Aggée est le premier prophète à nous connu qui se soit fait entendre depuis le retour des Juifs en Palestine, après la captivité de Babylone. Pour comprendre clairement les motifs qui ont déterminé son entrée en scène et ses discours, il faut revenir de seize ans en arrière. La prise de Babylone, en 538, avait fait passer l’empire de l’Asie des mains des Chaldéens dans celles des Perses. Darius le Mède, allié des Perses, n’avait régné que deux ans, et Cyrus lui avait succédé en 536. Après lui était venu son fils Cambyse (529), qui fit la conquête de l’Égypte. C’est durant cette expédition lointaine que le mage Smerdis réussit à s’emparer du trône, en 522 ; il ne régna que quelques mois, et, en 521, Darius, fils d’Hystaspe, descendant de la race royale persane, prenait possession de Babylone. C’est sous ce dernier règne qu’apparaissent en Juda les prophètes Aggée et Zacharie.
L’édit, de Cyrus, promulgué en 536 au début du règne de ce prince (2 Chroniques 36.2), avait octroyé aux Juifs la permission de retourner dans leur patrie ; 42 360 d’entre eux, accompagnés de 7 337 esclaves et de 200 membres du corps de musique du temple, se décidèrent à reprendre le chemin de leurs foyers, sous la conduite de Zorobabel, fils de Séalthiel, gouverneur civil, et de Jéhosua, fils de Jéhotsadak, grand-sacrificateur. Le premier soin des nouveaux colons, dès qu’ils se furent installés dans le pays, fut de rétablir l’autel des holocaustes (Esdras 3.3) et de recommencer la construction du temple détruit par Nébucadnetsar (Esdras 3.8ss). Le fondement fut posé et consacré par une fête solennelle qui laissait augurer favorablement des dispositions du peuple et de la suite de l’entreprise. Mais les travaux commencés avec tant de zèle furent bientôt interrompus par une circonstance inattendue. Les peuplades d’alentour, en particulier les Samaritains, mélange de Juifs et de colons étrangers amenés dans l’ancien territoire des dix tribus pour repeupler la contrée, voulurent avoir part aux travaux du temple et s’adressèrent pour cela à Zorobabel (Esdras, chapitre 4) ; leur but était sans doute d’arriver à conclure une alliance défensive avec les Juifs contre les nations du voisinage, ou peut-être aussi de rétablir l’unité extérieure de Juda et d’Israël et de donner ainsi plus de stabilité à leur nouvelle situation. Il fut répondu à leur demande par un refus. En effet, les admettre à prendre part à l’œuvre commencée, c’était compromettre d’emblée la restauration du vrai culte par l’introduction d’éléments idolâtres et corrompus. La leçon infligée par l’Éternel à son peuple avait porté ses fruits ; Juda voulait désormais demeurer à l’écart de ces influences extérieures qui avaient jadis causé sa ruine. Le refus opposé par Zorobabel aux prétentions des nations d’alentour produisit chez ces dernières une profonde irritation ; elles cherchèrent à se venger en intriguant à la cour de Cyrus, afin de produire sinon la révocation formelle de l’édit de 536, du moins l’arrêt des travaux commencés à Jérusalem. Telle fut bien la conséquence des manœuvres employées ; l’interruption se prolongea pendant tout le règne de Cyrus et sous les rois qui suivirent, jusqu’à la deuxième année du roi Darius, fils d’Hystaspe. Ce ne fut pourtant qu’en 522 que fut prononcée l’interdiction formelle de continuer les travaux commencés. Du reste, il est à remarquer que cette interdiction (Esdras 4.17ss) ne se rapportait point à la construction du temple spécialement, mais à celle de la ville et des murailles de Jérusalem, ce qui explique comment Aggée, en raison de l’édit de Cyrus qui avait ordonné expressément le rétablissement du temple (2 Chroniques 36.23), put engager sans scrupule ses compatriotes à reprendre ce dernier travail, interrompu en partie par leur propre faute. Un édit de Darius, rapporté Esdras 6.6ss, ne tarda pas, d’ailleurs, à sanctionner la reprise des travaux prêchée par le prophète (Pour les détails relatifs aux obstacles opposés à la reconstruction du temple et pour les noms des rois désignés comme successeurs de Cyrus, voir Esdras chapitre 4).
Les travaux avaient donc été abandonnés pendant seize années, années fâcheuses à bien d’autres égards encore pour le peuple de Dieu : le pays avait souffert de sécheresses prolongées, le sol avait peu donné à ses habitants, le ciel était resté comme fermé au-dessus de leurs têtes (Aggée 2.16 et suivants), et l’on peut conclure d’Aggée 1.2 et suivants que le découragement, en pénétrant dans les cœurs, avait entraîné à sa suite l’indifférence pour la restauration du culte et du temple de l’Éternel et la préoccupation égoïste des intérêts matériels. C’est à ce moment-là qu’apparaissent Aggée et Zacharie, chargés tous deux de la mission spéciale d’encourager le peuple à reprendre l’œuvre encore peu avancée, de lui inspirer un nouveau zèle et de lui donner l’assurance que les promesses de l’Éternel demeurent les mêmes pour les siens. Leurs discours se suivent dans l’espace d’environ deux ans et selon l’ordre suivant :
De caractères essentiellement différents, les deux prophètes poursuivent chacun leur commune mission en nous révélant des dons très particuliers : le premier, Aggée, est avant tout, homme d’action ; énergique et pressant, une sainte impatience l’anime ; il a hâte de voir reprendre les travaux trop longtemps interrompus. Plus orateur que poète, il force, pour ainsi dire, la résolution de ses contemporains par l’effet de sa conviction personnelle, et le résultat désiré ne tarde pas à couronner ses efforts. Chez Zacharie, au contraire, l’élévation de la pensée, la tournure contemplative de l’esprit l’emportent à un haut degré sur l’action oratoire. Dans la première partie de son livre, les visions remplacent en une certaine mesure les discours ; elles se pressent devant ses yeux avec une telle abondance qu’elles semblent avoir rempli l’espace d’une seule nuit.
Le nom du prophète, Chaggaï, qui signifie « solennel », de Chag, « fête solennelle », n’a été porté par aucun autre personnage de l’Ancien Testament, et l’histoire ne nous a transmis sur lui que cette simple indication : « Aggée, le prophète » ; comparez Esdras 5.1 et 6.14, où Aggée et Zacharie sont cités au même titre comme ayant été appelés à relever le courage du peuple et à l’engager à reprendre son œuvre interrompue. Il est permis de croire qu’Aggée, revenu avec Zorobabel lors du premier retour des Juifs à Jérusalem, était déjà fort avancé en âge, lorsqu’il s’adressa à ses concitoyens au nom de l’Éternel ; le passage 2.3 ferait supposer qu’il avait connu l’ancien temple de Salomon, et ce fait expliquerait l’autorité particulière avec laquelle il s’adresse aux chefs temporels et spirituels de la nation et le désir qu’il manifeste de voir le relèvement de ce sanctuaire dont il avait contemplé l’ancienne splendeur.
Mais si l’histoire se tait relativement aux circonstances de la vie du prophète, la tradition renferme à son sujet un grand nombre de légendes : on le fait venir tout jeune de Babylone à Jérusalem et on imagine de trouver dans son nom une signification prophétique : « mes fêtes ». Ce nom lui aurait été donné par ses parents pour indiquer par avance la part qu’il aurait au rétablissement des fêtes juives, lors du retour de l’exil. Ou bien encore, on voit en lui un ange ayant revêtu une forme humaine pour parler aux Israélites de la part de Dieu. Cette légende repose sur une fausse interprétation du passage 1.13, d’autres données fabuleuses font de lui un des membres de cette grande synagogue qui (au dire des rabbins) recueillit les divers livres de l’Ancien Testament et en fixa le Canon.
La reconstruction du temple de Jéhova, tel est donc le motif essentiel qui inspire les quatre discours dont se compose le livre d’Aggée. La nécessité de cette restauration ressortait pour le prophète de la place considérable qu’occupait le sanctuaire dans la vie de la nation élue. C’était, en effet, le signe matériel de l’alliance conclue au Sinaï entre Jéhova et Israël, le symbole de l’habitation de Dieu au sein de son peuple. Le temple renversé devait ainsi représenter sous une forme visible la rupture de cette alliance, la cessation plus ou moins complète des rapports qui unissaient l’Éternel à la nation tout entière, et la reconstruction du sanctuaire devenait dès lors, aux yeux du prophète, une obligation sacrée entre toutes et qui devait s’imposer à la conscience de ses contemporains. Les deux chapitres que nous possédons ne sont sans doute qu’un court résumé des paroles prononcées par Aggée devant le peuple. Ils se répartissent sur une période d’environ quatre mois et se divisent comme suit :
Le style et la langue de ce livre ont été parfois jugés assez défavorablement ; on a accusé Aggée de manquer d’inspiration et de force ; mais le fait que ses discours ont pleinement atteint le but que le prophète s’était proposé, prouverait suffisamment que cette assertion est gratuite. Aggée ne possède pas, il est vrai, l’élan et la richesse d’expressions des prophètes plus anciens ; il est plus prosaïque que ces derniers. Il s’adresse à la raison, à la volonté de ses auditeurs plus qu’à leur imagination ou à leur sentiment. Mais il ne manque pourtant point d’images frappantes, de vigueur et d’élévation.
Sa langue est, pour l’époque où il écrit, relativement pure de chaldaïsmes.