La vigne paraît être originaire d’Asie. Elle a pour berceau supposé les bords de la mer Caspienne, entre l’Ararat, le Taurus et le Caucase ; on y trouve encore, ainsi qu’en Arabie Heureuse, la vigne sauvage en pleine exubérance.
Par l’aspect de la vigne en France, on ne se fait guère d’idée des dimensions qu’elle peut atteindre en pays chaud. Pline disait par hyperbole que les pampres croissent sans fin. L’escalier qui montait aux combles du temple de Diane à Éphèse était d’un seul cep de vigne provenant de Chypre ; les colonnes du temple de Junon à Métaponte étaient en bois de vigne ; une grande statue de Jupiter à Populonia était taillée dans un seul tronc de ce égétal (Ed. Grimard).
La viticulture a partout accompagné la civilisation. Les Phéniciens en dotèrent tous les rivages méditerranéens. Déjà vers la fondation de Rome (753 avant J-C). elle apparaît en Italie ; le roi Numa permet aux prêtres les libations de vin dans les sacrifices. Les Gaulois convoitent plus tard les vignobles d’Italie ; certains guerriers, comme moyen de propagande pour cette conquête, se contentaient d’envoyer des vases de vin à ceux qu’ils espéraient engager dans leurs troupes (comparez notre expression familière : un pot-de-vin). Quand Jules César envahit la Gaule, il trouva la vigne importée dans le Midi : les environs de Marseille et de Narbonne étaient couverts de vignobles magnifiques. Au IVe et suivant., la vigne s’étend jusque dans l’Armorique et environne Lutèce. L’empereur Dioclétien, la déclarant ennemie du blé, en avait décrété l’extirpation totale ; partout arrachée, elle fut bientôt replantée par les légions de Probus.
La vigne appartient à la famille des Vitacées (ou Ampélidées), genre vitis (28 espèces), espèce vitis vinifera. Tout le monde connaît cet arbrisseau : tige noueuse, tortueuse (cep, ou souche), dont l’écorce grisâtre ou rougeâtre, crevassée, se détache par filaments ; rameaux alternes, noueux et flexueux (sarments) ; larges feuilles alternes, longuement pétiolées, échancrées en cœur à la base, palmées en 5 lobes sinueux et dentés, vert foncé et lisses en dessus, blanchâtres et duveteuses en dessous (pampres) ; opposés à certaines feuilles sont des appendices (vrilles), grappes avortées, devenues organes de préhension, ramifiées et tordues en tous sens, et s’accrochant aux appuis voisins, tuteurs, échalas, arbres, pans de murs ; fleurs petites et verdâtres donc peu apparentes, odorantes (cf. Cantique 2.13 ; Cantique 6.11 ; Cantique 7.13), groupées en grappes composées, très denses, opposées aux feuilles, d’abord dressées puis pendantes ; fruits en baies colorées, noirs, violets, blanchâtres ou jaunes, renfermant un petit nombre de graines (pépins)
La vigne est désignée dans la Bible par l’hébreu gèfèn (54 fois) et le grec ampélos ; le vignoble cultivé, par l’hébreu kèreni (87 fois) et le grec ampélôn. Nos termes de cep ou souche paraissent correspondre à l’hébreu zmôrâh (Ésaïe 17.10) et soûr (Jérémie 2.21) ; celui de sarment, à sârîghv (Genèse 40.10 ; Genèse 40.12; Joël 1.7), et celui de grappe, à echkôl (Deutéronome 32.32 ; Ésaïe 65.8 ; Michée 7.1), appellation qui est devenue nom propre, Escol (voir ce mot), près d’Hébron (Nombres 11.23 et suivant). Le nom du raisin est énâb (Genèse 49.11 ; Lévitique 25.5 ; Nombres 13.20 23 ; Néhémie 13.15 ; Osée 3.1 ; Osée 9.10, Amos 9.13) ; le raisin sauvage, beouchim (Ésaïe 5.2 ; Ésaïe 5.4). La feuille, âlèh, n’est mentionnée que dans Ésaïe 34.4 ; Jérémie 8.13, à propos de sa chute quand elle est flétrie (voir pourtant Siracide 24.17). Le sôréq (Genèse 49.11 ; Ésaïe 5.2 ; Jérémie 2.21), qui a donné son nom à la vallée de Sorek (voir ce mot), était un cru supérieur, qui devait avoir des raisins rouges : son nom dérive d’une racine désignant cette couleur ; on l’appelle aujourd’hui au Maroc serki. La « vigne de Sodome », à « raisins vénéneux » (Deutéronome 32.32), n’est sans doute qu’une expression péjorative ; s’il fallait y voir une certaine plante, ce serait probablement la coloquinte (voir Concombre, 3). La désignation kèrem. (vignoble) implique une certaine idée de noblesse qui apparaît nettement dans le nom du Carmel (voir ce mot), traduit parfois comme un nom commun (karmel = vigne de Dieu), synonyme de jardin ou verger (Ésaïe 32.15), et qui désigne comme nom propre la chaîne de montagnes célèbre par ses vignobles, entre Asser et Issacar. De kèrem on a tiré kôrém (vigneron). Vendanger se dit bâtsar, d’où bôtser = vendangeur. Celui qui foule à la cuve est le dôrek-anâbim (écraseur de grappes) ; la Bible nous a conservé le cri rythmant son travail (hédâd, Ésaïe 16.9 ; Jérémie 48.33 ; traduction Reuss, hourrah !).
Les articles de lois relatifs aux vignobles témoignent de leur importance dans la vie israélite. Défenses : de mélanger des plants différents dans le même vignoble (Deutéronome 22.9), de semer entre les ceps (Lévitique 19.19), d’épuiser prématurément la vigne en y faisant la vendange avant trois ans (Lévitique 19.23). Dispense du service militaire pour les vignerons et pour ceux dont la vigne n’a pas encore produit (Deutéronome 20.6 ; Jérémie 52.16, 1 Macchabées 3.56) ; l’officier de Nébucadnetsar observe cette règle à l’égard des Jérusalémites (2 Rois 25.13). Repos de la vigne pendant les années sabbatiques et jubilaires (Exode 23.11 ; Lévitique 25.3). Dédommagement dû pour les dégâts occasionnés par les animaux dans les vignes (Exode 22.5). Obligation de laisser aux pauvres de quoi grappiller après la vendange (Deutéronome 24.21 ; Lévitique 19.10). Droit pour le voyageur de manger du raisin en passant (Deutéronome 23.24). Job 24.6 ; Job 24.11 dénonce parmi les infamies qu’ont à subir les indigents le fait qu’ils ne peuvent vivre que de grappillage et qu’ils souffrent de la soif tout en foulant au pressoir (comparez l’interdiction de museler le bœuf foulant le grain sur l’aire, Deutéronome 25.4).
Avec le figuier et l’olivier (voir ces mots), la vigne constitue la trilogie des produits palestiniens par excellence, choisie comme type des arbres à bon fruit dans la fable des arbres à la recherche d’un roi (Juges 9.8). Comme le figuier et l’olivier, la vigne apparaît dès les premières pages de la Bible : après le déluge, Noé en commence la culture (Genèse 9.20 et suivants), Abraham la trouve en Canaan (Genèse 14.18). Joseph la trouve en Égypte (Genèse 40.9 ; Psaumes 78.47), les Hébreux la retrouvent en Canaan, et superbe : la fabuleuse grappe que les explorateurs cueillirent à Escol, signifiant : grappe, et qu’ils rapportèrent suspendue à une perche (Nombres 13.23). Des endroits seront aussi appelés Beth-Kérem [= lieu de vignobles], Abel-Kéramim [= prairie de vignobles] (Jérémie 6.1 ; Juges 11.33).
Sans atteindre les dimensions exceptionnelles indiquées plus haut, la vigne trouva en Palestine des conditions particulièrement favorables : (Deutéronome 8.7 et suivant) soleil chaud, nuits de rosée. Elle poussait couramment en haute treille ; d’où l’expression : « sous sa vigne et sous son figuier » (1 Rois 4.25 ; Michée 4.4 ; Zacharie 3.10, 1 Macchabées 14.12). Les terres pierreuses ensoleillées des coteaux palestiniens, impropres aux céréales, permettaient aux grappes vermeilles d’acquérir toutes leurs qualités. Dans Ésaïe 16.8-10 et Jérémie 48.32, le vignoble de Juda est poétiquement représenté comme traversant la mer Morte pour se propager dans les vignobles de Pérée. L’Assyrie prétend rivaliser avec Juda comme pays de blé et de vignes (Ésaïe 36.16 et suivant).
Toute la vendange n’était pas destinée à la fabrication du vin (voir ce mot) et des boissons analogues ; on consommait aussi le raisin sur pied (Deutéronome 23.21). Ce texte fait allusion au grappillage, qui était autorisé (cf. Jérémie 6.9 ; Siracide 33.16). On mangeait des raisins frais, mais aussi des raisins secs (Nombres 6.3) ; autrefois comme aujourd’hui, ceux-ci étaient préparés en grandes quantités ; à cet effet, on plongeait les grappes dans une solution de potasse avant de les faire sécher ; on en faisait des gâteaux (1 Samuel 25.18 ; 1 Samuel 30.12 ; 2 Samuel 16.1 ; 1 Chroniques 12.40). De tels gâteaux de raisins pressés, ou de raisins secs, furent parfois des offrandes dans certains cultes idolâtres (Osée 3.1, cf. Jérémie 7.18 ; Jérémie 44.19).
Malgré le climat propice, une vigne non entretenue aurait été envahie par les chardons (Proverbes 24.30 s). mais quelques travaux peu compliqués suffisaient à cet entretien ; (cf. Lévitique 25.3 et suivant) elle se propageait facilement ; semis, marcottage, bouture, greffe, tout réussissait, avec des précautions élémentaires. Il ne semble pas qu’on eût déjà à combattre des maladies de la vigne, alors que l’on connaissait des maladies des céréales (voir Nielle). Les soins tout particuliers qu’on pouvait apporter aux vignobles sont énumérés dans le cantique d’Ésaïe (Ésaïe 5.1 ; Ésaïe 5.6) et résumés dans la parabole des vignerons (Marc 12.1 et parallèle). Par précaution contre les voleurs ou les animaux (Cantique 2.15 ; Psaumes 80.14), vignes et vergers étaient entourés de haies (Ésaïe 5.2) ou de murs (Proverbes 24.31) et munis de postes de surveillance (Ésaïe 1.8), en branchages provisoires (voir Cabane, et figure 50), ou construits en pierres sèches (voir Tour, et figure 286) ; des gardiens s’y tenaient quand les fruits étaient mûrs. La tour est un endroit élevé, dit la Mischna, où se tient le vigneron pour surveiller sa vigne (Matthieu 21.33). David avait un intendant pour les vignes royales, et un autre pour ses provisions de vin (1 Chroniques 27.27). La fête des Tabernacles, qui marquait la fin de toutes les récoltes, était célébrée en automne, précisément à l’époque de la vendange ; les vignes retentissaient alors de chants et de cris de joie (Juges 9.27 ; Ésaïe 16.10 ; Ésaïe 27.2 ; Jérémie 25.30 ; Jérémie 48.33). Le pressoir était toujours dans le verger ; il était formé d’une cuve en pierre, où l’on jetait les grappes, qui étaient foulées aux pieds par les vendangeurs ; (Ésaïe 63.2; Joël 3.13) au fond, une ouverture grillée laissait passer le vin dans un réservoir creusé dans la terre et maçonné ou taillé dans le roc. Les nombreux pressoirs taillés en plein roc, qui subsistent encore aujourd’hui en Palestine, attestent l’importance de la culture de la vigne chez les Israélites. Voir descriptions et dessins dans Gens et choses de Pal., pages 74-76, 94, 95.
Son importance ressort aussi du grand nombre d’occasions où elle apparaît dans les divers livres de la Bible. Les vignes fournissent un cadre : à des épisodes, comme la lutte de Samson contre le lion (Juges 14.5), l’enlèvement des filles de Silo (Juges 21.20 et suivant), et surtout comme le mémorable scandale de l’affaire Naboth, sous Achab à Jizréel (1 Rois 21) ; à des chants, comme ceux du Cantique des cantiques (Cantique 1.6-14 ; Cantique 7.13 ; Cantique 8.11 et suivant, etc.) ; à des paraboles, comme celles des ouvriers, des deux fils, des vignerons (Matthieu 20.1 ; Matthieu 21.28 ; Matthieu 21.33), du figuier stérile (Luc 13.6 et suivants) ; à de frappantes images, relatives surtout à ses fruits (Matthieu 7.16 ; 1 Corinthiens 9.7 ; Jacques 3.12 etc.). L’idée des efforts inutiles est souvent exprimée sous cette forme : planter une vigne et n’en pas manger le fruit (Deutéronome 28.30 ; Deutéronome 28.39, Amos 5.11 ; Sophonie 1.13 etc.) ; la formule inverse, positive, se trouve aussi (Deutéronome 6.11 ; Amos 9.14 ; Ésaïe 37.30 ; Ésaïe 65.21 etc.).
La vigne est en général, dans le langage biblique, le symbole de la fertilité (Psaumes 128.3) ; c’est une des principales ressources du commun peuple, avec les champs (1 Samuel 8.14 ; 1 Samuel 22.7 ; Osée 14.7 ; Néhémie 5.3 ; Néhémie 5.5 ; Néhémie 5.11 ; Psaumes 107.37 etc.). Sa destruction est un désastre, le plus souvent interprété comme un châtiment de Dieu (Osée 2.12 ; Ésaïe 7.23 ; Ésaïe 24.7 ; Ésaïe 32.10 ; Ésaïe 32.12 ; Jérémie 8.13 ; Psaumes 105.33 etc.), par l’instrument des sauterelles (Joël 1.5-7) ou des armées ennemies (Jérémie 5.17 ; Habakuk 3.16 et suivant, etc.) ; et le retour de la faveur de l’Éternel se marquera entre autres par la reconstitution de vignes florissantes : (Osée 2.15; Joël 2.22; Aggée 2.19 ; Zacharie 8.12 ; Malachie 3.11 etc.) ce sera un signe de paix et de sécurité (Jérémie 32.13 ; Ézéchiel 28.26 etc.).
Véritable produit national de la Palestine, la vigne fut même placée comme emblème de la Judée sur certaines pièces de monnaie du temps des Hérodes (le palmier y paraît aussi : figure 178, 180). Les rameaux de la vigne sont employés comme motif ornemental de quelques synagogues. Le symbolisme scripturaire fait constamment de la vigne le type du peuple de Dieu. Il se trouve dans le chant de tristesse sur la vigne stérile (Ésaïe 5.1 ; Ésaïe 5.7), auquel ressemble le thème de Psaumes 80.9-17 ; voir encore Osée 10.1 ; Ésaïe 3.14 ; Jérémie 2.21 ; Jérémie 12.10, les allégories de Ézéchiel 15.1-6 ; Ézéchiel 17.5 ; Ézéchiel 19.10-14. Dans le tableau de Apocalypse 14.18 et suivant, la « vigne de la terre » (comme la « moisson de la terre », verset 15) représente les ennemis du Christ, destinés à l’effroyable « vendange dans la grande cuve de la colère de Dieu » (voir Cuve).
L’enseignement de Jésus approfondit celui des prophètes. La sombre parabole des méchants vignerons, sinistre raccourci des efforts du Dieu de la révélation dans son peuple à travers les siècles, montre que la. faute n’est pas imputable à la vigne, mais aux vignerons : allusion aux chefs d’Israël, dans la succession de leurs générations, au fur et à mesure des appels des envoyés de Dieu ; de plus, il n’y a pas seulement refus de donner des fruits, mais association dans le crime contre le Fils (Marc 12.1 ; Marc 12.12 ; Matthieu 21.33-44; Luc 20.9 ; Luc 20.19). En un contraste saisissant avec cette parabole, — celui de la grâce en face du péché, — le Seigneur dans le 4e Évangile décrit allégoriquement Dieu son Père comme le Vigneron, lui-même étant le véritable cep de vigne, et ses disciples fidèles étant les sarments, porteurs de fruits grâce au cep, de qui leur vient la sève (Jean 15.1 ; Jean 15.8).
Le « soulagement » par lequel est interprété dans Genèse 5.29 le nom de Noé (d’après l’hébreu nouakh = reposer) rappelle la malédiction du sol par Dieu (Genèse 3.17 et suivants) et fait sans doute allusion à la vigne. Selon le récit de la Genèse, Noé est le premier homme qui ait cultivé la vigne et éprouvé les effets enivrants du vin (Genèse 9.20 et suivant) ; ce récit en fait ressortir le caractère dégradant, alors que les mythologies païennes attribuent souvent le vin à une révélation divine (Dionysos, Osiris), et que les religions naturelles voient souvent dans l’ivresse une inspiration (voir Dionysos, Ivresse).
On connaît mal les anciens procédés de vinification. Le terme courant pour désigner le vin fermenté (141 fois dans l’Ancien Testament) est yaïn : « Noé en but et s’enivra » (Genèse 9.21). L’opinion que le yaïn n’était pas forcément fermenté ne se soutient pas ; en fait, les anciens ignoraient le moyens d’empêcher le moût (tîrôch) de fermenter. Les amendes pour les dégâts commis dans les vignes se payaient en yaïn (Amos 2.8), et si le prophète reproche ici aux Judéens de « boire le vin des amendes dans la maison de leur Dieu », ce n’est pas le fait de boire du vin qu’il condamne, mais l’injustice des exploiteurs qui font la fête — et la fête religieuse ! — aux dépens des pauvres durement taxés. Le vin des prémices (bikkourim et réchith, Exode 23.19 ; Exode 34.26, cf. Deutéronome 8.8) était du moût (tîrôch) ; mais à cause du climat il fermentait vite en yaïn ; la preuve, c’est que les prêtres, qui ne récoltaient rien directement et n’avaient, en fait de vin, que le moût des prémices, devaient s’abstenir de yaïn et de chékar (boisson forte ; voir plus loin), « afin de pouvoir distinguer entre ce qui est saint et ce qui ne l’est pas » (Lévitique 10.9 et suivant), ce qui fait bien entendre que ces deux genres de vin étaient fermentés. De même le vin était interdit à Rome, au flamme (prêtre) de Jupiter. Le vin consommé pendant les années sabbatiques et jubilaires ne pouvait qu’être fermenté, puisque ces années-là on ne devait pas plus vendanger que moissonner, la vigne étant alors tenue pour nazir (consacrée), et l’on devait vivre sur les récoltes des années précédentes, Dieu ayant promis qu’elles suffiraient pour trois ans (Lévitique 25.5 ; Lévitique 25.11 ; Lévitique 25.21). Enfin, la couleur rouge du yain (Proverbes 23.31), — d’où la figure : le « sang des grappes », ou « des raisins » (Genèse 49.11 ; Deutéronome 32.14, cf. Siracide 39.26 ; Siracide 50.15 ; 1 Macchabées 6.34), — indique formellement qu’il était fermenté, car cette couleur provient de la fermentation du moût avec la grappe. La Bible connaît plusieurs crus célèbres : ceux de Hesbon (Ésaïe 15.4 ; Ésaïe 16.8, le « vin royal » de Esther 1.7), de Sibma (Ésaïe 16.9 ; Jérémie 48.33), d’Éléalé (Ésaïe 16.9), du Liban (Osée 14.7), d’Hébron (Escol, Nombres 13.23 et suivant), etc. Ésaïe, parlant de la restauration de Jérusalem, la dépeint sous l’image d’un « festin de vins vieux, pris sur la lie et clarifiés » (Ésaïe 25.6), pratique à laquelle Jérémie 48.11 fait aussi allusion. Dans Siracide 9.10, une comparaison porte sur le vin nouveau, qui s’améliore en vieillissant ; dans 2 Macchabées 15.39, une autre porte sur le vin mélangé d’eau bien préférable au vin pur ou à l’eau pure. Deux synonymes de yain sont plus rares : sôbè et khèmèr-yain est le vin défini en fonction du procédé par lequel on l’obtient (fermentation du moût). Sôbè est le vin défini par ses propriétés enivrantes (de sâbâ, boire abondamment) : Proverbes 23.20 et suivant parle des « ivrognes de vin » (sôbeé-yain), Nahum 1.10 compare les ivrognes ninivites imbibés de boisson à des épines inextricables (sâbeâm-seboûim, sîrim-seboukim) ; ce sôbè devait être plus capiteux que le simple yain : Ésaïe 1.22 dénonce comme falsifié un sôbè coupé d’eau, ce qui, sans doute, le faisait ressembler au yatn. Le khèmèr (Deutéronome 32.14 ; Ésaïe 27.2 ; araméen, khamar, Daniel 5.1 ; Daniel 5.4 ; Daniel 5.23 ; Esdras 6.9 ; Esdras 7.22) désigne aussi un vin fermenté, mais probablement amer ou aromatisé par un mélange destiné à le rendre plus fort ; les anciens donnaient volontiers à leurs boissons un goût de résine ou de bitume (hébreu khémâr), ce qui se pratique encore pour certains vins grecs ou italiens. En ce cas, les récipients, outres de peau de chèvre ou vases de pierre (Marc 2.22 ; Jean 2.6), étaient imprégnés de ce goût particulier.
La boisson forte par excellence, c’est le chékar (28 fois dans l’Ancien Testament), avec ses synonymes mések (Psaumes 75.9) et mèzeg (Cantique 7.3). La base en est le yain (Proverbes 9.2 ; Proverbes 9.5), auquel on mélange des aromates comme la myrrhe, ou des jus de fruits comme les dattes ou les grenades. Les vieilles traductions rendaient chékar par « Cervoise », l’ancien nom de la bière (latin cervisia, dérivé de Cérès, déesse des moissons) qu’Aristote nommait oinos krithinos = vin d’orge (voir ce mot). Il se peut que la réprobation qui, dans la Bible, s’attache au chékar s’explique justement par le fait que c’était une mixture ; la Loi prohibait, en général, les mélanges hétéroclites (Deutéronome 22.5 ; Deutéronome 22.9 ; Deutéronome 22.11). Une seule fois dans l’Ancien Testament, il est question d’une libation (pour l’holocauste perpétuel) à faire avec du chékar ; (Nombres 28.7) mais les traductions le rendent généralement par « vin » (Version Synodale, vin pur), comme dans 28.14 où le texte dit bien yain Dans les nombreux textes où le yain et le chékar sont associés (Lévitique 10.9 ; Nombres 6.3 ; Deutéronome 14.26 ; Juges 13.4 ; Juges 13.7 ; Juges 13.14 ; 1 Samuel 1.15 ; Proverbes 20.1 ; Proverbes 31.4 ; Proverbes 31.6 ; Ésaïe 5.11 ; Ésaïe 5.22 ; Ésaïe 24.9 ; Ésaïe 28.7), le parallélisme porte sur l’action enivrante de l’un et de l’autre ; mais leur double mention les distingue expressément l’un de l’autre, et le chékar était évidemment à dose d’alcool beaucoup plus forte.
Parmi les boissons fermentées, il faut placer aussi le vinaigre (khômets), c’est-à-dire du yain ou du chékar aigri, dont on distinguait les deux espèces : le khômets yaïn et le khômets chékar (Nombres 6.3). On le buvait étendu d’eau, on s’en servait aussi comme condiment ; voir (Ruth 2.14) plus loin, paragraphe 5.
Le tîrôch est le moût, ou jus de raisins frais (38 fois dans l’Ancien Testament). Le parallélisme fréquent entre le blé, le tîrôch et l’huile indique assez un produit primaire : c’est la trilogie classique des produits types de la Terre promise (Nombres 18.12 ; Deutéronome 7.13 ; Deutéronome 11.14 ; Deutéronome 12.17 ; Deutéronome 14.23 ; 2 Chroniques 31.5 ; 2 Chroniques 32.28 ; Néhémie 5.11 ; Néhémie 10.39 ; Néhémie 13.5 ; Osée 2.8 ; Jérémie 31.12; Joël 1.10 ; Joël 2.19 ; Joël 2.24; Aggée 1.11). Le tîrôch est le jus qui coule du pressoir (verbe yârach = prendre par force, expulser), appelé une fois « pleurs du raisin » (Exode 22.29 ; Version Synodale, « prémices du pressoir »). C’est ce genre de vin doux que les lévites recevaient comme prémices du pressurage ; il était réputé enivrant (cf. Actes 2.13). Un produit analogue, mentionné plus rarement, âsîs (Ésaïe 49.26; Joël 1.5 ; Joël 3.18, Amos 9.13 ; Cantique 8.2), est un jus de fruits. Dans Ésaïe 63.3 ; Ésaïe 63.6, le sang est comparé au jus découlant des grappes ; dans Nombres 6.3, il s’agit de raisins frais (anâbim lakhim) ; dans Néhémie 8.10, mamethâq est traduit par les « boissons douces » (Version Synodale).
Il semble que ce soit surtout le royaume du nord (donc après 950 avant Jésus-Christ) qui ait été contaminé par le vice de l’intempérance (Amos 4.1 ; Osée 7.5 ; Ésaïe 28.1, cf. Tobit 4.15 ; Siracide 9.9 ; Siracide 31.25). Cela pourrait expliquer pourquoi la Loi, avec ses nombreuses prescriptions sur l’usage du vin, ne mentionne guère l’ivrognerie. Le seul texte qui prévoie une peine : lapidation et mort (Deutéronome 21.20 et suivant), porte sur la rébellion d’un fils à l’égard de son père. Toutefois l’abus est expressément condamné, notamment chez les prophètes (Amos 2.8 ; Amos 6.6 ; Ésaïe 5.22 ; Ésaïe 24.9 ; Ésaïe 29.9 ; Habakuk 2.15; Joël 1.5). Les moralistes montrent dans cet abus un défaut de sagesse (Proverbes 20.1 ; Proverbes 31.4 ; Ecclésiaste 2.3-11 ; Siracide 31.25 ; Siracide 31.31), une source de pauvreté (Proverbes 21.17 ; Proverbes 23.21) et de débauche (Proverbes 23.31 ; Proverbes 23.33 ; Siracide 19.2) ; les prophètes en dénoncent la dégradation (Ésaïe 28.7 ; Osée 4.11), qui porte l’homme à mépriser son Dieu (Ésaïe 5 : et suivant). Mais, d’autre part, la Bible ne craint pas de parler de la joie que procure le vin (Juges 9.13 ; Psaumes 104.15 ; Proverbes 31.6 et suivant, Ecclésiaste 9.7 ; Ecclésiaste 10.19 ; Zacharie 9.13 ; Zacharie 10.7 ; Siracide 31.27 ; Siracide 40.20). Voir Ivresse, Tempérance.
L’abstention du vin prescrite aux prêtres dans certaines circonstances (Lévitique 10.8 et suivants, Ézéchiel 44.21) visait le même but que la recommandation apostolique : « Soyez sages et sobres, afin de pouvoir prier » (1 Pierre 4.7). Les rabbins de l’époque apostolique estimaient qu’un homme qui a bu plus d’un quart de log de vin non mélangé d’eau, soit la valeur de six coquilles d’oœufs, ne doit pas enseigner (Talmud, Eroubin). On cite, comme exemple d’abstinence en Israël, les nazirs ou naziréens (voir ce mot). D’après Nombres 6 ils devaient, pendant le temps de leur vœu (voir ce mot), s’abstenir non seulement de vin (yain et chékar) ou même de vinaigre, mais aussi bien de tout ce qui provient de la vigne, « depuis les pépins jusqu’à la peau du raisin ». Ceux qui n’étaient pas naziréens à vie devaient, le temps de leur vœu achevé, apporter au temple les offrandes prescrites et le vin nécessaire aux libations ; ensuite ils pouvaient boire du vin (Nombres 6.15 ; Nombres 6.20). On connaît les cas de Samson, de Samuel. On cite aussi l’abstinence de Daniel, qui avait résolu de ne pas se souiller avec les mets de la table royale (Daniel 1.8) ; mais il s’agissait là d’éviter une idolâtrie, parce que les mets et boissons servis à table avaient été consacrés aux idoles. On trouve un cas semblable dans Juges 10.5 ; Juges 12.1 et suivant (comparez, pour les chrétiens, le problème indiqué dans 1 Corinthiens 8). Le cas le plus absolu d’abstinence est celui des Récabites (voir ce mot), dont le principe n’était cependant pas celui de la tempérance, mais celui du nomadisme (Jérémie 35.1 ; Jérémie 35.11).
Le mot debâch, traduit par miel, entre autres dans la célèbre formule : « pays ruisselant de lait et de miel » (Exode 3.17 etc.), désigne quelquefois (comme l’arabe actuel dibs) un produit obtenu en chauffant et en évaporant le moût, donc un « miel de vin » correspondant à notre raisiné. On en exportait de Canaan en Égypte et à Tyr (Genèse 43.11 ; Ézéchiel 27.17). Il nous paraît certain que dans Cantique 5.1, que l’on a parfois traduit : « Je mange mon rayon de miel (yaar) avec mon miel (debâch) » (Segond), si le premier terme désigne le miel d’abeilles, le second doit désigner autre chose, c’est-à-dire le raisiné (la Version Synodale distingue ainsi : sucre et miel) ; voir Miel. D’après L. Schneller (Connais-tu…, ch. XII), ce sens de raisiné, ou moût cuit, serait celui de l’expression « pays découlant de miel », le miel d’abeilles ayant infiniment moins d’importance en Palestine, à côté du lait assuré par les pâturages, que le produit de la vigne. La bénédiction de Jacob annonce qu’en terre de Juda, la vigne sera aussi commune que les buissons et le vin aussi abondant que l’eau (Genèse 49.11 et suivant). Quand les prophètes prédisent les punitions de l’Éternel sur son peuple infidèle, ils emploient souvent l’image de vendanges déficitaires (Amos 5.11 ; Osée 9.4 ; Ésaïe 16.10 ; Ésaïe 24.7 ; Ésaïe 24.11 ; Ésaïe 32.10 Michée 6.15 ; Sophonie 1.13 ; Lamentations 2.12; Joël 1.5 etc.).
Les termes grecs oïnos et sikéra correspondent à l’hébreu yaïn et chékar. Le vin doux (tirôch) est appelé oïnos néos -vin nouveau (une fois, gleukos = doux ; Actes 2.13). Le vinaigre (oxos) est nommé à propos du crucifiement (Marc 15.36 et parallèle des 4 Évangile) ; c’est la boisson dite en latin posca, en usage chez les soldats romains : mélange de vinaigre et d’eau (on dit aussi oxycrat). Il faut en distinguer le vin mélangé de myrrhe (Marc 15.23 ; Matthieu 27.34 dit : de fiel (voir ce mot), qui fait penser au « vin des affligés » (Proverbes 31.6), sans doute une sorte de stupéfiant (voir aussi Baumes, paragraphe 5). Comme figure de langage, le vin évoque l’ivresse et l’impureté (Apocalypse 17.2), et les châtiments de Dieu sont comparés à la « vendange dans la cuve de sa colère » (Apocalypse 14.19 et suivant). Mais pour la piété chrétienne, le vin est devenu avant tout le symbole du sang du Sauveur (cf. Matthieu 26.28 et suivant) et de la communion avec lui dans la sainte Cène (voir ce mot). À l’excitation factice provoquée par le vin, saint Paul oppose l’enthousiasme produit par l’effusion de l’Esprit (Éphésiens 5.18 et suivant).
Voir Alexandre Westphal, Les dieux et l’alcool, 1903. Ch. Serfass, Le Vin dans la Bible, le Vin de la Pâque et de la sainte Cène, Saint-Biaise 1910. Ch.-Ed. M., Jn L..
Ch. S.
Numérisation : Yves Petrakian