Le mot hébreu signifiant « dieu » est « élohim », qui est le pluriel de « éloah ». Mais le singulier n’est guère employé qu’en poésie, surtout dans le livre de Job. On a expliqué ce pluriel de deux façons : soit comme un héritage du polythéisme, soit comme une marque de déférence à l’égard de la divinité (pluriel de majesté).
Mais les dieux de l’antiquité avaient tous des noms propres et le dieu d’Israël portait un nom qui a longtemps été rendu par « Jéhovah ». Nous savons cependant qu’il ne s’appelait pas ainsi. La langue hébraïque ancienne n’avait pas de voyelles. Nous ne sommes donc sûrs que des consonnes qui formaient ce nom : J. H. V. H., ou Y. H. V. H. D’où viennent donc les voyelles de « Jéhovah » : E, O, A ?
Leur apparition s’explique de la manière suivante. Lorsque l’hébreu cessa d’être une langue vivante, le texte des livres saints, qui ne comportait aucune division ni en livres, ni en chapitres, ni en. versets, ni même en phrases et en mots, et qui ne formait, pour ainsi dire, qu’un seul mot immense, risquait de devenir inintelligible au lecteur moyen. Les rabbins juifs, entre le Ve et le IXe siècles après J-C, s’attachèrent, par un travail minutieux de très longue haleine, à en rendre la lecture plus facile : ces « massorèthes », comme on les a appelés, sans toucher au texte même tenu pour sacré, le divisèrent en livres, chapitres, versets et mots, et de plus y marquèrent la ponctuation et y indiquèrent la prononciation exacte des voyelles absentes par des points placés au-dessus, au-dessous ou à l’intérieur des consonnes. Il semblerait donc que nous dussions posséder les voyelles exactes correspondant au « tétragramme » divin Y. H. V. H. ou JHVH.
Il n’en est rien, cependant ; car, à l’époque de l’entreprise « massoréthique », il était interdit au lecteur, rencontrant ces quatre lettres, de prononcer le nom sacré du Dieu d’Israël. Ce nom ineffable devait être remplacé par un autre, généralement par le mot « Seigneur », et pour que cette substitution orale du lecteur fût provoquée par le texte écrit lui-même, on eut l’idée d’accompagner les quatre consonnes Y, H, V, H, des voyelles appartenant au mot « Seigneur » (Adonaï). Le lecteur juif ne s’y trompait pas : il savait qu’il avait sous les yeux deux mots en un, un mot tout en voyelles et un mot tout en consonnes. Mais, plus tard, on s’y trompa : les traducteurs chrétiens de la Bible s’y trompèrent. Ils ne virent qu’un mot là où il y en avait deux. Et ce sont eux qui ont forgé le nom de « Jéhovah », qui n’a jamais existé, et qui est un mélange, nous le répétons, des consonnes d’un mot et des voyelles d’un autre.
Si le Dieu d’Israël ne s’appelait pas Jéhovah, comment s’appelait-il ? Les savants modernes s’accordent à penser que son véritable nom était « YaHVèH ». Et c’est ce nom de Yahvèh (ou Yahvé) qui est employé couramment aujourd’hui, dans les livres historiques ou scientifiques relatifs au peuple d’Israël.
Il faut cependant noter que ce nom a disparu de nos Bibles modernes françaises, où il a été traduit par « l’Éternel ». Au sujet de cette traduction, il y a deux remarques à faire. D’abord, « l’Éternel » est une épithète et n’est pas un nom. Quand on dit : l’Éternel, on sous-entend Dieu : le Dieu éternel. Or, YHVH était un véritable nom propre, comme Zeus ou Jupiter. Nos versions de la Bible nous donnent l’impression fausse que la langue hébraïque, comme nos langues modernes, ne donnait pas de nom à Dieu. Ensuite, il faut bien reconnaître que les traducteurs n’ont pas su traduire exactement YHVH ; les traducteurs grecs, latins, anglais et allemands s’en sont tenus à la substitution des « massorèthes » ; ils ont décidé de remplacer le nom divin par « le Seigneur » ; les traducteurs français, en choisissant « l’Éternel », ont peut-être pensé rester plus près de l’étymologie donnée par la Bible elle-même au nom hébreu. D’après Ex 3.14, YHVH signifie « Celui qui est ». L’idée d’éternité n’est, en tous cas, pas explicitement contenue dans cette étymologie, et la traduction française, « l’Éternel », reste tout approximative.
Numérisation : Yves Petrakian