Le livre de Josué ouvre la série des livres dits historiques dans nos Bibles françaises, et Nebiim richônîm (ou prophètes de la 1ère série) dans la Bible hébraïque. Il porte le nom de Josué (dans le grec des LXX, lésons = Jésus), parce que celui-ci en est le personnage principal.
Le livre raconte la conquête de la partie occidentale du pays de Canaan par les Israélites sous la direction de Josué, fils de Nun. Les chapitres 1 à 12 renferment l’histoire de la conquête proprement dite. Les chapitres 13 à 21 relatent comment se fit le partage du pays conquis et donnent le relevé topographique du territoire attribué à chaque tribu. Les chapitres 22 à 24 sont consacrés aux dernières années et à la mort de Josué.
Josué fait procéder aux préparatifs indispensables à la conquête et obtient des tribus déjà établies en Galaad leur participation à la nouvelle campagne (Josué 1). Deux espions sont envoyés à Jérico et trouvent asile auprès d’une femme à laquelle ils promettent en retour la VIe sauve pour elle et sa famille lors de la prise de la ville (Josué 2). Alors a lieu le passage du Jourdain ; après l’érection de pierres commémoratives de cet événement, un campement est établi dans la plaine de Jérico, à Guilgal (Josué 3-Josué 4). Josué procède à la circoncision du peuple et fait célébrer la Pâque (Josué 5). Jérico est prise, les habitants sont massacrés, la ville brûlée et rasée (Josué 6). Une défaite, éprouvée sous les murs de la ville d’Aï, fait découvrir un vol sacrilège dont le coupable, Acan, est immédiatement puni de mort (Josué 7). Attaquée de nouveau, Aï est prise et subit le sort de Jérico (Josué 8.1-29). Parvenu dans la région de Sichem, Josué fait élever un autel sur le mont Ébal et lit la Loi devant tout le peuple (Josué 8.30-35). Les habitants de Gabaon obtiennent par ruse une alliance avec les Israélites (Josué 9). À cette nouvelle, une ligue de cinq rois cananéens se forme contre les envahisseurs et assiège Gabaon. Mais Josué inflige une défaite complète aux cinq rois, qui sont mis à mort. Cette victoire, célébrée par un poème, aujourd’hui perdu, est complétée par la prise et la destruction de plusieurs villes de la région méridionale (Josué 10). Une nouvelle coalition cananéenne se forme dans la région du nord ous l’impulsion de Jabin, roi de Hatsor. Josué bat ses adversaires aux eaux de Mérom et soumet toute la partie septentrionale du pays (Josué 11.1 ; Josué 11.15). Cette première partie se termine par la conclusion suivante : « Josué conquit tout le pays exactement comme Jéhovah l’avait prescrit à Moïse. Puis il le remit en toute propriété au peuple d’Israël, une part par tribu. Toute guerre ayant cessé, le pays connut la paix. » (Josué 11.23). Le chapitre 12 (Josué 12) donne la liste de tous les rois vaincus par les Israélites, tant en Galaad à l’époque de Moïse, qu’en Canaan avec Josué. B. Le partage (Josué 13-21). Josué, devenu vieux, reçoit l’ordre de partager le pays non encore conquis entre les neuf tribus et demie dépourvues de territoires. Les parts déjà attribuées par Moïse aux tribus de Ruben, Gad et demi-Manassé, sont ensuite décrites (Josué 13). Partage, par tirage au sort, du reste du territoire entre les autres tribus. La première part, le territoire d’Hébron, est attribuée à Caleb, en exécution d’une promesse à lui faite par Moïse (Josué 14). La part de Juda est ensuite décrite d’après ses limites et les localités qui y sont comprises. Dans cette description est intercalé, d’une façon inattendue, le récit de la prise d’Hébron et de Débir par Caleb et Othniel (Josué 15). Les fils de Joseph, Éphraïm et Manassé, sont ensuite servis (Josué 16). Quoique comprise dans les fils de Joseph, la tribu de Manassé se voit maintenant attribuer une part personnelle par le sort. Les fils de Joseph se plaignent à Josué d’être trop à l’étroit dans leur territoire (Josué 17). Au chapitre 18 (Josué 18), les enfants d’Israël sont à Silo, où ils dressent la tente sacrée ; et cette fois le pays leur est soumis. Cependant, sept tribus n’ont pas encore reçu de lot et Josué leur reproche leur négligence à prendre possession du pays. Trois hommes par tribu sont envoyés reconnaître les territoires non occupés et les répartissent en sept parts. Josué tire alors au sort les parts de Benjamin, Siméon, Zabulon, Issacar, Asser, Nephthali et Daniel. Un apanage particulier est octroyé à Josué (Josué 18-19). Sur l’ordre de Jéhovah, six villes de refuge pour les meurtriers involontaires sont désignées, trois dans la Palestine trans-jordane et trois dans la Palestine cisjordane (Josué 20). Enfin, à la demande des Lévites, Éléazar, Josué et les chefs de famille tirent au sort quarante-huit villes, qui leur sont attribuées (Josué 21). Conclusion de cette seconde partie, analogue à celle de la première : « Jéhovah donna ainsi aux Israélites la totalité du pays qu’il avait juré à leurs pères de donner. Ils en prirent possession et s’y établirent. Jéhovah leur assura le repos sur toutes leurs frontières comme il l’avait juré à leurs pères. Aucun de leurs ennemis ne subsista devant eux, Jéhovah les livra tous entre leurs mains. » (Josué 21.43 et suivant).
Les combattants des tribus transjordanes, renvoyés chez eux et arrivés aux bords du Jourdain, y élèvent un autel. Leur acte alarme les autres tribus, qui se préparent à leur faire la guerre. Les explications demandées rassurent tout le monde (Josué 22). Josué convoque le peuple et lui fait ses adieux et ses dernières recommandations (Josué 23). Encore une fois Josué assemble toutes les tribus d’Israël à Sichem. Il leur rappelle les principales étapes de leur histoire et leur fait prendre l’engagement d’être toujours fidèles à Jéhovah. Puis il conclut pour elles une alliance avec Jéhovah, leur donnant des lois et des ordonnances et dressant sous le chêne sacré du sanctuaire de Sichem une pierre en témoignage de cette alliance. Peu après Josué meurt dans son apanage (Josué 24).
L’intention du rédacteur du livre paraît avoir été de donner un récit schématique de la conquête de Canaan, faite en trois campagnes rapides :
La population cananéenne ayant été entièrement extirpée, le pays est partagé par tirage au sort entre toutes les tribus. Cette merveilleuse épopée a mis les Israélites en possession indiscutée du pays de la promesse. Josué, son œuvre accomplie, n’a plus qu’à mourir paisiblement après avoir solennellement renouvelé l’alliance entre Jéhovah et Israël conclue au Sinaï.
Mais une simple lecture du livre révèle tout ce que cette conception a d’artificiel et combien peu les données des sources utilisées par le rédacteur sont en harmonie avec son point de vue. C’est entre la première et la deuxième partie que les contradictions sont les plus violentes. En voici quelques-unes :
Le pays n’a donc pas été entièrement conquis, contrairement aux affirmations de Josué 11.16 et suivant et Josué 12.7 et suivant. C’est bien d’ailleurs ce que reconnaît Josué lui-même dans son premier discours d’adieux (voir Josué 23.4-5 ; Josué 23.7 ; Josué 23.12 et suivant). Quel contraste entre ces déclarations et des affirmations telles, par exemple, que celles de Josué 11.19 et suivant. Il est donc manifeste que deux conceptions différentes de la conquête de Canaan s’affrontent dans le livre de Josué. L’une qui, reconstruisant les événements d’une façon factice, veut que la conquête ait été effectuée en quelques jours, les habitants exterminés parce qu’adorateurs de faux dieux et le pays, ainsi nettoyé, attribué, par l’intervention de Dieu lui-même, en toute propriété définitive à chaque tribu. L’autre, plus près des événements, s’appuyant sur des faits et des traditions locales, s’efforce de raconter objectivement les principales étapes de la conquête ; pour elle, cette conquête dura fort longtemps, ne fut pas toujours l’œuvre de toutes les tribus associées, mais parfois celle de tribus isolées et aussi le résultat d’une pénétration pacifique.
Ces deux conceptions contradictoires ne peuvent avoir été celles d’un seul auteur. Il se pose ainsi pour ce livre, comme pour ceux du Pentateuque, une question des sources de cet ouvrage et de son mode de composition.
Il y a une liaison évidente entre le Pentateuque et Josué. C’est pour réaliser la promesse de possession de Canaan qui leur avait été faite et réitérée tant de fois dans Genèse, Exode, Nombres et Deutéronome, que Moïse a arraché les Israélites à l’esclavage des Égyptiens et les a conduits à travers le désert jusqu’aux rives du Jourdain. La tâche que Moïse n’a pu achever, c’est Josué qui la mènera à bonne fin. Son livre est donc la conclusion naturelle du Pentateuque ; c’est pourquoi il a paru légitime de souligner cette étroite parenté historique en substituant parfois la dénomination d’Hexateuque (les six livres) à celle de Pentateuque (voir ce mot), et de rattacher ainsi directement Josué au groupe des cinq premiers livres de l’Ancien Testament Il ne faut pas oublier toutefois que ce ne sont pas des préoccupations historiques qui ont présidé à l’élaboration du canon de l’Ancien Testament et que jamais les docteurs juifs n’ont donné à Josué la même valeur canonique qu’à la collection sacrée des cinq livres de la Thora : le terme d’Hexateuque ne peut donc être employé qu’à titre exceptionnel.
En plus de cette liaison de sujet, il y a une étroite parenté de style et de conception entre Josué et Exode, Nombres et surtout Deutéronome (voir ce mot). Des fragments de ce dernier livre sont reproduits presque textuellement : Josué 1.3 et suivant et Deutéronome 11.24 ; Josué 1.6 et Deutéronome 31.23 ; Josué 24.13 et Deutéronome 6.10 et suivant, Josué 24.11 et suivant et Exode 23.28 ; Deutéronome 7.20. De cette comparaison, il ressort que les chapitres 1, 23 et 24 sont entièrement deutéronomiques de style et d’inspiration. Dans le reste du livre, la parenté avec le Deutéronome se manifeste par les nombreux passages à tendance édifiante, au ton homilétique et par le rôle essentiel attribué à Moïse qui a tout organisé, tout réglé d’avance, en sorte que Josué n’est plus qu’un simple exécutant (Josué 11.15). Ce rôle fait la grandeur de Josué et lui vaut l’assistance que Jéhovah prêta à Moïse, et quelque chose de la gloire de Moïse rejaillit sur lui (voir Josusé 1.5 ; Josusé 1.7 ; Josusé 3.7 ; Josusé 4.14).
Le thème du Deutéronome est : Jéhovah a promis de mettre Israël en possession de Canaan. La consigne de Josué est d’achever la réalisation de cette promesse divine commencée par Moïse. Tout son livre tient entre l’ordre donné (Josué 1.6 ; Deutéronome 31.7-23) et son exécution (Josué 21.43-45 ; Josué 22.4 ; Josué 23.14-16).
Un autre point de vue du Deutéronome est que la fidélité de Jéhovah à sa parole doit avoir pour contrepartie indispensable la fidélité d’Israël à son Dieu et l’exécution de ses ordres. L’un de ces ordres est celui d’exterminer les Cananéens de peur qu’ils n’entraînent le peuple dans l’idolâtrie (Deutéronome 7.1 ; Deutéronome 7.26 ; Deutéronome 20.13-18). C’est pour maintenir le peuple dans ces sentiments de fidélité que Josué lui fait renouveler à Sichem l’alliance conclue au Sinaï. Le récit de cette cérémonie est fait deux fois (Josué 8.30-35 ; Josué 24.1-28).
De toutes ces constatations, il ressort que ce sont les auteurs du Deutéronome qui ont travaillé à la rédaction de Josué, lui ont donné son plan et lui ont imprimé leur tendance d’esprit, leur préoccupation de catéchiser le peuple par le moyen de son histoire.
Mais pour cette rédaction, ils ont utilisé des ouvrages déjà existants, les récits des sources « jéhoviste » et « élohiste », qui sont déjà à la base des livres du Pentateuque. À ces deux sources historiques sont empruntés les faits essentiels de Josué : envoi des espions à Jérico, passage du Jourdain avec érection de pierres commémoratives et circoncision à Guilgal, prise de Jérico et rencontre de Josué avec le chef des armées célestes, sacrilège d’Acan, prise d’Aï, stratagème des Gabaonites, bataille de Gabaon, de Mérom. Elles présentent la conquête comme une œuvre de longue haleine, avec alternatives de combats et de pénétration pacifique, et soulignent constamment son caractère inachevé. Josué est pour elles un chef complet, homme de guerre et prêtre. Mais ces deux sources jumelles ne racontent pas exactement de la même façon les événements : aussi, pour donner un récit complet, on les a tantôt juxtaposées, tantôt fusionnées plus ou moins adroitement. De là proviennent en général les répétitions, contradictions et anomalies que l’on rencontre dans ces récits. On a, par exemple, deux versions de l’aventure des espions, du passage du Jourdain, de l’érection des pierres commémoratives de ce passage (d’après l’une, elles sont dressées sur la rive droite, d’après l’autre au milieu du fleuve), de la prise de Jérico (dans l’une, le signal de l’attaque est donné par un ordre de Josué, dans l’autre par une sonnerie de cor, etc.), du sacrilège d’Acan, de la prise d’Aï, de l’alliance avec les Gabaonites. Bien des essais ont été faits pour reconstituer chacune de ces versions, mais aucun n’a encore emporté l’assentiment général, tellement la tâche est rendue difficile par les additions et corrections postérieures. Et l’on manque de critères suffisamment sûrs pour attribuer tel ou tel détail, même telle ou telle version reconstituée, à la source jéhoviste ou à la source élohiste. Il suffit de comparer deux récentes tentatives, celle de la Bible du Centenaire (1923) et celle de H. Gressmann dans die Schriften des Alten Testaments (Goettingen 1922), pour se rendre compte du caractère encore conjectural d’une pareille discrimination. Même pour les récits n’appartenant qu’à une seule source, il n’y a pas accord sur la désignation de cette source.
Un autre écrivain encore, celui qu’on appelle sacerdotal, P (prêtre), a apporté sa collaboration à la rédaction de Josué. Par son style caractéristique, sa préoccupation d’exalter avant tout la dignité et les fonctions sacerdotales, d’établir selon des généalogies et une chronologie rigoureuses les origines divines du peuple élu, dans une prédestination absolue, tout ce qui est sorti de sa plume se distingue aisément. C’est à lui qu’il faut attribuer le récit de la première Pâque (Josué 5.10 ; Josué 5.12) ; mais son intervention est surtout sensible lors du partage de Canaan entre les tribus (13-21). Tandis que l’écrivain deutéronomique, s’inspirant des anciens documents jéhoviste et élohiste, attribue à Josué seul (Josué 13.1 ; Josué 14.6 ; Josué 18.3) la répartition du territoire à conquérir, pour le rédacteur P cette répartition eut lieu après la conquête complète, au cours d’une assemblée solennelle tenue à Silo, lieu de résidence de l’arche, sous la direction du prêtre Éléazar, successeur légitime d’Aaron, de Josué et des chefs de famille des tribus (Josué 18.1 ; Josué 14.1 ; Josué 19.51 ; Josué 21.1 et suivant). C’est pour lui une véritable opération cadastrale pour laquelle seul un prêtre est qualifié. La description méthodique de chaque territoire est ensuite donnée, avec une sécheresse tout administrative. Malheureusement, ce précieux relevé topographique a été très mutilé : il n’est complet que pour les tribus de Juda (Josué 15.1-12 ; Josué 15.20-62) et de Benjamin (Josué 18.11-27).
Ce livre est donc un ouvrage très composite. Il a eu pour point de départ deux documents J et E rapportant les anciennes traditions sur la période de la conquête et la personnalité de Josué. Un écrivain, désireux de continuer l’effort d’éducation religieuse entrepris par la rédaction du Deutéronome, a utilisé ces documents pour écrire l’histoire de l’entrée dans le pays promis aux ancêtres d’Israël : ce fut la première édition du livre de Josué, peut-être faisant corps avec le Deutéronome. Plus tard, lorsque fut rédigée l’histoire sacerdotale d’Israël, les renseignements qu’elle renfermait sur la période de la conquête de Canaan furent adjoints en partie au livre de Josué et plus ou moins amalgamés avec la première rédaction. Ce fut la seconde édition qui, avant d’atteindre la forme sous laquelle elle nous est parvenue, subit encore bien des retouches.
De ces retouches, les LXX nous apportent un témoignage tardif par les variantes et additions de la traduction. Voici les additions les plus longues et les plus curieuses. Après Josué 24.30 : « Ils mirent avec lui (Josué), dans le sépulcre où ils l’ensevelirent, les couteaux de pierre avec lesquels il avait circoncis les enfants d’Israël à Guilgal, quand il les eut fait sortir du pays d’Égypte, comme Jéhovah le leur avait prescrit ; et ils y sont encore aujourd’hui ». Après Josué 24.33 : « Ce jour-là les enfants d’Israël prirent l’arche de Dieu ; et ils la faisaient circuler parmi eux. Et Phinées devint prêtre à la place d’Éléazar son père jusqu’à sa mort, et il fut enseveli aussi à Guibéa. Les enfants d’Israël s’en retournèrent dans leurs territoires et leurs villes. Les enfants d’Israël adorèrent les Astartés et les dieux des nations qui les environnaient : et Jéhovah les livra entre les mains d’Églon, roi de Moab, qui régna sur eux pendant dix-huit ans ». D’autre part, les fragments Josué 5.4-7 ; Josué 6.3 ; Josué 6.6 ; Josué 20.4-6 manquent dans les LXX Ailleurs, Josué 15.59, cette version possède onze noms de villes qui manquent dans le texte hébreu.
La conquête rapide et complète du pays de Canaan par une armée unie sous un chef habile et heureux n’a rien d’impossible en elle-même : il suffit de songer aux conquêtes d’un Alexandre et à l’épopée islamique. Mais ce sont les sources les plus anciennes du livre qui présentent les événements sous un autre jour. L’historicité du livre de Josué est donc en corrélation directe avec la valeur historique des récits jéhoviste et élohiste. Ce qui a été conservé dans Josué, de ces deux documents, raconte les principaux faits qui se sont succédé depuis le passage du Jourdain, pour aboutir :
Si l’on fait abstraction du caractère merveilleux dont sont imprégnés ces récits, caractère propre à tous les récits populaires transmis oralement pendant des siècles, il n’existe aucune raison valable de douter de la réalité des faits qui sont à leur base et concordent avec ceux racontés dans le livre des Juges. Toutefois, il faut reconnaître que nous ne sommes pas en présence d’une véritable histoire de la conquête ; nous n’en connaissons qu’un certain nombre d’événements remarquables. Cela est-il dû au silence des sources ou à leur mutilation ? Peut-être aux deux. Comment se fit la conquête du centre du pays, celle où se trouve plus tard si fortement établie la tribu d’Éphraïm ? Comment Josué parvint-il dans la région de Sichem et de quelle nature furent les rapports avec les habitants de cette ville, qui ne furent point massacrés comme ceux de Jérico et d’Aï ? Comment chaque tribu prit-elle possession de son territoire ? On ne nous le dit pas. À côté de la version fantaisiste de P, nous possédons des vestiges d’une tradition ignorant tout partage post eventum. Les tribus auraient tiré au sort, non le pays conquis, mais leur tour de partir en guerre (Josué 14.6-12 ; Josué 17.14-18 ; Josué 18.2), ce qui est conforme à la version du livre des Juges (Juges 1). Les Calébites et la tribu de Juda, servis les premiers dans le partage, ont dû aussi pénétrer les premiers en Canaan. Ils durent être suivis par la tribu de Joseph (Josué 16.1), seconde au partage (qui se scinda plus tard en Manassé et Ephraïm), entraînant avec elle toutes les tribus secondaires qui se développèrent en luttant pour se conquérir un domaine. C’est cette seconde vague qu’aurait conduite Josué. La concordance remarquable de ces données avec celles du livre des Juges est tout en faveur de leur historicité. Mais elles sont insuffisantes pour reconstituer cette période si importante de l’histoire d’Israël.
Combien de temps dura-t-elle ? Encore sur ce point Josué ne nous renseigne pas. La seule donnée que l’on trouve à ce sujet est la déclaration de Caleb (Josué 14.7 ; Josué 14.10), qu’il est âgé de 85 ans et que c’est quarante-cinq ans auparavant que Moïse lui fit la promesse de lui accorder un territoire. Comme il avait 40 ans à ce moment-là et que le séjour au désert fut de quarante ans, la conquête aurait duré cinq ans. Mais Hébron, que Caleb sollicite, n’est pas encore prise (Josué 14.12) et, d’autre part, Josué mourut à 110 ans, soit plus de trente ans après avoir franchi le Jourdain. La valeur historique de Josué s’affirme grande encore par des détails épars ici et là sur la VIe sociale et les pratiques religieuses de ces temps reculés. Il est regrettable que deux faits religieux que rapportaient les sources utilisées aient été défigurés par les écrivains postérieurs :
Le livre ayant été sous sa première forme rédigé par un écrivain deutéronomique, doit dater de l’époque où parut le Deutéronome, tout au moins sa partie historique, à laquelle il est étroitement rattaché, soit donc le début du VIe siècle. Sous sa seconde forme, adjonctions des parties sacerdotales, il doit dater de l’époque où fut clos le recueil de la Thora (fin du Ve siècle), car il est vraisemblable que le rédacteur d’alors recueillit et utilisa ce qui n’avait pu entrer dans ce recueil.
La valeur religieuse du livre de Josué est plus grande que sa valeur historique. C’est l’écrivain deutéronomique qui la lui donne en nous faisant entendre un écho de la prédication prophétique, appel à se consacrer à Dieu sans réserve. L’histoire d’Israël est pour lui un enseignement religieux, car derrière les hommes qui s’agitent sur la scène du monde, il aperçoit Dieu qui les conduit ; derrière l’écran d’événements extérieurs causés, semble-t-il, uniquement par les misérables passions humaines, ou par le jeu des forces naturelles, il voit l’action souveraine d’un Dieu qui besogne pour se créer un peuple saint et établir par lui la justice sur la terre. L’homme qui marche avec Dieu, lui obéit aveuglément, est un conquérant invincible, mais qu’il prenne garde de purifier son cœur.
Qu’on ne se scandalise pas de voir cet auteur approuver les massacres des Cananéens, les présenter même comme ordonnés par Dieu, alors qu’ils étaient un abominable trait des mœurs orientales (conservé jusqu’à nos jours par les Turcs) ; ce n’est pas en effet la soif du sang qui l’inspire, ni une haine féroce contre des ennemis depuis longtemps disparus lorsqu’il écrit ; ce qui l’inspire c’est une horreur farouche du mal (voir Interdit, Guerre), de ce mal, source de tous les autres, l’idolâtrie, c’est-à -dire l’adoration de la créature mise à la place du Créateur, Maître souverain de l’univers et de l’homme. L’idolâtrie, c’est l’offense suprême faite à Dieu, c’est une blessure mortelle faite à l’être humain, ainsi que l’exprime si bien le mot célèbre de Carlyle : « Qui touche Dieu touche l’homme. »
« Quoi qu’il arrive, moi et ma maison, nous servirons l’Éternel ! » s’écrie Josué. Cet appel religieux, c’est tout le livre. Il suffit à lui assurer des lecteurs reconnaissants.
Numérisation : Yves Petrakian