Plusieurs termes plus ou moins synonymes expriment cette idée ou des idées connexes ; la nuance particulière à chacun peut être précisée d’après son étymologie latine : rétribution se rattache à l’idée de tribut, d’impôt. La rémunération est la reconnaissance d’un bienfait (de munus = le présent, le don). La récompense est l’acte de compensation par lequel on équilibre les deux plateaux de la balance (pensare = peser, examiner attentivement ; compensare = contrebalancer, mettre en parallèle). Le mérite est ce que l’on gagne ou acquiert par son travail (mereri = gagner, d’où vient aussi mercenaire ; meritum, ce qu’on mérite).
La notion de rétribution joue un rôle de première importance dans la pensée religieuse de l’Ancien Testament. À peine l’homme est-il apparu que la rétribution fait déjà sentir ses effets comme une manifestation de la justice divine. D’après les plus anciennes annales d’Israël, Adam et Eve ayant désobéi à l’ordre que Dieu leur avait donné, « l’Éternel Dieu fit sortir l’homme du jardin d’Éden, pour cultiver la terre d’où il l’avait pris » (Genèse 3.23 et suivant). Caïn ayant tué son frère, l’Éternel lui dit : « Tu seras maudit de la terre, qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère ; quand tu cultiveras la terre, elle ne te rendra plus son fruit… » (Genèse 4 et suivant). « Ton péché te trouvera ! » (Nombres 32.23). La rétribution ne s’exerce pas seulement pour le mal, mais également pour le bien. « La parole de l’Éternel fut adressée à Abraham, dans une vision, en ces mots : Ne crains point, Abraham, je suis ton bouclier : ta récompense sera grande » (Genèse 15.1). Booz dit à Ruth : « Que l’Éternel te rende ce que tu as fait, et que ta récompense soit entière de la part de l’Éternel » (Ruth 2.12). Quand David, à En-Guédi, a épargné Saül, celui-ci lui dit : « Quand un homme trouve son ennemi, le laisse-t-il sain et sauf ? Que l’Éternel te rende du bien pour ce que tu m’as fait aujourd’hui ! » (1 Samuel 24.20). Comp. : « Restez fermes et ne laissez pas vos mains défaillir, car vos efforts auront leur récompense » (2 Chroniques 15.7 etc.).
La rétribution apparaît dans toute sa rigueur légaliste dans la loi du talion (voir ce mot), qui réalisait d’ailleurs un progrès sur l’arbitraire des représailles : (cf. Genèse 4.23 et suivant) « œil pour œil, dent pour dent… » (Exode 21.24 ; Lévitique 24.19 et suivant, Deutéronome 10.21). Toutefois, si ces textes laissent à l’homme le droit d’exercer lui-même la rétribution, comme dans le code de Hammourapi, en pratiquant la vengeance, il en est d’autres qui réservent ce privilège à Dieu seul : « À moi la vengeance, à moi la rétribution… » (Deutéronome 32.35).
Les livres didactiques et poétiques font également allusion à la rétribution : « Le Tout-Puissant rend à l’homme selon ses œuvres, et il rétribue chacun selon sa conduite » (Job 34.11) ; « Grande est la récompense de ceux qui observent les jugements de l’Éternel » (Psaumes 19.12) ; « On dira : oui, il y a une récompense pour le juste ; oui, il y a un Dieu qui fait justice sur la terre » (Psaumes 58.11) ; « Tu rendras à chacun selon ses œuvres » (Psaumes 62.12, 94.1 96.13 98.9 137.8, Proverbes 11.18-31 ; Proverbes 12.14 ; Proverbes 14.23 ; Proverbes 24.12 ; Proverbes 25.21 ; Ecclésiaste 8.13 ; Ecclésiaste 12.14 ; Siracide 2.8 ; Siracide 11.26 ; Siracide 12.2 ; Siracide 16.12 ; Siracide 17.23, etc.). Comme il ne s’agit que de rétributions terrestres et que l’expérience montrait ici-bas des coupables heureux et des justes malheureux, on chercha de bonne heure à expliquer cette carence apparente de la rétribution, en disant que Dieu punit les fautes des pères sur les enfants et récompense les enfants pour la justice de leurs ancêtres (cf. Exode 20.5 et suivant, Deutéronome 5.9 et suivant, comparez Osée 4.6).
Dans les livres prophétiques, la notion de rétribution est affirmée aussi nettement, et le livre d’Amos est tout entier un réquisitoire annonçant la rétribution (Amos 6.1-7 ; Amos 7.16, etc.). « Malheur au méchant, malheur ! dit Ésaïe, car il recueillera l’œuvre de ses mains » (Ésaïe 2.12 ; Ésaïe 3.11 ; Ésaïe 3.34 ; Ésaïe 3.35) ; « Je vais faire venir sur ce peuple le malheur, fruit de sa conduite » (Jérémie 6.19) ; « Moi, l’Éternel, j’éprouve le cœur et je sonde les reins ; je rends à chacun le salaire de ses œuvres, et les fruits que ses actions ont portés » : (Jérémie 17.10 ; Jérémie 17.21.14 31.29 32.19 50.29 51.5-56) « L’Éternel apporte avec lui ses récompenses, et il se fait précéder de son salaire » (Ésaïe 40.10) ; « Il rétribuera chacun selon ses œuvres… » (Ésaïe 59.18) ; « … Le salaire l’accompagne et la récompense le précède » (Ésaïe 61.2 ; Ésaïe 62.11).
Dans Ézéchiel il faut consulter Ézéchiel 3.17 ; Ézéchiel 3.21, et particulièrement tout le chapitre 18. Après avoir montré les deux solutions opposées, verset 4 : « l’âme qui pèche, c’est celle qui mourra », et verset 9 : « l’homme qui suit mes préceptes et observe mes commandements en se conduisant avec droiture, cet homme-là est un juste, certainement il vivra, dit le Seigneur, l’Éternel », le prophète montre la possibilité pour le pécheur de son salut par la conversion : « Rejetez loin de vous toutes les transgressions dont vous vous êtes rendus coupables. Faites-vous un cœur nouveau et un esprit nouveau, car pourquoi mourriez-vous, ô maison d’Israël ? Je ne prends point plaisir, en effet, à la mort de celui qui meurt, dit le Seigneur, l’Éternel ; convertissez-vous donc et vivez ! » (verset 31 et suivant). La même pensée est exprimée dans Ézéchiel 33.7-20 ; si la notion stricte de rétribution se retrouve ici de même que dans les textes mentionnés des livres précédents (« Je vous jugerai chacun selon ses voies… », Ézéchiel 18.30 ; Ézéchiel 33.20), il faut cependant remarquer que le prophète, en laissant entrevoir la possibilité de la conversion, prépare la voie à l’Évangile. Toutefois ce n’est pas l’idée de la grâce, nous sommes ici encore au salut par les œuvres : le salaire du péché, c’est la mort.
Signalons aussi, dans les autres livres prophétiques : Osée 4.9 ; Osée 5.9 ; Osée 9.7 ; Osée 10.12 ; Michée 3.4 ; Michée 3.12 ; Sophonie 2.8 ; Sophonie 2.11 ; Zachacharie 1.6 ; Malachie 2.1 ; Malachie 2.9 ; Malachie 3.7 ; Daniel 9.12.3.
Ce coup d’œil d’ensemble au travers des livres de l’Ancien Testament nous montre que l’idée de rétribution est née tout naturellement de la conception du Dieu juste, Dieu-Juge, des Juifs de l’ancienne alliance. Un tel Dieu ne traite ses créatures que selon le légalisme absolu : « Je rendrai à chacun selon ses œuvres », telle est l’expression qui résume la doctrine du salut dans l’Ancien Testament. Et, le plus généralement, la rétribution est représentée par l’anthropomorphisme qui attribue à l’Éternel la « vengeance », c’est-à-dire le châtiment (cf. entre autres Deutéronome 32.35 ; Ésaïe 34.8 ; Ésaïe 35.4, Soph., etc.). Mais Dieu aime son peuple, et comme le dit le Psaume 103 : « Il est miséricordieux, lent à la colère et riche en bonté ». Ce qu’il souhaite, c’est de pouvoir pardonner (Osée 11.8 ; Osée 14.4 et suivants, Jérémie 31.34 ; Ézéchiel 18.23 ; Ézéchiel 18.32 ; Malachie 3.17 ; Malachie 4.2). Ici, il faut signaler les deux tendances qui se partagent l’Ancien Testament : les pages anciennes, proprement hébraïques et prophétiques, qui font du pardon une question d’attitude morale et de grâce, et les pages récentes, plus spécialement juives, qui font dépendre la faveur divine plutôt du mérite et des sacrifices. On trouve le contraste dans Michée 6.6 et suivants, Ésaïe 1.10 et suivants. Voir Lot dans l’Ancien Testament ; Péché, V
Ces nombreux passages de l’Ancien Testament, et bien d’autres encore, sont presque unanimes à limiter les rétributions divines à l’horizon terrestre. Pour l’apparition graduelle des rémunérations d’outre-tombe, et l’affirmation de l’immortalité dans la Sagesse de Salomon, voir Cheol, Eschatologie, Résurrection, etc.
Sans soulever ici le vaste problème du salut par les œuvres et du salut par la foi (voir ces mots), notons simplement le rôle, dans la Révélation de Jésus-Christ, des notions de rétribution et de rémunération (voir aussi Loi dans le Nouveau Testament).
(a) Dans les Évangiles. Nourri de la pensée religieuse de l’ancienne alliance, Jésus devait nécessairement faire une place à la rétribution dans son enseignement. C’est ainsi que dès le sermon sur la montagne apparaît l’idée d’une récompense spirituelle à ceux qui auront persévéré malgré la persécution (Matthieu 5.12; Luc 6.23 ; Matthieu 5.19). De même plus tard, quand Pierre dit à Jésus : « Pour nous, nous avons tout quitté pour te suivre : qu’avons-nous à attendre ? » Jésus déclare que la rétribution de ses fidèles sera la vie éternelle (Marc 10.28-30 parallèle Matthieu 19.27 ; Matthieu 19.29; Luc 18.28 ; Luc 18.30). De même encore plus tard, Matthieu 24.13. D’autre part, Jésus dit aussi : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? » (Matthieu 5.46 ; Luc 6.35). La récompense ne doit pas être un mérite que l’on cherche à acquérir ; elle est un don offert à celui qui agit avec désintéressement (Matthieu 6.1 ; Matthieu 6.2 ; Matthieu 6.5 ; Matthieu 6.6 ; Matthieu 6.16 ; Matthieu 6.18 ; Matthieu 7.21-23 ; Matthieu 10.40 ; Matthieu 10.42 ; Marc 9.41 ; Matthieu 25.40 ; Luc 14.8-14 ; Luc 7.40-50). L’ouvrier mérite son salaire (Luc 10.7, cf. 1 Timothée 5.18 ; Jean 4.36). Chacun recevra la rétribution de ses propres œuvres (Matthieu 7.1; Luc 6.38 ; Matthieu 16.27). À noter à propos de ce dernier texte que Matthieu est le seul des trois Évangiles synoptiques qui relève ici l’idée de rétribution. Les deux autres, Marc et Luc, de tendance moins judaïsante, n’ont pas, en effet, dans les passages parallèles (Marc 8.38; Luc 9.26) l’expression : « il rendra à chacun selon ses œuvres ». La même remarque s’applique à la conclusion de la parabole du serviteur impitoyable (Matthieu 18.35). La rétribution est proportionnée à la responsabilité personnelle : Marc 12.40 parallèle Luc 20.47.
Plusieurs paraboles touchent aussi la question des rétributions, temporelles ou spirituelles, individuelles ou collectives : les ouvriers loués à différentes heures (Matthieu 20.1-16) ; les vignerons (Matthieu 21.33 parallèle Marc 12.1 ; Marc 12.12; Luc 20.9-19) ; la parabole des noces Matthieu 22.1-14; Luc 14.16-24) les talents et les mines (Matthieu 25.14 ; Matthieu 25.30; Luc 19.12 ; Luc 19.27) ; le pharisien et le péager (Luc 18.9-14) ; le jugement dernier (Matthieu 25.31-46) ; le grand festin (Luc 14.7-14) ; le riche et Lazare (Luc 16.19-31).
Enfin la demande des fils de Zébédée (Marc 10.35 ; Marc 10.45 parallèle Matthieu 20.20 ; Matthieu 20.28; Luc 22.24-30) est pour Jésus l’occasion de montrer que les rétributions souhaitées ne sauraient être obtenues par la faveur. En déclarant : « le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour donner sa vie pour la rançon de plusieurs », il scelle définitivement la nouvelle alliance. L’Évangile du Christ, en même temps qu’il donne aux disciples la vraie méthode, remplace par la grâce (voir ce mot) le légalisme strict de l’ancienne alliance. Voir Jean 3.16 ; Jean 10.10 ; Jean 11.51 ; Jean 15.13.
(b) Dans les épîtres et l’Apocalypse. L’apôtre Paul accentue cette opposition dans la formule où il oppose au salaire gagné (opsônia = solde, paye, gages) la gratification imméritée, le don gratuit (kharisma) : « Le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don de Dieu, c’est la vie éternelle, par Jésus-Christ notre Seigneur » (Romains 6.23). Dans ses épîtres, l’idée de rédemption est d’ailleurs beaucoup plus fréquente que celle de rétribution ; et même en certains passages elle semble la faire disparaître (Romains 3.23-2 ; Romains 4.1-5 ; Romains 5.11-21 ; Romains 8.28 ; Romains 8.39). Pourtant d’autres textes n’excluent pas la pensée d’une rétribution (Romains 1.18 ; Romains 2.4 ; Romains 2.16 ; Romains 12.19 ; Romains 14.10-13 ; 1 Corinthiens 3.8-15 ; 1 Corinthiens 4.5 ; 1 Corinthiens 9.10 ; 1 Corinthiens 9.18 ; 1 Corinthiens 15.19-58 ; 2 Corinthiens 4.17 ; 2 Corinthiens 5.9 ; Galates 6.7 ; Galates 6.10 ; Éphésiens 6.7 et suivant, 2 Timothée 2.3-6 ; 2 Timothée 2.11 ; 2 Timothée 4.7 et suivant). Dans Philippiens 2.5-11, l’élévation du Christ au-dessus de tout nom apparaît comme la rétribution compensatrice accordée par Dieu à Jésus-Christ pour son obéissance jusqu’à la mort de la croix (cf. Jean 12.32).
L’épître aux Hébreux est le seul livre du Nouveau Testament où se trouve le terme misthapodosia = rémunération (Hébreux 2.2 ; Hébreux 10.35 ; Hébreux 11.26) et misthapodotès = rémunérateur (Hébreux 11.6) ; presque partout ailleurs dans le Nouveau Testament est employé le mot misthos, qui, suivant le contexte, se traduit par : salaire, mérite, rétribution ou récompense, rémunération. D’après l’auteur de l’épître aux Hébreux, Dieu est considéré comme le rémunérateur (Hébreux 11.6, cf. Jean 5.27 ; Actes 10.42). L’épître de Jacques, judéo-chrétienne, attache une grande importance à la rétribution (Jacques 1.25 ; Jacques 2.12 ; Jacques 2.25 ; Jacques 5.1 ; Jacques 5.6) - La 2e épître de Jean y fait allusion (verset 8 et suivant). Enfin l’Apocalypse présente la couronne de vie, ou la calamité, comme la rétribution finale (Apocalypse 2.10 ; Apocalypse 2.23 ; Apocalypse 3.5 ; Apocalypse 11.18 ; Apocalypse 18.4 ; Apocalypse 18.8), et rejoint la pensée dominante d’e l’Ancien Testament dans Apocalypse 22.12 : « Voici, je viens bientôt, et la rétribution est avec moi ; je rendrai à chacun selon ses œuvres ».
Pl B.
Numérisation : Yves Petrakian