Thessalonique, aujourd’hui Salonique, fut fondée vers 315 avant notre ère, par Cassandre, fils d’Antipas et roi de Macédoine. À la cité nouvelle il donna le nom de sa femme, demi-sœur d’Alexandre le Grand. Philippe de Macédoine avait appelé sa fille : Thessalonique, signifiant : victoire de Thessalie, pour commémorer les succès militaires qui lui ouvraient les portes de la Grèce ; ils préludaient à sa victoire définitive, que devait étendre si démesurément, et avec tant d’éclat, le génie de son fils Alexandre.
La situation choisie était admirable, au fond du golfe Thermaïque, ainsi nommé en raison de l’abondance des sources chaudes (thermal) qui jaillissent non loin de ses bords, du côté de la Chalcidique ; elles donnèrent également leur nom à l’ancienne colonie 10nienne de Thermi, près de l’actuelle Vassilika, signifiant : la Royale, où les eaux sulfureuses sont encore exploitées dans des thermes romains.
Contemplé des hauteurs qui dominent la ville, le panorama est l’un des plus beaux du monde. Sous la lumière crue qui les fait resplendir, les maisons blanches descendent vers la mer d’un bleu profond. Le calme et pur miroitement de la vaste rade se perd dans les lointains scintillants du golfe immense. Vers l’ouest, un nuage léger indique l’emplacement de l’Axios, le Vardar actuel ; c’est là que l’armée de Xerxès fut vaincue par le paludisme avant de succomber sous les coups des guerriers d’Athènes et de Sparte ; près de vingt-cinq siècles plus tard, pareille aventure serait arrivée à l’armée d’Orient, sans le secours parfaitement organisé d’une science efficace. Très loin dans le sud-ouest, l’étendue de la mer est brusquement coupée par l’Olympe : sa masse prodigieuse paraît surgir des flots et s’élève d’un jet à trois mille mètres ; souvent la base et la région moyenne sont enveloppées de brume, si bien que dans les cieux flotte, aérienne et couronnée de neige, la demeure des dieux immortels.
À mi-route entre la mer Noire et l’Adriatique, entre l’Orient et l’Occident, au fond d’une rade immense et sûre, au débouché d’une vaste région, qui ne manque pas de plaines, de vallées ou de plateaux fertiles, Thessalonique était destinée à devenir l’une des métropoles du monde. Sa fortune ne date, cependant, que de l’occupation romaine. Après des démêlés qui durèrent près d’un siècle, les légions de la République vinrent à bout, définitivement, de la phalange macédonienne : la Macédoine fut transformée en province, en 146, et divisée en 4 districts. Thessalonique fut la capitale du second et, plus tard, de la province entière, supplantant définitivement les anciennes capitales, longtemps ses rivales : Edessa, aujourd’hui Vodéna, et Pella, près du lac de Loudia, non loin de l’actuelle Ianitsa.
La voie maritime, privilégiée, n’était que le prolongement des grandes voies terrestres qui convergeaient à Thessalonique : notamment celle qui, du nord, descendait la vallée de l’Axios et, surtout, la fameuse Via Egnatia, la principale route de pénétration de Rome en Orient (voir Paul [ses voyages]).
Cicéron vécut quelque temps en exil à Thessalonique. En 42 avant Jésus-Christ, la cité accueillait en libérateurs Antoine et Octave, dont la victoire à Philippes la sauvait du pillage promis par Brutus et Cassius à leurs soldats. Promue au rang de ville libre, Thessalonique éleva aux vainqueurs un arc de triomphe que l’on identifie avec celui dont les ruines se dressaient encore, il y a une cinquantaine d’années, à l’extrémité occidentale de la rue Egnatia, la porte du Vardar. Des bas-reliefs représentaient des consuls en toge. Une inscription grecque, actuellement au British Muséum, donnait les noms des sept magistrats ou « politarques », désignation qui se trouve dans le livre des Actes (Actes 17.8), dont le récit reçoit ainsi une précieuse confirmation. Détail aussi curieux et significatif, quatre des sept politarques énumérés portaient des noms que l’on retrouve dans les Actes ou les épîtres, comme désignant des amis ou compagnons macédoniens de Paul (Secundus de Thessalonique et Sopater de Bérée : Actes 20.4 ; Gaïus le Macédonien : Actes 19.29 ; Démas qui, abandonnant Paul, partit pour Thessalonique, dont on suppose qu’il était originaire : 2 Timothée 4.10). Une autre inscription découverte à Salonique présente une liste de magistrats désignés aussi comme politarques.
Thessalonique fut à l’apogée de sa fortune pendant les deux premiers siècles de l’époque impériale. Elle était alors, après Corinthe, la plus riche et la plus brillante cité grecque européenne, mais également la plus corrompue. On pense qu’elle comptait alors environ 250 000 habitants.
Vers le milieu du IIIe siècle, Thessalonique devint le principal rempart militaire de la Grèce contre les incursions des peuples du nord. Elle connut alors des fortunes diverses, mais sans jamais perdre son rang de métropole. Elle brilla souvent encore d’un vif éclat pendant la période byzantine, du Ve au XVe siècle ; elle fut même appelée « la grande », Mégalopolis. Sous le régime turc, elle garda son rang, sinon toute son importance, les autres cités grecques ayant rapidement décliné. Son commerce, toujours considérable, passa, de plus en plus, entre les mains de la colonie juive, déjà nombreuse au temps de Paul, et devenue prépondérante avec l’afflux des émigrants chassés d’Espagne par Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Redevenue grecque en 1912, à la suite de la guerre des Balkans, Salonique fut l’un des buts visés par le « Drang nach Osten », la poussée vers l’Orient, des empires du centre. Occupée en 1915 par les Alliés, elle devint métropole en 1916, avec un gouvernement provisoire qui devait se transporter à Athènes après l’abdication du roi. Elle vit se préparer l’offensive qui préluda, en septembre 1918, aux succès décisifs des Alliés et à la fin de la grande guerre. Au débouché d’une Macédoine slavisée, la Salonique actuelle est ouverte au commerce yougoslave, mais reste grecque, avec une majorité juive.
Au temps de Paul, Thessalonique n’était pas une colonie romaine, comme Philippes, Troas ou Antioche de Pisidie ; elle jouissait du statut des villes libres, telles que Tarse, Athènes ou Antioche de Syrie. Elle n’avait pas de garnison romaine, et payait directement ses impôts, par les soins de l’administration locale. Jaloux de cette indépendance, les politarques étaient d’autant plus désireux d’éviter tout conflit avec Rome et toute agitation qui eussent été fatals à leur liberté.
Paul arriva à Thessalonique sans doute vers l’automne de l’année 50. La durée de son séjour n’est pas exactement fixée par la mention de trois sabbats (Actes 17.2). Il se heurta bientôt à de graves difficultés et dut partir avec Silas pour Bérée, la Verria d’aujourd’hui (voir Paul [ses voyages]). Mais son court ministère avait pourtant suffi pour la constitution d’une communauté qui devait croître rapidement. Paul écrivit aux Thessaloniciens les deux premières de ses lettres connues, et ce sont, vraisemblablement, les plus anciens écrits non remaniés du Nouveau Testament (voir article précédent).
H. Cl.
Numérisation : Yves Petrakian