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Matthieu
Dictionnaire Biblique Westphal Bost Calmet

1.

En grec, Matthaïos ; nom sémitique dont l’étymologie n’est pas absolument sûre. On le rattache ordinairement à l’hébreu Matthi, abréviation de Matthiâh ou Matthias, de Mattithia, Matthinia, etc. (des racines matthân Yâh = don de JHVH) ; c’est ainsi qu’un Mattathias des LXX devient Matthias dans le latin de la Vulgate et Matthieu dans la traduction française Apocryphes ; voir (2 Macchabées 14.19). Mattathias, 6. D’autres auteurs, pourtant, font de Matthieu une abréviation du nom hébreu Amittaï, ou bien le font dériver de l’araméen math, signifiant : homme, ce qui lui donne le sens de : viril (le nom grec d’André a le même sens).

2.

Matthieu est cité dans 5 passages du Nouveau Testament dont 4 parallèles : les 3 Évangile synoptique comme le livre des Actes le placent dans la liste des Douze (Marc 3.18 ; Matthieu 10.3; Luc 6.15 ; Actes 1.13) ; mais auparavant, l’Évangile qui porte son nom l’a présenté comme un receveur du péage que Jésus appelle à le suivre (Matthieu 9.9), et que Marc et Luc en cette circonstance ont désigné du nom de Lévi (Marc 2.14; Luc 5.29). L’identification, généralement admise, de ce péager Lévi, « fils d’Alphée » (précise Marc ; et quelques manuscrits occidentaux ont « Jacques fils d’Alphée », sans doute par erreur), avec Matthieu employé du péage, ressort du parallélisme des 3 synoptiques dans ce récit de sa vocation. On connaît d’autres personnages porteurs d’un nom et d’un surnom : Simon Pierre, Jean Marc (voir Marc), Saul Paul, etc. ; et Flavius Josèphe donne un exemple de double nom sémitique, comme serait celui de Lévi Matthieu : le grand-prêtre Joseph Caïphe. On peut fort bien concevoir que le second nom, Matthieu, comme l’attestent les 4 listes des Douze, soit devenu celui de l’apôtre, peut-être à cause de sa signification (don de JHVH), sans que Marc ni Luc aient jugé nécessaire d’indiquer l’équivalence des deux noms, pas plus que Matthieu de rappeler celui de Lévi. S’il fallait distinguer Matthieu de Lévi, celui-ci n’aurait pas été l’un des Douze, et il faudrait attribuer leur identification erronée dans Matthieu à l’évangéliste qui, convaincu qu’un disciple de Jésus aussi empresse devait être devenu apôtre, aurait donné au « péager » un nom pris dans la liste des Douze (Goguel) : une telle liberté d’invention chez un chrétien qui nous a conservé l’enseignement du Maître, le discours sur la montagne (« Que votre oui soit oui »), ne paraît-elle pas infiniment moins vraisemblable que le changement de nom correspondant au changement de vie, des fonctions si contestables du publicain à la mission sainte pour le Roi-Messie ?

3.

L’appel du Seigneur vint en effet chercher Lévi-Matthieu au bureau du péage (Marc 2.14 parallèles). Le service des impôts douaniers à Capernaüm (voir ce mot) était fort important : la ville se trouvait au bord du lac de Galilée, sur la « voie de la mer », route séculaire des caravanes de Damas en Égypte, avec embranchement vers Tyr et Sidon (voir pl. V, 2e carte) ; de plus elle marquait la frontière entre les deux gouvernements, ou tétrarchies, de Philippe et d’Hérode Antipas (voir pl. VIII, petite carte des divisions politiques). Le contrôle et la taxation des marchandises au péage de Capernaüm devaient se faire à cette époque pour le compte d’Antipas et non pas de l’empire romain directement ; les fonctionnaires juifs qui l’assuraient n’en étaient pas moins condamnés et méprisés par les Pharisiens et les stricts pratiquants de la Loi : ils étaient obligés, pour raisons de service, de l’enfreindre souvent, par des contacts cérémoniellement impurs, par de constantes violations du sabbat ; leur patriotisme était fortement suspecté, et leur honnêteté se trouvait couramment à la merci de grandes tentations de fraude et d’exactions. Pour toutes ces raisons, les Juifs rigoristes considéraient comme synonymes les termes de péager et de pécheur (Marc 2.16 parallèle) ; voir Péager.

Lorsque Jésus appelle à son service le péager Matthieu, il y a déjà quelque temps qu’il a commencé son ministère à Capernaüm : il en est reparti, est revenu s’y établir comme au centre de son activité galiléenne (Marc 12.1 ; Marc 12.29 ; Marc 12.39 ; Marc 2.1), si bien que Matthieu appelle alors cette ville « sa ville » (Matthieu 9.1) ; c’est dans cette région qu’à cette époque « tous le cherchent » (Marc 13.7). Tout porte donc à croire que l’employé des impôts, placé par sa tâche professionnelle à quelque endroit de la ville des plus fréquentés par les voyageurs, a de bonne heure eu connaissance de la présence et de l’œuvre du Maître galiléen, et, réciproquement, que Jésus l’a remarqué et pénétré jusqu’à l’âme avant de lui adresser un appel par lequel il ne craignait pas de se compromettre aux yeux des Juifs orthodoxes. Cet appel est d’une brièveté saisissante, ainsi que la réponse immédiate, l’un et l’autre presque identiques dans les 3 Évangiles : « Il lui dit : Suis-moi. Et lui, quittant tout (Luc), se leva et le suivit. »

4.

Aussitôt après, les 3 synoptiques racontent un repas auquel participent Jésus, Lévi et des péagers ; mais il n’est pas dit qu’il a eu lieu immédiatement : la formule de Matthieu « et il arriva…  » paraît même supposer un certain laps de temps. Le texte grec de Matthieu 9.10 est ambigu au sujet de l’hôte qui reçoit, et la suite des pronoms personnels : « … le suivit… [il] était à table dans la maison de lui…  » suggérerait plutôt : la maison de Jésus (cf. sa ville, Matthieu 9.1) ; en ce cas, sa déclaration imagée, au verset 13, pourrait prendre dans le grec une nuance de plus : « Je ne suis pas venu appeler, ou inviter (grec kalésaï) les justes, etc. ». Malgré l’attrait de cette hypothèse, il faut convenir que Luc (qui conserve la déclaration de Jésus mais en précisant : « … appeler à la repentance…  ») place très nettement le repas chez Lévi : celui-ci l’offre à Jésus dans sa propre maison ; il est donc plus normal d’admettre une imprécision dans les termes de Matthieu qu’une indécision des évangélistes quant au fait lui-même, qui devait avoir à leurs yeux une valeur significative. Il semble bien en effet ressortir du récit à triples parallèles, bien que ce ne soit pas explicitement indiqué, que l’ex-péager offre un repas d’adieu à ses anciens collègues en même temps que d’accueil à son nouveau maître et à ses nouveaux compagnons de vie. Un aussi grand nombre de convives ne pouvait passer inaperçu, et l’usage qui autorisait le public à entrer et à s’approcher des tables explique ici la présence des critiques malveillants : au cours du repas, pour la première fois dans le ministère du Christ, se dresse contre lui l’hostilité pharisienne qui, après avoir en cette circonstance condamné ses fréquentations, va systématiquement poursuivre et dénoncer les diverses manifestations de son indépendance à l’égard de leurs réglementations inhumaines (Marc 2.16 ; Marc 2.24 ; Marc 3.2 ; Marc 3.6 parallèles). La réponse de Jésus, sous sa tournure proverbiale : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais ceux qui se portent mal ; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs », n’est pas seulement ironique, en ce sens que les pharisiens à qui elle s’adresse ne sont point « bien portants » ni « justes », mais se croient tels ; elle est aussi la révélation de l’œuvre du Messie, offerte à tous les pécheurs, sans considération de situations sociales, à la seule condition pour eux de se reconnaître malades et d’avoir recours au Médecin envoyé de Dieu. Proclamation caractéristique, au moment même où Jésus, en introduisant un péager parmi ses disciples immédiats, est décidément classé comme suspect dans l’esprit des chefs formalistes, orgueilleux et méprisants.

5.

C’est sans doute peu de temps après que Jésus s’associe le groupe des douze disciples qui deviendront les apôtres (voir ce mot) et dont les 3 Évangiles synoptiques donnent en effet la liste un peu plus loin (Marc 3.18 parallèles). C’est toujours dans le deuxième groupe de quatre, dont le chef de file est Philippe, que Matthieu se trouve placé ; mais étant soit le 7e (Marc et Luc) soit le 8e (Matthieu et Actes), il appartient dans ce groupe de quatre à la deuxième paire, qui le réunit à Thomas, sauf dans la liste des Actes qui le réunit à Barthélémy au lieu de Thomas. Il est à noter que ces deux noms, Thomas et Barthélémy (voir ces mots), sont à proprement parler des surnoms, comme nous l’avons aussi supposé pour Matthieu (paragraphe 2). Dans les deux listes où celui-ci est le 8e, il est suivi de Jacques fils d’Alphée, qui pour certains critiques aurait été frère de Matthieu = Lévi fils d’Alphée (Marc 2.14) ; hypothèse improbable (voir Alphée, 2). Enfin Matthieu est certainement parmi les Douze le seul qui ait été fonctionnaire du gouvernement.

6.

Ici cessent les données du Nouveau Testament, fort réduites on le voit, sur la personne de Matthieu. La tradition de l’Église retenue au IIe siècle par l’évêque Papias lui attribue la rédaction d’un Évangile ; pour l’interprétation de ce témoignage, voir l’article suivant et Évangiles synoptiques (IV, 1, 2°, et conclusion).

La diversité des traditions ultérieures sur la fin de sa carrière confirme la supposition qu’aux temps apostoliques Matthieu resta plus ou moins dans l’ombre ; l’incertitude des générations chrétiennes à son sujet favorisa l’éclosion de légendes dont un certain nombre le confondent avec Matthias (voir ce mot). Clément d’Alexandrie en fait un Essénien (voir ce mot), ascète et végétarien ; les champs de mission qu’on lui a tour à tour attribués sont, en dehors de la Judée et de la Palestine : l’Éthiopie, où il aurait été martyrisé, l’Inde, la Perse, la Phénicie, la Macédoine, l’Espagne, les pays des Troglodytes, des Devins, des Cannibales, etc. ; le mode de son martyre aurait été : le bûcher, la lapidation ou la décapitation, mais d’après d’autres sa mort aurait été naturelle ; on l’aurait enterré à Antioche de Pisidie, à Hiérapolis de Syrie, chez les Parthes, etc. Rien de tout cela ne peut sans doute être tenu pour historique.

Jean Laroche


Numérisation : Yves Petrakian