Les 31 chapitres de 1 Samuel et les 24 chapitres de 2 Samuel formaient, à l’origine, un seul livre, le 3e des Nebîyim rtchônim : les notes massorétiques relatives aux 55 chapitres se trouvent à la fin de 2 Samuel. Ce sont les LXX qui ont réparti cette matière en deux sections, qu’ils n’appellent pas « livres de Samuel » mais « 1er et 2e livres des Règnes » (Vulgate : des Rois), tandis que leurs 3e et 4e livres des Règnes correspondent à nos 1er et 2e livres des Rois. Dès le XVIe siècle (Bible de Bomberg, 1517), la subdivision grecque a passé dans la Bible hébraïque qui a, par contre, gardé l’appellation 1 et 2 Samuel.
1 Samuel nous raconte l’histoire de Samuel, l’institution de la royauté, le règne de Saül, les heurs et malheurs de David jusqu’à la mort de Saül à la bataille de Guilboa. 2 Samuel est la chronique, avec ses rayons et ses ombres, de la vie de David, d’abord roi de Juda à Hébron, puis de tout Israël à Jérusalem où il installe l’arche et projette de construire un temple.
Le titre : livre de Samuel, veut souligner le prestige de cet homme et non le désigner comme auteur ; cet ouvrage est en réalité formé d’éléments provenant de sources, d’époques et d’inspiration différentes, combinés par des rédacteurs successifs.
Cette pluralité de sources est attestée par l’attitude différente que prennent à l’égard de la royauté les chapitres 9ss d’une part, de l’autre le chapitre 8 ; puis par les incohérences, les contradictions et les répétitions assez nombreuses du récit ; comparez, par exemple, 1 Samuel 16.18 ; 1 Samuel 16.21 avec 1 Samuel 17.39 ; puis 1 Samuel 16.18 et 1 Samuel 17.32s avec 1 Samuel 17.55-58 ; puis 1 Samuel 20 avec 1 Samuel 23.14 ; 1 Samuel 23.18 ; puis 1 Samuel 23.19-24 23 avec 1 Samuel 26, etc. L’étude de ce texte a déterminé l’existence de trois, même de quatre courants de tradition auxquels les rédacteurs successifs de notre livre de Samuel ont puisé. L’accord ne règne pas sur tous les points. En tenant compte de cette réserve, voici comment se répartissent, à notre sens, nos 55 chapitres :
Le plus ancien courant de tradition a fourni le noyau principal, soit : 1 Samuel 9.1-10 ; 1 Samuel 9.16 ; 1 Samuel 11.13 ; 1 Samuel 16.14-23 ; 1 Samuel 18.6-8 ; 1 Samuel 20.1-3 ; 1 Samuel 20.18-39 ; 1 Samuel 21.1-7 ; 1 Samuel 22.1 ; 1 Samuel 23.1-14 ; 1 Samuel 23.19-28 ; 1 Samuel 24.1-23 ; 1 Samuel 24 à 1 Samuel 31 ; 2 Samuel 1.1-4,11,19-27 chapitres 2 à 6 avec adjonctions, 2 Samuel 8.7 ; 2 Samuel 8.10-13 ; 2 Samuel 8.18 ; 2 Samuel 9 à 20 (sauf 2 Samuel 12.10 ; 2 Samuel 12.12), peut-être 2 Samuel 21 et 2 Samuel 24.
À un document plus récent, quoique encore de l’époque prédeutéronomique, ont été empruntés : 1 Samuel 1 à 1 Samuel 7.1 (moins adjonctions ; cf. plus bas) ; 1 Samuel 15 ; 1 Samuel 17.1-11 ; 1 Samuel 17.32-40 ; 1 Samuel 17.42-49 ; 1 Samuel 17.52-54 ; 1 Samuel 18.12-30 ; 1 Samuel 19.1-10 ; 1 Samuel 21.8-10, peut-être 1 Samuel 26 et 1 Samuel 28.3-25 (cf. ci-dessus), 2 Samuel 1.5-10 ; 2 Samuel 1.13-18 21.15-22 23.8-39.
Les passages 1 Samuel 7.2-8.22 ; 1 Samuel 10.17 ; 1 Samuel 10.27 ; 1 Samuel 12.1-13.1 sont d’une autre provenance ; on y sent l’influence du Deutéronome et ils se distinguent par leur hostilité à la royauté. C’est peut-être la même main qui a écrit 2 Samuel 7 : les idées, sinon la langue, sont celles du VIIe siècle et la préoccupation messianique qui s’y affirme trahit l’influence des prophètes.
Restent certains morceaux, blocs erratiques de provenances diverses souvent impossibles à fixer ; ainsi 1 Samuel 2.1-10-27-36 ; 1 Samuel 16.1-13 ; 1 Samuel 17.12-31 ; 1 Samuel 17.41 ; 1 Samuel 17.50 ; 1 Samuel 17.55-58 ; 1 Samuel 18.1-5 ; 1 Samuel 18.9-11 ; 1 Samuel 19.11-24 ; 1 Samuel 20.1 ; 1 Samuel 20.4-17 ; 1 Samuel 21.11-16 ; 1 Samuel 23.15-18 ; 2 Samuel 8.1-6 ; 2 Samuel 8.11 ; 2 Samuel 22 ; 2 Samuel 23.1-7.
Retrouvons-nous peut-être, ici, la suite des chroniques du Pentateuque ? Budde, L. Gautier, Kittel, Wellhausen partiellement n’hésitent pas à attribuer de grands fragments de notre livre à J ou JE (combinaison de J et E). Il semble toutefois plus naturel d’y voir l’œuvre de conteurs indépendants, quoique animés du même esprit.
La source la plus ancienne, et qui a fourni la plus grande partie de notre texte, racontait les fastes d’Israël à partir de l’institution de la royauté, don de JHVH à son peuple, jusqu’à la mort de David (1 Rois 1 et 2). Elle est remarquable par la simplicité et le naturel de ses récits, par la vie qu’elle sait donner à ses héros et par le seul souci de raconter leurs exploits à leur gloire, à celle de JHVH et pour le plaisir des lecteurs. La chronique du règne de David contient les meilleures pages de toute la littérature historique de l’Ancien Testament : la beauté de la langue, l’impartialité de l’exposé, la noble indépendance dont elle fait preuve à l’égard du roi la mettent hors de pair. Moins parfaits peut-être mais toujours intéressants, parfois poignants, les récits de la rencontre de Samuel avec Saül, de David et d’Abigaïl, des derniers jours de Saül sont parmi les meilleurs de toutes les littératures. Cette chronique date du IXe siècle., d’un temps où, une nouvelle conception religieuse du monde et de l’histoire ne s’étant pas encore imposée, les vieux récits gardaient toute leur vigueur et tout leur relief. On a proposé de la désigner tantôt par la lettre S (Saül) d’un bout à l’autre (H.P. Smith, Löhr, Nowack), appellation commode mais étrange puisqu’elle s’occupe surtout de David ; tantôt Dan (Kittel, Wellhausen), là où elle parle du grand roi ; tantôt J (Budde), comme dans le Pentateuque.
La deuxième source apparaît surtout dans l’histoire de Samuel. Si les matériaux qu’elle utilise sont anciens, elle ne les présente plus comme le premier document, parce qu’elle est dominée par une autre préoccupation que celle de conserver les trésors du passé. Les événements sont là pour montrer le soin que JHVH a pris constamment de veiller sur Israël, comme aussi de lui procurer les hommes indispensables aux heures graves de son histoire. Ainsi nous sont racontés l’enfance de Samuel et les premiers conflits avec les Philistins, puis les rapports de Samuel avec Saül après la faute de ce dernier. Cette source, où apparaît le pragmatisme religieux et moral des prophètes, date du VIIIe siècle au plus tôt. Ce caractère particulier n’enlève rien à la valeur ni à la beauté de mainte page, comme 1 Samuel 3 (vocation de Samuel), 4 (défaite d’Israël et mort d’Héli), etc. Budde et Gautier y voient la continuation de la source E du Pentateuque ; d’autres la désignent de préférence par les lettres SS (Samuel-Saül).
L’école deutéronomique a fourni à notre livre 1 Samuel 7.2-8.22, puis 12 et d’autres fragments plus courts. Ici surtout l’histoire, qui est la servante de la prédication, doit montrer comment l’oubli de JHVH conduit infailliblement au malheur, l’obéissance à JHVH à la prospérité. Peuple et individus sont les acteurs d’un drame qui doit se réaliser dans un nombre déterminé d’années ; d’où les indications chronologiques, très précises mais factices.
Il faut user avec circonspection de ces documents-là , dont une étude attentive dégagera seule les éléments que l’historien pourra utiliser.
Quant aux autres fragments, ils proviennent des derniers rédacteurs de notre livre qui l’ont complété par des récits légendaires et édifiants où l’histoire n’a rien à voir, par des hymnes attribués à David, etc., empruntés à des œuvres disparues, parfois anciennes.
Donnons au moins une preuve de ces rédactions successives. Pour l’auteur de 1 Samuel 14.47-51, l’activité de Saül est terminée, et cette note est nécessaire après celle de son rejet : (1 Samuel 13.7 ; 1 Samuel 13.15) il ne savait donc rien ou ne voulait rien savoir de toute la fin de la carrière de ce prince et ne tenait nul compte de ce qui suit. Même remarque à propos de 2 Samuel 8, résumé de tout le règne de David. Chose curieuse, les versets 16,18 se retrouvent, presque identiques, 2 Samuel 20.23 ; 2 Samuel 20.26, comme si le rédacteur de ce dernier morceau avait voulu reprendre le fil de la narration interrompu au chapitre 8. Or l’interruption c’est l’adjonction, après coup, de nos chapitres 9 à 20 que ce rédacteur a voulu conserver et qu’il a ajoutés ici.
Voici comment on peut reconstituer approximativement la confection du livre de Samuel.
Le texte hébreu du livre de Samuel est en mauvais état. Non seulement la version grecque est plus concise (1 Samuel 17 et 18, par exemple, ont 88 versets dans l’hébreu, 50 seulement dans les LXX), mais encore elle a été faite sur un original hébreu meilleur que celui que nous possédons : c’est dire son importance pour la reconstitution du texte primitif.
Elle est inégale. Les plus anciens récits, uniquement préoccupés de reproduire ce que la tradition orale leur fournissait, sont précieux par leur sincérité et leur naïveté : ils nous montrent les hommes tels qu’ils les voyaient ou tels que la piété nationale les façonnait : cette vérité, relative sans doute, leur paraissait suffire à la gloire de leurs héros comme à celle de JHVH lui-même. De même leur instrument d’expression est admirablement adapté à la matière qu’ils traitent ; la sincérité de leurs sentiments se retrouve dans leur langue et lui donne cette fraîcheur et ce naturel qu’on ne se lasse pas d’admirer.
La valeur religieuse des pages postérieures est beaucoup plutôt dans l’intention moralisante de l’auteur. La fin tragique de Saül n’est pas due aux contingences politiques ou militaires défavorables à Israël, mais à la désobéissance du prince à JHVH ; si la lutte contre Amalek, occasion de cette désobéissance, a certainement eu lieu, nul doute que notre auteur ne l’exploite à sa fantaisie pour les besoins de sa démonstration. L’enfance de Samuel ne peut avoir été celle de n’importe quel jeune Israélite : le rôle unique qu’il a joué est celui-là même en vue duquel JHVH l’a préparé dès avant sa naissance, et notre auteur utilise les détails conservés par la tradition, en les développant et en les embellissant. Pour lui, la volonté de servir la cause de Dieu et d’Israël, avec la conviction de le faire de cette façon, légitime des moyens qui nous paraissent discutables. Les morceaux postérieurs, deutéronomiques et sacerdotaux, participent de l’esprit qui animait les cercles d’où ils sont sortis.
Inutile d’insister sur l’importance des récits du livre de Samuel pour l’histoire d’Israël : sans eux nous ne saurions rien de ces événements ni de ces hommes. Mais il faut admirer le génie et l’inspiration profonde des écrivains qui ont su faire de ces silhouettes lointaines des êtres parfaitement vivants et, mieux que cela, des serviteurs de Dieu dont la foi, comme les faiblesses, servent à l’édification des hommes de tous les temps.
E. G.
Numérisation : Yves Petrakian