L’Epître de Jude met les chrétiens en garde contre certains personnages impies qui sont un écueil pour eux, dans leurs agapes, où ils ne songent qu’à se repaître et à faire bonne chère (Jude 1.12). Ce mot d’agapes, fréquemment employé par les écrivains chrétiens des premiers siècles, ne se rencontre, dans le Nouveau Testament, qu’au passage ci-dessus indiqué ; mais nous trouvons plusieurs allusions à l’usage qu’il désigne dans les Actes des Apôtres et les Epîtres. Le mot dérive de celui qui signifie, en grec, l’amour fraternel (agapè), et cette dérivation s’explique par le fait que l’agape était un repas pris en commun par les premiers chrétiens pour manifester l’esprit de familiale concorde qui caractérisait l’Eglise. Nous trouvons cette coutume établie à Jérusalem dès le lendemain de la première Pentecôte chrétienne (Ac 2.42,47). Plus tard, nous la retrouvons à Troas (Ac 20.7). L’apôtre Paul la mentionne sous le nom de « repas du Seigneur » (1Co 11.20). Ce dernier passage nous apprend que l’agape était alors destinée à commémorer le dernier repas de Jésus avec ses disciples et que le pain et le vin, symboles du sacrifice du Maître, y étaient distribués aux fidèles. En d’autres termes, il s’agissait de reproduire l’événement de la Chambre Haute tout entier et l’on ne songeait pas encore que la Sainte Cène pût être distincte de l’agape. Il en résultait que l’une et l’autre étaient séparées du culte public, célébré à une heure différente. En un sens, cependant, ce repas mystique avait un caractère cultuel et l’apôtre insiste pour qu’y règnent le sérieux et la décence qui conviennent au « repas du Seigneur ». On n’y doit pas venir, comme à une table quelconque, parce qu’on a faim ou soif (1Co 11.22,34), mais pour « annoncer la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1Co 11.26). Il est certain que cette union de l’agape et de la Sainte Cène datait de la première heure, mais alors ce repas avait lieu tous les jours. Plus tard, l’Eglise étant devenue plus nombreuse et ayant dû renoncer à vivre dans une aussi étroite communauté qu’au début, les agapes ne se tinrent plus que le dimanche.
Mais des modifications plus sérieuses furent imposées à l’Eglise par l’esprit qui régnait fréquemment dans ces réunions. La fraternité qu’elles devaient manifester était trop souvent absente. Au lieu de mettre en commun des aliments fournis par tous, chacun gardait pour lui ce qu’il avait apporté, d’où résultait une choquante inégalité entre les convives (1Co 11.22). Sans doute les excès auxquels donnaient lieu les agapes étaient-ils répréhensibles du point de vue chrétien, mais ils n’avaient rien de commun avec ceux qui furent imputés aux Eglises par la haine des ennemis de l’Evangile. Parce que les agapes étaient des réunions intimes et qu’elles se tenaient de :finit, elles donnèrent lieu aux calomnies les plus absurdes. La malveillance transformait en repas de chair humaine la participation symbolique au corps et au sang du Christ et en pratiques de débauche le baiser fraternel que les chrétiens se donnaient au départ. Mais il suffit de supposer que les abus signalés par Paul ne furent pas abolis par son intervention pour expliquer qu’on se vit obligé de séparer la Sainte Cène de l’agape pour l’adjoindre au culte public. Toutefois, cette séparation ne semble pas avoir eu lieu avant le IIe siècle et sort du cadre de l’histoire biblique.
Numérisation : Yves Petrakian