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Mitsraïm
Dictionnaire Biblique Westphal

Ce nom, que l’Égypte porte dans l’Ancien Testament (Genèse 10.6 ; Genèse 10.13 etc.) et dans d’autres documents sémitiques, ne se trouve employé dans aucun document égyptien. Son étymologie demeure encore incertaine. La forme du duel, aïm, a été expliquée de diverses manières. On y a vu longtemps la désignation du pays envisagé dans ses deux parties, la Haute et la Basse-Égypte (de même qu’on dit les Deux-Siciles pour la Sicile et Naples). Mais dans Ésaïe 11.11 ; Jérémie 44.15, cette appellation désigne spécialement la Basse-Égypte, qu’elle y distingue nettement de Pathros, nom de la Haute-Égypte. D’autres expliquaient Mitsraïm en lui donnant le sens des « eaux enfermées » (dans des bassins, canaux, murailles), ou celui de « forteresse, rempart », en y voyant une allusion à la ligne de fortifications qui bordait le pays du Delta à sa frontière nord-est et qui le protégeait contre les invasions venant du désert. Quelques-uns voient dans ce nom la forme locative de Mitsram ; la forme parallèle Mâtsôr est aussi employée dans 2 Rois 19.24 ; Ésaïe 19.6 ; Ésaïe 37.25, pour désigner la Basse-Égypte. Enfin, on a proposé, en partant des formes assyriennes et babyloniennes Mutsur, Mutsri, Mitsr, de voir dans Mitsraïm un appellatif assyrien ayant le sens de « pays-frontière » (voir Égypte).

Depuis les travaux de Hugo Winckler voir Die Keilinschriften und das Ancien Testament de Schrader (3e édition refondue en 1903 par Zimmern et Winckler, pages 145-148, 178, 213), un certain nombre de savants admettent que le nom de Mitsraïm, à l’origine, ne désignait pas seulement le pays du Nil, mais que, d’après des données assyriennes et babyloniennes très positives, il avait d’abord désigné, sous les diverses formes Mutsri, Mutsur, Mitsr, une région du nord de la Péninsule arabique limitrophe du territoire d’Édom, par conséquent voisine de celle que les ancêtres d’Israël avaient habitée au sud de Canaan. Ainsi, lorsque les traditions nationales d’Israël parlaient de Mitsraïm, elles devaient indiquer par là ce pays arabe de Mutsri dont le nom aurait fini par s’étendre à la vaste contrée située plus à l’ouest et traversée par le Nil, c’est-à-dire à l’Égypte. Il se serait alors produit pour le nom une extension graduelle, que Lods explique ainsi : « Il serait très naturel que les habitants de Canaan, ayant appliqué d’abord ce nom (Mitsraïm), aux déserts du sud, l’aient donné aussi à ce qui, pour eux, en constituait l’arrière-pays, à l’Égypte propre, par un phénomène d’extension qu’on observe couramment dans l’histoire des termes géographiques (Palestine, Grèce, Asie, Afrique, Allemagne, etc.) » (Adolphe Lods, Israël, 1930, pages 191-192).

Nous ne faisons que mentionner ici un autre Mutsri dont parlent les inscriptions assyriennes et qui désignait un État de la Syrie du nord omprenant une partie de la Cappadoce et de la Cilicie ; cet État, en effet, ne pourrait entrer en ligne de compte qu’à propos de 1 Rois 10.28 et suivants et 2 Chroniques 1.16 et suivants (voir Cheyne, EB, 3162-3163), mais nullement à propos du pays de Mitsraïm où, d’après Genèse et Exode, les tribus firent un séjour prolongé.

Avant Winckler, Schrader avait déjà, en 1874, relevé le fait que, dans les inscriptions cunéiformes, le nom de Mutsri ne désignait pas toujours l’Égypte. Et, en 1834, un Anglais, le Dr C.T. Beke, dans ses Origines biblicoe, avait soutenu que le Mitsraïm de la tradition biblique relative à l’Exode ne désignait pas l’Égypte, mais quelque district situé au nord de la Péninsule sinaïtique ; il affirmait, en outre, que le bras de mer traversé par les Israélites, lors de la sortie d’Égypte, n’était pas la mer Rouge, mais le golfe d’Akaba, et que le Sinaï-Horeb devait être cherché à l’extrémité septentrionale de ce golfe.

Il est assez probable que, dans certains textes qui mettent le peuple d’Israël ou des personnages isolés en relation avec un pays de Mitsraïm, ce soit réellement la région du nord de l’Arabie (Mutsri) voisine de la Palestine méridionale, qui soit visée par ce nom. Ainsi, lorsque Genèse 16.3 fait d’Agar une femme mitsrite et que Genèse 21.21 montre que son fils Ismaël épousa une Mitsrite, il serait très naturel d’admettre que, Agar et son fils ayant vécu dans le sud de Canaan, Ismaël fût allé chercher une femme dans la région voisine, celle de Mutsri ; cependant, le fait des relations nombreuses qui existaient alors entre le Pays du Nil et Canaan ne rend pas cette supposition indispensable. Dans Genèse 20, l’histoire que Genèse 12 (J) indique comme s’étant passée en Mitsraïm, nous est donnée par le document E comme ayant eu pour théâtre Guérar, tout au sud de Canaan ; il est aussi possible, étant donnée la proximité de Guérar et du Mutsri arabe, que le texte du chapitre 12 concernât, non pas l’Égypte, mais cette même région de Mutsri. L’expression de « torrent de Mitsraïm », si souvent employée pour indiquer l’extrême frontière méridionale de Canaan (Nombres 34.5 ; Josué 15.4-47 ; 1 Rois 8.65), désigne le ouâdi el-Arich à 80 km au sud-ouest : de Gaza ; ici encore le mot de Mitsraïm désignera le Mutsri arabe plus probablement que l’Égypte, car le Delta du Nil est à 120 km de ce
ouâdi. Enfin, lorsque Hadad d’Édom (1 Rois 11.14) et Jéroboam serviteur de Salomon (1 Rois 11.14) vont chercher un refuge en
Mitsraïm, c’est aussi du Mutsri arabe qu’il pourrait être question.

Mais, pour ce qui concerne la grande tradition nationale, courante dans toute la littérature d’Israël, qui a conservé le souvenir d’un séjour plus ou moins prolongé des tribus hébraïques en Égypte, de leur asservissement à un pharaon bâtisseur de villes et de monuments, de leur libération par l’intervention d’un grand héros national, de leurs longues pérégrinations à travers les déserts voisins, on peut se demander si le Mitsraïm de la tradition hébraïque unanime a pu et concerner le pays de Mutsri de la région arabique, plutôt que le Mitsraïm du Nil. Et, contre cette identification avec Mutsri, on fait valoir de sérieuses considérations d’ordres divers :

  1. Le personnage principal autour duquel la tradition nationale a groupé tous les souvenirs relatifs à la libération des clans hébreux asservis en Égypte, Moïse (voir ce mot), porte un nom qui, à lui seul déjà, constitue un indice favorable à la réalité du séjour en Égypte : on y retrouve, en effet, une formation nettement égyptienne qui rappelle celle d’autres noms tel que Thoutmès, Ahmès, Ramessu, etc. Et l’on peut en dire autant d’autres appellations mentionnées par nos textes (Potiphar et Potiphéra, Tsaphnath-Paenéah, Pinhas, Hophni, Hour, Pithôm, On, etc.).
  2. Cette tradition a conservé le souvenir de l’émigration d’un certain nombre de tribus qui, sous la pression de la famine, quittent le sud de Canaan où elles séjournaient depuis un temps plus ou moins long, pour chercher asile dans un pays connu pour sa fertilité et qui devait devenir pour elles, après un établissement prolongé, une terre de véritable esclavage. Et cet établissement est décrit avec des détails assez caractéristiques pour qu’un grand égyptologue contemporain ait pu dire : « Si nous étudions ces détails, nous devrons reconnaître que la tradition porte la couleur du pays dans lequel les événements se sont passés… Le caractère égyptien de l’histoire de Joseph est clair du commencement jusqu’à la fin » (Ed. Naville, Archoeol. of the Old Testament, Londres 1913, pages 76ss). En effet, la situation géographique et politique du pays dans lequel les clans hébreux furent autorisés à s’établir (une région qui n’aurait pas été une province organisée de l’empire égyptien, mais plutôt une contrée de pâturages où il aurait été permis à des immigrants de s’établir sans léser les intérêts de la population indigène) ; les usages du pays dont on voit nettement transparaître plusieurs dans les récits bibliques (ainsi, par exemple, le texte de Genèse 41.46 et la période trentenaire Sed pour l’évaluation des terrains et la fixation des impôts ; Genèse 50.26, la durée de la vie de Joseph équivalant à celle que les égyptiens indiquaient pour représenter la longévité la plus grande : cent dix ans ; le mode de fabrication des briques ; la construction des villes d’approvisionnement, etc. : voir Ed. Naville, ouvrage cité, pages 84ss ; les allusions mêmes à certains fléaux propres au pays, telles que les renferme le récit de ce qu’on a appelé « les plaies d’Égypte » [voir l’article]) ; tout cela rappelle les conditions d’existence qui furent propres au pays du Nil.
  3. Si la situation de ces clans, durant la période qui précéda leur libération du joug de Mitsraïm, avait été autre que celle dont parlent les derniers chapitres de Genèse et les premiers d’Exode à propos de l’Égypte, pouvons-nous supposer que ces clans, une fois devenus une vraie nation indépendante, fière de ses origines, établie sur un territoire conquis par la force des armes, auraient été imaginer l’histoire que nous a conservée la tradition nationale : l’asservissement durant plusieurs générations au plus puissant monarque étranger de l’époque et, pour finir, l’obligation de subir les vexations les plus humiliantes, jusqu’au moment où une intervention providentielle et inattendue serait venue les en délivrer ?

De tout ce qui précède, il ressort la conclusion, à notre avis très nette, que rien, dans les données de nos textes, ni dans celles que peuvent fournir l’archéologie et la géographie orientales, ne vient infirmer ou ébranler les bases sur lesquelles repose la tradition nationale unanime d’Israël : le Mitsraïm de l’Ancien Testament reste bien, pour elle, « la maison de servitude », cette Égypte dont le Dieu des pères les retira « à main forte, à bras étendu » et, selon la belle expression d’Osée, « avec des cordages d’amour ».

Ant.-J. B.


Numérisation : Yves Petrakian