L’Église chrétienne a désigné par cette expression le crime attribué dans Matthieu 2.16 ; Matthieu 2.18 au roi Hérode le Grand : furieux de ne pas voir revenir les mages, dont il attendait les informations sur l’enfant royal de Bethléhem qu’il voulait faire mourir pour supprimer tout prétendant à sa couronne, il donna l’ordre de tuer tous les petits enfants de moins de deux ans, dans ce village et ses environs. Cet épisode, dont bien des peintres se sont inspirés, est particulier à l’Évangile de l’enfance dans Matthieu (voir Évangiles synoptiques, tome I, paragraphe IV, 2, 2., A), qui l’enclave étroitement entre le départ pour l’Égypte et le retour de la sainte famille. On a montré ailleurs (voir Fuite en Égypte) combien sont peu concluantes les objections faites à l’historicité de l’ensemble du récit de Matthieu 2. Voici celles qui ont été opposées à la réalité historique du massacre lui-même :
Son rattachement à la prophétie de Jérémie (Jérémie 31.15). Sans doute, dans cette lamentation où le prophète du VIIe siècle avait décrit les malheurs de la guerre et des déportations d’Israélites ses contemporains, l’évangéliste voit une prédiction réalisée au Ie siècle par le malheur des mères bethléhémitaines privées de leurs petits enfants ; mais on n’est point autorisé à en déduire que l’histoire de ce dernier malheur ait été inventée expressément pour assurer un accomplissement à cette prédiction. Il se trouve même que sur les trois citations de l’Ancien Testament amenées ici en conclusion des trois tableaux, c’est la seule qui évite par la tournure de phrase d’assigner la réalisation des Écritures à la volonté de Dieu ; tandis que les deux autres (Jérémie 31.15 ; Jérémie 31.23) disent littéralement : « afin que s’accomplît… » (grec na ou opôs), on lit au verset 17 : « alors s’accomplit… » (grec toté)
Une certaine analogie dans le tait que l’enfant Jésus échappe aux mesures criminelles d’Hérode tout comme l’enfant Moïse avait échappé à celles du Pharaon contre les garçons hébreux (Exode 1.15-2.10). Mais les différences des situations l’emportent tellement sur les ressemblances qu’on ne voit pas comment le récit de Matthieu aurait pu être imaginé par imitation de celui de l’Exode.
Le silence des historiens du temps sur cet événement si pathétique, en particulier Flavius Josèphe. Mais le nombre des victimes, pour la population de la Bethléhem d’alors, ne dut guère dépasser une ou deux douzaines, ce qui, sans rien enlever à l’horreur du multiple assassinat, peut expliquer qu’auprès des innombrables et infernales cruautés du despote le massacre des tout-petits ait été beaucoup moins sensationnel pour cette rude époque que pour la nôtre, et soit ainsi passé inaperçu dans l’histoire générale.
Quant à Josèphe, son parti pris habituel en faveur des Romains et son souci d’estomper l’attente messianique juive ont pu le décider à passer sous silence le forfait du roi, représentant officiel de Rome. Par contre, tout ce que l’on sait du caractère et des actes du méfiant, ambitieux, brutal et sanguinaire Hérode le Grand (voir Palestine au siècle de Jésus-Christ, paragraphe 2) ne cadre que trop exactement avec le récit biblique, qui peut fort bien se placer dans les dernières années de sa vie, entre 6 et 4 avant Jésus-Christ (voir Chronologie du Nouveau Testament, I, 1). Au début du Ve siècle le philosophe Macrobe devait écrire dans un de ses dialogues (Saturn., II, 4) : « Auguste ayant appris que de petits enfants de moins de deux ans avaient été tués en Syrie sur l’ordre d’Hérode, roi des Juifs, et que son propre fils avait été parmi les victimes, observa qu’il valait mieux être le pourceau (grec hus) d’Hérode que son fils (grec huïos). » L’intérêt de l’anecdote portait sur le jeu de mots, et c’est par erreur qu’elle englobe le fils d’Hérode dans le massacre ; mais, rapprochée du témoignage de l’Évangile de l’enfance, elle n’en semble pas moins lui fournir une sorte de confirmation sans doute bien involontaire.
Jean Laroche
Numérisation : Yves Petrakian