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Prochain (le)
Dictionnaire Biblique Westphal

Hébreu qârôb = proche ; âkh = frère ; âtnîth = semblable ; châkén = voisin, concitoyen ; réa = ami, compagnon (ce dernier terme plus fréquent que tous les autres). Grec plésios, de pelas = près.

La notion du prochain — celui qui est proche — plonge ses racines dans la vie de l’humanité primitive où, pour les nécessités de la défense, on vivait en agglomérations, on voyageait en caravanes. Le prochain, c’était celui qui, vivant près, ayant les mêmes attaches, les mêmes intérêts, pouvait prêter secours ou appeler à l’aide. Plus tard, le prochain devint un membre de la tribu, puis le compatriote. Comme on se groupait pour se défendre, tout individu qui n’était pas du groupe, l’étranger (voir ce mot), fut bientôt considéré, par définition, comme un ennemi. C’est ainsi que le mot grec allotrios, qui désignait d’abord l’habitant d’un autre pays, signifia l’homme hostile. En latin, hostis = ennemi était encore au temps des Douze Tables le synonyme de non-concitoyen : « Adversus hostem oeterna auctoritas  », d’où ces paroles de Didon : « I, soror, atque hostem supplex affare superbum » (Virgile, En., IV, 424), le gothique gast (ï)s, ail. Gast, les mots français hôte (anciennement hoste) et… hostile l (cf. Bréal et Bailly, Dict. étym, latin, article Hostis et Hospes).

Quant au sentiment qui, à travers tous les siècles, a transformé l’étranger en ennemi, les mœurs de la politique avec l’orgueil national, la psychose du prestige, et l’empressement que mettent les peuples à étendre leurs frontières ou à accroître leurs richesses au détriment de leurs voisins, ne l’expliquent que trop sans toutefois le justifier.

Dans l’Ancien Testament la distinction entre le prochain et l’étranger est radicale. Sans doute rencontre-t-on en Israël la loi de l’hospitalité (voir ce mot) poussée assez loin (Genèse 18.4 ; Genèse 18.7 ; Genèse 19.2 et suivant, Juges 19.20 et suivant, etc., cf. Juges 4.17 et suivants), mais l’étranger n’y est point couvert par la loi protectrice (Genèse 31.15, cf. Job 19.15). En suite de la guerre les traitements infligés aux populations étrangères n’avaient point ici la cruauté effroyable pratiquée par les Assyriens, mais tout de même les ordonnances promulguées par Deutéronome 20.16 ne laissent guère d’illusions sur l’humanité d’Israël. On est soulagé, après avoir lu cette page, de rencontrer des épisodes comme 1 Rois 20.31 ; 2 Rois 6.22 et suivant, et une recommandation comme celle de Proverbes 25.21 (cf. Proverbes 24.1 et Job 31.30) ; peut-être s’agit-il dans ces textes de compatriotes animés de sentiments hostiles.

Le Décalogue (Exode 20), la loi d’amour (Lévitique 19.18) ne concernent que le prochain, c’est-à-dire l’Israélite. Et c’est pourquoi le commandement : « Tu ne tueras point » ne peut, en droit, être invoqué contre la guerre entre nations. La Loi interdit tout sentiment fraternel envers les Moabites, les Amalécites, les Madianites, etc. (Deutéronome 23.3 et suivants, Exode 17.16 ; Nombres 25.17). Jéhovah promet à Israël d’être « l’ennemi de ses ennemis » (Exode 23.22). Il ne faut pas oublier ici que la grande affaire durant l’époque de la formation religieuse d’Israël était de le protéger contre toute contamination idolâtrique.

La législation mosaïque, en établissant les devoirs envers le prochain = concitoyen, et en faisant de l’accomplissement de ces devoirs une condition de la faveur divine, créait une première cellule d’obligation sociale, et jetait ainsi les fondements d’une universelle fraternité. L’Israélite doit respecter la vie de son prochain (Exode 20.13), ses biens (Exode 20.13 ; Exode 22.9), son honneur familial (Exode 20.17), ne pas l’accuser faussement (Exode 20.16, cf. Lévitique 19.16), ne pas l’opprimer (Lévitique 19.13), ne pas se venger de lui (Lévitique 19.18), mais lui faire justice (Lévitique 19.15) et respecter les bornes de son champ (Deutéronome 19.14). Tous les devoirs envers le prochain sont résumés dans la formule de Lévitique 19.17 et suivant : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». On sait par les prophètes combien ces règles de conduite étaient violées en Israël.

Au temps des Juifs, les rapports entre frères s’améliorent ; mais par contre, le mépris et la haine pour tout ce qui est étranger s’accentuent. Josèphe raconte que, déjà à Suse, Aman accusait le peuple juif d’être « un peuple ennemi de tous les autres et odieux à tous les hommes » (Antiquités judaïques, XI, 6.5) ; on connaît le jugement de Tacite sur les Juifs « adversus omnes alios hostile odiutn  » (Hist., V, 5). Juvénal prétend qu’un Juif ne veut montrer le chemin et indiquer les sources qu’à ses coreligionnaires (Sat., XIV, 103s). On voit bien que saint Paul était fondé à caractériser ainsi ses compatriotes : « déplaisant à Dieu, ennemis de tous les hommes » (1 Thessaloniciens 2.15). « Il a été dit aux anciens, rappelle Jésus : tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi » (Matthieu 5.43). La loi hébraïque n’allait pas jusqu’à généraliser ce commandement de haine (voir ce mot). Jésus dans son Évangile commande l’amour même des ennemis. Il répudie l’opposition établie par ses compatriotes entre le prochain et l’étranger, et cela parce que le Père qui est dans les cieux veut que tous les hommes, ses créatures, soient frères sur la terre. Les hommes, qu’ils soient méchants ou bons, reçoivent ses bienfaits paternels ; ils doivent, en conséquence, qu’ils soient amis ou ennemis, être traités comme des frères par quiconque se reconnaît enfant de Dieu (Matthieu 5.45 ; Matthieu 23.8 et suivants).

Deux enseignements de Jésus nous donnent la notion évangélique du prochain : l’Oraison dominicale (voir article), qui doit unir dans une même prière fraternelle toutes les nations (Matthieu 6.5 et suivants, Matthieu 28.19 et suivant) ; et la parabole du bon Samaritain, où le voisin exécré, l’ennemi héréditaire, est présenté comme celui qui, ayant exercé la miséricorde, s’est manifesté le prochain du Juif que des brigands avaient laissé pour mort sur le bord de la route (Luc 10.30 et suivants). S’en référant au texte de la loi de Moïse : (Lévitique 19.18) « tu témoigneras de l’amour à ton prochain comme à toi-même », quelques exégètes estiment que le grec a mal rendu ici un hébraïsme : le-réa =« à ton prochain », et que la parole de Jésus a dû être : « lequel de ces trois a manifesté de l’amour au prochain qui était tombé entre les mains des brigands ? » Dans ce cas le prochain aurait été, non le Samaritain secourable, mais le Juif blessé. La remarque relative à la particule hébraïque le est judicieuse, mais elle ne nous paraît pas devoir être retenue dans le cas présent :

  1. parce que le texte grec de Luc 11 est pas une traduction de l’hébreu ;
  2. parce que d’après les mœurs du temps le Samaritain ne devait nullement se sentir obligé par le texte du Lévitique de tenir un Juif pour son prochain. Pour un Juif, le prochain c’était le Juif ; pour un Samaritain, le Samaritain. Ici c’est en dehors de tout légalisme et, si j’ose dire, au-dessus de la loi nationale que le bon cœur du Samaritain découvre la loi universelle et l’applique généreusement. Quoi qu’il en soit, le docteur d’Israël reçoit dans cette parabole une leçon qui ne pourrait être dépassée.

Jésus met l’amour pour le prochain si haut qu’il l’égale en valeur à l’amour pour Dieu (Marc 12.31) et fait dépendre de ces deux commandements toute la loi et les prophètes (Matthieu 22.40 ; Matthieu 22.19). Il va plus loin : après avoir rappelé la loi d’aimer son prochain comme soi-même, il pose « un commandement nouveau » : (Jean 13.34) « Aimez-vous comme je vous ai aimés.  » Ce qui suppose, non pas seulement que l’on doit traiter les autres comme on se traite soi-même, ou comme on désire être traité, mais que l’on doit s’oublier soi-même, et au besoin se sacrifier soi-même pour assurer le salut du prochain. « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jean 15.12 et suivant, rapprochez Jean 3.16 et 1 Jean 3.16). Voir Amour.

Les épîtres reprennent l’Évangile de Jésus sur l’amour du prochain (Romains 13.10 ; Romains 14.10 ; 1 Corinthiens 8.13 ; Éphésiens 4.25 ; 1 Jean 5.16 ; Jacques 2.8 4 : et suivant, cf. Matthieu 5.22 ; Matthieu 7.3 ; Matthieu 18.15 et suivants). Pour Paul, « l’amour du prochain est l’accomplissement de la loi » (Romains 13.8 et suivant) ; pour Jean, pratiquer l’amour fraternel, c’est vivre « dans la lumière » (1 Jean 2.10 ; 1 Jean 2.3 et suivants) et donner aux autres la seule preuve évidente qu’on « aime Dieu » (Jean 4.20).

Il suffit, disait le « Bayard huguenot » Lanoue, pour que quelqu’un soit notre prochain, qu’il soit homme.

Alexandre Westphal


Numérisation : Yves Petrakian