Les sociétés humaines, lorsqu’elles étaient encore à un degré inférieur de civilisation, ont admis que la vengeance d’un attentat commis sur un membre du clan ou de la tribu était exercée, suivant les usages locaux, non pas seulement par les plus proches parents de la victime, mais aussi par tous les membres de la collectivité tribale considérés comme étant du même sang. Ce n’était pas là seulement un droit, mais c’était un devoir, incombant à l’ensemble de ceux qui appartenaient à une même famille, à un même clan ; l’atteinte portée à la vie d’un des membres du clan touchait l’intégrité et l’honneur de la collectivité tout entière. Chez les Sémites, ces usages et pratiques étaient également observés, et on connaît à cet égard la virulence que présente encore, parmi certaines tribus arabes par exemple, cette soif de vengeance et la ténacité avec laquelle elle se maintient. De cette conception primitive de la vengeance du sang exercée par la collectivité, il pouvait résulter les conséquences les plus graves, un état de guerre susceptible de durer jusqu’à ce que l’acte criminel eût été considéré comme suffisamment puni et expié.
Chez les Hébreux se produisirent, dans la période la plus ancienne de leur histoire, les mêmes graves inconvénients résultant de l’exercice de la justice rétributive par la collectivité plus ou moins étendue, familiale ou tribale. Le principe énoncé Genèse 9.6 : « Si quelqu’un verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé », a trouvé longtemps son application brutale dans les faits. La loi du talion (voir ce mot) était, en effet, la seule garantie qu’on possédât pour sauvegarder le caractère sacré de la vie humaine et pour protéger son intégrité, à une époque où il n’existait encore aucune autorité régulièrement établie et capable de donner force à la loi ; l’homme se faisait justice à lui-même, et cela explique l’arbitraire et la violence qui régnèrent longtemps dans ce domaine où l’on ne faisait pas toujours la distinction entre meurtre prémédité et homicide involontaire.
Cependant on constate assez vite, chez les Israélites arrivés à un certain niveau de développement juridique, la réalisation, sur le terrain de l’exercice du droit de vengeance et de punition du meurtre, de réels progrès concernant les restrictions et limitations à apporter dans l’exercice de ces droits, et l’établissement de certaines règles de procédure qui rendirent plus difficile, sur ce terrain, la pratique de l’arbitraire et de la liberté absolue. C’est ainsi que, déjà, le Code de l’Alliance Exode 21.12 et suivants pose des règles précises concernant la distinction à établir entre meurtre et homicide involontaire, en indiquant les mots qu’on pouvait employer pour prouver la préméditation ; ces prescriptions se retrouvent dans le Code sacerdotal (Nombres 35.16 et suivants) et dans celui de Deutéronome 19.4 et suivants. Puis, à une époque postérieure, le Code sacerdotal mentionnera l’établissement de six villes de refuge dans lesquelles un homme coupable d’un homicide involontaire pouvait chercher rapidement asile et échapper à la vengeance des parents de la victime (Nombres 35.16 et suivants), et indiquera la pratique à suivre dans les cas où un doute subsisterait sur la culpabilité du meurtrier.
Ainsi, la loi israélite occupera, à cet égard, une position intermédiaire entre les pratiques assez rudes de la société primitive et celles qui ont été établies par la juridiction d’une société plus avancée sur la voie de la civilisation et où c’est l’État qui prend en main l’application des peines frappant les divers délits. Voir Crimes, délits… ; Justice rendue.
Mais ce qu’il faut spécialement relever ici, dans l’exercice du droit et du devoir de la vengeance, c’est que la législation hébraïque en vint à préciser la question de savoir qui possédait, en cas de meurtre du membre d’une famille, le droit et le devoir de la vengeance à exercer. Ce n’étaient plus tous les membres de la famille du mort indistinctement, c’était son plus proche parent par le sang, celui qui aurait été son héritier le plus naturel et qui, au cas où il serait mort sans laisser de progéniture, aurait eu le devoir d’épouser sa veuve et de lui « Susciter une lignée ». Ce justicier s’appelait « le vengeur du sang ». Le verbe gâal exprime l’idée d’une revendication, d’une réclamation des droits de la personne ou de la famille lésée ; lorsque Job (Job 19.25) dit : « Je sais que mon gôel est vivant », il veut dire tout ensemble, par ce mot : « Je sais que le revendicateur de mon innocence la fera triompher un jour de toutes les accusations injustes qu’on a dirigées contre elle ; il sera aussi le vengeur de la mort injuste qui m’est infligée. »
Celui auquel ce rôle était assigné étant le plus pioche parent de la personne dont il devait prendre en main les droits, le mot gôel en vint à exprimer la notion de parent immédiat, le plus rapproché, comme on peut le voir, par exemple, dans plusieurs passages de Ruth (Ruth 2.20 ; Ruth 3.9 ; Ruth 3.12 ; Ruth 4.1 ; Ruth 4.3 ; Ruth 4.6 ; Ruth 4.8 ; Ruth 4.14 cf. 1 Rois 16.11). Comme une des attributions du gôel consistait à user du droit de rachat des terres que son parent était contraint de vendre pour cause de pauvreté, le verbe en vint aussi à exprimer l’idée d’achat, de rachat ; le gôel, comme Jérémie vis-à-vis de son parent Hanaméel (Jérémie 32.7 et suivant), possédait le droit de geoûlâ, de rachat, de rédemption (du latin redimo ; voir ce sens du mot dans Lévitique 25.25 ; Lévitique 25.47 ; Lévitique 27.13-15).
Mais si la loi israélite reconnaissait au « vengeur du sang » (« garant du sang », disaient les anciennes traductions) le droit et le devoir de châtier l’auteur d’un meurtre commis sur un membre de sa famille, elle limitait son pouvoir en ce sens qu’elle protégeait contre lui l’homme qui s’était rendu coupable d’un homicide involontaire et qui avait cherché asile dans une des six villes de refuge ou auprès de l’autel de Yahvé, mettant ainsi le coupable à l’abri des violences auxquelles, dans sa colère, aurait pu se porter le vengeur du sang ; (Deut,10,3,6 ; Nombres 35.9 et suivants) ce n’était que si la préméditation du meurtre commis avait été bien établie par-devant « l’assemblée » (voir Refuge [villes de]), donc devant une juridiction régulière, et sur le témoignage d’au moins deux témoins, que le gôel pouvait faire expier son crime au meurtrier. En outre, la punition de celui-ci ne devait atteindre que le coupable, sans s’étendre aux membres de sa famille (Deutéronome 24.16, cf. 2 Rois 14.6). Ant. - J. B.
Numérisation : Yves Petrakian