâce. Le Christ n’est pas un grand-prêtre qui, comme ceux d’Israël, doive offrir des sacrifices pour ses péchés. Il est grand-prêtre selon l’ordre de Melchisédec, roi de Salem, lequel n’est que le type du Christ, roi de la justice et de la paix, supérieur au sacerdoce juif puisque Abraham a donné la dîme à Melchisédec et a été béni par lui (Hébreux 4.14-7.10). Ce développement est interrompu dans Hébreux 6.1 ; Hébreux 6.10 par une importante digression, dans laquelle est développée l’idée qu’il est superflu de revenir sur les doctrines élémentaires puisqu’il est impossible que ceux qui sont tombés, c’est-à-dire vraisemblablement qui, devant la persécution, ont renié leur foi, se convertissent à nouveau. Puisqu’un autre sacerdoce que celui de Lévi a été nécessaire, c’est que le premier ne pouvait conduire à la perfection. Le nouveau sacerdoce appartient à la tribu de Juda ; il est éternel, parce qu’il n’est pas charnel. Il a été établi par un serment de Dieu. Il a pour objet non pas des sacrifices répétés, mais un sacrifice unique dans lequel le grand-prêtre s’offre lui-même une fois pour toutes (Hébreux 7.11-28).
Le Christ assis à la droite de Dieu est le ministre du sanctuaire céleste. Il ne peut remplir son office sur la terre, où les sacrifices sont réglés par la Loi de Moïse. Mais le culte terrestre n’est que l’ombre d’une réalité céleste dans laquelle le Christ joue le rôle de grand-prêtre et est le médiateur d’une alliance plus parfaite, alliance qui a été annoncée par l’Ancien Testament
Par l’interdiction de pénétrer dans le Saint des Saints, le Saint-Esprit a montré que tant que le culte mosaïque subsisterait, l’accès du sanctuaire céleste resterait fermé. Les sacrifices lévitiques ne sont valables que jusqu’au temps de la substitution à l’alliance ancienne d’une alliance meilleure. Le ministère du Christ s’est déroulé dans le sanctuaire céleste, où il a offert son propre sang qui opère une purification éternelle et amène les fidèles à servir le Dieu vivant.
Le Christ est le médiateur d’une nouvelle alliance qui efface les péchés. Le terme de diathèkè, dont se sert l’auteur, en même temps qu’alliance, signifie testament. Par là est introduite l’idée que la mort est nécessaire pour que la diathèkè soit valable. La première alliance a comporté des sacrifices et l’effusion de sang, la nouvelle alliance de même est établie par le sacrifice du Christ, qui est entré au ciel avec son propre sang qui ôte les péchés ; il reviendra une seconde fois pour sauver ceux qui l’attendent. Le sacrifice lévitique, s’il avait pu conduire à la perfection ceux pour qui il était célébré, aurait cessé d’être offert. Il ne fait donc que rappeler le péché. Le sacrifice du Christ, au contraire, sanctifie les pécheurs et n’a pas besoin d’être renouvelé. Après l’avoir offert, le Christ s’est assis à la droite de Dieu : son œuvre est parfaite.
Ceux qui ont été purifiés doivent rester fermes dans la foi, veiller les uns sur les autres s’exhorter mutuellement, ne pas abandonner les assemblées, car le jour du jugement est proche. Ces exhortations sont appuyées par le rappel de la doctrine de l’impossibilité de la seconde repentance. Les fidèles sont exhortés à se souvenir de leur conversion et des souffrances qu’ils ont supportées, afin de garder la foi pour être sauvés (Hébreux 10.32-39). L’auteur définitif foi « une certitude des choses espérées, une conviction de celles que l’on ne voit pas », et il appuie cette définition par l’exemple des héros de la foi de l’ancienne alliance qui ont vécu sur la terre comme des étrangers et des voyageurs ayant seulement aperçu de loin ce qui leur avait été promis. C’est que Dieu avait en vue pour eux quelque chose de meilleur et qu’il ne voulait pas qu’ils fussent sauvés sans nous (Hébreux 11.1 ; Hébreux 11.40).
Il faut être persévérants en gardant les yeux fixés sur Jésus. Les souffrances ne doivent pas décourager, car Dieu châtie ceux qu’il aime. Il faut vivre dans la paix et se sanctifier, car les chrétiens infidèles sont menacés de châtiments plus terribles que ceux qui ont atteint les rebelles de l’ancienne alliance. Il faut être charitables envers les prisonniers et les malheureux, respecter le mariage, être désintéressés. Les fidèles doivent se souvenir de leurs conducteurs, car le Christ est le même hier, aujourd’hui et éternellement. Vient ensuite, en termes très généraux, une polémique contre des erreurs de doctrine qui paraît viser des rites alimentaires et la recommandation d’être soumis aux conducteurs.
L’auteur demande à ses lecteurs de prier afin qu’il leur soit rendu plus tôt. Après une bénédiction et une doxologie, il leur demande de bien accueillir son exhortation. Ils savent que Timothée a été remis en liberté. S’il vient assez tôt, il les verra avec lui. Salutations pour les conducteurs et les membres de l’Église. Salutations de la part de ceux d’Italie ». Bénédiction finale.
Dans la tradition occidentale, l’épître aux Hébreux est généralement placée à la suite des épîtres pauliniennes ; dans la tradition orientale, elle est, le plus souvent, insérée entre 2 Thessaloniciens et 1 Timothée, c’est-à-dire entre les épîtres aux églises et les épîtres aux particuliers. Ce n’est que très exceptionnellement qu’elle figure entre 2 Corinthiens et Galates, c’est-à-dire à la place que sa longueur lui assignerait dans la collection des épîtres de Paul. Ces faits montrent qu’elle n’est entrée qu’après coup dans le recueil des épîtres de Paul et plus tard en Occident qu’en Orient.
Elle semble avoir été connue à Rome avant la fin du Ier siècle. Clément romain, sans la citer, paraît s’en inspirer en plusieurs passages de son épître aux Corinthiens (vers 96). Les premiers témoignages précis se rencontrent à Alexandrie : Pantène la croyait écrite par Paul, qui n’y aurait pas fait figurer son nom parce qu’il s’adressait à des Juifs et qu’il était l’apôtre des Gentils ; Clément d’Alexandrie pensait que Paul l’avait écrite en hébreu, et que Clément romain ou Luc l’avait traduite en grec ; Origène modifia cette théorie parce qu’il se rendit compte que le style de l’épître était trop coulant pour qu’elle pût être une traduction : il supposa que Paul l’avait inspirée, mais qu’un autre l’avait rédigée. Ces théories des Pères alexandrins paraissent avoir été dictées par le désir de concilier deux traditions dont l’une attribuait l’épître à Paul et dont l’autre attestait qu’elle n’était pas de lui. Quoi qu’il en soit, la théorie de l’origine indirectement paulinienne a, de bonne heure, triomphé en Orient des hésitations que l’on pouvait avoir à l’accueillir dans le canon.
En Occident, sa canonisation et son assimilation aux épître de Paul se sont faites suivant un tout autre processus et ont été beaucoup plus lentes. Irénée, Hippolyte, Gaïus de Rome, s’ils l’ont connue — ce qui reste douteux — ne comptent pourtant que treize épître de Paul. Le canon de Muratori l’ignore. Tertullien la cite comme de Barnabas, non pas comme un livre canonique, mais comme l’œuvre d’un compagnon des apôtres. Pendant tout le cours du IIIe s, l’épître n’est citée en Occident que par Novatien qui, comme Tertullien, l’attribue à Barnabas. Les premiers écrivains occidentaux qui, au IVe siècle, l’ont citée comme paulinienne et canonique, sont des hommes comme Hilaire de Poitiers, Lucifer de Cagliari, Priscillien, qui, au cours des controverses ariennes, ont été en relations avec les docteurs orientaux. C’est lorsqu’à la fin du IVe siècle les relations entre l’Église d’Orient et l’Église d’Occident sont devenues plus fréquentes, que l’épître aux Hébreux a été, si on peut dire, importée d’Orient en Occident et introduite dans le canon de l’Église latine, sous l’influence d’hommes comme saint Jérôme et saint Augustin, qui connaissaient bien les raisons qu’il y avait pour ne pas la considérer comme paulinienne, mais qui se déclaraient liés par l’autorité des églises d’Orient. L’évolution s’achève avec les conciles africains d’Hippone (393) et de Carthage (397), qui comptent treize épîtres de Paul et une du même aux Hébreux ; et l’unification est faite par Innocent Ier dans sa lettre à Exupère de Toulouse (405) et par le concile de Carthage (419) qui comptent quatorze épîtres de Paul. À partir de ce moment, les doutes sur l’origine paulinienne de l’épître aux Hébreux n’apparaîtront plus que d’une manière sporadique. Ils reprendront une certaine intensité au XVIe siècle avec Érasme et les humanistes et surtout avec Luther qui l’attribue à Apollos et l’exclut du Nouveau Testament parce qu’elle enseigne l’impossibilité de la seconde repentance. Mais le concile de Trente étouffera les velléités de critique indépendante des humanistes et le développement dans le protestantisme de la doctrine de l’inspiration triomphera, bien que plus lentement, dans les églises luthériennes, des doutes relatifs à l’origine de l’épître aux Hébreux.
À l’heure actuelle, en dehors des théologiens catholiques, qui sont liés par le décret du concile de Trente, aucun critique ayant quelque autorité n’envisage l’idée d’une origine directement ou indirectement paulinienne de l’épître aux Hébreux.
Est-ce une lettre véritable ou bien la forme épistolaire n’y est-elle que fictive ? Les deux hypothèses ont été soutenues, et on a aussi pensé que c’était un traité théologique ou une homélie qui, par une conclusion épistolaire ajoutée après coup par l’auteur lui-même ou par un éditeur, aurait été adressée à un groupe différent de celui pour lequel il avait été primitivement conçu. Le titre « Aux Hébreux » est énigmatique. Il ne paraît pas provenir de l’auteur mais semble avoir été donné sous l’influence de cette réflexion qu’une démonstration de la supériorité de la nouvelle alliance sur l’ancienne doit avoir été composée pour des lecteurs d’origine juive.
L’épître ne s’ouvre pas par une salutation semblable à celles qui figurent en tête de toutes les épîtres pauliniennes. Le caractère majestueux et la perfection littéraire de la première phrase ne permettent pas d’admettre qu’elle ait pu originairement être précédée d’une salutation qui aurait été intentionnellement ou accidentellement supprimée. Mais cela ne prouve pas que l’épître aux Hébreux ne soit pas une lettre, car il faut juger sur l’ensemble, et il ne serait pas impossible de supposer que l’auteur, écrivant à une époque de persécutions, ait pris la précaution de ne pas nommer directement ceux à qui il s’adressait, pour le cas où sa lettre serait tombée entre des mains païennes.
Dans l’épître aux Hébreux, il n’y a pas, autant que dans la plupart des épîtres de Paul, de traits concrets désignant un cercle défini de lecteurs. Il y a cependant assez d’indices précis prouvant que l’auteur a en vue un groupe de chrétiens dont il connaît la situation (Hébreux 2.3 ; Hébreux 4.1 ; Hébreux 5.11-14 ; Hébreux 12.4 ; Hébreux 13.7 ; Hébreux 13.9 ; Hébreux 13.17). C’est surtout la conclusion qu’il faut considérer, notamment l’invitation que l’auteur adresse de prier pour qu’il soit rendu à ses lecteurs (Hébreux 13.19), ce qu’il dit de la mise en liberté de Timothée et de la visite qu’il projette de faire en sa compagnie (Hébreux 13.23), les salutations pour les conducteurs et les saints et les salutations de la part de « ceux d’Italie » (Hébreux 13.17-24). On a, il est vrai, supposé que 1a conclusion pourrait avoir été ajoutée après coup pour donner au document un caractère épistolaire qu’il n’aurait pas eu primitivement. Mais, outre que le corps même du livre contient assez d’indications précises pour prouver que l’auteur a en vue un groupe défini de lecteurs, l’hypothèse du caractère épistolaire fictif se heurte à plusieurs difficultés. La moins grave n’est pas que, si on avait voulu imiter le modèle fourni par les épîtres de Paul, la première chose que l’on aurait faite aurait été de mettre en tête une salutation semblable à celles par lesquelles s’ouvrent les lettres de l’apôtre.
On a fait observer que le ton et la structure de l’épître sont plutôt d’un discours que d’une lettre. L’auteur lui-même semble présenter son œuvre comme un discours qui s’adresse à des auditeurs (Hébreux 2.5 ; Hébreux 4.13 ; Hébreux 5.11 ; Hébreux 9.5 ; Hébreux 11.32 ; Hébreux 13.22) et, avec un art qui n’ignore pas certains procédés de la rhétorique grecque, il fait alterner les développements théoriques qui réclament quelque attention pour être suivis et des exhortations pratiques plus faciles à saisir, comme s’il voulait ménager à ses auditeurs des paliers qui leur permettent de reprendre haleine. Mais tout cela peut parfaitement s’expliquer par le tempérament oratoire de l’auteur et par le fait qu’il n’a pas composé son œuvre pour que ceux à qui il l’adresse en prennent individuellement connaissance, mais pour qu’elle soit lue à la communauté assemblée. Cependant, il faut reconnaître que, parmi les arguments invoqués par les partisans de la conclusion épistolaire surajoutée, il y en a un qui est grave. C’est celui qu’ils tirent de la différence entre Hébreux 13.19 où les lecteurs sont invités à prier pour que l’auteur leur soit rendu, c’est-à-dire où l’annonce d’une visite qu’il leur fera reste hypothétique, et Hébreux 13.23 où une visite est positivement annoncée et est si proche qu’elle ne coïncidera avec celle de Timothée que si celui-ci ne tarde pas à venir. Cette difficulté se résoudrait d’elle-même si on considérait le passage relatif à Timothée (Hébreux 13.23) comme un fragment maladroitement introduit à cet endroit d’une autre lettre, peut-être d’une lettre de Paul. Mais ce n’est là qu’une conjecture. On voit que l’hypothèse du caractère épistolaire primitif de l’épître aux Hébreux ne peut pas être considérée comme rigoureusement démontrée. Elle paraît cependant rester de beaucoup la plus probable, parce que l’hypothèse de l’addition de la conclusion épistolaire soulève de plus graves difficultés encore.
La langue et le vocabulaire de l’épître sont très différents de la langue et du vocabulaire pauliniens. Le style est beaucoup plus coulant et plus proche du grec classique. Il est tel que l’hypothèse d’une traduction de l’hébreu doit être écartée. D’ailleurs, non seulement les citations, mais encore les réminiscences de l’Ancien Testament, se rapportent aux LXX et il y a des assonances et même quelques jeux de mots qui n’ont pu être conçus qu’en grec.
Aux raisons d’ordre littéraire qu’il y a de ne pas l’attribuer à l’apôtre Paul, s’ajoutent des raisons d’ordre théologique. Certains de ses éléments, il est vrai, se retrouvent dans le paulinisme, par exemple l’idée de la substitution à l’ancienne alliance d’une alliance nouvelle, ou celle du rôle capital de la mort du Christ ; mais ce sont là des idées communes à tous les chrétiens du siècle apostolique, et l’auteur de l’épître aux Hébreux les présente et les développe tout autrement que Paul. C’est ainsi que, pour l’apôtre l’ancienne alliance est constituée par la promesse et que la Loi n’est venue que s’y surajouter, tandis que, pour l’auteur de l’épître aux Hébreux, l’ancienne alliance, c’est essentiellement la législation mosaïque et spécialement le système cultuel qu’elle règle. La mort du Christ est pour Paul la condamnation du péché, c’est-à-dire l’exécution d’un coupable. Pour l’auteur de l’épître aux Hébreux, c’est l’immolation d’une victime très sainte et très pure.
L’appropriation du salut se fait tout autrement dans les deux systèmes. Pour Paul, elle est réalisée par la foi, c’est-à-dire par l’union mystique avec le Christ qui meurt et qui ressuscite à la vie du ciel. Pour l’épître aux Hébreux, la nature de l’homme est seulement purifiée, non radicalement transformée par la rédemption. La notion de la foi est, par suite, très différente. L’auteur de l’épître aux Hébreux la définit dans un sens qui correspond à ce que Paul appelle l’espérance. Il n’y a rien dans l’épître aux Hébreux qui réponde à ce qu’exprime pour Paul l’expression « être en Christ », rien non plus qui soit l’équivalent du rôle que jouent chez Paul les phénomènes d’inspiration et, d’une manière générale, la notion de l’Esprit. Pour l’auteur de l’épître aux Hébreux, la condition du salut c’est l’attachement inébranlable à la confession de la foi chrétienne. Il y a là une différence de tempérament, mais aussi une différence de situation. L’attachement au christianisme passe nécessairement au premier plan quand la persécution sévit ou seulement menace, et c’est aussi une différence de situation et d’époque que révèle le fait que l’auteur de l’épître aux Hébreux, qui n’est, à aucun degré, ni légaliste ni particulariste, ne vise directement aucune des grandes thèses pour lesquelles l’apôtre Paul a lutté. Ces thèses ont si complètement triomphé qu’elles ne sont plus en discussion.
L’auteur de l’épître aux Hébreux a très fortement subi l’influence de la philosophie judéo-alexandrine. Il est imbu de la théorie philonienne du Logos (voir ce mot), et l’on doit considérer comme très vraisemblable qu’il a connu directement une partie au moins des traités de Philon. Il donne au Christ les principaux attributs du Logos philonien, mais le terme même de logos ne se trouve pas chez lui. C’est que le terme « Christ » représente pour lui tout ce que représentait le terme philonien de logos, et quelque chose de plus. L’influence du philonisme ne doit pas être comprise dans ce sens que l’auteur de l’épître aux Hébreux aurait réalisé une synthèse entre le christianisme et la philosophie judéo-alexandrine, mais dans ce sens qu’il a trouvé dans le philonisme des matériaux qui lui ont paru se prêter à exprimer sa pensée et sa, foi chrétiennes.
On a longtemps cru qu’elle devait avoir été adressée à des lecteurs d’origine juive. Mais elle appartient à une époque où l’opposition entre le judéo-christianisme légaliste et particulariste et le pagano-christianisme n’existe plus et où l’Ancien Testament est le bien de toute l’Église. Il y a d’ailleurs dans l’épître des traits qui s’accorderaient mal avec l’hypothèse de lecteurs judéo-chrétiens, par exemple la mention, parmi les enseignements chrétiens élémentaires, de la foi en Dieu, de la résurrection et du jugement (Hébreux 6.2), car ce sont là des doctrines communes au judaïsme et au christianisme.
La majorité des critiques pense que l’épître a été adressée à des chrétiens de Rome. Plusieurs observations paraissent favorables à cette opinion. Le premier auteur qui l’ait connue est le Romain Clément ; le passage Hébreux 6.10 parle des services rendus aux saints par les lecteurs ; or nous savons que l’Église de Rome, riche et généreuse, était souvent venue en aide aux églises pauvres. Les conducteurs de l’Église sont appelés hègoumènes ; or ce terme qui ne se rencontre que chez Clément paraît être spécifiquement romain. La salutation de la part de « ceux d’Italie » (Hébreux 13.24) se comprend le mieux comme envoyée par une colonie d’Italiens fixée à l’étranger. Par contre les passages Hébreux 10.32 et suivants où il est question d’outrages et de tribulations, et surtout Hébreux 12.4 où l’auteur dit : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang », ne semblent guère avoir pu être adressés à une Église qui aurait passé par la persécution de Néron. Or il paraît difficile que l’épître ait pu être écrite avant 64. On doit donc laisser en suspens la question des destinataires, en se bornant à considérer comme les plus vraisemblables les hypothèses qui les chercheraient d’une part en Égypte et de l’autre en Italie en dehors de Rome.
Harnack et Zahn ont émis l’hypothèse que l’épître n’avait pas été adressée à la communauté romaine tout entière, mais à un petit groupe au sein de cette communauté, semblable à l’« Église qui s’assemble dans la maison d’Aquilas » dont il est question dans Romains 16.5. Cette conjecture, qui a beaucoup pour elle, est indépendante de la thèse de destinataires romains à propos de laquelle elle a été émise.
Quant au lieu où l’épître a été composée, aucun indice ne permet de hasarder une conjecture.
Pour un certain nombre de critiques, l’épître serait antérieure à 70 parce qu’elle décrit le Temple et le culte au présent et qu’elle ne tire pas argument de la cessation du culte lévitique. Ces deux raisons ne peuvent pas être retenues, la première parce que la description du sanctuaire et du culte est faite d’après le texte de l’Ancien Testament et non d’après l’observation directe ; elle se rapporte en réalité au Tabernacle et non au Temple d’Hérode. Quant à la cessation du sacrifice, elle peut n’avoir été considérée que comme une interruption provisoire, semblable à celle qu’avait provoquée la persécution d’Antiochus Épiphane. Longtemps les Juifs ont espéré une reconstruction du Temple et une restauration de leur culte et, au temps d’Hadrien, ils ont un moment pensé que leurs espérances allaient se réaliser.
L’épître ayant été connue de Clément romain doit avoir été écrite avant 96. On y relève une série d’indices qui conduisent à la placer sensiblement après 70. Notons, par exemple, la position de la théologie de l’épître par rapport au paulinisme et le sentiment qu’a l’auteur de ne pas appartenir à la première génération chrétienne (Hébreux 2.3) ; l’Église à laquelle il s’adresse existe depuis longtemps (Hébreux 5.11 ; Hébreux 10.30). Une persécution violente qui pourrait être celle de Néron est déjà assez éloignée (Hébreux 10.32 ; Hébreux 10.34) ; une autre persécution commence ou, du moins, menace (Hébreux 12.4 ; Hébreux 13.3), ce pourrait être celle de Domitien. Il semble que l’on ait bien des chances de ne pas se tromper en fixant la composition de l’épître aux années 80-90.
Il n’est guère de personnalité du siècle apostolique à laquelle on n’ait pas proposé d’en attribuer la composition ; c’est ainsi que l’on a mis en avant les noms de Luc, de Barnabas, de Clément romain, d’Apollos, de Silas, de Pierre ou d’un de ses disciples, du diacre Philippe, du pres-bytre Aristion et même de Priscille ; simples conjectures le plus souvent, et qui manquent tellement de base qu’il est impossible de les discuter. Celles qui ont recueilli le plus de suffrages sont les attributions à Barnabas et à Apollos. La première a pour elle le témoignage de Tertullien, mais, si elle reposait sur une tradition primitive, on aurait peine à comprendre l’attribution au même Barnabas d’une autre lettre composée vers 130 et qui a un caractère assez différent. L’attribution à Apollos est une conjecture qui n’apparaît qu’avec Luther, bien qu’elle soit sans doute antérieure à lui. Si ce que nous savons d’Apollos, Juif alexandrin, cultivé et éloquent, correspond bien à l’idée que nous pouvons nous faire de l’auteur de l’épître aux Hébreux, il ne faut pas oublier qu’Apollos n’a certainement pas été le seul Juif alexandrin qui se soit converti à l’Évangile. Il sera donc sage de se borner à dire que l’épître aux Hébreux est l’œuvre d’un Juif hellénisé ou d’un prosélyte familiarisé avec la pensée philonienne. Quant à son nom, comme le disait déjà Origène, « Dieu seul le sait ».
M. G.
Numérisation : Yves Petrakian