Le mot grec parabole (de paraballeïn = mettre à côté, comparer) correspond à l’hébreu mâchai, dont la racine exprime, elle aussi, l’idée de similitude, mais qui ne peut nous être d’un grand secours pour définir la parabole, car il est employé dans des sens très divers pour désigner par exemple : des sentences (Job 27.1 ; Job 29.1 ; Proverbes 26.7 ; Proverbes 26.9), des proverbes (1 Samuel 10.12 ; 1 Samuel 24.13 ; 1 Rois 4.32 ; Proverbes 1.1 ; Proverbes 10.1 ; Ézéchiel 18.2), des oracles (Nombres 23.7 ; Nombres 24.3 Habakuk 2.6), des paroles mystérieuses ou obscures (Psaumes 49.5 ; Psaumes 78.2), des récits figuratifs appelés « paraboles » mais qui sont en réalité des allégories (Ézéchiel 17.1 ; Ézéchiel 17.21 ; Ézéchiel 24.3-14). Les compatriotes d’Ézéchiel disaient de lui : (Ézéchiel 21.5) « N’est-ce pas un faiseur de paraboles ? » (Segond), « Cet homme ne fait que parler en énigmes » (Version Synodale).
C’est par parabole que les LXX ont le plus souvent traduit mâchai, et c’est également ce mot que nous trouvons dans le Nouveau Testament où il a aussi des sens différents : proverbe (Luc 4.23 ; Luc 6.39), comparaison (Matthieu 24.32), image figurative (Hébreux 9.9 ; Hébreux 11.19). Dans Jean 16.25 ; Jean 16.29, Segond traduit par « parabole » et la Version Synodale par « similitude » le grec paroïmia, que Stapfer rend plus exactement par « terme figuré ». Mais, dans la grande majorité des cas, le mot parabole désigne bien la parabole proprement dite.
La parabole est une figure du langage symbolique. Comme l’indique l’étymologie, elle est une comparaison. Mais cette définition n’est pas suffisante, car, si la parabole est bien une similitude, ce qui la distingue de la simple comparaison et ce qui lui donne son caractère propre, c’est qu’elle se présente toujours sous la forme d’un court récit. La parabole ne doit être confondue ni avec la fable, ni avec l’allégorie (voir Symbolisme).
C’est bien d’elles qu’il s’agit dans cette étude, non pas seulement à cause de leur valeur propre, mais parce que, à part trois exceptions, ce sont les seules que nous trouvions dans la Bible. En effet, si les métaphores, les comparaisons, les allégories tiennent une très grande place dans la littérature de l’Ancien Testament, il ne s’y trouve que trois paraboles proprement dites : celle du prophète Nathan cherchant à éveiller le sentiment du péché dans le cœur de David coupable de meurtre et d’adultère (2 Samuel 12.1 ; 2 Samuel 12.14), celle de l’Ecclésiaste sur la petite ville assiégée (Ecclésiaste 9.13 ; Ecclésiaste 9.16) et celle du prophète Ésaïe sur la vigne de l’Éternel (Ésaïe 5.1 ; Ésaïe 5.7). Dans le Nouveau Testament, d’autre part, seuls les Évangiles renferment des paraboles, et encore faut-il ajouter qu’elles se trouvent toutes dans les Synoptiques, car le langage figuré de l’Évangile selon saint Jean est nettement allégorique.
Si Jésus a souvent employé la parabole, cela ne veut pas dire qu’il ait créé ce genre de récit, car nous savons que les rabbins en faisaient un fréquent usage. Seulement ceux-ci s’en servaient, non pour instruire le peuple, mais pour enseigner leur doctrine à leurs disciples. De là le caractère trop didactique et souvent même trop ésotérique des paraboles rabbiniques. Celles de Jésus, au contraire, destinées au peuple ou aux disciples, eux-mêmes gens du peuple, sont simples, vivantes, concrètes, d’un naturel et d’une fraîcheur incomparables. Leur valeur est unique, comme unique est la personne de Celui qui les a données.
Essayons de dresser une liste des paraboles qui nous ont été conservées. Il nous faut, tout d’abord, mettre à part les simples comparaisons qui ne se présentent pas sous la forme de récits et qui sont très nombreuses, car on sait à quel point le langage de Jésus est imagé. En voici quelques-unes :
Restent les paraboles proprement dites. Il est difficile d’en fixer le nombre exact, car la ligne de démarcation entre elles et les simples comparaisons est dans plusieurs cas trop peu précise pour rendre possible une discrimination rigoureuse. Pour tenter un essai de classification des paraboles, le mieux est de suivre l’ordre chronologique, qui permet de les ranger approximativement en trois groupes.
Le premier groupe comprend les paraboles prononcées dans la première période du ministère de Jésus et dont le thème fondamental est le Royaume de Dieu. Ce sont :
Dans le deuxième groupe, nous avons les paraboles données durant la seconde période du ministère dans des circonstances très diverses. Les unes sont, comme celles du premier groupe, des similitudes, tandis que d’autres sont plutôt des exemples illustrant, par un cas particulier, une vérité générale. La plupart ne se trouvent que dans l’Évangile selon saint Luc. En voici la liste :
Le troisième groupe comprend les paraboles de la fin du ministère. Elles reprennent le thème du Royaume de Dieu, mais en accentuant la note eschatologique. Ce sont :
Jésus parle en paraboles pour rendre accessibles des vérités spirituelles en prenant des comparaisons et des exemples dans le monde matériel et dans la vie ordinaire. Il admet ainsi une harmonie profonde entre le monde de l’Esprit et le monde de la nature, harmonie en vertu de laquelle ce qui est connu de celui-ci permet, par analogie, de comprendre ce qui est affirmé de celui-là. Il tire parti des faits les plus familiers et des choses les plus communes pour illustrer sa pensée et mettre son enseignement à la portée des plus humbles et des plus ignorants. En un mot, Jésus parle en paraboles pour mieux être compris de tous. Or telle ne paraît pas avoir été toujours l’idée que les disciples se sont faite des paraboles. Il semble que, dans certains cas, ils les aient considérées comme des énigmes dont le sens caché aux profanes devait être révélé aux initiés. C’est bien ce que laisse supposer le texte de Marc 4.10-12 : « À vous, il est donné de pénétrer le mystère du Royaume de Dieu, mais à ceux-là, ceux du dehors, tout arrive en paraboles, afin qu’en voyant ils voient mais n’aperçoivent pas, qu’en entendant ils entendent mais ne comprennent pas, de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné » (cf. Luc 8.10 et Ésaïe 6.9 et suivant). Cette explication, si elle était vraie, serait la négation même non seulement de tout l’enseignement, mais aussi de toute l’œuvre de Jésus « venu pour chercher et sauver ce qui était perdu ». L’Évangile selon saint Matthieu donne une tout autre raison en remplaçant ce afin que » (grec hina) par « parce que » (grec hoti). « C’est pour cela que je leur parle en paraboles, c’est parce que, tout en voyant, ils ne voient point ; tout en entendant, ils n’entendent ni ne comprennent » (Matthieu 13.10 ; Matthieu 13.15). Ici, la parabole, bien loin d’avoir pour but de produire une sorte d’obscurcissement des esprits, est rendue nécessaire à cause même de cet obscurcissement, comme un moyen de grâce accordé par Dieu aux hommes qui, aveuglés par le péché et par l’erreur, ne peuvent saisir la vérité que si elle s’abaisse au niveau de leur infirmité.
Ajoutons que si les paraboles ont pour but de rendre plus intelligibles les vérités religieuses enseignées, elles ne les présentent pas avec une évidence contraignante. Elles peuvent être d’une admirable limpidité pour laisser apparaître ces vérités à ceux qui veulent les trouver et les posséder ; mais, à cause même de la matérialité des images employées, elles peuvent aussi rester opaques et ne rien révéler à ceux qui, ne voulant pas comprendre, ne retiennent que l’histoire elle-même, comme si celle-ci n’avait aucune signification spirituelle. En d’autres termes, elles sont autant d’appels qui, s’adressant à tous, respectent la liberté de chacun. De là, le solennel avertissement de Jésus : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende » (Matthieu 13.9).
La différence de nature qui existe entre la parabole et l’allégorie entraîne une différence d’interprétation. En effet, dans l’allégorie, à cause de l’identification qui se produit entre le signe et la chose signifiée, chaque détail a par lui-même un sens caché qui doit être découvert. Dans la parabole, au contraire, la comparaison des réalités mises en présence et qui restent distinctes l’une de l’autre ne porte que sur un seul point. Le récit n’est donc donné d’un bout à l’autre que pour mettre en lumière une seule vérité ; et c’est cette vérité qu’il faut chercher à apercevoir. Les détails ne sont là que pour le développement de l’histoire et chacun d’eux n’a de sens qu’en fonction de l’ensemble du récit. C’est donc une erreur, trop souvent commise, que de traiter les paraboles comme si elles étaient des allégories, car on se perd ainsi dans des subtilités, au lieu de saisir tout simplement la vérité essentielle que chacune d’elles contient.
Alb. D.
Numérisation : Yves Petrakian