Dès le début du livre des Actes, l’auteur nous le donne comme la seconde partie d’un ouvrage dont il a publié la première (1.1). En d’autres termes, les Actes sont la suite du troisième Évangile. La comparaison des deux livres, dédiés au même personnage, Théophile, prouve jusqu’à l’évidence l’identité d’auteur : même style, même manière de disposer les matériaux, mêmes caractères de tout le récit. Il est certain, a dit un critique souvent très négatif, mais toujours de bonne foi, de Wette il est certain que l’auteur est celui du troisième Évangile, et que ce qui le caractérise comme écrivain se retrouve dans les deux écrits, et du commencement à la fin du livre des Actes. Il y a plus d’un demi-siècle que, comme élève de ce maître vénéré, nous admirions son immense savoir, sa droiture scientifique, sa tolérance pour les convictions opposées aux siennes, tout en regrettant ce qu’il y avait de trop négatif dans sa critique. L’extrême brièveté de ses commentaires, dont les explications courtes et claires renferment pourtant tout ce qui peut élucider le texte, fait qu’ils sont d’un usage facile et leur a valu une grande popularité).
Cette constatation est d’une grande importance dans tous les jugements relatifs au livre des Actes.
Le titre qu’il porte, quoique très ancien, n’est sûrement pas de l’auteur. Il n’est pas non plus très exact, puisque, d’une part, Luc ne parle guère que de deux apôtres, et que, d’un autre côté, il raconte les travaux de chrétiens pieux qui n’étaient pas apôtres. Aussi trouve-t-on, dans quelques manuscrits anciens, le titre ainsi modifié : Actes d’apôtres (sans article), c’est-à-dire de quelques apôtres. Deux grands sujets sont traités dans ce livre : la fondation et les premiers développements de l’Église chrétienne par le ministère de l’apôtre Pierre (chapitres 1 à 12) ; puis la propagation de l’Évangile parmi les nations païennes par l’ardente activité de Paul (chapitres 13 à 28). Mais il ne faut point chercher dans notre livre une histoire complète des travaux de ces deux apôtres.
L’ouvrage trahit, du reste, dans toutes ses parties, un disciple de Paul, qui, dans la grande question agitée de son temps entre les Juifs croyants et les païens convertis, admet, avec toutes ses conséquences, la doctrine du salut par grâce, par la foi. Et cependant il ne manque pas de noter la condescendance et la largeur d’esprit de l’apôtre ; il nous le montre laissant toute liberté à ceux qui voulaient observer certaines cérémonies légales, et les observant lui-même à l’occasion. Il nous a tracé ainsi un portrait fidèle de celui qui affirmait avec intransigeance le principe de la justification de l’homme pécheur par la foi seule, et de l’universalité du salut, destiné par la miséricorde divine à toute notre humanité déchue, et qui, d’autre part, avait pour règle de conduite : Se faire tout à tous, afin d’en sauver de toutes manières quelques-uns (1 Corinthiens 9.19-23). Aussi Luther a-t-il pu nommer le livre des Actes un commentaire des épîtres de Paul.
Malgré l’évidence de ces caractères généraux du livre des Actes, peu de questions ont été résolues de manières si diverses que la question du but de cet ouvrage. Maint critique se refuse à admettre que l’auteur ait écrit, avec simplicité et candeur, le récit de faits qu’il avait tous les moyens de bien connaître : il a composé un livre à tendances, une œuvre de diplomatie ecclésiastique. On sait l’opinion de Baur et de son école ; nous ne la rappelons que comme un exemple des aberrations d’une théologie aujourd’hui discréditée, mais qui n’est pas sans influence encore sur l’esprit de plus d’un critique. Pour Baur, le fait qui domine tout le siècle apostolique est un antagonisme profond, non entre le judaïsme et l’Évangile prêché par Paul, mais entre ce grand missionnaire et les apôtres de Jérusalem. Or voici qu’un adhérent de Paul entreprend, au second siècle, un ouvrage destiné à réconcilier, aux yeux de l’Église, le parti de Pierre et celui de Paul. Pour cela, il ne se fait pas le moindre scrupule de falsifier les faits, d’en inventer à sa guise, de faire parler Pierre comme Paul, et Paul comme Pierre, dans tous leurs discours (F.-C. Baur, Paulus, der Apostel Jesu Christi, première édition, Stuttgard, 1845). Notre livre des Actes serait donc le roman d’un faussaire, un tissu de calculs mensongers. Un autre critique, Schneckenburger (Ueber den Zweck der Apostelgeschichte, Berne, 1841), avait auparavant déjà émis l’opinion que l’auteur aurait écrit dans l’intention de faire l’apologie de Paul, c’est-à-dire de le justifier de tous les reproches que lui faisaient les chrétiens judaïsants, en un mot, de relever aux yeux de tous la dignité de son apostolat. Mais, comme l’observe de Wette, toute la première partie du livre des Actes n’a aucun rapport à un tel but ; et, en outre, cette hypothèse serait en contradiction avec la déclaration expresse de l’auteur (1.1), que les Actes sont la suite historique de l’Évangile.
Plus conforme à la vérité pourrait paraître l’opinion d’après laquelle l’auteur fait un exposé de l’histoire de l’Église primitive dont le but est de prouver que l’Évangile de la grâce était destiné à tous les peuples, et qu’il a manifesté sa puissance divine plus encore parmi les païens que dans le peuple juif ; qu’ainsi la méthode et la doctrine de Paul sont pleinement justifiées.
Mais cette explication, comme toutes celles qui prêtent à l’auteur des idées préconçues et des préoccupations dogmatiques, se heurte au fait que son livre a tous les caractères d’un simple récit. L’auteur ne mêle jamais ses propres réflexions à l’exposé des événements ; jamais il ne met dans la bouche de ses personnages la démonstration d’une thèse. Aussi la plupart des interprètes reconnaissent-ils aujourd’hui le caractère historique de l’ouvrage.
Pour rendre compte des lacunes que présente cette histoire de la fondation de l’Église, des inégalités qu’on relève dans les diverses parties de la narration, on a supposé que l’auteur s’était tracé à l’avance un plan, et qu’il avait élagué tous les faits qui ne rentraient pas dans son cadre. Son but aurait été de décrire la marche conquérante de l’Évangile de Jérusalem, capitale du peuple d’Israël, à Rome, capitale du monde païen. H distinguerait dans cette conquête du monde par l’Évangile trois étapes successives : l’Église s’établit chez les Juifs, chez les Samaritains, chez les païens. L’ordre que Jésus laissa aux apôtres fixait d’avance, dit-on, ce programme de leur activité missionnaire. L’auteur cite, dès les premières lignes de son livre (1.8), cet ordre, parce qu’il y trouve indiqué tout le plan de son ouvrage. Et, pour le même motif, il s’arrête, quand il a raconté l’arrivée de l’Évangile à Rome, en la personne de son principal messager, l’apôtre Paul. La fin abrupte du livre des Actes, qui a de tous temps étonné les interprètes, s’explique ainsi tout naturellement. L’auteur a rempli le programme qu’il s’était tracé ; son but est atteint ; il pose la plume.
Cette idée, déjà indiquée dans la sentence de Bengel : Paul à Rome, c’est le faîte de l’Évangile, la fin des Actes, a été développée dans le commentaire le plus complet et le plus profond qui ait été écrit sur notre livre, celui de Baumgarten (Die Apostelgeschichte, oder der Entwicklungsgang der Kirche von Jérusalem, bis Rom, 2e édition, 1859). Dans cet écrit remarquable, auquel on peut reprocher, il est vrai, des développements manquant de ) sur la terre. Le premier livre avait présenté à Théophile ce commencement terrestre de l’œuvre du Christ.
Ces idées renferment une grande part de vérité. Ce serait commettre un anachronisme que de se représenter Luc comme un historien, au sens moderne du mot, uniquement préoccupé de rassembler tous les faits dont il peut avoir connaissance, de contrôler leur exactitude, d’en faire une relation précise, méthodique et complète. Le prologue de son Évangile (Luc 1.1-4) semble bien trahir des préoccupations de cet ordre ; mais il y a loin de l’intention à l’exécution. Que l’auteur en ait conscience ou non, l’intérêt qu’il éprouve pour les événements qu’il raconte, l’émotion qu’ils lui causent, se communiquent à son récit : celui-ci prend le caractère d’un écrit destiné à édifier, dans le sens le plus large du mot, non seulement en excitant des sentiments de piété chez les lecteurs, mais en leur présentant des exemples à suivre. Et d’une manière plus ou moins inconsciente aussi, l’auteur est amené à choisir, parmi les matériaux qui sont à sa disposition, parmi les faits dont il a connaissance, ceux qui lui paraissent le plus appropriés à produire une action salutaire sur ses lecteurs (comparer H.-H. Wendt, Die Apostelgeschichte, 8e édition du commentaire de Meyer, 1899, page 15).
Ces considérations nous permettent d’envisager le livre des Actes, non seulement comme un précieux document des origines du christianisme, mais aussi comme un livre utile pour instruire l’Église dans sa marche à travers les siècles. Elles nous font comprendre bien des omissions, des lacunes du récit de Luc, qu’on ne peut expliquer chez ce compagnon de Paul en disant qu’il ignorait ce qui s’était passé. Mais devons-nous admettre aussi, avec Baumgarten, que l’auteur se proposait uniquement de raconter le développement de l’Église, de Jérusalem à Rome, et qu’il a laissé de côté tout ce qui ne rentrait pas dans le cadre de son récit ? Si ingénieuse que soit cette hypothèse, elle ne semble pas confirmée par un examen attentif du livre des Actes. Sans doute, le champ de ce livre est embrassé en entier par la formule : de Jérusalem à Rome, en ce sens du moins que le livre s’ouvre dans la première de ces villes et se termine dans la seconde. Mais peut-on dire que l’auteur ait eu l’intention d’exposer tout le développement du christianisme entre ce point de départ et ce point d’arrivée ? Peut-on prétendre qu’il ait indiqué clairement cette intention et le plan de son livre en citant l’ordre de Jésus à ses apôtres : Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre ? N’est-ce pas restreindre singulièrement la portée de cet ordre : Vous serez mes témoins… jusqu’aux extrémités de la terre, que de prétendre qu’il a été accompli par l’arrivée de Paul à Rome ? La division en trois parties que Baumgarten applique au livre des Actes, et qu’il voit représentée dans ces trois termes : Jérusalem, la Samarie, les extrémités de la terre, c’est-à-dire : l’Église parmi les Juifs, la transition de l’Église des Juifs aux païens et l’Église parmi les païens, ne ressort pas naturellement de l’ouvrage ; celui-ci se divise plutôt en deux grandes parties, l’une (chapitres 1 à 12) dominée par la personnalité de Pierre, l’autre (chapitres 13 à 28) par celle de Paul. Si l’auteur avait voulu nous laisser un tableau de la marche du christianisme de Jérusalem à Rome, son récit présenterait maintes lacunes graves ; pour ne rien dire des omissions relatives à la biographie de Paul, la déclaration de cet apôtre (Romains 15.19) : Depuis Jérusalem et les pays voisins jusqu’en Illyrie, j’ai abondamment répandu l’Évangile de Christ, nous montre que ses courses missionnaires se sont étendues plus loin que Luc ne le rapporte ; le livre des Actes ne parle pas de l’entrée du christianisme dans ce pays d’Égypte, où il devait de bonne heure faire de si grands progrès et qui se trouvait, lui aussi, à plus d’un titre, sur le chemin de Jérusalem à Rome. Enfin la principale objection à l’hypothèse de Baumgarten, c’est que ce ne fut nullement avec l’apôtre Paul, et au moment où celui-ci arriva captif dans la ville impériale, que l’Évangile parvint à Rome. Trois ans auparavant, quand Paul écrivit de Corinthe son épître aux Romains, il existait dans la capitale de l’empire une Église florissante, composée en partie de chrétiens d’origine juive, en partie de chrétiens sortis du paganisme, et qui devait être nombreuse déjà, comme le montrent les salutations qui terminent l’épître aux Romains et plus d’un indice dans cette épître. C’est la fondation de cette Église que notre auteur aurait dû raconter, s’il avait voulu exposer la marche de l’Évangile de Jérusalem à Rome.
Nous concluons donc que le but de l’auteur des Actes est simplement de faire connaître à son ami Théophile, et de transmettre à la postérité, les circonstances dans lesquelles l’Église fut fondée au sein du peuple juif et l’Évangile prêché au monde païen ; que, sans s’astreindre à une méthode rigoureuse, et sans suivre un plan strictement conçu, il relate, parmi les faits sur lesquels il a pu avoir des renseignements écrits ou oraux, ceux qui lui paraissent le plus dignes d’être connus et le plus propres à édifier ; dans la dernière partie de son récit, il s’en tient surtout à des souvenirs personnels et raconte de préférence ce qui s’est accompli sous ses yeux. Cette manière de comprendre l’œuvre de Luc permet aussi de mieux rendre compte de la fin abrupte du livre : Mais Paul demeura deux ans entiers dans une maison qu’il avait louée, et il recevait tous ceux qui venaient le voir, prêchant le royaume de Dieu et enseignant les choses qui regardent le Seigneur Jésus-Christ, avec toute liberté, et sans être empêché (28.30-31). Pas un mot des destinées ultérieures de l’apôtre, qui sont pour nous si obscures. L’auteur ne prend même pas la peine de raconter l’issue du procès dans lequel Paul se trouvait impliqué depuis son arrestation à Jérusalem et son appel à César, procès qui avait été la cause de son voyage à Rome. Son silence est tellement étrange, qu’on s’est demandé si la fin de l’écrit ne se serait point perdue. Mais comme les documents anciens, les Pères aussi bien que les versions et les manuscrits, n’offrent pas trace d’un prolongement du livre des Actes, cette hypothèse est très hasardée. Il en est de même d’une hypothèse à laquelle Meyer a donné une certaine vogue jadis et pour laquelle s’est prononcé récemment encore M. Th. Zahn (Einleitung in das N. T, II, 1899, page 380). Luc, s’inspirant des trilogies des poètes antiques, aurait eu l’intention de composer un ouvrage en trois parties : l’Évangile qui raconte la vie de Jésus, notre livre des Actes, qui traite des origines de l’Église et des voyages missionnaires de Paul, et un troisième livre, dans lequel il aurait repris et achevé le récit du séjour de Paul à Rome, des destinées ultérieures de l’apôtre jusqu’à son martyre ; puis il serait revenu aux douze et aurait tracé un tableau de leur activité. Ce troisième livre, Luc n’eut pas le temps de le composer. On remarque, à l’appui de cette hypothèse, que déjà l’Évangile de Luc se terminait par un bref et pâle résumé et que dans le premier chapitre du second livre Luc reprend ce récit pour le développer et le préciser. N’en aurait-il pas fait de même de la fin des Actes dans son troisième ouvrage, s’il avait eu le temps de l’écrire ? Cette supposition, qui paraît d’abord assez plausible, se heurte cependant aux considérations suivantes. Les deux premiers livres de Luc traitaient chacun des sujets d’une immense importance : la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ d’une part, la fondation de l’Église et la conquête du monde païen par l’apostolat de Paul d’autre part. L’histoire du siècle apostolique fournissait-elle à l’auteur un troisième sujet qu’il eût pu mettre en parallèle avec ces deux premiers ? Nous aimerions sans doute connaître l’issue de la carrière du grand apôtre des Gentils, mais, selon toute vraisemblance, les dernières années de sa vie n’ont pas contribué à l’accroissement de l’Église autant que les années d’apostolat dont les Actes nous ont conservé le souvenir ; et quant au travail subséquent des douze, il a laissé peu de traces et ne saurait être comparé à la période décisive de la fondation de l’Église.
Les interprètes qui attribuent au livre des Actes un but dogmatique ou polémique, ceux qui pensent que l’auteur a voulu montrer comment le salut destiné à tous les peuples leur a été effectivement annoncé, comment il a été reçu par les païens, tandis que les Juifs le repoussaient, trouvent dans la citation d’Ésaïe, relative à l’endurcissement d’Israël, la conclusion solennelle du livre (28.25-28). Mais ils ne peuvent expliquer la notice finale (28.30, 31), sur le séjour de deux ans que Paul fit à Rome. Baumgarten, et ceux qui admettent avec lui que Luc a voulu raconter la marche conquérante de l’Église de Jérusalem à Rome, trouvent cette fin conforme au plan que l’auteur s’était tracé. Mais on peut se demander si ce plan précisément ne l’aurait pas obligé à exposer avec quelque détail l’activité de Paul à Rome, de même qu’il avait raconté son travail en Asie Mineure et en Grèce, et celui des premiers disciples à Jérusalem et en Samarie.
Une opinion très ancienne, émise déjà par Jérôme et à laquelle M. Blass et quelques théologiens modernes se sont arrêtés, prétend que la fin des Actes indique la date de la composition de l’ouvrage. Si celui-ci ne parle pas de l’issue du procès de Paul, c’est qu’il parut avant que ce procès fût terminé, avant l’an 64, par conséquent. Si l’on assigne cette date à la composition des Actes, il en résulte que l’Évangile de Luc fut écrit peu après l’an 60, peut-être pendant la captivité de Paul à Césarée, qui très probablement amena Luc à faire un séjour prolongé en Palestine. Cette hypothèse n’est pas inadmissible. On peut invoquer en sa faveur de sérieux arguments. Toutefois d’autres indices portent beaucoup de critiques à reculer la composition de l’Évangile après l’an 70 (Comparez notre Introduction à cet Évangile). Dans la notice finale des Actes, Luc emploie d’ailleurs le passé défini (aoriste) : Paul demeura deux ans entiers,… cette période était donc écoulée au moment où il écrivait.
La conclusion de toute cette discussion est que nous devons renoncer à expliquer la fin abrupte du livre des Actes ; une circonstance que nous ignorons empêcha l’auteur de donner à la dernière partie de son ouvrage l’ampleur voulue et l’obligea à le terminer brusquement.
Nous passons à la question de l’authenticité de notre livre. Notons d’abord les témoignages des premiers siècles de l’Église, puis nous consulterons ceux que nous offre le livre lui-même.
Les critiques discutent la question de savoir si, déjà dans les Pères apostoliques, se trouvent des citations ou des mentions du livre des Actes. Dans Actes 13.22 on lit : J’ai trouvé David, fils de Jessé, un homme selon mon cœur. Les premiers mots : J’ai trouvé David, sont empruntés au Psaumes 89.21 ; les derniers : un homme selon mon cœur à 1 Samuel 13.14. L’auteur a intercalé : fils de Jessé. Or cette parole tout entière se retrouve dans l’épître de Clément Romain (chapitre 18), qu’on date de 93-95. On ne saurait admettre une coïncidence accidentelle. L’hypothèse que les deux auteurs ont puisé à une source commune (Wendt, commentaire, page 41) est peu naturelle, car on ne sait trop quelle serait cette source. Il faut donc penser que Clément avait en mains le livre des Actes. Il est difficile aussi de ne pas reconnaître une citation d’Actes 2.24 dans ces mots de Polycarpe (épître aux Philippiens 1) : Lequel Dieu a ressuscité, ayant brisé les liens de la mort (grec délié les douleurs de la mort). Ces termes sont trop spéciaux pour se trouver fortuitement, à la fois, dans la bouche de Pierre et sous la plume de l’évêque de Smyrne. De même, quand Ignace (épître aux Smyrniens 3), dit : Or, après sa résurrection, il a mangé et bu avec eux, on est bien tenté de trouver là une réminiscence de Actes 10.41, où le même fait est exprimé dans les mêmes termes.
Des témoignages certains abondent dès la seconde moitié du second siècle. À partir d’Irénée, on voit le livre des Actes répandu partout et abondamment cité comme un écrit de Luc. Ce Luc, dit l’évêque de Lyon (Contre les hérésies III, 14, 1), fut inséparable de Paul et son compagnon d’œuvre dans l’Évangile. Lui-même nous a fait connaître, selon la vérité même, etc. Et ici Irénée cite une grande partie de notre livre, du chapitre 15 à 27, puis il ajoute : Luc ayant été témoin de tous ces faits, les a décrits avec soin, etc.
À la même époque, les chrétiens, cruellement persécutés dans la Gaule, écrivirent, de Lyon et de Vienne, une émouvante lettre à leurs frères de l’Asie Mineure, dans laquelle, après avoir décrit leurs souffrances et leurs martyres, ils ajoutaient : Loin de se plaindre ou de rendre le mal pour le mal, tous priaient pour leurs persécuteurs, à l’exemple d’Étienne, le parfait martyr : Seigneur, ne leur impute point ce péché. S’il priait ainsi pour ceux qui le lapidaient, combien plus pour ses frères ! (Voir Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, V, 2). Cette citation nous montre que le livre des Actes était connu et répandu dans la Gaule dès le milieu du second siècle. Il ne l’était pas moins en Afrique, où Tertullien, dans quatre de ses écrits, s’en appuie comme d’une autorité divine, qu’il oppose aux erreurs de ses adversaires (Du baptême, X ; du jeûne, X ; Des prescriptions, XXII ; Contre Marcion, V, 2). De son côté, Clément d’Alexandrie (Stromates V, 2) cite notre livre avec cette formule si positive : Luc, dans les Actes des apôtres, rappelle Paul, disant, etc (Actes 17.22). Le fragment de Muratori, catalogue des livres du Nouveau Testament, écrit vers la fin du second siècle, dit que Luc a réuni en un seul livre, dédié à Théophile, les actes de tous les apôtres, se bornant à raconter les faits accomplis en sa présence, comme il le montre en passant sous silence le martyre de Pierre et le départ de Paul pour l’Espagne (comparez Frédéric Godet, Introduction au Nouveau Testament, 1897, II, page 98 et suivantes). La version syriaque, la Peschito, qui date de la même époque, attribue les Actes à Luc. Origène, qui écrivit aussi un catalogue raisonné des livres de la Bible, parle de Luc, comme auteur de l’Évangile et des Actes des apôtres (Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, VI, 25). Aussi Eusèbe place-t-il le livre des Actes au nombre des écrits reçus sans contradiction comme reconnus authentiques. (III, 25).
Contre la conviction unanime de l’Église des premiers siècles aucune voix ne s’élève, si ce n’est celle de quelques sectes hérétiques, les Marcionites, les Manichéens, les Ebionites, qui avaient leurs raisons dogmatiques de repousser un livre où leurs erreurs étaient clairement réfutées. Le livre des Actes était moins répandu que les Évangiles et les épîtres de Paul, et cela s’explique par cette circonstance que les Actes occupaient une position à part entre les deux collections, qui formaient chacune un volume, l’Évangile et l’Apôtre, et étaient lues régulièrement dans les assemblées de l’Église. Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner du regret exprimé par Chrysostome de ce que plus d’un chrétien de son temps ignorait et l’existence de ce livre et celui qui l’a composé et écrit. Il faut faire la part de l’exagération dans le langage du grand orateur ; on ne saurait en tirer un argument contre l’authenticité des Actes. Quant au fait que Tertullien et Cyprien appellent généralement notre livre les Actes, sans nommer Luc comme son auteur, on peut y voir, avec M. Zahn, la preuve que personne alors ne songeait à attribuer l’ouvrage à un autre auteur (Th. Zahn, Einleitung in das Neue Testament, 1899, II, page 333 et suivantes).
Si maintenant nous interrogeons notre livre lui-même sur son origine, cet examen confirmera-t-il le sentiment unanime de l’Église ancienne et de ses docteurs ? Deux particularités attirent l’attention à première vue, d’abord l’auteur présente son livre comme étant la suite d’un récit de la vie du Sauveur, qu’il a précédemment composé pour le même personnage, Théophile, auquel il dédie ce second ouvrage. Or l’écrit auquel il fait allusion ne peut être que notre troisième Évangile, qui est attribué à Luc. Tous les caractères des deux écrits confirment d’une manière évidente l’identité d’auteur (Comparez Ed. Barde, Commentaire sur les Actes des apôtres, page 566-569). En outre, à partir de 16.10, et même dès 11.28 suivant quelques manuscrits, apparaît tout à coup la première personne du pluriel, nous. Ce pronom se trouve dans les fragments 16.10-17 ; 20.5-15 ; 21.1-18 ; 27.1-28.16. L’explication la plus naturelle est que l’auteur de l’ouvrage a voulu, par ce changement de personne, marquer discrètement qu’il se trouvait alors dans la société de Paul, et qu’il a été témoin oculaire des faits qu’il raconte. On a prétendu que, s’il en était ainsi, l’auteur aurait dû en avertir le lecteur plus expressément. Il serait donc plus naturel, répondrons-nous avec Ebrard, que l’auteur, à chaque occasion pareille, interrompît son récit pour dire : Ici, à Troas, moi, Luc, auteur des Actes, je rejoignis l’apôtre Paul ? Une telle pédanterie éveillerait le soupçon et donnerait à penser que l’auteur cherche à se faire passer pour ce qu’il n’est pas ; le bon sens et l’humilité chrétienne, à la vue de la vanité dont il ferait preuve, diraient : Cet écrivain n’est pas un homme de l’âge apostolique, un collaborateur de saint Paul !
On a fait à l’identification de l’auteur des récits où apparaît le pronom nous avec l’auteur du livre des Actes des objections plus sérieuses :
Ces objections paraissent assez fortes ; il ne faut pas cependant en exagérer la portée. Pour ce qui est de la fin de l’ouvrage, elle est, nous l’avons reconnu, hâtive et tronquée ; mais l’on ne saurait expliquer ce caractère par le fait que l’auteur manquait de renseignements, car, s’il vivait à la fin du premier ou au commencement du second siècle, il devait savoir quelle fut l’issue de la carrière de Paul. Quant à l’introduction du premier voyage missionnaire, elle semble le commencement d’un ouvrage nouveau, mais ce n’est pas une raison suffisante pour affirmer que nous avons affaire à deux auteurs distincts. Le même écrivain peut avoir repris son œuvre, après quelque interruption, et ne s’être pas appliqué à relier étroitement la suite au commencement, et cela d’autant plus qu’il abordait, avec le chapitre 13, la seconde partie principale de son ouvrage. Un chrétien du premier siècle n’avait pas les préoccupations littéraires d’un historien contemporain. On est bien forcé d’admettre que le rédacteur final du livre ne s’est point fait scrupule de publier son ouvrage dans l’état où nous le possédons. Quelles raisons a-t-on de penser qu’un compagnon de voyage de Paul se serait montré un écrivain plus soucieux de la composition de son œuvre ? Or, reconnaître dans l’auteur des Actes un compagnon de voyage de Paul est l’unique moyen de le blanchir entièrement du reproche de chercher à se faire passer pour un témoin oculaire, alors qu’il ne l’était pas. On a beau dire qu’en conservant le nous l’auteur voulait seulement montrer qu’il citait un document original ; le soupçon d’une sorte de fraude littéraire est bien plus naturel.
La seule possibilité de donner lieu à ce soupçon condamne à nos yeux l’opinion de ceux qui distinguent l’écrivain qui parle à la première personne de l’auteur du livre des Actes, et nous oblige, malgré les difficultés que présente cette idée, à attribuer le livre tout entier à un collaborateur de l’apôtre Paul.
Ce collaborateur de Paul, quel est son nom ? On a proposé tour à tour, comme auteur des fragments où paraît le nous, Timothée, Silas et Tite. Timothée est exclu par le fait qu’il se trouve avec Paul dès le passage de l’apôtre à Lystre, 16.3, tandis que le nous n’apparaît qu’au verset 10, au moment du départ pour la Macédoine. De même dans ,0.4, Timothée figure sur la liste des compagnons de voyage de Paul, dont l’auteur dit (verset 5) : Ceux-ci prirent les devants, et nous attendirent à Troas. Pour nous, nous nous embarquâmes à Philippes, etc. Silas ne peut être l’auteur de ces récits, car il était avec l’apôtre dès le début du second voyage (15.40), et dans 16.19, il est nommé à la troisième personne. Quant à Tite, le livre des Actes ne le nomme jamais, il est vrai. Mais nous savons, par Galates 2.1 et suivants, qu’il se trouvait avec Paul à la conférence de Jérusalem ; or le récit d’Actes 15 ne semble pas provenir d’un témoin oculaire. Des collaborateurs de l’apôtre à nous connus, il ne reste donc que Luc, le médecin bien-aimé, ainsi que Paul l’appelle dans Colossiens 4.14 (comparez Philémon 1.24). Si les épîtres aux Colossiens et à Philémon ont été écrites de Césarée, cette circonstance coïnciderait avec les données des Actes, d’après lesquelles l’auteur des récits à la première personne fit avec l’apôtre le voyage de Philippes à Jérusalem et resta, sans doute, auprès de lui pendant sa captivité à Césarée, puisqu’il l’accompagna encore de Césarée à Rome. Et si ces épîtres sont datées de Rome, des premiers temps du séjour de Paul dans cette ville, il est également probable que Luc était encore avec lui, puisqu’il se trouve parmi ceux qui lui étaient demeurés fidèles jusqu’à la fin de sa vie (2 Timothée 4.11). Tous ces indices nous montrent que l’auteur des fragments où paraît le pronom nous, c’est Luc. La tradition désigne ce même Luc comme l’auteur du livre des Actes. Une entière conformité de style, qu’on observe dans les fragments où se rencontre le nous et le reste du livre, confirme cette donnée de la tradition.
Si l’auteur du livre des Actes est Luc, le collaborateur de Paul il rejoignit l’apôtre à Troas, franchit avec lui l’Hellespont et assista à la fo) ; quelque six ans plus tard, dans cette même ville de Philippes, Paul le prit avec lui pour son dernier voyage à Jérusalem (Actes 20.4-16 ; 21.1-18) ; il accompagna enfin l’apôtre d) jusqu’au départ de Césarée (27.1), il est probable qu’il ne quitta guère Paul. L’histoire qui remplit la fin du livre des Actes, depuis 16.10, est donc de première main. Il en est à peu près de même pour celle qui nous est racontée dans 11.19-30 ; 13.1-16.9. Luc était, d’après une tradition très probable, un membre de l’Église d’Antioche. On a remarqué la fraîcheur et la vie qui distinguent le récit de la fondation de l’Église d’Antioche (Actes 11.19-30). Il semble que l’auteur ait écrit ces lignes sous le charme des plus doux souvenirs personnels, dit M. Frédéric Godet (Commentaire sur l’Évangile de saint Luc, 1888, page 9). Cette hypothèse se trouve confirmée par l’une des plus intéressantes variantes du manuscrit de Cambridge (D), d’après laquelle le pronom nous apparaît déjà au verset 28 du chapitre 11. On lit, en effet, dans ce texte : En ces jours, des prophètes descendirent de Jérusalem à Antioche ; et il y avait une grande joie ; et comme nous étions assemblés, l’un d’eux, nommé Agabus, dit… (versets 27, 28). Si Luc était d’Antioche, il assista au départ des premiers missionnaires (13.3) et il entendit de leur bouche (14.27) le récit si complet qu’il nous a laissé de leur voyage (chapitres 13 et 14). Quant à la relation de la conférence de Jérusalem (chapitre 15), elle a toutes les apparences d’un compte rendu officiel ; celui-ci fut fait à l’Église d’Antioche par ses délégués et par les envoyés spéciaux qui les accompagnaient (15. 22, 30-32).
Pour l’histoire de la fondation de l’Église à Jérusalem, du martyre d’Étienne, de l’évangélisation de la Samarie, de la conversion de Corneille, l’auteur a dû recourir à des renseignements de seconde main. Ces renseignements étaient-ils écrits ou simplement oraux ? Luc a pu recueillir les récits de Barnabas, de Marc, et plus tard, quand il se rendit avec Paul à Jérusalem, ceux de Philippe, dont il fut l’hôte (21.8), et ceux des survivants de la première génération chrétienne. Cependant, il faut le reconnaître, il n’est pas invraisemblable que des narrations écrites aient existé de bonne heure et que Luc s’en soit servi et en ait inséré des fragments dans son ouvrage. Les aramaïsmes, qui se trouvent en plus grand nombre dans cette partie du livre, en seraient un indice. On remarque aussi des aperçus généraux et des formules de transition (2.43 et suivants ; 5.12 et suivants ; 6.7, etc.), qui semblent destinés à réunir des documents séparés à l’origine. Est-il possible de discerner encore ces documents ? Dans les dernières années, les critiques se sont efforcés de reconstituer les sources auxquelles l’auteur des Actes aurait puisé. Nous sortirions des limites que nous devons nous imposer dans cet ouvrage, si nous essayions de rendre compte de leurs travaux considérables et de leurs hypothèses souvent compliquées. Nous nous bornerons à indiquer les résultats auxquels sont arrivés quelques-uns des plus marquants. M. Fr. Spitta (Die Apostelgeschichte, ihre Quellen und deren geschichtlicher Wert, 1891) poursuit à travers tout le livre des Actes deux sources, une plus ancienne qui comprenait les fragments où est employé le pronom nous, qui remonte probablement à Luc et a une grande valeur historique, une plus récente qui rapportait la tradition populaire et renfermait beaucoup de traits merveilleux. Les deux documents racontaient en partie les mêmes faits. Le rédacteur final les a amalgamés sans beaucoup de discernement, de là des récits qui font double emploi, dans les chapitres 4 et 5 notamment, et bien des contradictions de détail, dans la relation du martyre d’Étienne, dans les trois récits de la conversion de Saul. La première source présentait Paul en butte à la haine des Juifs et protégé par les autorités païennes, poursuivant son œuvre missionnaire dans l’indépendance à l’égard des douze ; la seconde relevait, au contraire, les mauvais traitements dont il était l’objet de la part des païens et faisait des apôtres de Jérusalem les initiateurs de la mission parmi les Gentils. M. A. Hilgenfeld (dans une série de huit articles parus dans la Zeitschrift fur wissenschaftliche Theologie, en 1895 et 1896) distingue trois sources : des Actes de Pierre, qui ont servi à la composition de 1.15- 5.42 ; 9.31-43 ; 12.1-23 ; des Actes des Sept (diacres), qui ont fourni à l’auteur les chapitres 6 à 8 ; des Actes de Paul, rédigés par Luc, d’où l’auteur a tiré la plus grande partie de son ouvrage, (chapitres 9 à 28). Ces Actes de Paul, qui étaient l’ouvrage primitivement composé par Luc, et dédié par lui à Théophile, un auteur postérieur les a transformés, par des adjonctions tirées des deux premières sources, en Actes des apôtres (Revue citée, 1898, page 619 et suivantes). M. H.-H. Wendt, dans l’Introduction à la 8e édition du commentaire Meyer, prend son point de départ dans les fragments où se trouve le pronom nous ; ils ne pouvaient à eux seuls constituer un livre ; ils appartenaient à un ouvrage qui racontait tous les voyages missionnaires de Paul, que l’auteur des Actes utilise déjà dans les chapitres 13 et 14 et dont il tire ses principaux renseignements pour toute la fin de son écrit, développant en général les brèves indications de sa source. On trouve déjà celle-ci en remontant plus haut que le chapitre 13, dans 11.27, 28 et dans et19 et suivants, puis dans 8.1, 4, et enfin dans l’histoire d’Étienne, chapitres 6 et 7. L’ouvrage ne débutait pas par la mention des difficultés auxquelles on remédia par l’élection des diacres (6.1), mais bien par une description de l’Église primitive ; l’auteur des Actes a emprunté à celle-ci les caractéristiques qu’il nous laisse, 2.43-47 ; 4.32-35 ; 5.12-16. À côté de cette source principale, on ne saurait, dit M. Wendt, déterminer les autres documents que l’auteur peut avoir utilisés.
La grande diversité de ces hypothèses prouve que les efforts pour reconstituer les documents primitifs du livre des Actes, s’ils ne doivent être reconnus pour vains, sont encore loin d’avoir abouti à un résultat qui s’impose à l’assentiment des critiques.
À la question de l’authenticité et des sources du livre des Actes se rattache étroitement celle de ses rapports avec les épîtres de Paul d’une part, et avec les écrits de l’historien Josèphe d’autre part.
L’auteur du livre des Actes ne paraît pas avoir connu les épîtres de Paul, ni, en tous cas, y avoir puisé des renseignements historiques. Les théologiens de l’Ecole de Tubingue avaient prétendu qu’il atténuait sciemment les doctrines intransigeantes formulées par l’apôtre dans ses lettres et décrivait son attitude comme plus conciliante qu’elle ne l’avait été ; c’est ce qui ressortirait des passages 9.19-30 ; 15.1-33 ; 16.1-3, comparés aux affirmations de Galates 1 et 2. Mais ces critiques ne pouvaient expliquer pourquoi, si l’auteur corrigeait les épîtres de Paul, il ne leur empruntait pas maint détail intéressant, dont il eût pu enrichir son récit. Les apparitions énumérées 1 Corinthiens 15.1-7 eussent pu trouver place dans le premier chapitre des Actes ou à la fin de l’Évangile. En ce qui concerne Paul, les épîtres auraient fourni à l’historien maint renseignement biographique : Galates 1.17 et 2 Corinthiens 11.32 sur les temps qui suivirent sa conversion ; Galates 1.18 sur ses rapports avec Pierre et Jacques ; 2 Timothée 4.10-11 ; Galates 4.13,14 ; 1 Timothée 4.14 ; 2 Timothée 1.6, sur les deux premiers voyages missionnaires ; les épîtres aux Philippiens, aux Thessaloniciens, aux Corinthiens sur les rapports de Paul avec ces Églises. Son histoire eût gagné en précision et en intérêt. Aussi la plupart des critiques de diverses tendances admettent-ils aujourd’hui que l’auteur des Actes ne s’est pas servi des épîtres de Paul pour composer son récit. Ce fait n’a pas lieu de nous surprendre, si nous reconnaissons en lui Luc, le collaborateur de Paul. Luc n’ignorait pas l’existence des épîtres de Paul ; mais, s’il ne s’est pas trouvé auprès de l’apôtre au moment où celui-ci les écrivit, il n’eut pas l’occasion d’en prendre connaissance, car ce fut plus tard seulement qu’elles commencèrent à circuler dans les Églises. Il ne les rechercha pas comme documents historiques, parce que ses relations personnelles avec Paul et ses collaborateurs lui offraient une source d’informations suffisamment riche. Par contre, si l’auteur des Actes ne s’est pas servi des épîtres de Paul, on doit en conclure qu’il a composé son ouvrage avant le commencement du second siècle, car à cette date les épîtres de Paul étaient répandues dans toutes les Églises et le portrait de l’apôtre était fixé d’après leurs données. L’auteur des Actes ne pouvait les ignorer et il ne lui était pas permis de n’en tenir aucun compte en écrivant son livre (comparez Th. Zahn, Einleitung, II, page 394-424).
Les rapports du livre des Actes avec les écrits de Josèphe ont été l’objet de savantes études, dans ces dernières années surtout (comparez Krenkel, Josephus und Lukas, 1894). MM. Th. Zahn et Wendt estiment l’un et l’autre que ces recherches n’aboutissent pas à un résultat concluant. Les passages nombreux allégués pour prouver que l’auteur des Actes s’est servi des écrits de Josèphe ne sont point décisifs, car ils sont conçus en termes trop généraux et ne renferment pas d’expressions assez caractéristiques pour qu’on puisse en déduire que l’auteur s’est inspiré des ouvrages de l’historien juif. M. Wendt (Commentaire, page 37) ne retient qu’un seul de ces rapprochements, qui lui paraît significatif, c’est celui de Actes 5.36-37, et de Josèphe, Antiquités judaïques, XX, 5, 1. Les deux écrivains mentionnent, dans des termes très semblables, les révoltes de Theudas et de Judas le Galiléen. Josèphe, après avoir raconté la sédition de Theudas, revient à celle de Judas, qui avait eu lieu longtemps auparavant, parce qu’il raconte l’exécution des fils de Judas. L’auteur des Actes, lisant avec peu d’attention le texte de Josèphe, aurait été induit de la sorte à placer le soulèvement de Judas après celui de Theudas et à mettre cette erreur dans la bouche de Gamaliel. Mais il n’est pas certain que le passage 5.36 contienne une erreur (voir la note), ni que cette erreur, si elle existe, ne puisse s’expliquer autrement que par une lecture fautive du texte de Josèphe. En tous cas, M. Wendt lui-même le reconnaît, cet unique rapprochement ne suffit pas pour établir la dépendance des Actes à l’égard des Antiquités judaïques de Josèphe ; conclusion qui a son importance, car cet ouvrage de Josèphe n’a paru qu’en 93 ou 94, et, si l’on admettait que les Actes en dépendent, il faudrait reléguer leur composition jusqu’aux toutes dernières années du premier siècle.
De tout ce que nous venons de dire ressort avec évidence la crédibilité et la haute valeur historique du livre des Actes. Pour ébranler celle-ci, on allègue, il est vrai, les contradictions que les Actes présentent avec les épîtres de Paul, des inexactitudes historiques, des récits incomplets, des actions attribuées à Paul qui seraient incompatibles avec les principes de cet apôtre (par exemple, 21.20 et suivants ; et 6 et suivants ; 23.6 et suivants), et surtout des miracles, particulièrement l’histoire de la Pentecôte, qui, empreinte d’un caractère légendaire, doit appartenir à une tradition postérieure.
La plupart de ces objections ne sont que des appréciations personnelles ; elles résultent de principes préconçus et ne se discutent pas. Quant à celles qui ont quelque chose de fondé, et il y en a, elles ont été examinées avec soin dans les notes exégétiques.
Pour apprécier la haute valeur historique du livre des Actes, il suffit de considérer qu’il est l’œuvre d’un disciple de Paul, témoin d’une partie des faits racontés, et que cette œuvre constitue l’unique histoire que nous ayons des origines de l’Église ; sans elle le développement de l’Église primitive serait pour nous une énigme et ressemblerait à un mythe ; tandis qu’avec ce livre nous voyons l’Église naître, vivre, grandir, s’étendre par la puissance de la vérité divine qu’elle apporte au monde. Comment pourrions-nous reconstituer la vie de l’apôtre Paul d’après les épîtres, si nous n’avions le récit des Actes ? S’il y a entre ce récit et les données fournies par les épîtres quelques contradictions de détails, si l’on y constate des lacunes (2 Corinthiens 11.23-33 ; Galates 1 et 2), quelle admirable harmonie ne présentent pas les Actes et les épîtres pour les grandes lignes de la vie et du caractère de l’apôtre des Gentils ? Toute la partie du livre qui le concerne est du plus grand prix, surtout quand on contrôle et complète ses indications par celles des épîtres.
On pourrait être tenté de faire plus de réserves sur la première partie de l’ouvrage, où l’auteur, n’ayant pas vu s’accomplir les événements qu’il raconte, a recueilli des traditions plus ou moins vagues. Mais, dans cette partie aussi, il nous a laissé un récit qui, à l’examen, apparaît tout à fait digne de foi. On doit reconnaître, dit M. A. Sabatier (Encyclopédie Lichtenberger, I, page 68), que, de l’Apocalypse, de l’épître de Jacques et des autres documents judéo-chrétiens, il ressort un tableau général de la vie, de l’esprit et des mœurs des premiers chrétiens qui correspond fort bien aux grandes lignes de celui que Luc a laissé. On ne peut enfin méconnaître que, dans les premiers discours de Pierre, il n’y ait une esquisse de l’Évangile primitif, commençant au baptême de Jean et finissant à la résurrection, et une conception de la personne et de l’œuvre du Messie tout à fait originales, antérieures même à la tradition synoptique et très frappantes de simplicité et de vraisemblance. Nous établirons, dans le commentaire, combien le discours d’Étienne (chapitre 7) est approprié aux circonstances, quoique maints critiques aient prétendu le contraire. Il est faux également, le reproche adressé à l’auteur de faire parler Paul comme Pierre, et l’inverse. En une seule occasion, les deux apôtres se rencontrent dans leur argumentation : c’est quand l’un et l’autre prouvent à des Juifs la résurrection du Sauveur en commentant le Psaume 16, ce qui est pourtant assez naturel (Actes 2.25 et suivants ; comparez Actes 13.35-37). Partout ailleurs, c’est bien de leur point de vue particulier qu’ils parlent. Les discours de Paul, spécialement, reproduisent le type de doctrines, la dialectique, et jusqu’à des locutions nombreuses exclusivement propres à cet apôtre et que nous retrouvons les mêmes dans ses épîtres. Il va sans dire, du reste, que ces discours ne nous sont pas conservés in-extenso, dans les termes où ils furent prononcés ; mais dans les résumés qu’ils nous en ont donnés, l’auteur ou les documents qu’il cite, ont exactement reproduit les pensées émises par ceux qu’ils font parler.
Il faut donc beaucoup de légèreté, et même quelque chose de plus, pour refuser à l’auteur du livre des Actes les connaissances et la sincérité de l’historien ; il n’a pas dérogé depuis qu’il écrivait : Il m’a semblé bon, à moi aussi, après avoir examiné exactement toutes ces choses dès l’origine, de t’écrire avec ordre, très excellent Théophile, afin que tu connaisses la certitude des choses qui t’ont été enseignées (Luc 1.3-4).
On n’a que des conjectures sur le temps et le lieu où fut composé le livre des Actes. Les écrivains des premiers siècles étaient, à cet égard, dans la même ignorance que nous ; car, d’une part, Jérôme place la composition de ce livre à Rome et avant la mort de Paul : cette opinion, qui peut s’appuyer sur la présence de Luc dans cette ville à l’époque où l’apôtre y terminait sa carrière (Actes 28.13 et suivants ; 2 Timothée 4.10), est admise par nombre d’interprètes ; quelques-uns y trouvent une explication de la fin abrupte du livre (Comparez le paragraphe II). Mais, d’autre part, un auteur bien plus ancien que Jérôme, Irénée, affirme que Luc écrivit son second livre après la mort de Pierre et de Paul (Contre les Hérésies, III, 1). Beaucoup de critiques suivent cette donnée, parce qu’ils estiment que l’Évangile de Luc (voir notre Introduction) n’a été écrit qu’après la ruine de Jérusalem (70). Ainsi M. Th. Zahn, Einleitung, II, page 434, fixe l’apparition des Actes aux environs de l’an 75. Le fait que l’auteur ne se sert pas des épîtres de Paul (voir IV) et que les Actes paraissent cités dans la première épître de Clément Romain ne permet pas de reculer leur composition jusqu’au commencement du second siècle. Il nous paraît aussi s’opposer à la date de 94-100, à laquelle s’arrêtent MM. Hilgenfeld et Wendt. M. Harnack (Chronologie, I, page 248) dit que le livre dut apparaître entre 80 et 93. La détermination du lieu où l’ouvrage parut, dépend de la question du texte et de l’hypothèse d’une double publication émise par M. Blass.
Le texte du livre des Actes présente une particularité qui avait été remarquée depuis longtemps, mais qui, dans ces dernières années seulement, a été étudiée avec soin. Un certain nombre de documents, et notamment le manuscrit donné par Théodore de Bèze à l’Université de Cambridge (D), offrent pour le livre des Actes des variantes d’une espèce singulière. Elles ne peuvent être attribuées, comme la plupart des autres variantes du Nouveau Testament, à des fautes de copistes, à des interpolations faites pour élucider un texte obscur. Elles contiennent des informations nouvelles, des renseignements qu’un lecteur du second siècle ne peut avoir inventés et qui paraissent devoir remonter à l’auteur lui-même. Ces particularités ont amené un philologue allemand, M. Fr. Blass, à supposer qu’il y avait eu dès l’origine une double rédaction du livre des Actes. Luc se trouvant encore à Rome écrivit une première fois son œuvre ; puis il la recopia, en corrigeant le style et en émondant maint détail qui lui semblait superflu. Cette seconde rédaction fut envoyée à Antioche, où se trouvait Théophile ; elle se répandit en Orient et nous a été conservée dans les plus anciens manuscrits en lettres onciales (Sin., B, A, C). La rédaction, qui représente le premier jet de la composition de Luc, demeura entre les mains de ses amis à Rome et se répandit en Occident. On retrouve ce texte, que M. Blass appelle le texte romain ou occidental, plus ou moins mélangé, dans le manuscrit de Cambridge, qui date du sixième siècle, provient du couvent de saint Irénée à Lyon, et offre le Nouveau Testament en grec et en latin, tel, à peu près, qu’il était au temps de ce Père de l’Église. Le même texte se reconnaît encore dans plusieurs autres documents, dans un manuscrit gréco-latin d’Oxford, le Codex Laudianus, du septième siècle (E), dans un minuscule de la Bibliothèque de Milan, dans la version syriaque, dite philoxénienne, avec les additions mises en marge par Thomas d’Héraclée en 616, dans la traduction faite dans la Haute-Égypte, appelée version sahidique, enfin dans un certain nombre de versions latines antérieures à Jérôme. Les citations d’Irénée, de Cyprien et d’Augustin, dans une partie du moins de ses écrits, sont tirées de ce texte occidental. M. Blass en a publié un essai de reconstitution en 1895 et 1896. Son hypothèse a reçu l’approbation de savants tels que MM. E. Nestlé, Zöckler, Hilgenfeld, qui s’accordent du moins à reconnaître le texte occidental comme le texte primitif, d’autres, tels que MM. B. Weiss et Wendt, n’y voient qu’une déformation du texte original, qui nous est conservé dans les plus anciens majuscules. Nous ne pouvons entrer dans cette discussion ; nous donnerons dans nos notes les variantes les plus caractéristiques de ce texte occidental ; car, si même il ne remonte pas dans sa totalité à l’auteur des Actes, il peut, ainsi que le reconnaît M. Wendt, contenir mainte leçon originale et fournir plus d’une donnée historique digne de confiance.
Nous pensons rendre service aux lecteurs en indiquant la chronologie des événements racontés dans le livre des Actes. Nous ne pouvons exposer les diverses combinaisons par lesquelles on l’établit. La date sur laquelle elle repose principalement, et que les savants s’efforcent de déterminer, est celle de l’entrée en fonctions de Festus, qui succéda à Félix comme procurateur, au terme de la captivité de deux ans que Paul subit à Césarée. On fixe généralement cette date, d’après des données de Josèphe, à l’an 60 ou 61. Récemment MM. Blass, Harnack (Chronologie, I, page 233 et suivantes) et d’autres, ont cherché à établir, en se fondant sur une indication de la Chronique d’Eusèbe, que Festus succéda à Félix en 56 déjà. Si l’on admet cette date, la chronologie de la vie de Paul se trouve profondément modifiée. M. Harnack l’établit comme suit (o. c, page 717) :
Ce qu’il y a d’intéressant dans cette reconstitution, c’est qu’elle laisse, entre la première captivité de Paul à Rome et la grande persécution de Néron, en juillet 64, un espace suffisant pour y placer les faits qui marquèrent la fin de la carrière de l’apôtre et dont nous retrouvons des traces soit dans les épîtres pastorales, soit dans de très anciennes traditions ecclésiastiques.
Mais on objecte à cette chronologie que les données de la Chronique d’Eusèbe ne sont pas des plus sûres, et on lui reproche surtout de placer la conversion de Saul déjà en 30, l’année même de la mort de Jésus. Or tout le développement extérieur et intérieur de l’Église qui nous est raconté Actes 1 à 7 ne suppose-t-il pas un temps plus long ?
Il convient donc, pour le moment, de s’en tenir à la chronologie admise, avec quelques variations, par la plupart des historiens :
Voici quelle nous paraît être la division de notre livre. C’est du moins, de celles qu’on a proposées, la plus conforme à la composition de l’ouvrage.
Première partie Chapitres 1 à 12 La fondation de l’Église.
Deuxième partie Chapitres 13 à 28 Paul et la mission parmi les païens.