Nous ne possédons aucun renseignement historique certain sur les circonstances de la vie d’Habakuk. Tout ce que la tradition nous a transmis à son égard est empreint d’un caractère légendaire très prononcé. C’est ainsi qu’un écrit rabbinique fait d’Habakuk le fils de la Sunamite dont il est parlé 2 Rois chapitre 4, tandis qu’une autre légende, très répandue dans les premiers siècles de notre ère, raconte que le prophète aurait été transporté à travers les airs du pays de Juda à Babylone, pour porter de la nourriture à Daniel enfermé dans la fosse aux lions, etc. Ce qui est certain, c’est qu’Habakuk se donne lui-même le titre de nabi, prophète (1.1 et 3.1), terme qui désigne en général l’exercice habituel du ministère prophétique.
De plus, la souscription du chapitre 3, verset 19, ainsi qu’une note placée en tête des fragments apocryphes qui accompagnent le livre de Daniel dans la version grecque des LXX, font supposer avec une certaine probabilité qu’Habakuk appartenait à la tribu de Lévi. Cette note est ainsi conçue : « Tiré de la prophétie d’Habakuk, fils de Josué, de la tribu de Lévi ».
Le prophète n’indique pas le temps où il a vécu et, malgré les sérieuses recherches auxquelles on s’est livré, on est arrivé sur ce point à des résultats probables plutôt que certains. Quelques commentateurs ont fixé, comme époque de la composition du livre, le règne de Jéhojakim (610-599) ; l’argument qu’ils font valoir en faveur de cette époque tardive est l’expression « en vos jours » de 1.5. Mais cette preuve ne saurait suffire, car, dans le style prophétique, l’espace de temps que suppose cette expression peut embrasser non pas seulement dix ou quinze années, mais tout un âge d’homme, et remonter par conséquent ici jusqu’aux règnes de Josias et d’Amon ou même jusqu’aux dernières années de Manassé. En outre, pourquoi le prophète présenterait-il l’invasion des Chaldéens comme quelque chose de si extraordinaire et de si incroyable à une époque où tout devait la faire pressentir au peuple de Juda ? Sous Jéhojakim, on ne comprendrait plus guère la description détaillée de 1.5-11. L’époque un peu antérieure de Josias ne semble pas convenir non plus à la composition du livre d’Habakuk. Dans ce cas, en effet, le prophète ne pourrait avoir exercé son ministère avant la douzième année du règne de ce prince (vers 629) ; car la souscription du livre (3.19) oblige d’admettre que le culte était régulièrement célébré dans le temple de l’Éternel ; or, ce fut à cette époque seulement (2 Chroniques 34.3) que le culte des idoles fut renversé pour être remplacé par celui de Jéhova. Mais d’autre part, si Habakuk a prophétisé dans les années qui ont suivi immédiatement la réforme de Josias, on est en droit de se demander comment le tableau des mœurs de l’époque tracé au chapitre 1, versets 2 à 4 peut concorder avec le règne d’un prince dont il nous est dit, 2 Rois 23.25, que pour la piété et la fidélité il n’y en eut jamais de pareil à lui, ni avant ni après ? Il faut donc remonter plus haut encore que le règne de Josias.
Ce sont les dernières années du règne de Manassé qui paraissent cadrer le mieux avec le contenu du livre d’Habakuk, En effet, 2 Chroniques 33.11-13 il est raconté que Manassé, emmené captif à Babylone pour y expier un long règne chargé de crimes de toute sorte, se repentit dans l’exil et put revenir dans son royaume, où il se mit en devoir de rétablir le culte de l’Éternel auquel il avait substitué jadis celui des faux dieux. Ce fait de l’asservissement de Manassé aux monarques assyriens, souvent mis en doute, se trouve confirmé en une certaine mesure par les découvertes assyriennes des dernières années ; les inscriptions parlent du roi « Minasi de Jaouda » (Manassé de Juda), comme ayant été au nombre des tributaires du souverain assyrien. La réforme, essayée par le roi repentant dans les dernières années de son règne, fut sans doute bien peu profonde, puisque le second livre des Rois n’en parle pas. Cependant le sanctuaire fut entièrement purifié de ses idoles et rendu au culte de l’Éternel (2 Chroniques 23.15ss). C’est ce qui expliquerait à la fois la souscription de 3.19, laquelle indique que le culte était célébré dans le temple comme jadis, et la description de l’état de déchéance morale du peuple, 1.2-4, description de laquelle on peut, conclure que l’essai de réformation tenté par Manassé n’avait pas exercé une action bien puissante sur la masse de la nation. Quant à l’expression « en vos jours, » 1.5, elle ne constitue pas (d’après ce que nous avons fait remarquer plus haut) un argument contraire à l’époque que nous examinons ; il est, en effet, naturel de supposer que le prophète s’adressait à la jeune génération de ses auditeurs ; or cette génération put facilement voir encore s’accomplir « en ses jours » les événements prédits par le prophète. Le livre d’Habakuk rappelle, en outre, d’une manière frappante les discours de ces prophètes du temps de Manassé (2 Rois 21.12) dont les prédictions annonçaient des événements si terribles que les oreilles de ceux qui les apprendraient devaient « en tinter ». Les événements annoncés par Habakuk étaient bien de nature à produire un semblable effet ; le prophète lui-même l’a ressenti, car il dit au chapitre 3, verset 16 : « J’ai entendu et mes lèvres ont tremblé ». Enfin, le caractère archaïque très prononcé des trois chapitres de ce livre, l’originalité du style et de la pensée de l’auteur rappellent d’une façon évidente l’époque la plus brillante de la littérature prophétique. En lisant Habakuk, on éprouve l’impression bien nette que l’écrivain devait être plus rapproché d’Ésaïe que de Jérémie, dans le livre duquel on rencontre très fréquemment des citations de prophètes plus anciens, tandis que notre auteur est resté très indépendant de ses devanciers et ne leur fait que de rares emprunts. Nous sommes donc amenés par ces diverses raisons, à admettre, comme la date la plus probable de l’apparition du prophète Habakuk, les dernières années du règne de Manassé, soit de 645 à 643 avant J-C.
Habakuk est le plus lyrique de tous les petits prophètes, celui chez lequel les sentiments personnels occupent la plus grande place. Aucun ne nous livre comme lui le fond de son cœur et ne nous fait lire si bien dans ses tristesses et ses doutes, ses espérances et ses joies. Ce trait profondément subjectif de son caractère le prédisposait mieux que tout autre à exprimer les sentiments des pieux Israélites et à être pour eux un chantre de consolation. L’âme fidèle, après avoir souffert avec lui en contemplant le triomphe de la violence, l’invasion menaçante des Chaldéens, devait partager d’autant plus sa joie à l’annonce du châtiment des adversaires et de la victoire définitive de l’Éternel sur les ennemis de son règne. La note dominante du livre entier est donc bien celle de la consolation ; le chapitre 2, en effet, en constitue le centre et le noyau.
Au point de vue littéraire, ce livre est un chef-d’œuvre. La langue en est absolument classique, pleine d’expressions rares et choisies, dont la plupart lui appartiennent en propre ; la pensée et son exposition portent le sceau de la force et de la beauté ; nulle part la forme du dialogue entre Dieu et le prophète n’est si parfaite, ni la prophétie aussi intimement fondue avec l’émotion de l’auteur ; et malgré l’énergie du sentiment et le vigoureux élan de la pensée, le discours forme un tout admirablement lié dans ses diverses parties. Dans Habakuk se trouvent réunies en quelque sorte la force d’un Ésaïe et la tendre sensibilité d’un Jérémie. Le chant du chapitre 3 constitue une des plus remarquables productions lyriques des Hébreux. On y trouve un souffle poétique puissant uni à une grande élégance d’expression, un rythme à la fois libre et mesuré, beaucoup de fraîcheur et de clarté.
La division du livre d’Habakuk est si naturelle qu’elle s’impose d’elle-même : elle répond exactement aux trois chapitres du texte hébreu.