Le mot Pentateuque (dérivé du grec pente = cinq, et teukhos = rouleau de papyrus), qu’on lit déjà dans Origène, désigne les cinq premiers livres de l’Ancien Testament (Genèse, Exode, Nombres, Lévitique et Deutéronome) et représente probablement une adaptation de l’expression « les cinq cinquièmes de la loi » par laquelle les Juifs désignaient parfois ces livres. Dans l’Ancien Testament le Pentateuque est appelé ce la Loi de Moïse » (2 Chroniques 23.18 ; 2 Chroniques 30.1-6) ou « le Livre de Moïse » (2 Chroniques 35.12) ; plus tard on l’appela simplement « la Loi » (thora en hébreu, nomos en grec) : voir le prologue de l’Ecclésiastique, Philon, Josèphe, le Nouveau Testament. Le Pentateuque n’est, en réalité, que la première partie d’une grande histoire du peuple élu, depuis la création du monde jusqu’à la destruction de Jérusalem en 586 (Spinoza). La séparation établie entre le Pentateuque, d’une part, et les « prophètes antérieurs » (Josué, Juges, Samuel, Rois), de l’autre, fut faite vers 400 avant Jésus-Christ, quand « la Loi », qui comprenait la littérature de l’âge mosaïque et se terminait avec la mort du grand législateur, fut canonisée ; le reste de l’ouvrage (Josué, Juges, Samuel, Rois) ne fut canonisé que deux siècles plus tard avec les livres des prophètes. La division du Pentateuque en cinq livres (antérieurs aux LXX, vers 250, bien que Philon soit le premier témoin de cette subdivision), quoique assez logique, fut le résultat de circonstances pratiques : les rouleaux de papyrus dont on se servait ne pouvaient contenir plus d’un cinquième de la Loi ; ce ne fut que plus tard qu’en se servant de parchemin on put écrire te Pentateuque tout entier sur un seul rouleau.
Il peut se résumer en quelques mots comme suit :
D’après une tradition répandue dans le judaïsme aussi bien que dans le christianisme, serait Moïse. Cette théorie repose sur des bases bien précaires. En effet ce n’est qu’un millénaire après l’époque du législateur qu’on rencontre la première allusion à cette tradition (2 Chroniques 23.18 ; 2 Chroniques 30.16 ; 2 Chroniques 35.12). Dans le reste de l’Ancien Testament. Moïse est considéré comme l’auteur de courtes sections particulières (Exode 17.14 ; Exode 24.4 ; Exode 34.27 ; Nombres 33.2 ; Deutéronome 31.22), du code deutéronomique (Deutéronome 31.9-13 ; Deutéronome 31.24-26 Malachie 4.4 ; les allusions à la Loi de Moïse dans Josué et Rois), de la législation lévitique (Esdras 3.2 ; Esdras 6.18 ; Esdras 7.6 ; Néhémie 8.1). Dans le Nouveau Testament (Matthieu 19.8 ; Marc 12.26; Luc 24.27-44 ; Jean 5.46 et suivant), dans Philon et dans Josèphe, Moïse est considéré comme l’auteur du Pentateuque : ces deux derniers auteurs affirment même que Moïse écrivit l’histoire de sa propre mort et de sa sépulture dans Deutéronome 34.5 ; Deutéronome 34.12 (Phil., Vie de Moïse, III, 39 ; Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, IV, 8.48) ; dans le Talmud au contraire (Baba Bathra, 14b) ces 8 versets sont attribués à Josué. Sans nous arrêter à une autre tradition d’après laquelle Esdras serait l’auteur du Pentateuque (Pseudo-Esdras 14.21,48), nous devons constater qu’il y a, dans le Pentateuque, bon nombre d’expressions postérieures à la conquête du pays de Canaan, voire même à l’institution de la monarchie israélite. Isaac de Tolède (Mort en 1057) reconnut que Genèse 36.31 avait été écrit après Saül ; Ibn Ezra (Mort en 1167) admet que les expressions : « de l’autre côté du Jourdain » (Deutéronome 1.1) pour indiquer le côté où Moïse se trouvait, « Moïse écrivit » (Deutéronome 31.9), « les Cananéens étaient alors dans le pays » (Genèse 12.6), « à la montagne de l’Éternel » (Genèse 22.14), « voici son lit, un lit de fer… » (Deutéronome 3.11), sont incompréhensibles sous la plume de Moïse. « Personne, disait Carlstadt en 1520, sauf un homme tout à fait fou, ne pourrait attribuer à Moïse Deutéronome 34.5 ; Deutéronome 34.12 ». Le catholique Masius (1574) montre que la ville de Laïs reçut le nom de Dan (qu’on lit dans Genèse 14.14 ; Deutéronome 34.1) au temps des Juges (Juges 18.29) et que Kirjath-Arba n’était pas appelée Hébron (Genèse 13.18 ; Genèse 23.2 ; Genèse 23.19 etc.) à l’époque de Moïse (Josué 14.15). Hobbes, dans son Léviathan (1651), montre que les expressions qu’on lit dans Genèse 12.6 ; Nombres 21.14 ; Deutéronome 34.6 ne peuvent pas avoir été écrites par Moïse. Isaac de la Peyrère (1655) note la date postérieure à Moïse de Nombres 21.14 ; Deutéronome 1.1 ; Deutéronome 2.2 ; Deutéronome 2.7 ; Deutéronome 3.11 ; Deutéronome 3.14, et quelques anachronismes (Sara avait 90 ans quand Abimélec la fit enlever, Genèse 20.2). Spinoza (1671) discute les passages cités par Ibn Ezra et observe que le Pentateuque parle de Moïse à la troisième personne et chante son éloge (Nombres 12.3 ; Nombres 14.14 ; Deutéronome 33.1) ; il fait remarquer le mélange de législation et d’histoire, sans aucun ordre, les anachronismes, les répétitions de récits qui prouvent que le Pentateuque est une compilation. Ainsi Spinoza prépare le terrain aux travaux de la critique littéraire du Pentateuque ;
Episcopius (Mort en 1643), Richard Simon, de l’Oratoire (1685), et Jean Le Clerc (1685) précisent quelques détails, sans changer sensiblement les conclusions de Spinoza.
Les auteurs que nous venons de nommer avaient constaté que le Pentateuque dans son ensemble ne pouvait pas être l’œuvre de Moïse ; Spinoza pensait qu’Esdras était le compilateur de l’ouvrage tel que nous l’avons, tandis que Richard Simon préférait l’hypothèse d’une succession de scribes inspirés. Après ces observations de détail et ces intuitions vagues, vint, la critique littéraire et historique : à travers des tâtonnements et des hypothèses successives, on arriva à la détermination des sources du Pentateuque et du travail de compilation progressive.
On reconnaît généralement quatre phases successives de l’analyse critique du Pentateuque.
Le fondateur de la critique fut le médecin français Jean Astruc qui, en 1752 fit paraître anonymement à Bruxelles un ouvrage intitulé : Conjectures sur les mémoires originaux dont il paroit que Moyse s’est servi pour composer le Livre de la Genèse, etc. En s’appuyant sur l’emploi alterné de deux noms de Dieu dans la Genèse, Elohim (la divinité) et JVHH (Yahvé, Jéhovah), il reconnaît deux sources principales ; grâce à d’autres indices il crut reconnaître 10 autres sources secondaires. Eichorn (1780) précisa les caractères des deux sources principales ; Ilgen (1798) établit que la source élohiste n’est pas homogène, mais qu’elle consiste en deux documents différents : le premier Élohiste (qu’on appelle maintenant P) et le deuxième Elohiste (maintenant E).
Alexandre Geddes, théologien catholique anglais, en 1792 et 1800, divisa les deux grandes sources et le Pentateuque tout entier en un grand nombre de fragments indépendants provenant de deux cercles principaux, ce qui explique l’alternance des noms de la divinité. J.S. Vater Commentaire sur le Pentateuque (1802-1805), le considère comme une compilation de fragments d’âges différents, faite au cours de l’exil. W.M.L. de Wette (1806 et 1807) combine l’hypothèse des sources avec celle des compléments : Genèse et Exode sont un ancien récit épique ; Le est une collection de lois tardives, Nombres, un supplément postérieur, et Deutéronome le code trouvé dans le temple par Hilkija en 621 (cette théorie sur l’origine du Deutéronome est encore fondamentale dans la critique du Pentateuque).
En 1823, H. Ewald réagit contre les conjectures subjectives de Geddes et de Vater : il insiste sur l’unité essentielle de la Genèse (Vater l’avait déchirée en 39 fragments). Procédant sur cette voie (que de Wette avait déjà indiquée), P. von Bohlen (1835), J.J. Stahelin (1835), F. Bleek (1836), F. Tuch (1838), et d’autres encore, considèrent la source élohiste d’Astruc comme l’écrit primordial et fondamental qui fut augmenté par des suppléments jéhovistes composés ad hoc par le rédacteur.
Déjà C.P. Gramberg (1828), J.J. Stahelin (1830) et, en particulier, Ewald, dans son Histoire d’Israël (1843-1851), avaient combiné l’hypothèse d’Astruc avec celle des compléments : ils admettaient dans le Pentateuque trois sources principales, complétées par des rédacteurs subséquents. Mais le vrai fondateur de la théorie critique contemporaine (celle de Graf-Wellhausen) est H. Hupfeld (1853) : un rédacteur amalgama trois sources indépendantes (l’Écrit fondamental, l’Élohiste et le Yahviste) en « un tout bien articulé et organique, un corps vivant ». E. Böhmer (1860 ; 1862) accepte ces conclusions ; Knobel (1851-1862) les modifie (l’Écrit fondamental fut supplémenté par le Yahviste, qui combina deux sources séparées, et par le Deutéronomiste). Désormais le progrès dans les recherches critiques consistera à déterminer les relations, le contenu et la date des sources principales, à fixer les rédactions et à découvrir les documents incorporés dans les sources. Le résultat le plus important fut la découverte que l’Écrit fondamental (qu’on appelle P, ou code des prêtres) n’est pas la source la plus ancienne, mais au contraire la dernière en date : J.F.L. George, en 1835, avait déjà reconnu que la partie législative de P est postérieure au code deutéronomique (qu’il place, avec de Wette, aux environs de 621) ; Vatke et von Bohlen firent la même découverte ; E. Reuss (1834) la professa dans ses cours et son élève K.H. Graf (1866) fixa la date de la législation lévitique à l’époque d’Esdras. Quant aux portions narratives de P, que Graf regardait encore, au début, comme anciennes, J.W. Colenso, évêque de Natal, souleva des doutes sérieux sur leur crédibilité (1862-1879). Enfin le Hollandais A. Kuenen (1828-1891) soutint victorieusement la date postexilique de P dans son ensemble, et Th. Noldeke (1869), sans accepter cette date, détermina le contenu et les caractéristiques de l’Écrit fondamental. Dans la législation de P, Graf reconnut la présence d’un code spécial (qu’on appelle H ou loi de sainteté : Lévitique 17 à 26). L’unité de la source jéhoviste ou yahviste (J) fut contestée par E. Schrader (1863) ; K. Budde (1883), Ch. Bruston (1885), B. Stade (1894) séparèrent J 1 de J 2. Récemment, O. Eissfeldt (1922) a indiqué ces deux couches par L (source laïque) et J, et R.H. Pfeiffer (1930) a cru trouver dans la Genèse une source d’origine édomite (indiquée par S : sud ou Séir) correspondant dans ses grandes lignes à J 1 ou L. De même Kuenen reconnut deux, couches dans l’Élohiste (E 1 et E 2). E. Riehm (1854) détermina les caractères de la source deutéronomique (D) et fit l’observation importante que les rédacteurs qui combinèrent les diverses sources ne sont pas les auteurs mêmes de ces sources. Ces travaux préliminaires et spéciaux rendirent possibles les vastes ouvrages d’ensemble de Kuenen (1861 et suivant), de J. Wellhausen (1876 et suivant), de A. Dillmann (1875 et suivant), vrais monuments d’érudition et de critique sur lesquels reposent les ouvrages de synthèse où l’on trouve exposée, dans ses grandes lignes, la conception moderne de l’origine du Pentateuque : nous faisons allusion aux ouvrages de Alexandre Westphal (1888 et 1892), de H. Holzinger (1893) et de J.E. Carpenter-G.H. Battersby (1902). En résumé, d’après la théorie Graf-Wellhausen, le Pentateuque Il atteignit sa forme actuelle que vers 400 avant Jésus-Christ, après un développement plusieurs fois séculaire : les sources J (environ 850) et E (environ 750) furent amalgamées vers 650 (JE) ; on y ajouta le code deutéronomique (D, publié en 621) vers 550 (JED) et le code sacerdotal (P, 500-450) quelques années avant 400 (JEDP). Les rédacteurs qui combinèrent ces sources sont désignés par les symboles Rj e, R d et Rp. Parmi les opposants de cette théorie, il faut nommer H.-E. Wiener, qui soutient la mosaïcité du Pentateuque, J. Orr et Edouard Naville, dont le point de vue est moins extrême, et B.D. Eerdmans, A. Klostermann, J. Dahse, moins conservateurs que les précédents. Il va sans dire qu’il n’y a pas unanimité d’opinion parmi les critiques sur les questions de détail : bien des conclusions, voire même la date de D, ont été remises en question (voir Deutéronome) ; on a même développé une nouvelle méthode, la critique « matérielle » (Stoffkritik), par opposition à la critique littéraire (ou Quellkritik), dont les représentants les plus en vue sont H. Gunkel, H. Gressmann, E. Sellin ; mais, somme toute, la théorie Graf-Wellhausen, que nous allons exposer avec plus de détails en tenant compte des recherches récentes, n’a pas été ébranlée.
Les morceaux poétiques (de même que quelques collections de lois) incorporés dans les livres de Moïse doivent être considérés à part des documents narratifs ; bien qu’ils soient parfois contenus dans ces sources, ils n’en forment pas nécessairement une partie intégrante, et, en tout cas, ont des auteurs différents. Dans l’impossibilité de préciser la date de ces compositions, nous donnons ici une classification chronologique générale.
La critique a identifié, dans le Pentateuque, les codes de lois suivants :
On peut constater, par une comparaison des ordonnances parallèles, que le Livre de l’Alliance, D et P (4-H) représentent trois époques successives ; voyez par exemple : Exode 21.31 ; Deutéronome 14.21 ; Lévitique 17.15 ; Lévitique 11.39 (loi sur les bêtes mortes) ; Exode 21.2 ; Exode 21.6 ; Deutéronome 15.12-18 ; Lévitique 25.39-46 (loi sur les esclaves hébreux) ; Exode 22.29-30 ; Deutéronome 15.19-23 ; Lévitique 27.26 et suivant, Nombres 18.15 ; Nombres 18.18 (loi sur les premiers-nés) ; Exode 22.29 ; Exode 23.19 ; Deutéronome 26.1-10-12 ; Deutéronome 14.22 ; Deutéronome 14.28 ; Lévitique 27.30-33 ; Nombres 1.12 ; Nombres 1.21 ; Nombres 1.25-28 (loi sur les prémices et les dîmes).
Les morceaux les plus importants et les plus caractéristiques de J sont les suivants (les crochets indiquent les chapitres contenant quelques versets appartenant à une autre source) : Genèse [12-13] [16] 18 [24-27] [29-30]
[32-33] [37. 39- 40 43-44. 47] ; Exode [1-2 4-5, 7-10] ; Nombres [24] [32]. Ordinairement on considère comme appartenant à J ce qui reste de Genèse 1-11 après qu’on en a séparé P ; mais cette attribution nous semble bien incertaine, puisqu’on doit y distinguer deux couches séparées (J 1 et J 2 ; Eissfeldt : L et J) ; nous préférons y voir une source différente (S = Séir ou sud) d’origine édomite, datant du temps de Salomon et à laquelle appartiennent aussi en bonne partie Genèse 14 ; Genèse 19.1-26 ; Genèse 19.30-38 ; Genèse 34 ; Genèse 35.5 ; Genèse 35.21 ; Genèse 36.9-39 ; Genèse 38. J2 gérait alors une couche rédactionnelle. Le style de J réunit, comme celui d’Homère, la simplicité et la noblesse, la naïveté et la perfection artistique : il est évocateur, limpide dans la description des caractères et des émotions, charmant dans les dialogues, et, selon les circonstances, sobre, éloquent, poétique, touchant. À la perfection littéraire de J correspond la grandeur épique de son sujet : l’évocation des origines modestes et des triomphes du peuple d’Israël sous l’égide de son dieu. Ce thème grandiose est proclamé sans ambages dans Genèse 12.1-4 ; si nous ne nous trompons pas, ce passage représente le début même de la composition. Dès lors l’action de Jéhovah dans le monde humain a pour but la réalisation de cette promesse faite à Abraham : Jéhovah est le Dieu d’Israël, l’ennemi de ses ennemis, le champion de son peuple à l’exclusion de tous les autres (malgré Genèse 18.25 ; Genèse 24.3 ; Genèse 24.7). Ce favoritisme à l’égard des personnes de la nation qui lui appartient en propre est, dans la personnalité divine, un des traits humains qui se transforment avec les autres anthropomorphismes de la conception jéhoviste, dans le Dieu spirituel et universel des prophètes. Dans la simplicité du culte, sans sacerdoce et sans liturgie, du document jéhoviste, où la prière prend la place du sacrifice, il semble qu’on pressente l’idéal prophétique.
L’auteur de J, d’après l’opinion courante, aurait écrit vers 850 dans le royaume de Juda ; cependant, si les parties plus anciennes des livres de Samuel (notamment 2 Samuel 9-20) sont les produits de sa plume (ce qui n’a pas encore été démontré), il aurait vécu un siècle plus tôt, à l’époque glorieuse de Salomon.
On peut se rendre compte des caractères de cette source en lisant les chapitres suivants, qu’on a attribués, en bonne partie, à E : (Genèse 20-22, Genèse 28, Genèse 40-42, Genèse 45, Genèse 48, Exode 3, Exode 17-24, Exode 32-33, Nombres 11-12, Nombres 21-23). Quoique E rappelle J par son nationalisme enthousiaste et par la pureté de son langage, il en diffère néanmoins sensiblement : son style est moins poétique, moins évocateur, moins naïf. Il vit dans un milieu plus civilisé, plus raffiné, plus mûr. Moins réaliste et plus réfléchi que J, E est plus sentimental, plus tendre, plus grave : que de mélancolie dans ses histoires d’Agar et du sacrifice d’Isaac ! Il évite les anthropomorphismes enfantins de J : son Dieu (qu’il appelle Elohim avant la révélation du nom JVHH à Moïse, et aussi, généralement, après) n’apparaît plus visiblement aux hommes ; il leur parle dans des visions et des rêves, ou par la bouche d’un ange, sauf dans le cas unique de Moïse (Exode 33.11 ; Nombres 12.8). E idéalise les patriarches : Abraham devient un prophète (Genèse 20.7) et n’est plus coupable de mensonge comme dans J (Genèse 20.12 E, cf. Genèse 12.19 J) ; Jacob devient riche non point par une ruse (Genèse 30.37 ; Genèse 30.43 J), mais grâce à la bénédiction divine (Genèse 31.5 ; Genèse 31.16 E). Le surnaturel joue un rôle plus important dans E que dans J, notamment dans la vie de Moïse ; il y a déjà, dans E, de la réflexion théologique, une notion de progrès dans la révélation, un intérêt porté à la pureté du culte et aux fonctions sacerdotales et prophétiques, que l’on chercherait en vain dans J. Cependant la polémique contre les « hauts-lieux » et les rites cananéens, comme on la trouve dans Osée, manque complètement dans E ; cette source fut donc écrite un peu avant Osée, c’est-à-dire vers 750, dans le royaume d’Israël.
La plupart des critiques admettent que « le livre de la loi » trouvé dans le temple en 621 (2 Rois 22.8) était le noyau du Deutéronome (Deutéronome 5-26,28 dans sa majeure partie, mais où l’on trouve pourtant des matériaux postérieurs, D 2). En effet les réformes de Josias (2 Rois 22.8-23.24) sont fondées sur les lois deutéronomiques ; en particulier, la destruction des sanctuaires en dehors de Jérusalem (2 Rois 23.12) est ordonnée dans Deutéronome 12.2 et suivant. D est un oracle prophétique attribué à Moïse : son style est homilétique, prolixe, éloquent, et Deutéronome 8 en est un bon exemple ; son idée centrale est que l’alliance entre Dieu et le peuple élu a pour condition l’obéissance du peuple à la loi divine (contenue dans Deutéronome 17-26), et pour conséquence les bénédictions de Deutéronome 28.1-14 ; les malédictions qui résultent de la désobéissance sont énumérées dans Deutéronome 28.15 ; Deutéronome 28.68. La religion spirituelle des prophètes, avec sa conception élevée de la divinité et sa morale sévère, est placée par D à la portée des masses au moyen d’institutions, de rites, d’ordonnances bien définis et concrets. Ce livre idéaliste n’est pas un code de lois, mais un sermon, un effort pour régler la vie de tout un peuple d’après les plus nobles principes moraux et religieux de l’époque ; sa publication en 621 marque le commencement de la canonisation des livres de l’Ancien Testament et les débuts du judaïsme (amalgame de légalisme et de prophétisme).
Les passages suivants, d’une façon générale, appartiennent à cette source : Genèse 1.1-2.4 ; Genèse 5 ; Genèse 6.9-22 ; Genèse 7.6 ; Genèse 7.11 ; Genèse 7.13-24 ; Genèse 8.1-5 ; Genèse 8.13-19 ; Genèse 9.1-17 ; Genèse 9.28 ; Genèse 10.1-7 ; Genèse 10.20-23 ; Genèse 10.31 ; Genèse 11.10-27 ; Genèse 11.31 ; Genèse 16.3 ; Genèse 16.15 ; Genèse 17 ; Genèse 19.29 ; Genèse 21.1-5 ; Genèse 23 ; Genèse 25.7-20 ; Genèse 26.34 ; Genèse 28.1-9 ; Genèse 35.9-15 ; Genèse 35.22-29 ; Genèse 36.5-8 ; Genèse 36.40-43 ; Genèse 37.1 ; Genèse 46.6-27 ; Genèse 47.7-11 ; Genèse 48.3-6 ; Genèse 49.29-33 ; Genèse 50.12 ; Exode 1.1-5 ; Exode 1.13 ; Exode 2.23 ; Exode 2.25 ; Exode 6 ; Exode 7.1-13 ; Exode 7.19-22 ; Exode 8.1-3 ; Exode 8.11-15 ; Exode 9.8 ; Exode 9.12 ; Exode 11.9 ; Exode 12.1-20 ; Exode 12.40-51 ; Exode 13.1 ; Exode 13.2 ; Exode 13.20 ; Exode 14.1-4 ; Exode 14.8-10 ; Exode 14.15-18 ; Exode 14.21-23 ; Exode 14.26-29 ; Exode 16 ; Exode 24.13 ; Exode 24.18 ; Exode 25.1-31.18 ; Exode 34.29-35 ; Lévitique en entier, Nombres 1.1-10.28 ; Nombres 13.1-17 ; Nombres 14.1 ; Nombres 14.5-7 ; Nombres 14.10 ; Nombres 14.26-38 ; Nombres 15 à Nombres 20 ; Nombres 25.6-31.54 ; Nombres 32.11 ; Nombres 32.19 ; Nombres 32.28-30 ; Nombres 33 à Nombres 36 ; Deutéronome 32.48-52 ; Deutéronome 34.1 ; Deutéronome 34.7 ; Deutéronome 34.9. P est le squelette du Pentateuque, les autres sources en sont la chair ; P est une histoire schématique, sans lacunes et presque sans détails, du peuple d’Israël et de ses ancêtres, depuis la création du monde jusqu’à la conquête du pays de Canaan, histoire dans laquelle les institutions sacrées occupent la place principale. Les chapitres 13-24 de Josué forment la conclusion de P. Comme document narratif, P est précis dans les généalogies et dans la chronologie, exact dans les mesures, les chiffres et les catalogues, mais dépourvu de valeur pour faire connaître l’histoire réelle de l’époque qu’il embrasse. Son style est pédant, stéréotypé, sans couleur, érudit, laconique, géométrique. Au point de vue législatif, cependant, P fait époque : il est, bien plus qu’Ézéchiel, le fondateur du judaïsme légaliste et rabbinique, de cette religion de la Loi contre laquelle saint Paul, dans Romains et Galates, s’élève si vigoureusement. Si la narration n’est qu’un cadre dans P, la législation sinaïtique en forme le tableau. Les institutions sacrées (rites, organisation du clergé, tabous, sanctuaire, etc.), même les plus récentes (comme l’institution du grand-prêtre, inconnue à Ézéchiel), telles qu’elles s’étaient cristallisées entre 520 et 450 dans le temple de Jérusalem, sont rapportées à l’époque de Moïse ou plus en arrière encore : le sabbat daterait de la création du monde (Genèse 2.3) ; la défense de manger la viande avec le sang et de verser le sang humain, du temps du déluge (Genèse 9.4 6) ; la circoncision, du temps d’Abraham (Genèse 17.10 ; Genèse 17.14) ; tout le reste, du temps de Moïse. L’importance capitale que P attribue aux actes du culte nous paraît une rétrogression par rapport à l’idéal des prophètes, mais le système bien défini de P, en empêchant la fusion des Juifs avec leurs voisins, fit d’eux les champions du monothéisme.
Ri, en fondant J et E, préfère généralement J (sauf dans Exode 19 à 33) et s’efforce de les harmoniser (Genèse 16.9) ; dans la Genèse, il laisse souvent les deux sources intactes ; dans Exode et Nombres, il les fond en un seul récit (sauf dans l’histoire de Moïse recevant les tables de la loi : Exode 24.12-13 ; Exode 24.18 ; Exode 31.18 E Exode 34.1 ; Exode 34.2 ; Exode 34.4-28 J Exode 32.8-14 34 1b Rj e). Son style ressemble à celui de D, qu’il précède de peu (Rj e écrivit vers 650). R d combina JE avec D vers 550 ; il est en même temps le rédacteur qui publia Juges et Rois. Son point de vue est celui de D. Rp (voyez Genèse 15.18-20 ; Genèse 26.5 ; Exode 34.5-27) ajouta P à JED vers 430. Sa tâche n’était pas facile : entre JE et P il y a un abîme. Il sacrifie très peu de JED, il harmonise de son mieux, il transpose, retouche, combine, mais, par sa méthode réservée et circonspecte, il n’a pas effacé les contradictions, les répétitions, les anachronismes qui ont rendu possible l’analyse critique du Pent, et la reconstruction des documents qui en font partie.
R.H. Pf.
Numérisation : Yves Petrakian