La Synagogue récitait ce livret en la fête de Pâque, fête du printemps, période agréable où les jeunes gens, folâtrant dans les vergers, trouvaient ainsi, semble-t-il, occasion de se connaître, de s’aimer et de préparer des mariages d’inclination. Cette œuvre lyrique chante l’amour passionné ; elle s’apparente par là aux poèmes dont l’Égypte ancienne, entre autres, nous a laissé de nombreux exemples. Mais la tradition juive et chrétienne y a toujours vu un livre inspiré de Dieu et méritant ainsi son titre, « Cantique des Cantiques », c’est-à-dire cantique qui surpasse tous les autres en beauté. Aussi bien faut-il en rechercher le sens supérieur, sans adopter à priori l’une ou l’autre des interprétations infiniment variées que l’on en propose.
L’ouvrage semble avoir été composé, un peu comme les Proverbes, de pièces diverses. On y trouve : 1° Une introduction : I, 1-4. L’attribution à Salomon n’est qu’un hommage au grand roi ; la langue d’ailleurs est apparentée à celle de l’Ecclésiaste, et, comme Ecclésiastique XXIV semble s’inspirer du Cantique, on admet que notre livre fut composé entre ces deux ouvrages, à la fin du IIIe siècle. 2° Plusieurs poèmes, peut-être sept, où sont intercalés des couplets adventices : I, 5 – II, 7 ; II, 8 – III, 5 ; IV, 1 – V, 1 ; V, 2 – VI, 3 ; VI, 4-10 ; VII, 2 – VIII 7. 3° Des appendices : VIII, 8-14, furent ajoutés au Cantique un siècle environ avant notre ère.
Ces huit chapitres sont donc essentiellement un ensemble de poèmes, peut-être préexistants, en tout cas animés d’un même mouvement lyrique, manifestant une certaine gradation, et visant à chanter l’amour de Dieu et d’Israël.
En effet, comme toute la littérature sacrée des temps postexiliens, le Cantique s’alimente aux sources inspirées, surtout prophétiques. On y retrouve notamment l’image du mariage dont l’utilisation, pour caractériser les relations de Dieu avec son peuple, remonte au prophète Osée (VIIIe siècle) ; après lui, Isaïe, Jérémie, Ézéchiel décrivent comme des fiançailles les premières rencontres de Yahweh et d’Israël au désert, promesses magnifiques dont les infidélités ( « prostitutions ») du peuple élu compromirent l’accomplissement, sans jamais toutefois décourager Dieu : car, au terme de dures épreuves, ce sera la rentrée en grâce de l’infidèle.
Non seulement ces métaphores sont authentiquement traditionnelles, mais des mots significatifs, des expressions, des phrases montrent que l’auteur a utilisé des passages bibliques, surtout prophétiques, traitant généralement de l’Exil et du Retour. Ainsi la description de l’Époux (V, 10-16) s’inspire de textes du Deutéronome (XII, 5, etc.) : ils permettent d’identifier le bien-aimé avec le Temple, qui symbolise la présence du Seigneur ; de même la description de l’Épouse (VII, 2-6 ; cf. Osée II, 5 et XIV, 6-8) l’identifie avec la Terre Sainte. Ce n’est qu’un aspect, combien touchant, du thème général certain : l’union de Dieu et d’Israël.
Il est caractéristique que seul le dernier poème s’achève par la possession définitive, Si l’Époux ne cesse de rechercher et d’appeler sa bien-aimée, celle-ci partagée entre un amour pénitent réel et de multiples infidélités, échappe bientôt aux étreintes fugitives. N’est-ce pas la traduction, hautement poétique, de l’histoire d’Israël, de ses nombreux errements loin du Seigneur ? Mais celui-ci aura le dernier mot, son amour triomphera, et l’union définitive du peuple avec Dieu aura tous les charmes d’une première union.
S’il faut éviter de rechercher un sens précis pour chacun des détails, on doit remarquer que, sous l’influence de la littérature sapientielle, l’histoire des chutes et des conversions collectives devient aussi celle de chaque âme ; c’est pourquoi ce livre est éminemment goûté des mystiques, si sensibles à la miséricorde et à l’amour divins. C’est dans cette direction que l’auteur semble inviter à rechercher le vrai bonheur, en réponse à l’attitude désabusée de l’Ecclésiaste : « L’amour est fort comme la mort, et son ardeur demeure inassouvie... Les grandes eaux ne pourraient l’éteindre et les fleuves n’auront pas la force de l’emporter. » (VIII, 6)
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