Les peuples primitifs, comme beaucoup de peuples sauvages actuels, estimaient que l’homme est sans cesse menacé par des puissances invisibles, par des « esprits ». Dans certaines situations de la vie, pensait-on, l’homme est plus particulièrement en danger, parce que plus voisin de ces puissances : quand il pénètre dans un sanctuaire, quand il subit les épreuves de l’initiation, quand la coutume l’oblige à assumer la tâche de « vengeur du sang » (voir : Vengeance), etc. Il faut alors qu’il se prémunisse contre l’influence funeste. Dans le deuil aussi, on risque d’entrer en contact avec l’esprit du défunt, qui peut continuer à hanter les lieux qu’il a habités au cours de sa vie terrestre, et il faut donc, dans ce cas encore, se mettre en garde contre l’invisible danger que l’on court. La plupart des anciennes coutumes de deuil étaient des pratiques préservatrices.
Il est difficile d’échapper à cette conclusion quand on voit les mêmes procédés employés par les anciens Israélites dans des cas très divers, analogie qui ne peut s’expliquer que par l’identité du but poursuivi. En pénétrant dans la terre sainte d’un sanctuaire, on devait ou bien se mettre un vêtement spécial, ce qui était le cas des prêtres (Eze 44.19 ; Ex 28 ; 29.5-9 ; Le 8.16) ou bien avoir lavé ses vêtements ordinaires, ce qui était obligatoire pour tous les fidèles (Ex 19.10 et 14 ; Nombres 8.7). On pensait que certains effluves invisibles étaient susceptibles de s’attacher au vêtement : il ne fallait pas que les effluves de la vie sociale pénétrassent dans le lieu saint et il fallait éviter que le fluide sacré fût transporté dans la vie profane. Le sacré et le profane devaient être rigoureusement séparés. Ezekiel en un temps cependant bien éloigné des origines, dira encore que le prêtre doit dépouiller son vêtement sacerdotal avant de quitter le temple, « de peur qu’il ne sanctifie le peuple » (Eze 44.19, voir Sainteté). Sanctifier signifie ici « contaminer » par un contact considéré comme très redoutable partout ailleurs que dans le sanctuaire, où l’on ne pénètre, d’ailleurs comme nous venons de le voir, qu’après s’être prémuni contre le dangereux fluide. Mais l’esprit du mort est aussi quelque chose de divin et les mêmes précautions doivent protéger celui qui risque d’être en contact avec lui : aussi, dans le deuil, quitte-t-on le vêtement de la vie ordinaire pour revêtir le sac, costume sans doute plus primitif et plus grossier (Genèse 37.34 ; 1Ro 21.27 ; 2Ro 19.1 ; Esther 4.1 etc.).
C’était encore une pratique de préservation fréquente dans le deuil, que de se rouler dans la cendre (voir ce mot) ou dans la poussière, ou, plus simplement de se mettre de la cendre ou de la poussière sur la tête, peut-être, à l’origine, avec l’intention de se rendre méconnaissable à l’esprit du trépassé (1Sa 4.12 ; 2Sa 13.19 ; Jer 6.26, etc.).
Il est vrai qu’à l’époque où furent composés même les plus anciens livres de la Bible, on n’attachait plus à ces rites du deuil d’autre signification que celle de la douleur ; on ne les considérait plus que comme des signes de chagrin et c’est pourquoi les mêmes gestes finirent par devenir une manifestation de la peine morale, quelle qu’en fût la cause. La survivance d’une coutume après la disparition de sa signification primitive est un fait très fréquent dans l’histoire des moeurs et l’on reconnaît ce fait d’autant plus facilement que la signification nouvelle donnée à l’ancienne coutume s’y adapte moins naturellement. On peut concevoir que l’habitude de se revêtir d’un sac et de se couvrir la tête de poussière ait fini par être simplement un signe de douleur morale, si ces gestes ont d’abord signifié autre chose, mais on ne, peut certainement pas admettre que des actes si particuliers, si étranges aussi, aient jamais été des manifestations spontanées de désappointement, de désespoir, d’indignation ou de simple tristesse.
Mais à côté des pratiques préservatives, le deuil comportait aussi des rites ayant pour but de rendre le mort favorable aux vivants ou de l’apaiser, si les vivants pouvaient craindre sa colère : ce sont les pratiques propitiatoires, au premier rang desquelles il faut placer la lamentation (Ge 50.1) ; 1Ch 35.25 ; Jer 9.17-18, etc.). Une autre coutume était celle qui consistait à se faire des incisions ou des tonsures « pour un mort ». La loi interdisait cette pratique comme incompatible avec le culte de Yahvé, sans doute parce qu’elle attribuait aux morts un caractère divin (Deutéronome 14.1-2 ; Le 19.28 ; 21.5 ; Jer 16.6 ; 41.5 ; 47.5 ; 48.37). La tonsure a pu primitivement avoir pour but une offrande de cheveux au mort et l’incision une offrande de sang (voir aussi : Jeûne).
Numérisation : Yves Petrakian